Les drames semblaient se succéder bien plus rapidement que les moments de joie dans l'existence, comme une fatalité qu'il était malheureusement impossible à combattre et qui continuait à vous hanter jour après jour. Pas un instant, Ysilia avait imaginé que les choses pourraient aussi mal tournées, et elle avait été brutalement ramenée à sa condition de femme et à tous les risques que ce simple fait pouvait comporter. Car un jour, cela pourrait être elle, disparaissant dans les mêmes tragiques conditions, sans qu'on ne puisse finalement faire quelque chose pour la sauver. Nymeria semblait si forte, et elle imposait un nouveau rythme, un nouveau dynamisme au royaume du Val et de la Montagne. La jeune femme n'était pas une Lannister pour rien, et au fur et à mesure des discussions que les deux jeunes filles du même âge avaient pu avoir, elle avait compris que la Princesse de l'Ouest et nouvelle Reine ici aux Eyrié avait certes bénéficié d'une excellente éducation mais également des largesses d'un père fort aimant envers sa dernière née, et qu'elle avait été assez libre de faire ce qu'elle désirait à Castral Roc pendant toutes les années de sa courte existence. Chose que la jeune lady des Roche-aux-Runes n'avait guère eu l'occasion de connaître durant ses propres apprentissages. Son père était aimant à sa manière, mais Asher n'avait semble-t-il pas le même tempérament que Loren Lannister et il avait exigé beaucoup de sa première née, qui avait été fille unique pendant nombres d'années par ailleurs avant la naissance du fils tant attendu. Cela n'empêchait pas pour autant pour le lord du Val d'avoir de grandes espérances pour sa fille, et quand ses fiançailles avec le prince héritier du Nord, Jon Stark, avaient été annulées, il n'avait pas voulu qu'elle perde la position qu'elle aurait pu avoir et il avait fait d'elle l'une des dames de compagnie de la jeune reine venue de l'Ouest, et les deux s'étaient très rapidement entendues, nouant une sincère amitié. Ysilia avait été si heureuse pour Ronnel, son cousin et ami d'enfance rayonnait tout simplement de bonheur au côté de sa jeune épouse, et ils semblaient si épris l'un de l'autre, qu'il était exceptionnel de voir un mariage de pouvoir être également un mariage d'amour.

Mais l'histoire ne s'était pas bien terminée. Ysilia revoyait toute la scène comme au ralenti, elle avait l'impression encore de sentir sa poitrine se soulever difficilement sous le poids de la tristesse et de la colère. Elle s'était sentie faillir à un instant et elle avait manqué de peu de s'effondrer de toute sa hauteur pour tomber sur le sol glacé des Eyrié. La jeune femme ne savait comment elle avait réussi à ne pas sombrer en comprenant ce qui était en train de se passer et le terrible drame qui se jouait non loin d'elle. Elle se souvenait du tragique événement dans les moindres détails, et elle ne pensait pas pouvoir l'oublier un jour. Le repas se passait parfaitement, dans la joie et la bonne humeur après les troubles qui avaient secoué le Val à cause de la situation complexe dans les montagnes. Tout semblait se dérouler à la perfection, un moment en famille comme il en y en avait peu dans le Val entre tous les mouvements des différents membres de la maison Arryn. Nymeria s'épanouissaient à mesure que la grossesse avançait, il n'y avait pas que le corps qui changeait quand on allait devenir mère et assurément, elle aurait été une merveilleuse maman si la vie lui en avait laissé l'occasion. Mais tout avait soudainement basculé, la jeune reine avait été prise de graves douleurs et elle avait été transporté le plus rapidement possible dans ses appartements pour pouvoir que le Mestre puisse lui prodiguer les soins nécessaires mais malheureusement la vie s'en était allée, celle de Nymeria, celle de l'enfant et celle de Ronnel d'une certaine façon. La douleur que chacun ressentait aux Eyrié était terrible, l'aspect soudain de la chose la rendait plus grande encore. Quant à Ronnel, il était perdu, sans que personne ne sache pour combien de temps. C'est pourquoi, alors que Sharra avait pris la décision d'accompagner elle-même le corps de Nymeria dans l'Ouest pour le rapporter auprès de sa famille, Ysilia avait obtenu l'autorisation d'accompagner cette dernière dans cette tâche difficile. La jeune lady voulait également faire ses adieux à la reine si vite disparue et il lui semblait essentiel d'échapper à l'atmosphère terrifiante qui régnait aux Eyrié. Le voyage avait été long et pesant et la cérémonie bien plus difficile encore. Elle respecta un temps de deuil, de recueillement, de silence pour l'ensemble de la famille Lannister, et elle se permit au bout de quelques jours de demander une audience à Jeyne, celle qui aurait dû être sa belle-sœur, si la vie s'était déroulée comme elle l'avait espéré pendant un temps. Quand l'accord fut obtenu, elle se présenta à la porte des appartements de la princesse royale et attendit qu'elle lui donne l'autorisation d'entrer.

Il y avait bon nombres de Reines et de Princesses qui venaient à peupler l'ensemble des terres de Westeros. Ysilia avait eu la chance de grandir, presque pour la majorité de son existence, à la Cour royale du Val et de la Montagne. Les Eyrié étaient un endroit familier où elle se sentait chez elle d'une certaine façon, et elle avait côtoyé, elle avait grandi en compagnie de Ronnel. Ils étaient de la même famille, même si ce n'était pas des liens du sang au premier degré, mais surtout ils étaient amis depuis aussi loin qu'elle puisse se souvenir. C'est pourquoi, elle avait passé beaucoup de temps également auprès de Sharra Arryn. Cette femme était aussi bien hypnotique par la beauté physique dont les Anciens Dieux l'avaient doté, mais tout autant par la personnalité de cette dernière, par le charisme dont elle faisait preuve devant tous les événements qui avaient jalonné son existence et quand elle avait pensé un temps qu'un jour elle pourrait elle-aussi devenir un jour une souveraine, elle avait eu la volonté de lui ressembler. Mais quand elle avait fait la connaissance de Nymeria Lannister, elle qui avait grandi en apprenant tout de ce que devait être une tête couronnée, elle s'était montrée bien différente de la figure de Sharra, plus spontanée, bien plus pleine de vie, et elle avait une beauté toute autre. Ce n'était pas seulement parce que la demoiselle était bien plus jeune, mais parce qu'elle avait cette fraîcheur, cet air si doux et si malicieux à la fois, qu'Ysilia était certaine qu'elle pourrait à son tour marquer les esprits et parvenir à se démarquer de la figure de sa belle-mère ou que celle de sa propre mère. Et pour ce qu'elle avait eu l'occasion de voir de Jordane Lannister, elle ne pouvait dire que cela, c'était que la Reine de l'Ouest était une véritable lionne et qu'elle ne doutait pas un seul instant qui lui était facile de sortir les griffes quand elle estimait que cela était nécessaire. Pour autant, aujourd'hui, ce n'était pas elle qu'elle allait rencontrer, mais la fleur brune du Nord qu'était la princesse Jeyne. Lorsqu'il avait été question d'un mariage avec son frère Jon, Ysilia s'était permise de poser des questions sur la famille de ce dernier et il lui avait parlé de cette sœur qu'il aimait sincèrement.

Et la jeune lady du Val devait bien avouer qu'elle aurait aimé avoir cette femme dans sa famille, tout comme elle aurait aimé que son destin soit lié au prince du Nord. Il semblait tendre et même si cela ne faisait pas tout dans un mariage, elle s'était dit qu'elle n'était certainement pas la plus mal lotie pour unir sa vie à ce dernier. Cela n'était pas arrivé, pour autant, Ysilia avait eu le désir de faire la rencontre de la princesse du Nord devenue princesse de l'Ouest à présent. Quand elle vit Jeyne lui ouvrit la porte, elle fit une révérence délicate devant elle avant de se redresser. « Votre Altesse, je vous remercie d'avoir accepté cette entrevue avec moi. » Elle lui adressa un doux sourire avant de venir à pénétrer dans ses appartements. Elle hocha quelque peu la tête suite aux paroles de la jeune femme et elle poussa un léger soupir, alors que sa gorge se serrait légèrement, elle devait se reprendre, elle avait laissé assez longtemps les larmes coulées auprès de la dépouille de l'innocente demoiselle disparue. « Je vais sans doute bien mieux que d'autres personnes, bien mieux que la Reine Sharra et encore bien plus que le Roi Ronnel. J'ai eu de la chance d'avoir été une de ses dames de compagnie, mais ce n'est pas moi qui ait perdu la femme que j'aimais. » Elle lui adressa un sourire un peu ému, puis elle la suivit jusqu'au salon, attendant que la future souveraine de l'Ouest prenne place pour pouvoir en faire de même. « Je sais que ma demande a pu paraître étrange … Votre frère m'avait parlé de vous, il y a ce qui me semble remonter à une toute autre époque, et de ce fait, j'ai eu envie de vous rencontrer avant qu'il ne soit question de partir rejoindre les hautes montagnes du Val. J'espère que cela ne vous dérange pas ... »

Ysilia et Jeyne n'avaient sans doute pas beaucoup d'écart au niveau de l'âge, elles n'étaient pas certes nées dans le même royaume, mais la jeune fille du Val avait toujours eu l'impression que son royaume et celui du Nord avait bien plus en commun que les autres territoires de Westeros. Elle se sentait sûrement plus proche des Loups Stark parce qu'elle priait les Anciens Dieux et que d'une certaine façon, elle se retrouvait un peu dans leur façon d'être et de penser. Et la jeune lady de la maison Royce avait un profond respect pour cette princesse venue d'ailleurs qui avait quitté les siens pour un autre royaume, une autre famille, qui était d'une certaine façon opposée à celui qu'elle avait toujours connu. Certes, pour le moment, l'Ouest continuait à jouer le jeu de la neutralité face à tout ce qui était en train de se passer sur le continent. Mais même si Ysilia n'était pas forcément la plus compétente pour ce qui était des questions politiques et militaires, elle connaissait malgré tout la réputation que les Lions pouvaient avoir et les alliances qui semblaient pouvoir se faire et se défaire. Elle ne portait pas de jugement, elle savait parfaitement que ce n'était pas son rôle, mais elle se demandait sincèrement comment l'ancienne nordienne vivait tout cela. Et si elle arrivait à s'adapter à tous les changements qu'elle avait été obligée d'affronter, elle le faisait en tout cas avec une grande classe et une grande grâce, même si elle ne pouvait pas dire les sentiments que cette dernière devait vivre en privée.

La jeune fille du Val et de la Montagne était bien consciente que cela allait être sans doute la seule et unique fois que les deux pourraient se rencontrer, et même si le moment n'était pas le meilleur avec la disparition de la jeune souveraine et ancienne princesse des terres de l'Ouest, elle pouvait néanmoins en profiter pour échanger un peu. Il fallait dire qu'Ysilia avait besoin de souffler un peu, même si le cérémonial et le protocole restaient des éléments permanents, elle était contente de pouvoir un peu quitter la protection ou la surveillance de la Reine Mère, Sharra Arryn qu'elle avait accompagné jusqu'ici pour le voyage jusqu'à la dernière demeure de sa belle-fille. Même si elle la connaissait depuis longtemps, depuis qu'elle était enfant, elle était impressionnante et plus la tristesse semblait marquer ses traits et plus elle lui avait alors semblé redoutable. Mais elle ne se serait pas permise de critiquer pour autant sa Majesté, chacun réagissait de la façon qu'il le voulait et surtout qu'il le pouvait. Elle s'installa face à la jeune souveraine, et elle haussa les épaules tout naturellement quand elle vint à lui dire que sa peine ne devait pas être négligée. « Vous avez sans soute raison et je crois pouvoir dire que nous étions proches, que nous étions amies. En tout cas, c'était ainsi que je considérais ma relation avec elle. Néanmoins, le Roi … Il est tellement affligé, qu'on a presque l'impression que nous l'avons perdu lui aussi. J'espère que je me trompe. »

Ysilia s'autorisa alors à faire la mention de Jon Stark dans leur conversation, le jeune prince lui avait semblé indiquer dans sa conversation épistolaire quand ils avaient cru que leurs destins allaient être liés et la jeune femme tenait clairement une place particulière dans la vie de ce dernier. « Vous doutez de l'affection qu'il peut avoir pour vous ou vous êtes surprise de savoir qu'il m'avait parlé de vous ? » Lui demanda-t-elle avec douceur et avec un tendre sourire sur son visage. Ses traits se serrèrent un peu alors qu'elle parla d'avoir voulu rencontrer la femme qui serait l'épouse du Jeune Loup. Mais cela n'était pas arrivé. Elle hocha la tête. « Oui le contact passait bien. Nous ne nous sommes jamais vu après l'annonce de nos fiançailles et nous ne nous sommes pas revus pas la suite non plus. Quant à garder contact … Nous avons décidé ensemble que nous ne pouvions continuer. Vu les oppositions entre les deux royaumes, cela aurait pu être mal perçu. Et j'avoue que je n'avais pas envie de passer pour une jeune fille désespérée. Aujourd'hui, il est marié et moi non. »

Ysilia aurait aimé profiter de quitter le royaume du Val et de la Montagne dans un tout autre contexte que celui de ramener le corps d'une défunte princesse, d'une toute jeune reine qui ne l'avait été que si peu de temps, vers ses parents qui pleuraient leur perte. Ils avaient à peine eu le temps de lui dire aurevoir, quelques mois auparavant, pour une vie nouvelle, pour une toute autre aventure, qu'elle revenait à présent dans les pires conditions qui soient, et que tout le monde soit dans l'obligation de lui dire adieu. La jeune lady de Roche-aux-Runes aurait tellement aimé venir ici en compagnie de Nymeria, pleine de vitalité comme elle l'avait toujours connu malgré la pression qu'elle avait ressenti à son arrivée aux Eyrié. Elle ne doute pas que son amie lui aurait alors conté toutes les aventures qu'elle avait vécu ici, qu'elle lui aurait présentée chaque personne qu'on venait à croiser dans les couloirs avec quelques petites remarques bien piquantes comme elle savait si bien les envoyer. Nymeria était d'une certaine façon son exacte opposée en terme de caractère, ou plutôt employer le terme de différence sur l'énergie qu'elles offraient aux autres. La défunte Reine était toujours si énergique, si pétillante, si explosive d'une certaine façon, elle ne pouvait laisser personne indifférente et à l'opposée, il y avait elle, Ysilia. D'une douceur, d'une délicatesse et surtout d'une timidité presque maladive. L'une avait réussi à faire sortir un peu la jeune femme des sentiers battus, alors que l'autre avait réussi à l'apaiser un peu dans son quotidien, à se formater un peu plus à ce que la Cour du Val et ce que la Reine-Mère, Sharra, pouvait attendre de celle qui prenait sa place. Tout ça n'était maintenant plus que fumée ou poussière, et il ne servait à rien de revenir dessus, ni même d'exposer les tourments qui semblaient être ceux de Ronnel. Ce n'était pas correct envers lui et le deuil qui était le sien. Les joues de la jeune lady se parèrent alors de rouge légèrement alors qu'elle se rendait compte de la portée de ses mots face à Jeyne et elle se mordit un instant la lèvre. « Je suis sincèrement désolée de vous avoir importuné avec tout cela, d'avoir peut-être aggravé votre propre ressenti sur les derniers événements et de m'être ainsi exprimée aussi librement. Je vous remercie en tout cas pour m'avoir écouté et d'avoir eu de douces paroles à mon égard. » Elle redressa doucement le visage et adressa un sourire sincère à la Princesse de l'Ouest.

Ysilia détourna alors la conversation vers autre chose, vers ce qui aurait pu les lier pendant un temps, vers la personne de Jon, frère de l'une, ancien prétendant de l'autre. Mais sans doute la question qu'elle vint à lui poser était maladroite, puisqu'elle vit la jeune femme détourner le regard. Elle avait peut-être touché un point bien plus sensible que le sujet de la disparition de Nymeria. Elle hocha néanmoins la tête quand elle parla de complication. « Je crois malheureusement qu'il est difficile d'échapper aux conséquences de ce qu'il se passe, même si nous, bien souvent en temps que femme nous n'avons pas réellement le pouvoir de prendre des décisions. Ce qui se passe à Westeros, la guerre qui vient à s'insinuer partout, ne peut nous épargner quoi que l'on décide de faire. Et nous devons ensuite vivre avec, nous n'avons pas le choix, même si on n'oserait jamais évoquer à voix haute qu'on aurait désiré une toute autre conclusion. » Cette fois, c'était à elle de lui adresser un sourire compatissant alors qu'elle semblait être désolée de la situation. « Peut-être que nous aurions pu continuer à nous écrire un peu plus longtemps … Mais aujourd'hui, votre frère est un Roi et si on vient à douter des actions et des contacts d'un Roi dès le début de son règne, la suspicion est un danger pour la couronne. On doit se montrer fort et dans tous les cas, nous n'aurions pas pu continuer. Le souvenir est au départ un peu amer puis on finit par garder les bons côtés, enfin c'est ainsi que je le vois à mon niveau. » Elle secoua la tête à sa dernière question. « Non … Ou alors, mes parents ne m'en ont pas fait encore part. Je ne doute pas que mon père sera exigent sur la question et qu'il prendra le temps pour choisir le meilleur parti possible pour sa fille. En attendant, je patiente. » Elle eut un sourire résigné, son destin ne lui appartenait pas. « Et vous, comment se passe votre vie ici ? Vous vous plaisez ? »

On venait trop souvent à s'embarrasser de choses et d'autres, bien plus encore quand on faisait partie d'une certaine élite. Ysilia était agréablement surprise par la conversation qu'elle était en train de mener avec la jeune princesse de l'Ouest, et d'une certaine façon, elles avaient l'une comme l'autre, une certaine facilité à se confier à l'autre quand elles venaient à se sentir en confiance, en sécurité. Et les deux étaient sincèrement bienveillantes, en tout cas c'est ainsi que le voyait et le ressentait la jeune fille venue du Val. Mais l'une comme l'autre, elles avaient aussi conscience de la place qu'elles occupaient. Ysilia n'était pas devenue l'épouse de Jon Stark, elle n'avait pas hérité du titre de Reine et elle n'en hériterait jamais, néanmoins elle savait le rôle qu'on attendait qu'elle joue, et la pression ne devait en être que plus grande pour Jeyne et en aucun cas, elle ne venait à envier sa position. Et dans le monde dans lequel elles évoluaient, avec les règles qu'on leur avait toujours imposé, elles savaient qu'un seul faux pas pouvait leur coûter beaucoup. De ce fait, la nature des personnes se retrouvait parfois brider, les limites devenaient de plus en plus flou, mais il n'était pas véritablement possible de les dépasser sans risquer gros et il fallait au plus vite rentrer dans les rangs, elles n'étaient malheureusement pas assez intimes pour se le permettre. Leurs parcours auraient pu être liés et Ysilia en aurait été sincèrement heureusement. Elles auraient pu ainsi faire connaissance dans une autre circonstance que celle de la mort et de l'obligation du deuil à faire, venant pourtant à les toucher sans les concerner pleinement, l'une épouse de l'homme qui avait perdu sa sœur, l'autre cousine de celui qui avait perdu son épouse. Le destin en avait décidé autrement et il fallait faire avec, elle espérait qu'un jour, elles viendraient à se retrouver dans d'autres circonstances.

Pour autant, la jeune valoise vint à comprendre qu'elle avait bien plus touché la corde sensible quand le sujet s'attarda sur Jon. Elle qui avait pensé qu'il serait plus doux pour la jeune femme de lui rappeler qu'elle comptait pour les siens, même s'ils étaient loin les uns des autres, elle avait l'impression qu'elle s'était au contraire engagée sur un terrain glissant. Ysilia hocha doucement la tête. « Les gens, pour ceux qui sont ainsi, ont de la considération pour les leurs, mais ils oublient bien souvent que même celui à qui on s'oppose peut avoir une famille, et qu'il faut savoir parfois faire la distinction entre le titre, la fonction politique et la personne en elle-même. Le Roi du Nord sera toujours le Roi du Nord pour les gens de l'Ouest et ceux du Val. Une entité qu'on pourra craindre ou qu'on pourra apprécier, qui sera notre allié, notre ennemi ou simplement le dirigeant du royaume voisin. Pour vous, il sera toujours et avant tout votre frère, et moi un possible prétendant. Mais si moi j'ai renoncé à lui écrire, ne perdez pas le contact avec lui. Je ne peux prétendre ce que cela fait, j'ai un petit frère mais nous avons tellement d'écart d'âge que j'ai plus joué le rôle de seconde mère, que de grande sœur. Il est encore tout jeune, mais en grandissant, j'espère pouvoir garder un lien fort avec ce dernier, où que nous soyons l'un comme l'autre. »

On courait tous après le temps, ressassant le passé, essayant de prévoir l'avenir, et d'une certaine façon, passant à côté du présent. Profiter de ce temps d'attente ? Elle ne l'avait jamais vu de cette façon, mais Jeyne qui était à présent mariée et enceinte en plus de cela devait savoir de quoi elle parlait. « Je devrai sans doute suivre votre conseil, mais bien que je ne semble pas le montrer du premier regard, ma douceur cache néanmoins une grande impatience ou plutôt, une grande angoisse de ce qui pourrait m'arriver et avec qui je pourrai me retrouver. » Elle posa une main sur sa bouche alors qu'elle se mettait à rougir. « Je n'aurai pas du dire ça ... » Souffla-t-elle. « Je suis en tout cas heureuse que cela se soit bien passé pour vous et que ça se passe bien aujourd'hui encore. En tout cas, vous êtes radieuse et la grossesse vous va réellement à ravir. Je ne doute pas que vous serez accompagnée à chaque moment jusqu'à la naissance de votre enfant. Bien que je sais que tout le monde désire que votre enfant soit un fils, pensez-vous que ce sera le cas ? » Dit elle en souriant.

Ysilia resta un long moment silencieuse alors que sa comparse, juste en face d'elle, semblait d'une certaine façon se rendre compte de la force que le jeu politique pouvait avoir comme influence sur leur vie. Bien sûr, elle en avait déjà une grande connaissance, elle qui avait été mariée avec le futur Roi des Terres de l'Ouest, au nom d'une alliance entre le royaume de son tout jeune époux et celui de son père. Mais il y a véritablement un lien qui s'était noué entre Lyman et Jeyne, quelque chose qui rendait le reste bien plus futile à la fin, car les sentiments avaient pris le pas sur le reste et c'était ça, la beauté de la chose. La jeune valoise ne pouvait prétendre quelle éducation Jeyne avait reçu dans le Nord, comment avait été son père, sa mère, ses instructeurs avec elle, tout cela était bien trop lointain. En ce qui la concernait, elle, elle avait Asher Royce comme père, et si elle pouvait compter sur la douceur et la présence complice de sa mère, son père était exigeant avec elle. Elle savait que cela était pour la préparer à pouvoir peut-être joué un grand rôle un jour, mais parfois, elle avait l'impression que c'était trop pour elle, pour son caractère si timide, si humble qu'elle pouvait être. Pour autant, elle avait parfaitement compris les enjeux et encore plus quand elle avait vu une possibilité d'avenir disparaître en un claquement de doigts, juste expliquer par une lettre qu'elle avait fini par ranger dans une boîte dans sa chambre de jeune fille et qu'elle s'était promise de ne jamais y toucher à nouveau. Enfermant ses rêves de jeune fille naïve à double tour. « Je ne voudrais pas un peu plus vous gâchez le moral, mais malheureusement nous le sommes aussi l'une comme l'autre. Vous avez une importance pour le jeu politique par votre mariage, et le rôle que vous pouvez jouer. Je suis un pion qui attend d'être déplacé en fonction de ce que décidera mon père. Je sais qu'il tient à moi, mais même en étant une fille, il fera son choix par rapport aux intérêts de la maison Royce. Et je ne pourrai pas y changer grand chose. »

Pour la jeune valoise, non plus, il n'était pas chose facile de parler de ce qu'elle avait pu entrevoir avec le nouveau Roi du Nord. En discuter avec son père était impossible bien sûr, et elle ne pouvait pas le faire non plus avec sa mère, même si elle ne viendrait pas à la juger, elle ne voulait pas que cela revienne aux oreilles d'Asher Royce. Elle en avait discuté par le passé, avec Nymeria, mais elle n'était plus là non plus pour cela. Il n'était pas possible de revenir en arrière, et le Nord n'était plus très apprécié à la Cour du Val et de la Montagne. « Merci de m'en avoir laissé l'occasion également, je n'avais pas discuté de ce que j'avais ressenti à ce sujet depuis une éternité aussi. Et je pense que cela ne se reproduira sans doute plus jamais. » Ils avaient tous continué de vivre, et les chemins des deux jeunes femmes allaient bientôt se séparer, quand Ysilia retournerait aux Eyrié. Elle hocha la tête, son visage s'illuminant alors en parlant de son petit-frère. « Oh nous avons tellement d'années d'écart, que je ne serai plus à la maison quand il sera en âge de devenir désagréable. Pour le moment, je profite de lui, autant que je le peux. Et comme dirait ma mère, cela fait un bon entraînement pour le jour où je deviendrai moi-même mère. Il s'appelle Donnel. C'est un vrai petit farceur déjà, je ne sais pas de qui il tient ça, mon père est tellement sérieux. » Elle eut un léger sourire amusé à cette simple pensée. Elle écouta attentivement la jeune Reine et elle finit par se pencher un instant vers elle et elle serra sa main quelques instants avant de se reculer. « Je vous remercie pour tous les bons mots que vous avez à mon égard. Cela me fait bien plus de bien que je n'ose le montrer. Et je suis contente d'avoir fait votre connaissance. » Elle lui adressa le sourire le plus sincère qui soit. « Vous ferez une mère excellente pour cet enfant, je n'en doute pas un seul instant. »