— An 2 Mois 6 Semaine 4
@Manfred Hightower

Le monde lui était étranger. Elle cherchait du regard, de temps en temps, les visages autour d’elle, à la recherche d’une expression familière, d’une personne connue, d’une présence rassurante. Elle aurait voulu voir les visages de Rhaenys et de Torrhen, celui doux mais assuré de Mina, l’expression de tendresse de Kevan. Elle imagina également celui de son époux, un visage qu’elle ne parvenait pas vraiment à déchiffrer. Elle ne le connaissait pas si bien, cet homme, qu’elle avait décidé de marier de raison purement politique. Afin d’allier les Orageois entre eux, il fallait un homme de l’Orage. Fini les alliances qui n’en étaient pas, les déconvenues et les chagrins. En mariant un homme qu’elle n’aimait pas, elle ne risquait pas de souffrir. Si elle appréciait la compagnie de Wensington, on ne pouvait pas dire qu’elle l’aimait avec ferveur. Il était là, à la place d’un autre. Et pourtant, c’était bien son enfant qu’elle portait en son sein.

L’envie de dégobiller la prit et elle se pencha en avant juste un instant, se tenant le ventre comme si elle allait se vider. Une crampe. Particulièrement féroce. D’instinct, elle porta sa main à son ventre doucement arrondie et une angoisse terrible l’envahit. Toute cette agitation, toute cette anxiété et cette colère, auraient-elles raison du petit Orageois qui grandissait en elle ? La crampe ne dura pas et elle n’eut pas le loisir de tergiverser là-dessus. On la poussait en avant, vers une grande tente habillée aux couleurs du Bief. Le regard hagard, elle dirigeait son visage en arrière, vers les hommes qu’elle avait laissé. Le brouhaha général masquait les voix de ses hommes et elle ne parvenait même pas à les voir, par-dessus la masse de soldats du Bief.

Le monde lui était étranger et elle se retrouvait seule, dans cet environnement hostile. Elle essayait de ne pas trop y réfléchir, de montrer une façade de femme forte, mais il était difficile d’arborer ce masque alors qu’elle était affamée et affaiblie. La fatigue rendait chacun de ses pas plus difficile et elle eut le sentiment, à plusieurs moments, de chuter dans un trou. Mais non, ce n’était juste que la lourdeur de ses pas dans la boue du champ de bataille. La cohue autour d’elle n'avait aucun sens à ses oreilles. Elle écoutait sans réellement entendre, suivant le mouvement lorsqu’on la poussait vers une tente plutôt qu’une autre, qu’on la retenait de temps en temps, pour éviter qu’elle ne glisse dans la boue, qu’on la pressait toujours en avant pour ne pas qu’elle s'arrête.

Son visage à elle était crispé et sans expression. Ni terreur, ni chagrin, ni inquiétude, ni désespoir, ni rien. Quoiqu’un peu d’inquiétude concernant l’enfant qu’elle portait. Quelle vie pourrait-elle lui donner ? Elle n’avait pas su protéger son Royaume de son ennemi, pourrait-elle au moins protéger son enfant ? Ses pensées désorganisées se fixèrent sur cette angoisse, particulièrement terrassante, puis elle sentit à nouveau son ventre se crisper, mais pas de la même manière. Son destin n’était plus entre ses mains. Elle s’était battue. Elle avait perdu. Cela revenait au vainqueur de jeter sa carcasse ou de la conserver comme un trophée. Peut-être finirait-elle comme Mern Gardener qui était mort alors qu’il avait été son otage ?

Elle avait finalement été escortée jusqu’à Lestival où une petite chambre presque vide avait été installée pour son confort. La route jusqu’à la ville Orageoise fut particulièrement difficile pour la Biche. Son corps était épuisé, sa tête assommée de vertiges qui manquèrent de la faire chuter plus d’une fois. Une fois arrivée dans la ville désormais tenue par le Bief, son regard s’était arrêté sur les vestiges de bâtiments immolés par le feu, plusieurs mois plus tôt. Elle se souvint avoir ordonné la reconstruction de la ville mais celle-ci n’avait pas eu le temps de se remettre entièrement des différentes attaques qu’elle avait subi. La suie léchait encore les fondations de certaines bâtisses. On la conduisit dans une chambre du château, presque vide, certainement pour éviter qu’elle ne se serve de quelque chose contre ses geôliers et parvenir à s’enfuir. Se donner la mort n’était pas encore dans ses intentions même si l’idée pouvait paraitre alléchante à certains moments. Même en Reine déchue, elle méritait de conserver quelques privilèges, apparemment. Elle ne se plaignait pas d’avoir accès à ce petit privilège car dormir dans un vrai lit était bien agréable, seulement fallait-il réussir à fermer l’œil.

Après sa dernière entrevue avec le couple royal Bieffois, juste après qu’elle a eu lâché les armes, ils n’étaient pas revenus la voir. Elle avait alors eu du temps pour réfléchir à tout ce qu’il s’était déroulé pendant le siège, lors des combats, puis lorsqu’elle avait été forcée de cesser les combats. La Biche se doutait qu’ils ne tarderaient pas à lui rendre visite à nouveau, pour s’assurer que leur chère prisonnière était bien assez tourmentée. Il n’y avait qu’à croiser le regard du Roi Hightower pour deviner qu’il n’espérait que d’une chose : la briser.

Enveloppée par l’isolement et la solitude, elle sursauta lorsqu’elle entendit le verrou de la porte s’enclencher, tourner et finalement libérer la porte en un crissement de ferraille. Allongée sur le lit, elle se leva d’un bond tandis que Manfred Hightower lui-même, lui faisait l’honneur d’une visite de courtoisie. L’obscurité baignait la chambre qui représentait désormais son seul Royaume, dissimulant presque le visage de la Biche. Elle avait reconnu sa voix bien avant qu’il ne se soit assez avancé pour qu’elle puisse le discerner entièrement à la lumière des bougies.  

La Biche lui adressa un regard assassin, à peine dissimulé dans l’ombre de la pièce. Elle ouvrit la bouche, formula des mots qui ne sortirent pas de l’entrebâillement de ses lèvres. Telle une prière silencieuse à ses Dieux absents. S’il la dévisageait avec dédain, elle le dévisageait également, avec tout le dégout et la révulsion qu’elle pouvait éprouver pour un homme. Elle se retenait de se jeter à sa gorge. Qu’avait-elle à perdre après tout ?

Encore trop, visiblement. Peut-être avait-elle encore un peu d’espoir. L’espoir d’être sauvée, de retrouver sa place de Reine, de vivre, d’être mère.

Un rire incontrôlé lui échappa lorsqu’il lui dit qu’elle avait bonne mine. La phrase lui semblait tant stupide, que son rire en était sincère. Depuis quelques heures, son ventre était douloureux. Des crampes terribles l’empêchaient de fermer l’œil si elle en avait été seulement capable de prime abord. L’angoisse la terrassait, car elle avait déjà vécu cela par le passé, et qu’elle ne pouvait pas croire que cela lui arrivait à nouveau. Dans de telles circonstances. Alors forcément, la mine qu’arborait la Reine déchue de l’Orage ne devait pas être des plus fraiches. Bien sûr, Argella devinait que tout ceci était sa façon de jubiler. Il n’y avait qu’à voir les traits de son visage, ses expressions hypocrites et son regard. La réalité était qu’elle le jalousait. Cela aurait dû être elle à sa place. Elle qui aurait dû le toiser et lui arracher la virilité qu’il arborait avec tant de fierté. Ô ce qu’elle aurait désiré cela.

Sa voix éraillée retentit finalement dans la petite pièce vide, une fois qu’il fut son tour de parler et qu’il était clair qu’il attendait une réponse de sa part.

« — Cette bouillie que l’on me sert comme si j’étais une chienne ? Non, je n’en ai pas encore eu le plaisir. » Cracha-t-elle en accentuant ses mots d’un faux sourire qui ressembla davantage à une grimace.

Argella portait des vêtements abimés car elle avait refusé de laisser tomber les armoiries de son nom. Il avait bien fallu qu’elle se lave pourtant. Debout sur ses pieds, elle ne lui fit pas le plaisir d’obéir et de s’asseoir face à lui. Sourde à la douleur qui étreignait le bas de son ventre, elle restait droite, le regard figé sur le Roi du Bief. Il n’était pas au courant de la gravité de son état et pourtant ses mots touchèrent justes.

« — Pourriez-vous avoir des nouvelles plus mauvaises que celles que je connais déjà ? » Répondit-elle froidement.

Elle chercha à sonder son regard pour essayer d’y trouver des réponses. Se pouvait-il que des horreurs soient arrivés à Rhaenys ou à Torrhen ? Ou bien à son peuple ? À Mina Swann ? Ou bien était-ce à propos de l’homme qu’elle avait pris pour mari quelques mois plus tôt ?

Il était venu pour s’assurer qu’elle ne serait pas prête à se relever. Son regard étincelait d’un éclat sinistre, habillé d’avidité face aux tourments de la jeune femme. Elle ne tenait pas l’homme dans son cœur, ne l’avait jamais apprécié tant il était faux et sournois. C’était la pire espèce d’homme, et sa femme ne valait guère mieux. Bien sûr, il pouvait faire tout ce qu’elle voulait d’elle car entre ses quatre murs, personne n’irait jamais la couvrir. Elle était un objet qu’il se plaisait à toiser avant de juger s’il devait s’en débarrasser ou le garder un peu plus longtemps, au cas où il pourrait lui être utile un peu plus tard. Elle ne comprenait pas tout à fait pourquoi il la gardait encore en vie. Il avait déjà conquis l’Orage lorsqu’il avait marché sur son armée et l’avait forcé à capituler. À quoi pouvait-elle lui servir désormais ? À moins que ce ne soit que pour le plaisir de la torturer.

Quand il reprit la parole, ce fut pour la traiter de chienne. Argella ne fut pas surprise de l’entendre lui renvoyer l’insulte qu’elle avait proféré sur elle-même. Elle ne répondit rien à cela. Que pouvait-elle répondre après tout ? L’homme la provoquait et attendait une réaction de sa part, pour mieux l’écraser ensuite. La Biche essayait de rester prudente. Si elle avait tout perdu, elle gardait un léger espoir de quitter ce trou à rat et la captivité du monstre du Bief. Il était hors de question qu’elle n’abime cette lueur avec sa propre colère.

Toujours debout, elle le suivit du regard lorsqu’il s’assit devant elle en joignant ses mains dans une position réflexive. Et si elle se jetait à sa gorge tout de suite, les gardes auraient-ils le temps de l’extirper de ses griffes pour lui sauver la vie ? Il jubilait toujours et Argella ne comprit pas tout de suite la raison de ce sourire malsain.

« — Vous ne savez pas ce qui va vous tomber dessus. Vous ne méritez que cela, de finir terrassé par les armées de l’Empire ou cramoisi par les flammes des dragons. » Sa voix était calme, glaciale, mais grondante de rage. « S’ils doivent les conquérir, ils le feront. » Et avec un peu d’espoir, ils viendraient la chercher ensuite. « Tant que mon peuple ne finit pas sous vos ordres, je peux mourir tranquille. Il est hors de question qu’Accalmie vous revienne. Ni maintenant, ni jamais. »

La suite de sa tirade ne fut pas particulièrement agréable à entendre pour la Biche qui ne s’était pas attendue à ce que Wensington la répudie à ce point. C’était donc là où il voulait en venir. Dans le fait de conquérir, Hightower faisait surtout référence à ses hommes qui l’avaient rejoint et qui la répudiait désormais. Quelle pire trahison que celle de ses proches ? Cet imbécile de Wensington avait raconté tout ce qu’il pouvait pour s’assurer qu’il ne perdrait pas sa tête. Ou peut-être l’avait-il torturé ? Elle n’était pas certaine de savoir si son époux aurait tout dit si sa vie n’avait pas été en jeu. Il avait des défauts mais elle ne s’était pas imaginé que l’opportunisme ferait place à la loyauté dont il avait toujours fait preuve jusqu’alors.

« — Vous croyez les inepties racontées par un homme qui ferait absolument tout pour ne pas se faire tuer. Vous voilà tombé bien bas, Manfred, pour un Royaume que vous considérez avoir conquis. Je sais que tous mes hommes ne se sont pas rangés de votre côté et qu’ils ne le feront jamais. »

Elle haussa les épaules. Elle était toutefois atteinte par l’idée que ses bannerets aient pu rejoindre le Bief. Si elle comprenait qu’ils puissent faire une telle chose pour sauver leurs familles, elle ne pourrait accepter telle félonie et ces traitrises faisaient bouillir le sang dans ses veines.

« — Allez-y, dites-moi les noms puisque vous mourrez d’envie de me les dire. Quels noms a-t-il inventé ? Je parie qu’il a donné toutes les personnes qui lui passaient par la tête. » Elle échappa un soupir, serra les mâchoires. « Et j’imagine, puisque nous y sommes, qu’il a dû prétendre que l’enfant que je porte n’est pas le sien finalement. » Elle roula des yeux. « Peut-être aurait-il mieux fallu. »

Cela n’avait plus d’importance désormais.

Il poursuivit, sûr de ses dires et de la progression de son armée. Que pouvait-elle en dire, elle, bloquée entre quatre murs d’une prison presque dorée. Elle ne pouvait qu’acquiescer, hocher la tête en espérant que tout ceci ne soit que du bluff. Mais pourquoi userait-il de tel stratagème ? L’armée du Bief était une armée puissante et expérimentée, elle lui avait toujours donné du fil à retordre, jusqu’à ce qu’elle parvienne finalement à la plaquer au tapis. Si Accalmie était réellement perdue, Argella avait peu d’espoir pour la suite. Il faudrait à l’Empire sacrifier beaucoup d’hommes pour sauver son Royaume, ou sauver ce qu’il en restait. L’Empire était fort mais l’était-il assez pour faire face à la manipulation et la monstruosité de l’homme qui se tenait en face d’elle ? La Biche fit face, immobile, toujours debout sur des jambes qui la faisaient souffrir.

« — Mieux vaut Accalmie détruite… » Elle avala sa salive. Cette pensée lui tordait les entrailles et perçait le cœur. « …Qu’entre les mains d’un homme tel que vous. »

Les noms furent comme des massues auxquelles elle s’attendait. Ce n’était pas parce que l’on s’attendait à recevoir une gifle que celle-ci se faisait moins douloureuse. La Biche fit en sorte de ne pas montrer la douleur rendue par cette gifle, la tête haute, le regard froid directement dirigé vers son persécuteur. Ce n’était qu’une souffrance de plus sur la douleur continue dans son corps. Il attendait une réaction d’elle, des repentances peut-être, du désespoir surement. Elle ne voulait pas lui donner tout cela, elle ne pouvait tout simplement pas. Tant que la guerre de Torrhen et de Rhaenys n’était pas terminée, elle ne pouvait pas les trahir en se soumettant entièrement. La place dans laquelle la Reine de l’Orage se trouvait était déjà bien bas. Que devait penser son père là où il était ? Elle ne pouvait qu’imaginer déception et honte.

Elle ne sut dire lequel de ces noms fut le plus difficile à entendre. Son ancien amant du Bief, peut-être, pour lequel les sentiments avaient été profondément sincères. Celui de l’Impératrice fut une surprise, comme si une femme pouvait faire enfanter une autre femme. Peut-être en aurait-il rit, dans d’autres circonstances. Mais dans celles actuelles, la jeune femme n’en était qu’agacée. La Biche ne bougeait pas tandis qu’il semblait attendre une réaction de sa part. Comment devait-elle réagir face à ces noms des personnes qui se trouvaient si loin d’elle désormais ?

« — Je vois qu’il était inspiré. » Répondit-elle simplement, reliant ses mains sur son ventre, essuyant une grimace de douleur. « Cela vous arrange bien de croire toutes ces inepties. Ainsi vous pouvez disposer plus facilement de moi. » Elle gronda. Elle eut envie de retorquer mais se mordit la langue. Il ne fallait pas qu’elle alimente ses paroles.

Et c’était la vérité puisqu’il l’envoyait à Villeveille. L’idée de rejoindre la capitale des Hightower ne l’enchantait guère. La seule bonne nouvelle était qu’elle serait loin de Manfred, Eren, et toute la clique du Bief. Au moins cela était une perspective réjouissante. Se faire dépouiller par des Septas n’en était pas une, cependant. Mais dans l’état dans lequel elle était aujourd’hui, Argella était bien incapable de combattre une telle décision.

« — J’attendrais que l’Empire vous détruise. » Conclut-elle.

Il n’était pas vraiment piqué au vif. L’homme se jouait d’elle. Il vivait de façon théâtrale, se tenait comme s’il récitait une pièce qu’il avait tant désiré jouer. La Biche le regardait faire, suivait ses mouvements, soutenait son regard, comme si elle s’attendait à ce qu’il se jette sur elle d’un instant à l’autre. Mais l’actuel Roi du Bief restait courtois dans ses gestes tandis que ses mots, eux, la cinglaient, acerbes et violents.

« — La mort de Mern Gardener fut un regrettable accident. J’en étais, et en suis toujours navrée. Je ne voulais pas sa mort et j’ai tout mis en œuvre pour qu’il reste vivant lorsqu’il était mon ôtage. Je n’y peux rien s’il s’est avéré si peu combattif. Ce n’était pas de mon fait. » Elle le scruta froidement. « Vous m’avez tendu un piège. Voilà la raison pour laquelle je me suis faite piégée. Vous n’êtes pas loyal. Il n’y a pas d’honneur à se battre comme vous le faites. » C’était comme parler à un âne.

Argella conservait une bonne mémoire de cet épisode de sa vie. La mort du Roi du Bief avait alors permis à son amant de prendre le trône du Bief. Là aussi, elle avait été enceinte d’un homme qu’elle n’aimait pas d’amour. Là aussi, l’enfant qu’elle avait tant désirée garder, l’avait désertée. L’histoire se répétait d’une drôle de manière, comme si les Dieux s’amusaient à jouer avec son destin comme si elle n’était qu’un pantin de bois. Elle pourrait très bien agir comme le feu Roi du Bief qu’elle n’avait pas pu garder en vie, et se laisser mourir. Ne pas combattre alors que sa santé abdiquait doucement, de concert avec la fausse couche et les risques engendrés sur un corps déjà durement affaibli par la guerre et les carences de nourriture.

« — Ces hommes que vous insultez, ont le mérite d’être des combattants, des guerriers qui savent ce qu’est la loyauté et l’honneur. Hélas, tous mes hommes ne sont pas faits de ce même bois. » Tous ces hommes qui devaient désormais la haïr. Rien que d’y songer, elle en ressentait une intense nausée qu’elle tâcha de masquer.

Ses jambes la tenaient difficilement et elle commençait à sentir ses mollets trembler. Elle ne voulait pas s’asseoir pour autant, et se montrer plus faible qu’elle ne l’était. Il était hors de question qu’elle se soumette, davantage que ce dont elle avait déjà été forcée de faire. Il était impératif qu’elle tienne le coup, pour son enfant qui ne pouvait pas la quitter alors qu’elle avait déjà tout perdu.

Les mots de Manfred continuaient. Il exposait la vérité de ses manipulations. Avec toutes les cartes en main qu’il tenait, la victoire semblait bien hors d’atteinte. Comment l’Empire pourrait-il récupérer Accalmie et l’Orage ? Et même s’il y parvenait, l’Orage voudra-t-il bien la reprendre à nouveau comme Reine ? Elle avait toujours désiré être à la hauteur de son père, mais voilà que, lui aussi, se trouvait totalement hors d’atteinte tant elle avait chuté. La Biche soupira, passa une main sur son visage fatigué et pâle.

Quand il la cingla de ses dernières paroles, elle releva le menton et fit quelques pas vers lui, furieuse. Elle semblait alors si proche de se jeter sur lui. Elle se retint, de toutes ses forces. L’impulsivité était à bannir. Elle le regretterait. Bien sûr qu’elle le savait. Mais l’envie était si forte. Et il était si proche. Malgré l’épuisement, la douleur et la souffrance, elle enrageait.

« — Il en est hors de question ! » Vociféra-t-elle. « Jamais je ne vous aiderais à les tuer ! Jamais ! » Elle restait droite, ses mains sur son ventre, le dominant de sa hauteur. « Quel rôle ?! Vous avez déjà l’Orage, mes hommes et de quoi me détruire ! Que vous faut-il de plus, Manfred ? »

Argella s’était doutée qu’il l’utiliserait, elle, également. L’homme ne manquerait pas une si belle opportunité de mettre ses pions en avant sur l’échiquier. Et pourtant, l’entendre le lui dire lui provoqua une telle colère qu’elle en oublia, pendant quelques instants, que ses jambes tremblaient de plus en plus sous son poids.