La captivité est bien plus douce à Fort-Darion qu'elle ne l'a été aux mains du pirate Lyle Salfalaise. Il s'en était fallu de peu qu'elle lui échappe, et que la vie lui échappe à son tour, mais au moins elle serait partie bravache, et non à genoux. Heureusement, le pirate l'avait repêchée et remontée à son bord, puis cédée à la reine mère, reine mère qui s'occupait d'elle et l'entretenait avec beaucoup de grâce, de diligence, et de générosité. Par affection pour l'amitié qu'elle et la mère de Mahée, Yaël, avaient entretenu durant leurs jeunes années, puis par correspondance après leurs mariages respectifs, Rowenna Durrandon avait fait de l'otage dornienne l'une de ses favorites, ce qui lui garantissait non seulement la libre circulation dans l'enceinte de Fort-Darion (et uniquement dans l'enceinte de la capitale orageoise), ainsi que deux servantes, qui étaient très douces.

C'est ensemble que les trois femmes flânent dans les rues du marché. La lady dans une jolie robe aux couleurs Allyrion, à la coupe vaguement orageoise, avec beaucoup d'éléments dorniens. Les flancs de la lady ainsi que son dos, sans oublier le creux de sa taille, sont donc nus. Ses cheveux, quant à eux, sont laissés libres de cascader, d'onduler, à leur gré, jusqu'à la naissance de ses fesses. Il n'y a qu'une discrète couronne de fleurs rouges pour attraper quelques mèches, nattées derrière sa tête. Les servantes, de leur côté, portent les tenues de leur fonction. Toutes trois sourient, et échangent de discrets commentaires à chaque étal. Mahée passe un certain temps sur les tissus, tous étant plus splendides les uns que les autres. Si elle avait pu, la dornienne aurait pris quelques mètres d'un somptueux drapé noir et or à l'attention de sa bienfaitrice. Malheureusement, malgré tout le confort qui lui est offert par cette dernière, Mahée n'a accès à aucun de ses fonds, ici.

Avec un discret soupir de regrets, elle avait quitté l'étal de tissus et s'était dirigée ensuite vers un autre, de livres celui-ci. Elle n'a vu qu'après qu'au même endroit était vendu du vin ! Si elle trouve l'association ... Qu'il est étrange de vendre à la fois des livres et des bouteilles de vin ! ... incongrue, elle la trouve aussi particulièrement... Je suppose que l'un doit aller avec l'autre, d'une certaine manière. ... brillante. En lectrice assidue, Mahée n'aime rien tant qu'un livre, à la lumière de la bougie, dans des draps bien chauds sous son édredon, avec un verre de vin avant de dormir. Les réflexions de l'homme, appartenant manifestement à l'Empire, si on en croit son tabard, ne peuvent donc que la faire sourire. Près d'elle, elle perçoit les deux servantes sourire, et se mettre en retrait. Elle sait très bien, parce qu'elle aussi est une femme, quel film se joue dans leurs têtes, et ça ne la fait que sourire plus largement encore. Accent du sud au bout de la langue, la dornienne répond. « Je trouve que c'est le mariage le plus sensé du monde, et, à vrai dire, je m'étonne que personne n'y ait jamais pensé auparavant. » Son air pétillant montre que Mahée pense sincèrement ce qu'elle dit. « Imaginez la dimension du choix du livre, avec le vin qui l'accompagne... Par exemple, pour un récit de voyage, un vin fruité, léger... Presque frais. Pourquoi pas frais, d'ailleurs, comme l'excellente saugée ? Pour une biographie de conquérant, je verrai bien un vin rouge lourd, un peu capiteux, peut-être un porto ? Figurez-vous lire votre livre, et déguster le parfait accompagnement, se faisant... » Un instant, Mahée est rêveuse, et revient brutalement sur terre. « Je ne sais pas pour vous, mais moi je suis convaincue. Le prochain livre que je lirai, j'essaierai de le marier avec la boisson adéquate ! » Elle s'égaie, vraiment emballée par l'idée, et puis se rediscipline quelque peu pour lui tendre sa main. « Je suis Lady Allyrion. Enchantée de faire votre connaissance, ... ? » Souriant gentiment au soldat, elle le prie, implicitement, de bien vouloir compléter sa phrase, pour qu'ils puissent achever les présentations, après cet échange inattendu, car, qu'ils poursuivent la conversation ou non n'est pas déterminant, mais qu'ils ne se présentent pas serait une grave faute protocolaire...

C'est vrai que, quand elle était plus jeune, le qualificatif « fantasque » revenait souvent dans la bouche de ses précepteurs lorsqu'ils parlaient de Mahée à ses parents. Une certaine facilité à reproduire ce qu'elle voyait lui valait des louanges de la part de ses professeurs de dessins, mais jamais la dornienne n'aurait pu créer quoique ce soit de toute pièces, rien qu'à partir de son imagination. En fait, la créativité ne lui a jamais souri que dans l'apprentissage de la danse, passage obligé pour qui se voulait gardienne des traditions de la Rhoyne, et dans la spontanéité de ses commentaires. Penser est peut-être ce qu'il y a de plus facile pour Mahée, mais faire est toujours un monde... Aujourd'hui ne fait pas exception. La Allyrion montre une fois encore que sa langue et son esprit vont plus vite que le reste, saisissant manifestement le soldat qui a engagé la conversation avec elle, le malheureux, sans savoir dans quel traquenard il mettait les pieds... « Un rien nourrit mon imagination, vous savez... » Mahée glisse, avec un sourire, en réponse discrète à la surprise de l'impérial. Bénédiction ou malédiction ? Un peu des deux, sans doute.

Quoiqu'il en soit, qu'il le veuille ou non, l'échange de banalité que le soldat a initié lui vaut de se faire alpaguer par la brune à la peau couleur de miel. Avec une maîtrise parfaite des usages, mais pouvait-on attendre autre chose de la part d'un chevalier ?, Gawain Chyttering, car c'est son nom, dissipe le flou l'entourant, et au départ inconnu, l'homme devient ainsi une connaissance. L'île d'origine du géant blond n'échappe pas à la dornienne, qui se demande alors si le sieur est du genre à partager les mœurs peyredragoniens, parfois si proches de ceux des dorniens... Cela étant, Mahée occulte rapidement la question, la jugeant déplacée. « Je ne suis pas encore au fait de l'affectation de chacun des ordres militaires de l'Empire... » Elle concède, gênée par sa propre ignorance. « Quelles sont les prérogatives de votre ordre, si ce n'est pas indiscret ? » Il est probable que si la dornienne avait su de quoi il retournait, elle n'aurait pas demandé. Après tout, sa position demeure précaire à Fort Darion, elle n'est qu'une « invitée », une otage, et s'enquérir de quoique ce soit concernant les enfants impériaux pourrait être perçu comme une tentative de trahison... Jusqu'ici, la jeune femme était parvenue à éviter avec brio toutes ces questions trop délicates qui pourraient attirer l'attention sur elle... Il fallait bien qu'elle se fasse avoir quelque part, n'est-ce pas ?

Cela étant, avant que la sanction ne tombe, le chevalier pose à la dornienne une question pour le moins inattendue, qui la ravit positivement. Large sourire étirant ses lèvres rouges et charnues, les yeux de Mahée se plissent également légèrement, signe qu'elle prend le temps de réfléchir avant de répondre... « La fierté de mon domaine voudrait que je choisisse un vin de chez moi, un vin rouge sucré, sirupeux, mais en vérité... » Elle marque une pause, hésitant une seconde, avant de reprendre. « J'aime assez me voir comme un vin de fruits exotiques... Servi frais, avec des glaçons. Sucré, et acidulé en même temps, peut-être de la passion, avec un rien de fève tonka... » Et, de nouveau, la voilà qui rêve, finalement bien moins intéressée par le lien entre la boisson et elle que par la boisson en elle-même, que, au demeurant, elle adorerait goûter ! Mais, si le chevalier est peyredragonien, peut-être a-t-il l'habitude des verres d'apéritifs servis pour mettre en appétit avant la collation du déjeuner ? Peut-être que Mahée peut l'inviter à se joindre à elle, s'il le souhaite ? « Ser Chyttering, accepteriez-vous que nous poursuivions cette conversation fort stimulante en marchant ? J'aimerai pouvoir observer les étals, et continuer à discuter avec vous. En vous demandant, de ce fait, quel genre de vin pensez-vous que vous seriez ? » De nouveau, le sourire gentil et sincère de la dornienne, désintéressée des grands sujets de ce monde, se laissant bien plus volontiers noyer sous les frivolités... Qu'elle profite seulement, tant qu'elle le peut encore... Puisque bientôt, elle quittera Fort Darion pour, possiblement, ne jamais y revenir...

Mahée est confuse par la question du chevalier. Comment de simples songeries pourraient mettre qui que ce soit à mal ? Pourquoi ses inspirations devraient-elles faire l'objet de méfiance ? Le regard perplexe qu'elle affiche, loin d'être feint, suffit à expliquer qu'elle ne réponde pas, tout simplement parce qu'elle n'a pas la moindre idée de quoi répondre. Si elle avait compris le danger que pouvaient représenter de simples projections fantaisistes, elle aurait pu sincèrement éclairer la lanterne du chevalier. Mais, tel n'étant pas le cas, la dornienne se contente de hausser les épaules, incertaine. Quant à ce que lui évoquait l'ordre de Sombryndor, et bien... Rien du tout, et c'était bien pour cela qu'elle avait posé la question. « Je n'en ai pas la moindre idée, Ser. J'imagine simplement que vous avez une mission bien particulière. Sans quoi, vous ne seriez pas un ordre. » Elle sourit, gentiment, avant d'écouter à son tour le chevalier blond décrire le cépage qui lui ressemblerait le plus, selon lui. Il trouve en Mahée la compagne adéquate pour ce genre de rêveries, puisqu'elle n'a aucune peine, en écoutant Gawain, à presque goûter le vin qu'il décrit, dont elle imagine aisément les arômes. Même si ce n'est qu'en pensée, et de façon très brève, la dornienne voyage, et elle peut remercier le chevalier pour cela.

Ce qui la fait voyager à revers des pentes volcaniques de Peyredragon au marché de Fort Darion est la demande, particulièrement inattendue, du chevalier de congédier ses suivantes. A nouveau, Mahée est interdite, mais cette fois, c'est le genre de situations qu'elle a été entraîner à maîtriser toute sa vie, en l'occurrence, les situations de « flou » diplomatique. Pendant un long moment, son visage demeure stoïque, le temps qu'elle réfléchisse. Est-ce acceptable ? Ça peut l'être, pour qui s'affranchit de cancan. Elle est veuve, pas vierge, et surtout, dornienne. Personne ne s'offusquera de la voir errer seule avec un homme, sans chaperon. Le protocole, donc, peut tolérer cette situation, Mahée a-t-elle envie de se retrouver seule avec lui ? ... C'est cette question qu'elle tarde à trancher, car, si l'échange qu'ils viennent d'avoir a été très civil et très agréable, elle n'est pas certaine de vouloir s'imposer un temps indéterminé de questionnements piégeux à rallonge de la part d'un soldat zélé espérant débusquer une traître à l'Empire, ce que son désir de voir éclipsées les servantes lui laisse redouter.

Yaël Allyrion a bien entraîné sa fille. « Je m'en remets volontiers à vous, Ser Chyttering. » La dornienne répond, avec un sourire, avant de se tourner vers ses suivantes. « Veuillez informer sa majesté la reine-mère que je la rejoindrai pour sa collation, comme convenu. » A savoir, à retourner chaque situation épineuse, de sorte à y induire un minimum de contrôle. En l'occurrence, ici, elle déterminait de son propre chef le terme de cet entretien. Si d'aventure il lui devenait désagréable, elle pourrait s'en éclipser sans avoir à trouver d'excuse. La garantie est suffisante pour la dornienne, puisque Rowenna Durrandon ne supporterait sans doute pas qu'elle soit en retard. De façon indirecte, quelles que soient les ambitions du chevalier, chevaleresques ou non, il n'était pas sans savoir qu'il ne pouvait disposer d'elle à son gré, sans avoir, le cas échéant, à en référer à la reine-mère de l'Orage. En qualité de femme dans un monde d'homme, établir ce genre de barrières est nécessaire car, si pas toujours utiles, elles peuvent parfois faire la différence entre la vie et la mort.

Les suivantes prenant congé, la dame en revient au chevalier, auquel elle prend le bras. Après tout, une dame ne peut errer seule. En compagnie du Peyredragonien, elle reprend donc son errance, accompagnée, devant les étals du marché. « Maintenant que mes suivantes sont parties, me direz-vous directement ce qui motivait leur départ, ou essaierez-vous d'abord de noyer le poisson ? » Elle demande, avec franchise mais pas sans humour, un petit sourire au coin indéfinissable aux lèvres. Dans ce sourire, autant de blase que de curiosité. Qu'est-ce qu'un chevalier peyredragonien pourrait avoir à lui dire que des suivantes d'une dornienne ne pourraient pas entendre ?

Ils dépendent directement de l'Empereur et de l'Impératrice. Immédiatement, Mahée se relâche. L'entrevue qu'elle avait eue avec le couple impérial, tout récemment, devrait lui garantir de ne pas être jetée dans les cachots par un de leurs subordonnés sans qu'on l'ait entendue avant, n'est-ce pas ? Le patronage du couple impérial impliquait-il ce genre de largesses ? Dans le pire des cas, Rowenna se porterait garante, elle en était certaine, puisque, que ça ait été avant son arrivée ici ou pas, Mahée Allyrion n'a jamais rien entrepris de personnel contre l'Orage ou l'Empire... Toujours est-il que la dornienne se détend visiblement à cette simple mention. « Ma foi, si vous avez la confiance du couple impérial, il serait bien présomptueux de ne pas vous accorder la mienne. » Voilà, aussi simple que cela. La jeune femme a pu constater que les deux monarques étaient de raison, et qu'ils partageaient des valeurs communes. Si cet homme, et les autres chevaliers qui composent son ordre, ont été triés sur le volet pour ne répondre que de ses suzerains, alors c'est qu'ils ont mérité leur place, d'une façon ou d'une autre.

Plus détendue, donc, elle se permet de rire à la question du chevalier. « Quel horrible portrait vous faîtes de moi ! » Elle laisse son rire éclater, cristallin, tellement spontanée qu'elle ne se rend qu'après coup que son hilarité soudaine a surpris ceux qui l'entourent. Les joues de la dornienne se teintent d'un rose léger, mais elle ne semble pas en faire plus cas que cela. « Non, je m'en remets à vous pour la suite de notre promenade ! Le marché est vivant, mais pour discuter, nous pourrions peut-être gagner les jardins ? Ce serait peut-être plus agréable ? » Elle suggère, rêvant déjà du vert des plantes et à leurs couleurs et parfums variés, fantasque comme elle sait l'être.

A nouveau, elle rit un peu, mais plus discrètement cette fois, en entendant le chevalier déchiqueter par le menu sa question. « Vous avez tout à fait raison ! » Elle lui accorde, en toute humilité, enjouée par le fait d'avoir été percée à jour (même si elle ne cherchait pas spécialement à se dissimuler), parce que c'est bien le moment précis où les faux semblants disparaissent vraiment et où les deux parties peuvent commencer à réellement discuter. Mahée est donc très curieuse quant à ce qu'elle va découvrir chez le peyredragonnien qui s'est si bien vendu sous forme de boisson... C'est une coupe à laquelle la dornienne boierait volontiers.

Enfin, la réponse aux faux semblants arrive, et le sourire de la dornienne se fige dans une incompréhension polie et modeste. « Ah ? Pourquoi voudriez-vous passer un moment privilégié avec moi ? Nous ne nous connaissons pas... » La curiosité la taraude, mais elle s'efface quand, de nouveau, elle rit un peu de voir Gawain se montrer intransigeant à son tour la concernant. « C'est de bonne guerre. » Elle lui concède volontiers, avant de répondre avec un sourire sincère. « Vous avez la confiance du couple impérial. J'estime leur opinion, parce que je partage leurs valeurs. Si vous avez leur confiance, c'est que vous aussi, alors je sais que je peux avoir confiance en vous. » Elle hausse discrètement une épaule. En réalité, le raisonnement est très simpliste. L'ennemi de mon ennemi..., mais humainement, c'est toujours plus complexe que cela. Sa rencontre avec Torrhen et Rhaenys Braenaryon l'avait inspirée, et le confier à ce représentant de leur monde lui semble être une bonne approche dudit monde, monde auquel elle aspire à se faire une place. Cela étant, pas une seconde Mahée ne voit Gawain comme une échelle vers quoi que ce soit, et ne souhaite rien tirer de cette rencontre de plus que quelques heures en charmante compagnie. Elle espère que le chevalier sera à même de s'en rendre compte.

« Hélas, je n’aurais pas pu obtenir votre confiance par ma bonne foi. » Malgré le teint moka de la peau de Mahée, on peut voir le rose de la gêne les colorer à cette remarque. Elle ne répond pas, ne trouvant pas de mots élégants pour expliquer au chevalier que, dans sa situation, elle peut difficilement se contenter de la bonne foi, si elle entend survivre... Aussi discrète puisse-t-elle être dans cette grande capitale, la noble dornienne n'en est pas moins alerte quant aux jeux et enjeux de la politique westerossie. Ainsi, aussi fort voudrait-elle accueillir son prochain avec candeur, elle est obligée de s'interroger quant à la noblesse des intentions que des étrangers pourraient nourrir la concernant. Car, après tout, si elle ne veille pas sur sa propre vertu, sur sa propre sécurité, alors qu'elle est cheffe de famille, qui le fera ?

« Non, je l'avoue. Vous m'avez eue avec le blanc peyredragonien... A croire qu'il m'a suffit de le boire en imagination pour être touchée par ses effets ! » Elle plaisante, bien sûr, plus à l'aise dans l'idée de laisser libre court à son côté fantasque, bridé, ces derniers temps. Lui qui avait l'habitude de s'épanouir auprès de ses cadets, tous plus espiègles les uns que les autres, s'est retrouvé contrit à l'exercice seul de la romance improbable, et autres cancans sous cape, auxquels elle se livrait avec la reine douairière. Ici, nourrit par la rencontre d'un beau chevalier dans un contexte improbable et d'une promenade au gré des jardins... Il s'envole.

Mahée n'est pas certaine de ce qu'entend le chevalier par « sembler à son aise », mais elle laisse la remarque filer, sans s'y attarder plus que cela, en un sens un peu troublée de lui avoir semblé à l'aise quand elle-même a eu l'impression de traverser des moments d'intense malaise... Cela étant, le soleil chauffe délicieusement sa peau de ses rayons salvateurs, le chevalier est de bonne humeur... Il y a des façons bien plus désagréables de passer un après-midi.

Et, de nouveau, le chevalier la fait rire et rougir d'embarras, assez pour que des courtisans se retournent sur leur passage. Mahée ne le remarque pas cependant, et opine lentement du chef, un sourire gêné sur ses lèvres charnues. « Certes ! Et je suis certaine qu'il serait parfait, dégusté, ici ! » Elle commence par rebondir, séduite par l'idée de savourer un vin frais dans ce décor, par ce temps, en cette compagnie. « ... Mais non, je n'ai pas encore votre confiance. La preuve, vous me posez encore plusieurs fois la même question pour juger de la cohérence de mes réponses. » Elle lui rétorque, l'air narquois de la gamine plus maligne qu'un autre, à le jauger, droit dans les yeux... Oui, elle lui a dit plusieurs fois qu'elle avait confiance en lui, mais... Parce que lui avait posé plusieurs fois la question ! Avec sa « boutade », Mahée les sauvait tous les deux de l'embarras, en quelque sorte, mais le chevalier prendrait-il ou torpillerait-il cette bouée de sauvetage ?

Finalement, Mahée s'installe à son tour, près de Gawain. A l'inconfort du banc de pierre, elle préfère la tendresse de l'herbe verte, sur laquelle elle se pose avec la grâce d'une lady, habituée à ce que dans sans contrée on préfère les coussins aux chaises. Oh oui, qu'il lui serait doux de siroter un vin blanc sec, bien frais, par cette belle journée. L'espace d'un instant, la jeune femme ferme les yeux et inspire profondément, laissant son nez s'emplir des parfums environnants, celui des embruns de la mer, non loin, celui des fleurs et des arbres cultivés alentours, celui de l'herbe et de la terre sous ses pieds, son propre parfum de fleurs de jasmin, tiaré et oranger... Sans doute est-ce peu protocolaire, mais la dornienne ose malgré tout, se disant que ser Gawain serait peut-être, et elle l'espère, plus prompt à s'amuser de sa fantaisie qu'à la condamner, mais Mahée prend sur elle d'oser retirer ses petites ballerines, pour laisser ses orteils fouler le gras de l'herbe... Ce qui lui arrache un petit et discret soupir d'aise. Elle peut sentir qu'elle en avait besoin. « Comme il me plairait d'avoir quelques coussins, un tapis, et une ombrelle pour profiter de ce beau temps sur un carré d'herbe tendre... » Elle rêve, la joue sur l'un de ses genoux pliés, son regard sombre perdu dans le vague, retourné, en pensée, jusqu'à sa contrée d'origine pendant un cours instant, où ces moments étaient quotidiens, pour tout le monde. En effet, à Dorne, pendant les heures les plus chaudes, le soleil tape si fort qu'il contraint les habitants à se terrer au frais pour attendre, calmement, des températures plus clémentes. C'est, sans doute, l'une des choses qui marquent le plus le sentiment de différence de Mahée, le sentiment d'avoir été arrachée à un monde où la vie était plus douce...

Allez savoir pourquoi, si le fait de jouir d’un statut de haute naissance aurait pu rendre Mahée coquette et enragée, ça n’est jamais arrivé. Oh, la dornienne n’est pas dénuée d’un certain orgueil, loin s’en faut, mais elle a toujours été résiliente, conciliante. Alors, forcément, quand Gawain lui demande comment il devrait se sentir, selon elle, la dornienne ne peut qu’éclater d’un grand rire ingénu. « Je ne sais pas du tout comment vous devriez vous sentir, Ser, mais je suis très curieuse de savoir comment vous vous sentez, tout court. » Une phrase simple, et spontanée, qui trahi l’absence de désir de manipulation de la part de la dornienne, qui marque, plutôt qu’un désir de contrôler le moment, son appétence et sa curiosité de l’imprévu. Gawain éveille cela, chez elle, peut-être par le côté à la fois frivole et intelligent de leur échange jusqu’ici. L’intelligence, pour Mahée, est le plus puissant des aphrodisiaques, qui a tendance à faire des ravages lorsqu’il se combine à un physique attrayant.

Petit à petit, le soleil aidant, la dornienne prend le parti de se détendre, et, dans cette détente, elle est ouverte à tout imprévu, à toute nouvelle chose. Elle est prête, en somme, à vivre le moment tel qu’il doit être vécu. Le chevalier étant un homme honorable, elle-même se comportant en lady, Mahée laisse le poids de la pression sociale se dissiper quelque peu, pour s’autoriser à être un peu elle-même, et elle est reconnaissante au peyredragonien de lui donner cette opportunité, l’opportunité de se redécouvrir un peu elle-même, de renouer avec la franchise de ses élans spontanés, élans qu’elle doit forcément contenir selon le protocole en vigueur dans le grand monde.

Toute à sa délectation du moment présent, Mahée ne se préoccupe pas de la disparition de sa ballerine, qu’elle ne remarque même pas, du reste, et pour cause ! Le soldat fait un travail de distraction très efficace, en faisant rire à nouveau la dornienne, et pétiller ses yeux sombres. « Ne me croyez pas capable de vous en vouloir parce que vous n’avez su anticiper les désirs d’une parfaite inconnue, il y a encore une heure de cela… » Elle le tance, profondément bienveillante, un sourire étirant largement ses lèvres charnues. « J’espère bien ne jamais perdre le sens commun à ce point-là ! » Elle plaisante, avant que sa malice ne s’éveille visiblement lorsque Gawain mentionne « une idée folle ». « Ce sont souvent mes favorites ! » Elle glisse, plus que prête à jouer à n’importe quel jeu que le soldat lui soumettrait.

Ce qu’il suggère fait s’ouvrir grand de surprise les yeux de la beauté du désert, avant qu’elle ne parte à rire, un rire cristallin, un rire charmé, mais pas encore conquis. « Ser, je ne vous demande pas de satisfaire mes caprices, même si je suis très flattée que vous le considériez. Le dérangement causé me retirerait tout le plaisir que je pourrai en tirer. Par contre, je dégusterai volontiers un verre de ce vin, si vous en avez une bouteille, autour d’un déjeuner. » Une façon de recadrer un petit peu l’échange, de le remettre dans un contexte qu’ils maîtrisent, et, en même temps, la perspective de partager un repas en compagnie de Gawain et d’un verre de ce vin qu’elle fantasme depuis le matin est particulièrement agréable. En somme, cette proposition ne présente que des avantages, n’est-ce pas ? Peut-être. Reste à voir ce qu’en pense le soldat…

« C’est un sage raisonnement. » Confirme Mahée, avec un plaisir évident. Les dorniennes, le soldat a raison de le souligner, ont des caractères de feu. Un feu différent de celui des valyriens, mais de feu tout de même. La proximité du désert les rend aussi indomptables que les dunes, changeantes, passionnées, violentes. Elles ne brûlent pas jusqu’à l’os d’un souffle, mais empoisonnent sur la durée, comme les serpents et scorpions qui peuplent leurs plaines arides et leurs déserts. Il est de bon ton que les hommes se méfient de ces femmes, pour leur propre bien. Aimant particulièrement se fondre toute entière dans le fier folklore de son pays, il n’y a rien d’étonnant à ce que la jeune noble joue les coquettes en feignant d’être plus dangereuse qu’elle ne l’est vraiment, mais, en vérité, et elle en a bien conscience, la concernant, ce n’est rien d’autre que cela, de la coquetterie.

Gawain n’a pas besoin de le savoir, cependant, n’est-ce pas ? Et elle ne lui ment pas vraiment, elle se contente de ne pas le contredire et de laisser planer le mystère la concernant. Il apprendrait bien vite quel genre de femme passive elle est, otage dans cette ville, loin de chez elle et des siens. Elle ne possède rien qui puisse menacer les larges épaules d’un empire porté par un loup et un dragon, en tous cas. Peut-être est-ce d’ailleurs cela qui lui vaut l’affabilité du peyredragonien ? Loin d’elle l’idée de s’en plaindre, cela dit.

Prise en défaut, les joues de la dame rosissent d’humilité alors qu’elle confie. « Parfois, ça m’arrive, mais j’essaie le moins possible… » Elle a toujours eu en horreur les démonstrations publiques, les colères des nobles dont les envies, parfois obscènes selon le contexte, ne sont pas satisfaites. Elle s’est toujours promis de ne jamais embarrasser sa famille de la sorte. Cela étant, elle n’est qu’humaine et, parfois, elle apprécie certains privilèges liés à sa naissance, ce qui la fait toujours se sentir un peu coupable.

Distraite par l’apparition de sa ballerine dans les mains du géant blond, Mahée retrouve un sourire pétillant, charmée par la plaisanterie, mais n’oublie pas de lui répondre. « La collation est pour le thé, ser… » Elle le reprend, sans la moindre moquerie, se doutant bien que l’art de la guerre ne forme pas ces messieurs aux courtoisies des dames. « Déjeuner avec la reine-mère de l’Orage est un honneur auquel je ne peux prétendre. » Non, les têtes couronnées déjeunent entre elles, entre membres d’un même standing, d’une caste à laquelle la jeune dornienne n’appartient pas. « Je ne sais cependant si sa Grâce voudra de moi jusqu’à ce soir ou non… » Elle lui sourit encore, consciente de lui compliquer la tâche. Il peut l’inviter à dîner s’il le souhaite, mais elle n’est pas certaine de pouvoir être présente, puisque son premier devoir en ces terres est de répondre à l’appel de sa bienfaitrice et mécène, avant tout le reste. En homme de devoir, Mahée ne doute pas une seule seconde que Gawain comprenne que, même si son engagement auprès de Rowenna n’a rien de martial, il a le même poids dans cette arène qu’est la cour. Par amusement, elle clôt son plaidoyer en répondant au peyredragonien avec spontanéité. « En réalité, je les choisis toujours, dès que je peux, mais le jeu doit en valoir la chandelle… » Elle hésite, quelques secondes, avant de demander. « Seriez-vous impressionné si je vous disais m’être jetée à la mer pour tenter d’échapper à un pirate ? » Au moment de la vivre, l’anecdote n’avait RIEN de romanesque, les circonstances étaient cauchemardesques… Pour autant, autant qu’elle puisse y réfléchir, elle ne voyait pas comment résumer cet épisode autrement, et, depuis son arrivée, elle n’avait jamais vraiment pu en parler librement, avec qui que ce soit… Aujourd’hui serait peut-être l’occasion ?

Gawain joue les… immatures ! Saisie par la cachotterie innocente du soldat autant que par sa caricature, Mahée demeure interdite un instant… Avant d’éclater d’un rire libérateur. Un rire clair, cristallin qui va de paire avec l’alto pourtant timide de sa voix. On sent dans ce rire une pression qui se relâche de ses épaules. Bien plus que n’importe quels mots échangés jusque là, c’est bien cette immaturité qui finit de gagner la sympathie du géant blond pour la dornienne. Il y a avait tellement, tellement longtemps que personne ne s’était senti assez à l’aise avec elle pour plaisanter, et la moquer gentiment, lui faire comprendre que les petites chamailleries étaient les bienvenues, et elle n’avait pas réalisé avant ce moment précis à quel point ça avait pu lui manquer, à quel point elle avait et marcherait encore sur des œufs sitôt que cette entrevue sera terminée, mais, là tout de suite, Gawain lui fait comprendre qu’avec lui, ça n’est pas forcément nécessaire et rien que pour cela, son cœur s’étreint d’une profonde reconnaissance envers le militaire. Les rapports protocolaires sont pesants, elle avait besoin de quelqu’un comme Gawain pour réaliser à quel point, et donc, par relation contraire, à quel point les moments dénués de pression politique peuvent être précieux, et même salutaires, car, d’un coup, d’un seul, Mahée se sent de bien meilleure humeur, bien plus confiante, et bien plus ouverte au Peyredragonien qu’elle ne l’avait été jusqu’à présent. En un mot comme en cent, sa réserve vient de s’envoler, et ça se voit au sourire lumineux qui reste sur son visage une fois que le fou rire s’est calmé.

« Je pense que je me serai noyée s’ils n’avaient pas fini par me repêcher… » Elle confesse, étonnée du moment doux amer qu’elle vit, encore sereine de par l’abandon de sa réserve, et en même temps frissonnante à l’évocation d’une baignade de laquelle elle se serait bien passée, dans un contexte ignoble… Mais elle hoche finalement la tête en signe d’assentiment. « Je dînerai volontiers avec vous, Ser… Je me réjouis de partager un nouveau moment en votre compagnie.» Elle marque une pause, avant de reprendre. « J’espère que vous montrerez des manières plus élégantes au dîner ! » Elle rétorque, usant du même ton enfantin que lui plus tôt, saisissant une seconde d’inattention pour récupérer sa ballerine et, mimant un coup, lui en effleurant le bras, feintant une attitude bêcheuse et hautaine. Avant qu’elle ne quitte la Grâcedieu, Mahée pouvait toujours compter sur ses cadets pour lui faire retrouver les pieds sur terre quand elle voulait se donner de grands airs. Les caricatures allaient bon train dans la fratrie. Sans le savoir, Gawain lui avait donné un petit goût de chez elle. Il n’est pas surprenant qu’une partie d’elle souhaite prolonger le goût, cherchant à renvoyer la balle, reprendre le jeu interrompu par les convenances…

Hélas, qu’elle le souhaite ou non, le devoir finira par les appeler. Décidant de prendre les devants, la jeune femme au teint doré remet élégamment sa pantoufle, et se rassied, tout aussi élégamment. « Ser, accepteriez vous m’offrir votre main pour me relever s’il vous plaît ? » Elle demande, gentiment, prête à se lever par ses propres moyens mais il est vrai qu’elle apprécierait grandement son aide, pour sa modestie.