Le vent claque avec force, ébouriffant les cheveux, assourdissant les tympans et arrachant quelques larmes. L’air marin emplit tous nos poumons, éclipsant ces rares souvenirs d’une terre ferme, un peu fleurie mais surtout boueuse. L’étendue est là, nous englobant de son bleu infini, ciel comme mer. J’apprécie ce spectacle, gardant un œil averti sur le manège qui se déroule sur ce pont. Est-ce que les quarts sont convenablement assurés ? Est-ce que mon héritier sait gérer les hommes d’une poigne de fer ? Est-ce que les réserves d’eaux douces et de rhums – les pépites d’or sur un navire – sont jalousement gardés sous clé ? Pour le moment, je constate que je peux répondre oui à toutes ces questions.

Un signal est donné. Le Roi souhaite que ces capitaines se réunissent – ou du moins, ceux dont les navires sont les plus proches du sien. Je réponds à l’appel et débarque sur son beau bâtiment. Je ne lambine pas, trainant ma vieille carcasse jusqu’à sa cabine. La réunion est succincte mais efficace, chacun faisant un point sur la situation de leurs réserves ou sur le moral de leurs équipages. Les nouvelles recrues ont soif de faire leurs preuves et les plus vieux ont hâte de se venger des rancunes passées. Cet état d’esprit me prouve davantage qu’il est plus que temps de frapper ce continent et rappeler la force et la violence des Fer-nés.

Ils ont tous oubliés.

Lorsque tout le monde se retire, je reste. Je souhaite échanger avec ce cher Roi, à nouveau. Certes, il n’y a pas eu de véritables chamboulements depuis notre dernière rencontre, mais il est important d’entretenir – et renforcer – ses relations avec la royauté. Je lui glisse un regard des plus heureux et satisfaits.

- J’aime cet entrain. Qu’en penses-tu ? , lui demandais-je, ayant bien du mal à dissimuler mes propres émotions. Si nous réussissons notre campagne au Nord, les hommes verront un digne successeur à ces Rois précédents, dont Harren Le Noir, en toi.

Volontairement, je passe sous silence les derniers Rois dont le règne a été trop éphémères pour être cités à cet instant-ci, ou encore les prouesses d’Eren, dont le sang tient plus de l’eau douce que de l’eau salée dorénavant. Il y quelques chances que la lignée Botley survive plusieurs années, voire plusieurs générations. Je l’espère bien, par ailleurs. Certes, je n’hésiterais pas à prendre la couronne si elle redevient vacante ou si Stig être un idiot ; mais je ne l’affectionne pas particulièrement pour autant. Je suis trop vieux pour des conneries comme diriger.

- Maintenant que j’y pense … Chaque souverain a un sobriquet. Sais-tu le tien ?

- Je ne m’inquiète pas spécialement au sujet de nos marins. Le fer est chaud. Il va être battu par la mer, par les conflits, par les privations, par les victoires et par les défaites, jusqu’à obtenir la robustesse et le tranchant nécessaire. Certains céderont et se briseront, immanquablement : nous punirons les lâches, nous honorerons les braves. Telle est notre voie.

Je suis suffisamment confiant sur cette question-ci. Lorsque notre vie est menacée, le pire comme le meilleur se révèle. Nous pouvons accomplir les plus grandes prouesses, comme les plus grandes horreurs. Les plus grandes épopées ne se sont jamais écrites autour d’une table pleine de biscuits et de thés, mais dans les bains de sang, les tortures, les immondices et les atrocités. Les bardes chantent de foutus chants où les mecs crèvent, priant le dieu noyé ou les sept ou je ne sais quel autre dieu, ou en pensant à l’amour de leur vie dans un dernier souffle. La réalité est tout autre. L’homme tombe et salit son pantalon de sa pisse et de sa chiasse de mort, puis pourrit dans une fosse commune. Ceux qui survivent quelques secondes, minutes, heures ou jours ne sont que des gamins en souffrance, gueulant comme des putains de porcs à l’agonie. Ces visions vous marquent à vie. Certains développent une grande détermination, préférant apporter la guerre chez l’ennemi que chez eux. A l’inverse, d’autres se brisent comme des boutres contre des rochers glaciers. En somme, la guerre aide à faire le tri entre le bon grain et le mauvais grain. Les conflits sont donc un mal nécessaire pour ne garder que le meilleur et se débarrasser des plus faibles.

- Je suis plus méfiant vis-à-vis des sauvageons. Je ne sais pas si nous arriverons à nous coordonner avec eux. En prime, comme tu l’as si intelligemment souligné, nous avons une armée peu habituée à la guerre sur ces derniers mois. La Garde de la Nuit est, à l’inverse, extrêmement organisée et entraînée. Il faut s’accorder sur le terrain de combat avec ces sauvages, un terrain qui peut être autant à leur avantage qu’au nôtre, et moins à l’avantage de la Garde de la Nuit, voire de l’armée Nordienne ne si elle ramène ses fesses. On ne sait jamais, avec ces foutus loups. J’ai eu vent des prouesses du jeune Loup. Mais l’armée est héritière du Vieux Loup.

L’amertume peut s’entendre dans sa voix.

- Dommage que ce salaud de Torrhen s’est déclaré Empereur et s’est cassé au Sud. J’aurais bien voulu fracasser l’autre face encore intacte.

Je hausse les épaules à sa dernière question.

- Va savoir. T’as l’emblème d’un poisson. A voir ce qui te définira. L’emblème, la devise, les actions, un trait de caractère ou un trait physique ! Après notre première bataille, nous reviendrons sur cette histoire de surnom. Parce que là, je n’ai rien de pompeux, ni de ridicule à t’offrir. T’as encore à te prouver … ou à t’humilier. Qui sait.  

Je plonge un regard dans l’horizon et l’étudie.

- Le Roi Tormund a manqué une opportunité dorée d’abattre et de conquérir le Conflans, voire les terres voisines nordiennes, avec l’étirement des fronts de l’Empire suite à l’entrée en guerre de l’Ouest et du Val. Tu vas devoir réclamer ta légitimité avec un lionceau mollasson en guerre et un cul doré du Bief. En face, nous avons des loups et louveteaux, des pigeons déplumés, une truite à moitié fumée, une biche écorchée, et des pécores qui se battent pour trois grains de sables et un pays ruiné. Il y a de l’espoir … pour toutes les parties.

Mon ton n’exprime aucune peur. Depuis mon retour du grand nord, après une décennie d’exil, je considère que chaque jour vécu est une chance. Je n’aurais pas dû revenir de ces terres maudites, je n’aurais pas dû survivre à ce froid mordant et à ces cauchemars vivants. Pourtant, j’ai réussi. Je me suis extirpé de cet enfer de glace.

- Si victoire, elle sera foutrement belle, Stig. Je me fiche de savoir où, quand et comment, une fête devra avoir lui. Avec suffisamment d’alcools et de femmes sels pour les hommes, qu’importe que la boisson soit bonne ou pas, que les femmes soient belles ou édentées, tant qu’on peut honorer le Dieu Noyé avec nos libations.

Je m’enflamme, je m’excite, je m’impatiente. Je la veux, cette foutue victoire. Je l’attends, cette fin inévitable. Je préfère crever en fer-né honorable, tripes et boyaux à l’air, que vieux fer-né moqué par le continent et se lamentant misérablement sur son lit de mort. L’idéal est de redorer notre renommée et crever avec quelques femmes-sels à ses côtés à un âge respectable, celui où il est encore possible d’aller pisser sans être assisté.

Les sages paroles du Roi me rassénèrent un tantinet. Cependant, le vieux bouc que je suis a assez de bouteilles et d’expériences pour prédire que rien ne se déroulera comme prévu. Les imprévus sont le lot de toute aventure. Certaines sont belles et nous offrent une opportunité sur un plateau en argent. D’autres sont plus ardus et testent autant notre patience que notre imagination. Dans ce dernier cas, la tâche la plus ardue est de choisir entre la résilience et subir ou, au contraire, la ruse et tourner cette connerie en une belle opportunité !

- Alors, ne faisons pas davantage de suppositions et attendons d’être sur les rives nordiennes pour couler le premier sang.

Je réfléchis encore à cette entrevue.

- Je souhaite faire partie de tous les pourparlers entre notre royaume et les clans des sauvageons par-delà le Mur. J’insiste, car je veux m’assurer de leur intention, de mes yeux de vieux bouc. Qu’importe qu’un homme se dore le cul sous le soleil de Dorne ou perd ses doigts à cause d’un froid mordant, nous sommes tous animés par une même violence, le sang de l’ennemi, et une même ambition, celle de vivre et de conquérir.

La question est de savoir si les Iles de Fer vont payer le tribut des ambitions sauvageonnes.

- Je ne vais pas t’embêter davantage.

Sur ces quelques mots, je me retire. Je vais en profiter pour rejoindre mon équipage et, surtout, échanger un peu avec le fiston. S’il a déjà des expériences en mer, il reste un jeune capitaine. Je veux également juger de mes propres yeux de son autorité, de la valeur de ses hommes et de l’ordre général au sein sur ces planchers de bois ayant déjà avalés trop d’eau de mer.

Articulation douloureuse, je prends sur moi pour ne pas clopiner comme un vieux ou encore pour ne pas montrer le moindre signe de faiblesse ou de douleur. Vivement que je meurs d’une mort glorieuse et ainsi être digne de festoyer dans le palais du Dieu Noyé. Westeros est un beau foutoir, mais dont le bordel commence à être connue et à puer comme le derrière d’une catin trop sollicitée et trop vieille.