Accalmie avait été sauvée par l’arrivée de l’Empire, qui avait rompu le siège et le blocus côtier auxquels l’imprenable forteresse de l’Orage avaient été soumise pendant des semaines. Il n’avait pas fallu longtemps pour que les bannières des osts du Bief ne se retrouvent sous les murs de l’imposante forteresse. Il y avait eu une troupe déjà présente dans les environs, forte de quelques milliers de cavaliers, de troupes légères et d’archers. Cette force avait mis la région à feu et à sang, perturbé le ravitaillement et les communications impériales.
L’Empire qui était parti au sud, pour punir la Maison Morrigen et Nids de Corbeaux, incendiée une nuit entière par le dragon Meraxès, soumise par la force. Il n’était pas bon d’être un traître, un félon à ses serments vis à vis de la Reine de l’Orage. La justice -et la vengeance- de l’Empire s’étaient abattues avec la plus extrême brutalité sur les parjures. Profitant du chaos au coeur du pays, le Roi Manfred et la Reine Eren conçurent un plan pour attirer plus au nord les forces impériales, en dehors des reliefs escarpés et boisés du centre de l’Orage pour faire bénéficier à plein leur avantage en troupes montées de grande qualité. La fine fleur du Bief avait toujours un compte à régler avec l’Empire, alors qu’au Trident des centaines de chevaliers avaient été incinérés, dévorés ou mutilés par le dragon et l’Impératrice…
C’est alors que l’Ost royal du Bief se présenta sous les murs d’Accalmie.
Le Roi Manfred avait fait sortir le grand jeu. Défilé de toutes les troupes par suzerains et par origine, sous les fanions de la Citadelle et de Hautjardin. Il y avait là des dizaines de milliers d’hommes, peut-être quarante mille, et une large proportion de cavalerie lourde. Le message était clair ; le Bief venait réclamer la suzeraineté de ces terres et la place forte en tant que telle. Le guet de la ville et ses défenseurs, renforcés de troupes impériales, étaient désormais accoutumés à voir la ville menacée… Ses portes claquemurées, son port ouvert et généreusement garni en troupes impériales, le siège serait de peu d’effet sauf en cas d’assaut sanglant tenté par le Bief. Mais son Roi, s’il était réputé ambitieux, n’était pas un fol. Pourquoi risquer des troupes pour une forteresse qui ne valait rien sans armée ? C’était bien pour faire sortir l’Empire du couvert de régions mieux maîtrisées et impropres aux combats de cavalerie, où le Bief excellait depuis toujours, que le parti pris de foncer sur Accalmie avait été choisi.
Ne restait plus qu’à attendre l’Empire, et de provoquer une bataille décisive à plus d’un titre, sur cette partie du continent et au-delà.
Mais c’était compter sur l’impérieux besoin de défendre l’Orage et ce qu’il en restait. Et l’Empereur avait déjà prouvé par le passé qu’il pouvait se montrer autant téméraire que pragmatique, prêt à tous les sacrifices. Les jours passèrent, et toujours aucun signe de bannière Braenaryon ou Durrandon, Targaryen ou Baratheon.
Pendant que les bieffois montaient nord-est depuis Lestival, les impériaux passaient le fleuve Camarde au clair de lune, hampes des lances, des piques et des hallebardes à l’épaule, bannières drapées de toile de jute pour ne pas alerter les patrouilles adversaires. On franchit à gué et sur les ponts, on avançait à couvert dans les forêts sombres du coeur de l’Orage. Deux jours plus tard, les colonnes de l’Empereur arrivaient en vue de Lestival, demeure des traîtres Lonbec. Des chevaux-légers arborant un drapeau blanc précédaient les colonnes noires de troupes en armes, surplombées de deux dragons.
Rendez-vous, ou brûlez.
Lonbec obtempéra. Il savait ce qu’il s’était passé à Nids de Corbeaux.
Il livra la ville à l’Empire, sans avoir l’outrecuidance de réclamer la pitié du couple impérial. L’Empereur le condamna à mort pour haute trahison, et se chargea lui-même de la sentence. Tous les sergents en ville qui avaient fait régner volontairement la Loi du Bief, sans contraintes et avec zèle, furent condamnés au Mur. Les plus virulents furent pendus. Par sécurité, les portes de la ville furent toutes incendiées, et une poterne abattue. Plus jamais la ville ne devait servir de base arrière aux armées du Bief. Les réserves de nourriture furent largement réquisitionnées, et les populations sommées de rejoindre les terres des loyalistes, au sud ou à l’Est.
Cette capture n’était pas un pied de nez au Roi du Bief, une façon de maintenir le statu quo avec la menace pesant sur Accalmie. Il n’était pas question d’aller affronter le Bief sur un terrain qu’il aurait choisi.
Dès le lendemain, l’armée impériale continua sa route, pleine ouest, marchant vers les frontières du Royaume Hightower, vers Cendregué.
La bataille décisive sur ce front n’en était que repoussée, et il semblerait qu’elle ne se jouerait finalement pas dans l’Orage.