Mahée n'a pas terminé ce qu'elle a commencé, et elle entend bien le finir. Alors qu'elle reprend la route avec son armée, elle sait que les jours qui vont suivre devraient être relativement calmes, en dehors de la marche. Montée sur une jument à la musculature fine et nerveuse le jour, la bête renâcle au moins autant que sa cavalière aimerait le faire. Non pas que la princesse se languit d'action, mais plutôt d'impatience... Jamais l'armée n'avance assez vite par rapport à ses ambitions, même si elle est à même de se rendre compte que ses ambitions sont irréalistes. Il est irréaliste de demander plus à ces hommes que ce qu'ils ne donnent actuellement. Pas sans les briser, peut-être au-delà du réparable, du moins.

Confiante, la jeune femme délègue les ordres militaires à son Général, ce qui est un vrai soulagement. Ayant été son propre général jusqu'à ce qu'il la rejoigne, même si avec le concours de sa Majesté l'Impératrice, ça avait été un exercice extrêmement anxiogène pour la novice qu'elle est, novice on ne peut plus contente de pouvoir laisser faire un homme qualifié, leader d'hommes naturel, pour la remplacer à ce poste. Qui plus est, vu qu'elle est loin de posséder le charisme, la présence, ou les facultés guerrières des reines Rhaenys et Argella, il est préférable que les hommes soient menés par... Un homme. C'est plus confortable pour tout le monde.

Convaincue par les aptitudes de Sarzir, Mahée peut laisser son esprit soit vaquer librement, aussi douloureuses puissent être ses errances, soit se joindre à la conversation que Dane ne manque pas d'entretenir avec Drystan, le capitaine de la garde Rhoynar. Aussi improbable que soit la présence du jeune écuyer, pupille de ser Robert Dayne, à ses côtés, elle est plus que bienvenue. La jeune travestie est une source de fraîcheur intarissable. Elle rend les journées beaucoup moins monotones, ce dont la princesse lui est gré, consciente qu'elle-même doit avoir son lot de bagages à porter. Il serait curieux qu'il en soit autrement quand on la devine éduquée, donc sans doute bien née, déguisée en homme pour devenir écuyer...

Avoir une compagne de route lui fait du bien, même si elle est porteuse d'un mystère. Rhaenys lui manque beaucoup. Dane lui ressemble un peu d'ailleurs, c'en est troublant. Aucun doute possible quant au fait qu'elle soit, elle aussi, une descendante de Valyria. Peut-être est-cela, outre qu'elle se sent d'une certaine responsabilité envers la pupille d'un noble guerrier qu'elle a envoyé au front, qui lui donne envie de la protéger, et de l'aider. Quoiqu'il en soit, les journées sont éreintantes et il n'est pas rare qu'une fois qu'on a plus besoin d'elle, la princesse se retire tôt sous le couvert de sa tente. A travers la toile de lin, on peut voir l'éclat de la bougie projeter son ombre, prostrée sur un bureau de campagne, pendant plusieurs heures. Aux bruits de la nuit de la nature sauvage de la Principauté s'ajoutent aussi le grattement d'une plume sur le grain d'un parchemin. Quand elle souffle finalement sa bougie pour s'autoriser à sombrer dans les bras de Morphée, remettant sa vie entre les mains des guerriers qui ont juré de la protéger, Mahée ne demande pas son reste. A peine sa tête pose-t-elle l'oreiller qu'elle s'assoupit...

L'angoisse et la paranoïa ouvrant leur voie destructrice jusqu'au subconscient de la jeune femme, celle-ci perçoit, dans son sommeil, une altération de son environnement. C'est bref, mais c'est différent des hurlements des chouettes ou du souffle du vent dans les arbres... Cette altération, elle l'oppresse. Ce sentiment d'oppression, combiné à la brise froide qui envahit brièvement la pièce tirent la princesse d'un sommeil profond à un sommeil paradoxal. Cette fois en demi-sommeil, elle perçoit qu'on tire l'une de ses couvertures sur elle... Pour la couvrir ? Comme c'est gentil... Maman faisait cela... Mais maman n'est pas là. Le franc tombe, brutal, réveille Mahée en sursaut, qui se redresse, la panique dans les yeux. Qui pouvait être dans sa tente à ce moment-là de la nuit sans invitation ? Le cœur sur le point d'exploser, se disant d'ores et déjà C'est comme ça que je meurs, la dornienne cherche dans l'ombre le regard de son assassin... Et voit la pression qui la submergeait, encore une seconde auparavant, totalement s'étioler en voyant qu'il s'agit de Sarzir. Heureusement pour lui, la princesse ne peut faire une attaque sur une autre attaque. N'entendant personne hurler, alors qu'elle reprend lentement son souffle et tente de calmer les tambours jumanjiesques de son palpitant, Mahée comprend qu'elle peut entièrement se calmer, qu'ils ne sont pas attaqués et qu'elle a juste été surprise... Forcément, une fois la surprise passée... « Général... Ne croyez pas que je vous chasse, mais... Puis-je savoir ce que vous faîtes ici ? » La voix de la princesse n'est pas en colère, loin s'en faut, mais surprise, ça, oui, c'est certain, et aussi très inquiète. Elle se doute que cette visite ne peut être anodine, qu'elle concerne l'armée, ou l'homme qui la commande... En tant que Princesse, il est de son devoir de se soucier des deux, avec autant d'égards.

Réprimant un soupir qui pourrait laisser penser au militaire qu'il l'ennuie, la Princesse, dans une robe de nuit légère, se redresse dans sa couche et use de son silex pour rallumer sa bougie. Quittant la chaleur de son lit, elle récupère, à son pied, une longue robe peignoir rouge, qu'elle enfile avec pudeur en tournant le dos au Général. Le nœud de la robe serré devant elle pour protéger sa pudeur, la femme au teint couleur moka reprend sa bougie, qu'elle tient d'une main et protège de l'autre. « Venez Sarzir, allons discuter. » D'un signe de tête, elle l'invite à quitter le chevet de sa couche pour lui indiquer l'autre partie de la tente, celle avec son bureau. Si Mahée n'a pas la moindre pudibonderie, elle est extrêmement secrète et réservée concernant tout ce qui touche à sa vie intime. Jusqu'ici, elle était parvenue à se préserver des rumeurs ou des réputations de toutes sortes. Elle peut fièrement assumer que les hommes qui ont choisi de le faire l'ont fait sans qu'elle ne visite leur lit. Politiquement, ça a beaucoup de valeur, certes, mais la vie privée de Mahée n'a pas de prix.

Mahée se doute, sans urgence militaire, que si son Général a cru bon de s'introduire dans sa tente au beau milieu de la nuit, c'est qu'il a une bonne raison, peut-être pas d'ordre militaire, certes, mais d'ordre personnel. Or, les deux sont importants. S'il faut quelques longues secondes à la princesse pour finir de sortir du sommeil, une gorgée de vin coupé à l'eau l'y aide. Elle en sert une tasse au général, et se réinstalle confortablement dans son fauteuil, perdue dans si grand manteau, ses doigts joints tranquillement devant ses lèvres alors qu'elle attend, patiemment, que Lord Santagar répondre de sa présence sous cette tente à une heure aussi tardive. Elle sursaute, malgré elle, au jet du bijou qui rebondit dans un bruit sourd plusieurs fois, avant de glisser jusqu'à elle. Voyant l'or luire d'un éclat délicat, Mahée s'en saisit de façon toute aussi délicate, et le porte à son attention. Le regard interrogatif qu'elle lève ensuite vers Sarzir trahit son interrogation. Non, elle ignore à qui appartient ce bijou, au prix sans doute exorbitant.

Muette, la princesse recueille la confession nocturne du général, de la Panthère de Dorne, et se force à rester ferme même si certaines de ses plus grandes appréhensions lui étaient servies sans crier gare. Il est heureux que Sarzir n'attende pas de réponse tandis qu'il s'explique, parce que Mahée n'aurait pas pu lui en donner, la voix tue par l'angoisse. Cette paranoïa à laquelle elle avait refusé de céder venait la narguer en la présence de la personne chargée de la protéger. Elle est encore en train de processer tout cela quand la dernière plaisanterie du général la tire de ses réflexions, ce qui coupe court à toute pensée parasite. « Je l'ai accepté, ce fardeau, comme vous dîtes, en même temps que la couronne. » Elle reprend, occultant totalement toutes ses angoisses, toutes ses peurs, reprenant son rôle de princesse, comme en pilote automatique. Pour commencer à se connaître, Mahée sait qu'elle va gérer une chose à la fois, d'abord la détresse de Sarzir, puis la sienne... Donc, il lui faut donc être efficace, dans le meilleur intérêt du dornien. « Mais ce que vous dîtes m'effraie, Sarzir, dans le sens où je ne suis pas la raison pour laquelle vous devez vous battre, la couronne n'est pas une raison pour vous battre. » Avec lenteur, elle vient distraitement se pincer l'arrête du nez, brièvement. « Vous l'avez compris quand vous avez pris les armes, entre Grigibets et la Tombe. C'est Dorne qui mérite qu'on se batte pour elle, Général, pas moi... Il ne faut surtout plus jamais faire l'amalgame entre la Principauté et son Prince... » De fatigue, Mahée pousse un profond soupir. « Je pense que cette façon qu'ont les monarques de vouloir à tout prix cristalliser la santé de l'état avec la leur rapporte au moins autant que le contraire... »

Le sourire de la princesse est las, mais elle se redresse néanmoins pour reprendre. « C'est ingrat, ce que je vous demande, Sarzir, mais, si, de tous les hommes, un et un seul, doit résister à la fièvre de l'engouement pour continuer à se montrer pragmatique, c'est vous... Sarzir... » Les hommes comme Sarzir et Robert ne pouvaient, comme les gens du commun, se laisser aller à l'image de la mère que pourrait véhiculer Mahée. Ils ne le peuvent, car, de tous les hommes, ce sont eux qui doivent être ses critiques les plus virulents s'ils souhaitent la voir progresser dans la bonne direction. Soudain bien réveillée, elle cherche ses mots un instant avant de reprendre. « Robert et vous êtes des hommes d'honneur, qui aimez votre patrie avant tout. Notre patrie, c'est elle qui nous reste quand nous avons tout perdu, Sarzir... Quand vous me regardez, je ne veux pas avoir l'idée d'incarner votre chant du cygne. Je veux voir brûler la même fureur que celle que j'ai pu apercevoir, lorsqu'on vous a pris votre frère aîné, lorsque vous avez chargé les croisés... Et tout cet élan induit par la rage... Je n'en suis pas l'inspiration, et c'est très bien comme ça. Parce que s'il est vrai que nos valeurs doivent rester les mêmes, vos valeurs doivent rester vos valeurs, et les miennes les miennes. Ainsi, c'est si l'un de nous dévie que l'autre peut le rattraper. Quand on s'égare, la meilleure chose est de revenir aux sources. La source, c'est la défense de la Principauté. Pas la mienne, Dorne. Et j'ai besoin de savoir que vous serez capable de faire la différence entre les deux, Sarzir... » Intense, Mahée dévisage son Général, le ventre noué de curiosité et d'appréhension à ce qu'il pourrait lui opposer.

Mahée. L'interpellée est visiblement surprise. Assez pour se redresser légèrement dans son fauteuil. Elle n'est pas en colère ou outrée, elle est tout simplement... Surprise, de façon tout à fait ingénue. Cela faisait longtemps qu'on ne l'avait pas appelée par son prénom. La surprise passée, la princesse se demande si ça la gène que le militaire d'expérience qui lui fait face l'appelle ainsi... Et le temps s'écoule, laissant un léger silence s'installer... Silence qu'elle ne rompt, finalement pas. Sarzir reprend, et Mahée accepte qu'il use de son simple prénom. Le lui reprocher, du reste, créerait une distance, le dornien pourrait se dire qu'elle s'estime trop bien pour lui, et ce genre de choses qui n'ont aucun fondement... Alors elle laisse filer, et essaie plutôt de réfléchir à ce que le soldat essaie de lui expliquer. Un discret « Hum... » indique sa réflexion. Elle comprend le point défendu par le général, puisqu'elle l'avait déjà remarqué, le soir de la victoire des Météores, pour autant, même si elle avait décidé d'embrasser tout à fait ce rôle, d'incarner, au final, d'avantage une idée que sa propre personnalité, ça lui pose problème... Non pas d'endosser la responsabilité, mais plutôt que, si d'aventure il devait lui arriver quelque chose, alors ce qu'elle aurait commencé n'aurait servi à rien. C'est la continuité de ce qu'elle a entrepris, qui lui pose problème.

« Je vois ce que vous voulez dire. Et je comprends pourquoi vous avez raison. Et vous avez aussi raison dans le fait que ça me déplaise. » Elle peut comprendre, oui, sans pour autant avoir le sentiment de remplir le costume, qu'il est plus facile pour les masses de faire ce raccourcit. Le sentiment d'impuissance l'écrase soudain, comme s'il s'agissait du monde sur les épaules d'Atlas. Se sentant brièvement dépassée par tout cela, ses yeux retombent sur le magnifique bijoux Cuy, toujours entre ses doigts. Elle le repose délicatement devant Sarzir, le troquant contre la lame magnifique qu'il dégaine devant elle, et elle n'a rien répondu quant à leur victoire à venir. Oh, Mahée n'a pas le moindre doute concernant la flamme de revanche et d'émancipation qui brûle en Dorne. Elle a une fois aveugle dans les siens et leur désir de continuer à vivre comme ils l'ont toujours fait... Elle doute cependant de voir l'aboutissement de son projet, de revoir, un jour, la Principauté au faîte de sa gloire... On l'aura sans doute tuée avant.

Prenant la lame, elle l'observe avec minutie, se gourmandant des détails de la finition, traquant les traces et marques infimes laissées par les mains des artisans, mais, non, rien ne les trahit si ce n'est la perfection de leur travail. « C'est un objet somptueux. » Commente la princesse, en esthète. De nouveau, elle est surprise par le présent du Général, qu'elle refuse, sa tête se secouant de droite à gauche, alors qu'elle repose l'objet d'art devant le militaire. « Je ne peux pas accepter, Général. C'est un bien de famille, et il doit le rester. Du reste... » Se voulant moins solennelle, elle risque un léger sourire. « Si j'ai de la chance, tout ce que me permettra de couper cet objet exquis est de la viande et du fromage, et je refuse de lui faire subir un tel affront. Pour cela, n'importe quelle dague fait bien l'affaire. » Et elle le pense, indubitablement. « Cela étant, j'apprécierai effectivement, si le temps nous le permet, que vous m'appreniez au moins à me défendre, s'il vous plaît... J'aimerai être en mesure de protéger ma vie. » Ça aurait pu lui être utile face à Lyle Salefalaise, notamment. Ce genre d'expérience n'est jamais perdu. « Mon père m'a permis d'avoir les bases, et je me défends plutôt bien avec certaines armes, mais c'est très insuffisant. » Et elle le déplore.

Mahée prise de court par l'ultime question de Sarzir, elle sent la lassitude, plus légère le temps d'évoquer des cours d'escrime, repeser sur elle de tout son poids. Elle hésite à se laisser aller dans le dossier de son fauteuil et fusionner avec lui pour toujours... Mais non. Elle se tient roide. Dans tout le marasme qui l'agite, le paradoxe que le général chercher à connaître la femme après l'avoir qualifiée de symbole, alors qu'elle-même est toujours en proie à ses propres incertitudes... C'est trop pour une nuit. La seule chose dont la princesse est certaine, c'est qu'elle n'a pas la moindre envie d'aborder le sujet de sa quête d'identité, ni mettre les démons de son passé en pleine lumière ce soir... Elle comprend la curiosité du général, elle n'a simplement pas l'énergie de la satisfaire ce soir. « Ne voyez pas cela comme une manœuvre de coquette pour faire naître le mystère, je n'ai rien à cacher, mais c'est une discussion que je n'entamerai pas ce soir, je regrette Lord Santagar... » Une façon polie de lui signifier que, vue l'heure tardive, s'ils n'ont rien de plus urgent à se dire, elle apprécierait de retourner se coucher, et de dormir un peu avant d'attaquer la journée qui arrive. Qui plus est, elle estime que Sarzir lui-même aurait aussi besoin de dormir.