Suite à la bataille de la Grande Route, Garlan avait reçu les soins de premiers nécessités sur le terrain avant d’être transporté à Herpivoie pour être pris en charge de manière appropriée. La ville subissait déjà d’importantes réparations suite à la récente bataille et l’incendie qui l’avait dévastée en partie. Lorsque son état était suffisamment stable pour effectuer un plus trajet, il fut déplacé en litière jusqu’à la Capitale. Il ne pensait pas revoir la Capitale de sitôt après l’avoir quitté en pensant qu’il se dirigerait pour une âpre campagne de plusieurs mois. Il ne s’attendait pas à se retrouver ainsi. Si faible, fragile, inutile. C’était cependant le risque sur le champ de bataille, tout pouvait arriver. On savait dans quoi on s’embarquait, on ne savait jamais comment on en sortait.

Il fallait savoir s’appuyer sur ses capacités martiales individuelles dans la masse pour pouvoir s’en sortir, mais pas seulement. Non il fallait pouvoir compter sur ses alliés les plus propres, sur le bon jugement du commandant de corps et également sur un facteur sur lequel on n’avait guère d’influence… Le facteur chance. Et oui, on était bien obligé de l’admettre, la chance avait bien sa place dans une telle situation, c’est parfois elle qui faisait que votre monture s’ébrouer au mauvais moment, elle qui vous faisait avoir le vent de face, elle qui vous faisait embrocher par deux flèches plutôt qu’aucune. Bref, tout un tas de facteurs était à prendre en compte, tout cela pour dire qu’il était dans une bien mauvaise posture…

Le mestre et les autres soignants essayaient d’être le plus rassurant possible concernant son état et sur le fait qu’il pourrait peut-être combattre de nouveau. Ce qu’il craignait au fond de lui, c’était l’invalidité. Il était guerrier, il avait été élevé et s’était toujours entraîné de plus en plus dur en ce but. S’il ne pouvait plus combattre, c’était comme s’il perdait son identité. Il ne pouvait pas l’admettre, cela lui était impossible. Pourtant force était de constater que les blessures infligées étaient sérieuses aussi bien à la jambe qu’à la poitrine. Mais il était hors de question qu’il se laisse aller et qu’il se lamente sur son sort ! C’était à lui de faire tout son possible, donner le meilleur de lui-même pour qu’il s’en sorte et puisse reprendre un jour ses pleines capacités. Il s’était donné l’objectif de reprendre l’entrainement tout doucement après les festivités données suite à l’intégration du Val à l’Empire et le jour était bel et bien venu !

Mais en état, il dormait, tiraillé par les douleurs latentes qui lui parcouraient le corps et par l’effort qu’il avait produit pour être présent aux festivités, il était exténué. Ses précédentes nuits avaient été des plus difficiles, n’arrivant pas à trouver une position idéale pour trouver le sommeil. Mais cette nuit, le sommeil s’était imposé tout seul à lui tellement la fatigue était prenante. Le rêve, qu’il fit, fut similaire à ceux qui avaient torturés le peu d’heures de sommeil qu’il avait eu ces derniers jours. Le champ de bataille, un carnage sans nom, le cri de ses hommes, l’expression d’horreur et d’effroi sur le visage de ses hommes. Cette expression avant une morte imminente. Marquante, déstabilisante. Il gardait cela pour lui, car il n’était pas coutume d’en parler, parfois entre compagnons d’arme après avoir descendu plusieurs godets. Autrement, cela était perçu comme de la faiblesse, de l’instabilité. Il combattait contre autrui et donnait la mort depuis son adolescence, mais ce genre d’affrontements, cela avait toujours le don de le perturber quelques temps après l’événement. Mais il accumulait et prenait sur lui. Avec son avancée au sein de l’armée impériale, il savait qu’il serait encore plus exposé à ce trouble, il était prêt à y faire face, il savait qu’il ne serait jamais insensible après ces scènes de chaos et de ce que l’Homme pouvait de pire.

Alors que ses yeux s’animaient sous ses paupières, il fut salutairement extrait à cette terrible vision lorsqu’il sembla percevoir quelque chose se poser sur son front. Humide. Ses yeux s’entrouvrirent, l’obscurité de sa vision fut balayée par la douce luminosité projetée par la fenêtre. Il passa sa langue pour s’humidifier les lèvres, ses sens mirent un instant à s’éveiller et à ce qu’il retrouve son état de pleine conscience.  Ses yeux se posèrent très rapidement vers une chevelure blonde qu’il réussit à identifier. Il ne s’attendait pas à la visite de Lady Chelsted. Il n’en était pas moins ravi, il tenta de sourire aux paroles de Lady Chelsted, mais ce dernier se transforma en grimace lorsque la douleur à la poitrine s’éveilla, comme pour lui rappeler son misérable état. Il se redressa doucement sur son oreiller en s’asticotant comme un ver de terre, lâchant un râle de douleur lorsque sa jambe blessée fut sollicitée. « Et bien comme vous le constatez, Lady Chelsted, je me porte comme un charme, je suis au sommet de ma forme ! » avait-il répondu dans une réplique empreinte d’ironie. Le chevalier analysa son environnement proche, un livre épais était posé sur sa table de chevet, ce n’était pas un des siens, probablement était-ce la propriété de la jeune jouvencelle. Il le désigna d’un hochement de tête : « Laissez-moi deviner... Le mestre vous a chargé de m’assommer si je ne gardais pas le lit au moins aujourd’hui ?  » Cette fois-ci, il avait réussi à terminer sa phrase avec un vrai sourire taquin, réussissant à mettre la douleur de côté l’espace de quelques instants.

Il serait bien incapable de passer encore une pleine journée alité, ça lui était insupportable, inconcevable alors que les autres s’apprêtaient à aller combattre de nouveau. Non, il ne pouvait rester ainsi sans rien faire. « Kirimvose riña Chelsted»Reprenant le langage courant, savant que l’emploi de Haut-Valyrien le fatiguerait plus que de raison. « Je vous remercie d’être venu prendre de mes nouvelles, Lady Chelsted. Je suis conscients que vous devez être fort occupé que ce soit avec la toute nouvelle adhésion du Royaume du Val et des événements des autres royaumes de l’Empire. Comment se portent nos nouveaux amis ?»

On pouvait au moins mettre au crédit de la jeune femme qu’elle ne manquait pas d’humour. Cela réussit à le faire rire de bon cœur, cet éclat de rire raviva néanmoins ses douleurs au niveau de la poitrine. Il lâcha un râle, tenant fermement la zone impactée, manquant de laisser échapper un juron. La douleur était quasi-permanente, il souffrait, mais certains mouvements étaient bien plus pénibles que d’autres. Il se refusait à prendre trop des remèdes du mestre, toutes ses solutions à base de Laudanum ou de Lait de Pavot. Oh il reconnaissait pleinement leur utilité, cela lui avait été plus que nécessaire lors des deux semaines qui suivirent la bataille, la douleur était alors telle et la fièvre dévastatrice, qu’il avait tourné plusieurs fois de l’œil. Cependant, il savait que ces soins avaient aussi la fâcheuse tendance à mettre à mal les sens, la vigilance s’éteignait alors, le corps et l’esprit n’étaient plus en alerte. Et si physiquement, il n’était bon à rien pour le moment, il espérait pouvoir garder sa vivacité d’esprit.

En tout cas l’humour de Lady Chelsted était bienvenu, ça lui changeait de la nonchalance et du pessimisme du mestre et de ses aides. Bien qu’il sût qu’il leur devait beaucoup, il lui répondit dans un rictus. « Vous m’avez totalement percé à jour, Lady Chelsted, quelle perspicacité ! Concluons un marché, voulez-vous ? Si vous m’allégez de toutes mes tâches administratives, peut-être arriverai-je à retrouver du poil de la bête, qu’en dites-vous ?»C’était de bonne guerre, elle l’avait charriée quelque peu, c’était à son tour. Si toutes les discussions et relations pouvaient être aussi légères que celle-ci, alors il n’y aurait point de conflit. Tout serait alors plus simple, mais c’était un idéal, une utopie, ça n’arriverait jamais. De tout de manière, sa situation actuelle le rappelait constamment au monde réel et la cruauté que les êtres vivants pouvaient s’infliger les uns envers les autres.

Un gros livre rien que pour lui… Quel bonheur ! En réalité, il aimait bien lire, cependant sa lecture se concentrait en majeure partie sur des ouvrages militaires relatant de stratégies et batailles célèbres. Il lui arrivait aussi de se plonger dans des écrits traitant d’histoire ou de géographie. L’Histoire était particulièrement révélatrice des caractéristiques d’un peuple, c’est en se penchant sur cette dernière que l’on pouvait commencer à dessiner les contours de sa façon de penser, ce qui les définissait. Pour combattre un ennemi, il était essentiel de commencer à le comprendre. C’est en étudiant qu’il réussit à être force de proposition pour prendre l’initiative lors de l’attaque des Trois sœurs. Il avait étudié aussi assidûment le Haut Valyrien, du moins il avait essayé d’y consacrer un maximum de temps à côté de toutes ses autres obligations. C’était un moyen de se rapprocher de sa défunte épouse à l’époque, de la comprendre, elle et sa culture. Il avait toujours eu également cette curiosité qui le poussait à en apprendre davantage sur ce qui lui était inconnu.

Tout semblait bien vain désormais, elle… ils étaient partis, le laissant seul. Complétement motivé pendant cette période de deuil, il avait manqué bien des leçons, à ses yeux il avait tout perdu… Il s’était renfermé sur lui-même, ignorant le reste dee ses proches, se concentrant sur son poste dans l’Empire, à cette période, il aurait souhaité mourir au combat pour les rejoindre. Oui, il l’avait souhaité. Puis il avait continué à feuilleter quelques écrits de son côté, le pratiquant dans sa tente, seul. Cela lui permettait alors de se rappeler de jours heureux, de ses éclats de rire, du doux parfum de fleurs sauvages qu’elle appréciait tant pour les grandes occasions. Il s’était raccroché alors à ce qu’il pouvait, même si cela le faisait terriblement souffrir alors.

Le poids des responsabilités… Il savait très bien ce que c’était, ces dernières pouvaient être terriblement pesantes et des décisions prises découlaient le devenir de centaines, voir de milliers de personnes. Il fallait trouver une échappatoire à ceci pour ne pas imploser. Garlan hocha doucement la tête aux propos de la jeune femme : « Si le poids de vos responsabilités se fait trop lourd, la porte restera toujours ouverte, Lady Chelsted, n’hésitez pas. » La proposition était sincère, il savait que la dame était une personne de bien, qui avait dû connaître un passé bien torturé de par ce qu’il avait pu en voir… Il lui proposait donc son aide et son soutien si elle le voulait bien, une main tendue pourrait-on dire. Le Val était le petit dernier arrivé dans l’Empire, après maintes propositions, la dernière bataille de la Grande Route s’était montrée décisive pour que le Roi Ronnel Arryn revienne à la table des négociations. Mais certains valois devaient nourrir forcément des griefs aux impériaux à cause des proches qui leur ont été arrachés et inversement. Entretenir un semblant de bonnes relations après tout était difficile. Il fallait alors se dépasser pour faire abstraction du passé pour pouvoir avancer, se projeter vers l’avenir.

« Les vieilles querelles du passé, cela finira par passer pour chacun des partis. L’Empire possède en son sein bien des peuples qui se faisaient la guerre il y a encore quelques années. Les rancœurs sont tenaces et les cicatrices belles et bien encore visibles. Mais cela reste ce qui fait la force de l’Empire, sa diversité, le besoin pour tous d’avancer pour forger le Westeros de demain. » Il croyait dur comme fer à cette vision. Bientôt, que cela soit dans des mois ou quelques années, il n’y aurait plus de guerre et ils connaîtraient enfin la paix tant méritée. Il y aurait toujours des tensions bien entendu, mais l’Empire, par l’unité, arriverait à les surmonter. Ils les surmonteraient tous ensemble. Dame Chelsted vint lui conseiller de ne pas trop s’occuper de la politique et des racontars de la Cour, à ses yeux, il ne pouvait rester trop loin des faits d’actualité. De un, parce qu’il tournerait bourrique à rester enfermer ainsi dans ses quartiers. De deux, de part sa position, il espérait reprendre prochainement part au conflit en cours et il avait besoin de savoir de qui se passe au-delà des frontières, mais également en son sein.

« Votre sollicitude me touche, Lady Chelsted. Mais à rester ainsi dans mes quartiers, j’ai l’impression que chaque jour se ressemble. Je me vois éloigné de mon Commandement, de la Cour. Les festivités récentes ont été l’occasion pour moi de revoir bien des visages familiers, je ne puis rester totalement à l’écart de tout, alors que mes compagnons d’armes et mes hommes vont retourner combattre, cela m’est insupportable. » lui confessa-t-il les poings serrés, les traits serrés, il sentait sa gorge se nouer, surtout quand elle posa la dernière question sur l’avis des mestres. Il essaya de surmonter ça, en la balayant d’un geste de la main, adoptant un ton peu sérieux : « Oh vous les connaissez, Lady Chelsted… Alarmistes au possible, si je les écoute, je ne rejoindrai pas le champ de bataille avant plusieurs mois… Allons marcher quelque peu voulez-vous ? »

Question purement rhétorique. Il se redressa encore davantage sur son oreiller en se débattant comme un ver de terre, son corps le faisait souffrir. Il propulsa ses jambes sur le bord du lit pour s’asseoir comme il le put sur le bord. Attrapant une canne qui se trouvait sur le rebord de la table de nuit, il prit appui sur cette dernière pour s’élever de sa paillasse. Réprimant un juron, les traits de son visage étaient totalement déformés par la douleur. Il faillit se résigner à se rasseoir, mais il tint bon. Un pied devant l’autre, sa démarche était lente et boiteuse. Il s’arrêta pour scruter Lady Chelsted et lui proposait son bras pour la promenade. « Certains mestres affirment que je ne récupérerai jamais mes capacités d’antan. Que je ne pourrai jamais remonter à cheval un jour ou même être la moitié du chevalier que j’étais… Cela m’est impossible à entendre, Lady Chelsted… Impossible ! Nous sommes tous maîtres de notre destin et je ferai tout ce qui doit être fait pour leur prouver qu’ils ont tords…» Il aurait préféré encore mourir à la bataille que de se résoudre à passer le reste de ses jours loin de toute action…