Joli cœur est devenu Roi du Sel et du Roc ! Décidément, cette nouvelle époque est bien drôle ! Un vieux bourru du Nord et une nymphette de Peyredragon s’auto-proclament Empereur et Impératrice. Un Lion, un Loup et un Faucon s’amusent avec des Couronnes trop grandes pour leur petite tête. Une Truite frétille dès que les Pêcheurs s’amènent sur son cours d’eau – prêt à être pêché ! Enfin, les demoiselles du Sud pensent qu’elles peuvent mener des guerres dans face à des hommes ! Et nous, Fer-nés, que fait-on ? On joue aux chaises musicales royales ! Parce que nous n’avons rien d’autre à foutre naturellement !

C’est parti pour un nouveau banquet, nouveau jeu de jambe, nouveau discours de mille et une promesses dont on va sûrement se torcher le cul à la prochaine prise de pouvoir. Cette perspective ne m’enchante sincèrement pas. Si je dois assister, encore, à un putain couronnement d’une nouvelle Maison ou d’un nouveau Roi, je tranche moi-même la gorge de cette personne et je récupère le titre, la Flotte et je balance le tout dans un combat de feu, de sang, et de folie. Toutes ces bêtises de jeunesse suffisent. Il est largement temps de passer aux choses sérieuses.

C’est pour cette raison-ci que j’ai accepté de quitter le confort de mon navire pour mettre pied sur les terres Botley. Le nouveau Roi veut rencontrer les gens de la Maison Wynch. Nous faisons partie de ces rares Seigneurs n’ayant pas pris parti ni pour Rodrik Harloi, ni pour Eren Hightower. Nous avons la naïveté de croire que ce cher Tormund sera à la hauteur. La confiance brisée à plusieurs reprises, je suis clairement plus récalcitrant à accorder une grande Foi en l’avenir de ce nouveau Souverain.

A lui de me prouver le contraire ce soir. Pour autant je connais ma position. La Maison Wynch est autant dirigée par ma belle-sœur que par moi. Si j’ai regagné une certaine légitimité, j’ai à composer avec l’influence de cette demoiselle. Je suis aussi agacé qu’arrangé. Si j’apprécie peu qu’une femme me dise comment gérer ma Maison, j’avoue qu’il est agréable de ne pas avoir à tout traiter en mer – les corbeaux ne trouvent pas toujours leur chemin, avec les vents marins, et les émissaires ne sont pas plus fiables ! Ni Seigneur, ni larbin, je dois me réfréner, écouter, réfléchir et seulement après décider avec la brunette.

Le banquet prend fin. Durant tout ce faste de viandes et de boissons, je n’ai fait aucune référence à la politique. Je me suis contenté de parler du bon vieux temps, ressassant quelques souvenirs communs dus à l’amitié passée entre nos deux Maisons. Ma petite maisonnée en a profité pour se présenter plus formellement à Stig. Malgré moi, je constate sa taille restreinte. Jadis, j’avais encore deux frères. Ces crétins sont morts trop jeunes, ne laissant rien derrière eux – pas même un fichu bâtard. J’avais aussi un autre fils, mais il est mort vaillamment à Lancehélion.

Le bide plein, j’accepte avec joie de prendre l’air frais avec le nouveau Roi. Lorsque nous sommes enfin à l’abri des regards et des oreilles, je l’interpelle de ma voix bourrue.

- Que suis-je censé faire, dorénavant ? Courbettes, compliments et vouvoiement ? , demandais-je ; d’un ton mêlant curiosité et amusement. Jadis, je l’appelais gamin. Aujourd’hui, je n’en ai ni l’envie, ni le droit.

Le vouvoiement s’impose donc, avec ce gamin qui n’en est plus un. Il semble qu’une couronne offre quelques poils supplémentaires au menton. Je ne peux pas m’empêcher de rire à cette situation étonnante, presqu’ironique. Le vieux Noir a laissé sa place à une tripotée de gamins incapable de tenir le cap plus de quelques semaines, ou mois, ou réclamer convenablement les terres du Conflans – ou la suprématie des mers. Lorsque Stig entre dans le vif du sujet, et malgré les mille et une recommandations d’une brunette, je suis décidé à dire mes quatre vérités. Avec franchise, et sans rond de jambe.

Qu’est-ce que j’ambitionne pour ma Maison ? Je suis vieux. L’avenir de ma Maison ne tient plus qu’à moi, mais à ce que mes enfants en feront. Espérons que l’héritier est plus intelligent que mon premier né. Le mépris et la déception me gagnent. Ma longue absence et la faiblesse de caractère de leur mère ont eu raison de l’éducation de chacun. Ils ne sont pas comme je le désire mais, heureusement, certains ont réussi à se construire une personnalité propre et digne de nos Iles. Par contre, je me refuse de le dire à haute voix. J’annoncerai, là, une forme de faiblesse au cœur des miens.

C’est hors de question.

- Je ne vois que trois chemins pour la Maison Wynch, et ils sont tous dépendants de vos choix, répondis-je, pesant attentivement mes mots. Soit nous nous jetons à une bataille féroce contre l’ennemi de votre choix, et réaffirmer notre suprématie sur les mers, commençais-je, balayant l’horizon bleu d’une grande main, un sourire large à la tête. Soit vous patientez, vous jouez votre Roi pieux et commercial, et vous allez perdre votre tête comme votre prédécesseur. Dans ce cas-ci, je m’assurerai de griller ce connard qui bouleverse, encore, la lignée royale et je m’impose et au prix de ma propre vie, dis-je, frappant un rebord rugueux de mon poing. Soit, je m’assurerai d’être ce fichu malotru si les Iles de Fer continuent à se terrer une saison supplémentaire, se contentant de menus pillages.

J’ai donné le ton. Celui qui me sert la guerre aura mon soutien. Celui qui me promet de redorer la Flotte de Fer aura ma loyauté indéfectible. Tout autre offre ne m’intéresse pas. Je sais que mon annonce est trop audacieuse, voire condamnable. Le Noir m’aurait pendu pour bien moins que ça. Cependant, c’était une époque ou les terres étaient foison, le coffre plein de richesses et surtout les seigneurs multiples.

- Plus que quiconque, je veux retrouver ce qui a fait notre force, et notre réputation, Stig, dis-je d’un ton un peu plus maitrisé. J’ai été là lorsque la Flotte a grandi et s’est imposé. Et j’ai été là aussi, lorsqu’elle a commencé à décliner. La situation est terrible, pittoyable même, et je me demande si je suis le seul à le voir, expliquais-je, sincèrement énervé. Eren s’est vendue au Bief, quoi qu’elle dise et pense : elle a oublié notre Voie. Rodrik passe plus son temps à renifler les donzelles qu’à pousser les marins à se jeter aux mers. Tormund a tenté de faire des négoces, soutenant un foutu Empire incapable de s’imposer au sein de la Principauté ou l’Ouest qui n’a jamais véritablement trempé son cul doré dans la boue du Conflans. Yoren ou Joren ont été tué par leurs propres bêtises. Ce que j’essaye de vous dire est que l’heure des demi-solutions est révolue. Il faut prendre des décisions radicales. Soit on s’élève vite, et bien, soit on coule mais avec tous les honneurs.

Ma position est claire.
A lui de me dire si j’ai tort ou non.

- Qu’est-ce que j’en sais si nous devons nous vouvoyer ou nous tutoyer ? Je ne suis pas Roi, moi. Je ne suis qu’un Capitaine en manque de guerre, de pillage, et de butin, à se demander quoi faire pour te secouer les grelots, lui glissais-je sans la moindre pudeur. Si jamais le vouvoiement s’était maintenu, j’aurais dit la même chose en remplaçant simplement le tu en vous. Je ne vais pas me casser les pieds à trouver de jolies métaphores pour ménager l’égo du nouveau Roi. Je ferais cet effort-ci uniquement lorsque ce gamin gagnera pleinement, et totalement, mon respect.

- Un con peut détourner bien des hommes de leur objectif. Mon crétin de fils a bien fait cette erreur, dis-je, crachant encore ma haine et ma colère vis-à-vis de cette décision hâtive et stupide de mon défunt aîné. En toute franchise, je m’en fous sincèrement des demoiselles que tu traines dans ta barque, tant que tu me donnes ce dont j’ai besoin et que tu arrives à garder ta couronne plus d’une lune. De toute façon, si ta volonté faiblit à la perspective des cuisses de la Princesse Hoare, c’est le devoir de ton épouse de te ramener rapidement sur le droit chemin et non le mien, dis-je, haussant les épaules.

- Une femme reste une femme. Elle peut être une louve ou une lionne, elle n’en reste pas moins une femme. Je ne les sous-estime pas, mais elles changent dès qu’elles sont mères ou épouses. Certaines perdent de leur hardiesse face à l’adversité. La Princesse Eren a été une bien belle déception. Elle est bien loin, cette époque où elle accroche les tripes de son capitaine à la vue de tous, dis-je, bien laconique et déçu. J’ai été un loyal vassal d’Harren Le Noir et j’ai été témoin de sa chute avec une certaine amertume. Mon admiration passée pour la lignée du Souverain déchu n’est un secret pour personne et je ne compte pas davantage renier ou cacher face au nouveau Roi. A moins qu’elle ne prépare sa vengeance. Est-ce qu’elle t’a écrit au sujet de ton couronnement, par hasard ? , m’enquis-je, curieux de savoir si la dame a encore du sang fer-né dans ses veines ou si elle est totalement convertie à la Foi et aux manières des Bieffois.

Ensuite, il est question d’héritage. Le garçon va prendre les mesures nécessaires. Je suis bien satisfait à cet instant-ci. Ma fille doit épouser ce cher Prince, et qu’importe que Stig et Vanina pondent une myriade d’héritiers ! Il est grand temps d’apporter davantage de légitimité et de puissance à la Maison Wynch. Les vieilles terres Hoare sont contestées, ou ravies, par l’Empire et la Maison Tully. Il ne reste plus qu’une poignée d’entre nous, liés par des serments communs et, surtout, par une soif de reconquête. Il faut profiter d’être peu pour asseoir sa famille à une place centrale de l’échiquier du pouvoir. Je ne doute pas un seul instant que Léandra partage cet avis.