Par delà le monde, par delà les montagnes et les vallées, dans les coins les plus reculés de tout Westeros, certaines âmes étaient suffisamment bénies des Dieux pour passer tout leur existence sans aucune connaissance de ce qu'était réellement l'horreur de la guerre. Ce serpent de feu et de métal n'atteignait que rarement les régions les plus reculées de ce continent, aussi les villages les plus petits et reculés se trouvaient plus épargnés que les plus grandes villes. Oh bien sûr ils entendaient parler de la guerre, par les marchands et les voyageurs de passage, mais leurs maison n'étaient pas brûlés, et leurs enfants n'étaient pas tués simplement parce qu'ils se trouvaient dans le passage.
Peut-être était-ce injuste, ou peut-être était-ce ainsi que fonctionnait le monde. Certains devaient se lever et lutter pour garder ce qu'ils avaient, ou pour en obtenir davantage, tandis que d'autres n'avaient qu'à baisser la tête et rester discret, pour survivre à la tempête qui faisait rage au-dessus d'eux. Depuis aussi longtemps qu'il s'en rappelait, Daemon avait été préparé à faire partie de la première partie car, un jour, comme son père et le père de ce dernier avait lui, le château qui l'avait vu naître serait à lui.

Pas encore, pas tout de suite car le règne de son père promettait d'être encore long et prospère, mais la patience n'était-elle pas une vertu ? Daemon avait encore bien des choses à faire et à accomplir, avant de pouvoir se draper du manteau de seigneur, lorsque son heure serait venue. Oh certes il devait penser à son futur, à se trouver une épouse et assurer sa descendance mais, ces dernières semaines, son esprit n'était que tourné vers la guerre à laquelle il s'était préparé depuis bien longtemps.
Son père l'avait préparé à se battre puis à servir, depuis qu'il avait l'âge de raison et, si l'inconscience de la jeunesse l'avait poussé à croire qu'il était préparé, il avait reçu une leçon, deux mois plus tôt, qui avait failli d'ébranler cette conviction. Au côté de son père il avait participé à la bataille de la Mort-aux-loups et, si à l'époque il était impatient d'en découdre, impatient de faire ses preuves, il n'avait simplement été récompensé que d'une blessure au flanc, en raison de sa propre stupidité. Cette blessure était soignée, à présent, mais la leçon laissait toujours un goût amer au fond de sa bouche. Un goût que même la perspective du mariage à venir ne pourrait pas faire disparaître.

Le mariage...Daemon en aurait presque oublié la raison de sa présence ici, à Winterfell. Puisqu'il vivait non loin d'ici il avait pris l'habitude de venir ici, souvent, mais aujourd'hui c'était une occasion bien particulière. Dans deux jours, deux petits jours Jeyne allait épouser le Lannister et, si le Cerwyn avait toujours été plus proche de Jon que de Jeyne, et de très loin, son père voyait cet événement comme une opportunité de prendre une courte pause, de souffler et de célébrer la vie dans des temps si troublés. Daemon n'avait pas son mot à dire dans cette histoire, il se contenta donc de ravaler ses pensées réelles et de trouver un coin reculé dans Winterfell, pour ne pas déranger les préparatifs du mariage.
Bien entendu, par habitude, ses pas finirent par le mener jusqu'au terrain d'entraînement où, reconnu par deux soldats, il fut invité à rejoindre leur petite session d'entraînement. Une proposition qu'il ne pouvait évidemment pas refuser, surtout si cela lui permettait de passer le temps pendant que son père était...ailleurs. Pas ici, en tout cas. Ce fut donc avec toute la vigueur et la fougue de la jeunesse que Daemon enchaîna les passes d'armes avec les deux soldats, ses cheveux mal attachés virevoltant dans le vent à chaque bout, chaque esquive, chaque parade, alors qu'il sentait son cœur battre la chamade un peu plus à chaque seconde. Ce moment était ce dont il avait besoin pour oublier le reste, pour oublier la douleur et se sentir pleinement vivant mais, comme tous les autres, ce plaisir finit par prendre fin lorsque les deux soldats coupèrent cet échange, devant retourner à leurs autres devoirs.

Encore poli à cette époque, le Cerwyn hocha la tête en guise d'accord, remerciant les deux soldats pour cet exercice d'un :




Allait-il devoir trouver une autre activité ? Se diriger vers l'écurie était tentant, il devait bien l'avouer, mais il avait envie de rester ici encore un peu, quitte à s'entraîner tout seul. Il avait l'habitude de le faire, la seule différence aujourd'hui c'était que le décor était différent. Se croyant seul, le colosse posa son épée d'entraînement contre le mur le plus proche, détachant le fil qui maintenait ses cheveux en place, avant de le replacer à nouveau, correctement cette fois. Bientôt ses oreilles captèrent des pas, des pas plus légers que ceux des soldats de tout à l'heure, ce qui le poussa à se tourner et poser ses yeux de glace sur la silhouette qui se dessinait devant lui.
Difficile de ne pas reconnaître pareille silhouette ou pareil visage, surtout en ces lieux. Aussi, le colosse en devenir s'écarta du mur à sa droite, penchant la tête en guise de simples salutations, perçant le silence d'un :




Jadis il avait été impertinent, laissant le respect de l'étiquette à d'autres, mais le temps lui avait appris l'importance de la patience et du respect de ses congénères. Maintenant il était plus poli que jadis, plus qu'il n'aurait jamais cru l'être, pour être parfaitement honnête, surtout envers ceux qui ne partageaient pas son sang. Enfin...il essayait, en tout cas.

A plus d'un égard, Daemon avait longtemps considéré Winterfell comme sa deuxième maison. Tout d'abord en raison de la proximité évidente avec Castel-Cerwyn, ce qui expliquait pourquoi il y était allé si souvent durant ces dernières années, mais aussi parce que, ici, il y avait retrouvé la femme de celui qui l'avait accueilli comme écuyer dans son foyer. Une femme qui se trouvait être, en plus, la gouvernante de celui qui deviendrait un jour le loup couronné de ces terres. Alors certes le Nord tout entier était son foyer mais, après le château qui l'avait vu naître, Winterfell était le second lieu où il se sentait le plus...chez lui.
Si au départ il ne s'était rendu ici que par obligation, parce que son seigneur de père le forçait à lui emboîter le pas, le Cerwyn finit par apprécier de ce rendre entre ces murs, dans ce château si grand et si beau qui faisait pâlir Castel-Cerwyn en comparaison. Mais aujourd'hui son sentiment était un peu plus mitigé car, même s'il était très content de savoir que la jeune Stark aller s'unir au lion de l'Ouest, Daemon savait que la guerre, elle, n'attendrait pas pendant ce temps. Peut-être était-ce nécessaire de prendre une pause, de s'arrêter pour fêter un heureux événement, mais qu'adviendrait-il ensuite ? Le serpent brûlant qu'était la guerre serait toujours là, à corrompre et détruire tout sur son chemin.

Cette pensée n'avait pas cessé de hanter l'esprit de l'héritier Cerwyn depuis qu'il était revenu de cette bataille, deux mois plus tôt. Oh certes il était un homme de devoir et savait mettre de côté les pensées inutiles, mais c'étaient les moments de silence et de paix qu'il arrivait moins à supporter. Il était habitué aux voix fortes des soldats, au tintement d'une lame contre une autre, au hénissement des chevaux mais le calme ? La quiétude ? C'était là qu'il était sans doute le plus tendu, ce qui expliquait pourquoi ses pas l'avaient mené vers le terrain d'entraînement. Pour certains cela pourrait paraître étrange, mais pour lui c'était plus que nécessaire, afin de garder le contrôle sur ses pensées les moins avouables.

Il n'était pas né pour les bals ou les soirées mondaines. Il était né pour combattre dans le froid, sa hache à la main et cela lui convenait parfaitement ainsi. Enfin débarassé des soldats, retrouvé un calme auquel il n'était pas habitué, Daemon tourna son regard de glace vers celle qu'il n'eut aucun mal à reconnaître. Certes une différence d'âge était certaine entre les deux nordiens, mais Daemon sentit un certain coup de vieux le frapper, en voyant la demoiselle s'avancer vers lui. Il l'avait connu à Quart-Torrhen, alors qu'elle venait juste de prendre son premier souffle dans le monde, quelques semaines plus tôt et, à présent, elle semblait avoir bien poussé...vraiment bien poussé. Le bébé n'était plus, c'était une véritable nordienne qui s'avançait à  présent vers le Cerwyn, répondant à ses salutations.

Il se doutait bien qu'elle n'était pas là par hasard, aussi lorsqu'elle mentionna sa volonté de se tirer au-delà de son statut de femme, le jeune Cerwyn ne put avoir que du respect pour une volonté si noble et évidente. La femme était toujours reléguée au second plan dans cette société, les femmes du nord avaient simplement plus de caractère et de volonté que celles de tous les autres royaumes combinés. Hochant la tête, en signe de compréhension du désir de la Stark, le colosse en devenir resta de marbre lorsqu'elle vocalisa sa volonté de trouver en Daemon un partenaire d'entraînement, pour aujourd'hui au moins. Cela devrait-il lui poser un soucis ? Haussant les épaules, le Cerwyn admit alors :




C'était sa façon maladroite de dire qu'elle avait raison de vouloir apprendre à se battre et que, femme ou non, sa présence ici était légitime. Après tout elle était une Stark, le feu du Nord coulait dans ses veines, au même titre que tous ses cousins. Finissant d'attacher ses cheveux, Daemon empoigna sa lame d'entraînement, profitant du moment pour faire quelques moulinets avec son poignet, avant de poser son regard de glace sur la Stark. Souriant légèrement, timidement, il finit par camper sur ses positions, avant de briser à nouveau le silence d'un :




Peut-être serait-elle celle qui pourrait lui apporter une certaine paix d'esprit, pour aujourd'hui en tout cas, grâce au tintement d'une lame contre lame.

Jusqu'à présent le jeune homme ne s'était entraîné qu'avec des soldats, parfois son père et le maître d'armes de Castel-Cerwyn, mais il n'avait eu que de rares occasions d'agrandir son cercle de partenaires. Si jadis il avait été  impatient de le faire, excité à l'idée d'apprendre de nouvelles choses et d'observer de nouvelles techniques, sa première bataille avait su le tempérer grandement sur ce point. Il lui restait encore beaucoup à apprendre, certes, mais il savait qu'aucun entraînement au monde, aucune préparation n'arrivait à survivre face à la brutalité de la réalité. Il avait donc redoublé d'efforts, répétant les entraînements avec son maître d'armes, encore et encore, en sachant très bien que la prochaine bataille pourrait être sa dernière.
Et aujourd'hui il faisait face à une demoiselle qui voulait gagner sa place par la force de ses bras, par son talent à l'épée, mais qui n'avait expérimenté les batailles que dans les livres et les contes pour enfants. Elle était sans doute comme Daemon jadis, curieuse et impatiente, mais aujourd'hui le Cerwyn n'avait ni le coeur ni l'envie d'alimenter cette curiosité mal placée. Que pourrait-il dire sur la guerre ? Que la comparer à l'entraînement reviendrait à comparer un chiot et un dragon ? Que rien au monde ne saurait la préparer au clash du métal, aux cris de douleurs et à l'odeur suffoquante du sang ? Qu'après sa première bataille elle en viendrait à maudire sa curiosité ? Non, il n'y avait rien qui pourrait exprimer de façon clair ce qu'était cette boucherie qu'on appelait la guerre. Aussi, la réponse du jeune homme fut simple et sans saveur.




Sentant son esprit dériver vers les souvenirs de cette boucherie, Daemon fit un effort conscient pour faire disparaître ces pensées, se concentrant sur la demoiselle qui, à présent, lui faisait face. En garde, campant sur ses appuis, Daemon fronça les sourcils lorsque, au lieu de passer à l'action, elle vint s'intéresser à sa vie amoureuse...ou au vide de cette dernière. La réponse sèche ne se fit pas attendre.




Elle ne combattrait jamais, en raison de son sexe. Tout ce qu'on attendait d'elle c'était de faire honneur à son nom, et de trouver un bon époux pour assurer sa descendance. La guerre, elle, avait poussé le Cerwyn dans une toute autre direction, sans pour autant que l'idée d'une vie de famille future ne soit totalement absente de son esprit. Se concentrant, le colosse fonça donc sur la demoiselle, à un rythme assez modéré pour le moment afin de jauger le niveau de la demoiselle, pour ne pas la noyer sous des coups qu'elle ne pourrait supporter.
Les premières passes d'armes furent simple et, de toute évidence, la demoiselle ne semblait pas en être à son coup d'essai. Elle savait jouer de son physique svelte, jouant sur l'agilité et la vitesse ce qui dénotait une certaine intelligence tactique. D'autres auraient bêtement essayé de bloquer les coups de Daemon, mais sa force était telle qu'il était peu sage de s'y essayer, avec un physique plus léger que le sien.




Meilleure que les soldats ? Peut-être bien, oui, mais c'était son approche différente qui rendait cet échange intéressant. Combattre une brute n'avait rien de complexe, mais une fine jeune femme ? C'était une toute autre paire de manches. Au bout de quelques échanges, faisant deux pas en arrière pour mettre un peu de distance entre eux, sentant son coeur battre la chamade dans sa poitrine, le Cerwyn hocha la tête en reconnaissance des talents de sa partenaire, lui demandant :

C'était grisant de se battre et d'éprouver ses talents contre une autre personne. Jadis, Daemon aussi ne s'était jamais senti aussi vivant que lorsqu'il croisait le fer avec son maître d'armes, mais la vie avait rapidement essayé de lui mettre un peu de plomb dans la tête et, surtout, de lui ramener les pieds sur terre. Oh certes il était doué avec une épée ou une hache à la main, à n'en pas douter, mais il n'avait jamais pris aucun plaisir à se battre car, soyons honnêtes, aussi nécessaire que cela puisse être, il ne voyait pas comment il pourrait en retirer un quelconque plaisir. Il avait appris à se battre pour défendre son royaume, pour défendre sa famille et non pas pour prouver sa valeur à qui que ce soit...mais, femme oblige, la situation de Lyanna était bien différente de la sienne.
Elle avait le tempérament d'une battante, il suffisait de la regarder pour s'en rendre compte mais, malheureusement, elle était née du mauvais côté de la barrière des genres. Elle avait donc tout à prouver, autant au monde entier qu'à sa famille ou elle-même et, aujourd'hui, Daemon était le moyen qu'elle avait trouvé d'éprouver les résultats de ses entraînements. Cela dérangeait-il le Cerwyn ? Pas vraiment car, au fond, s'entraîner n'était qu'un moyen pour lui de passer le temps et de se maintenir en forme.

Il s'était entraîné à manier plusieurs armes, au fil des années, mais la plupart de ses opposants avaient le même physique que lui. Grand, large et lourd. Chez lui, les adversaires à la silhouette fine et svelte se faisaient plus rares, ce qui expliquait qu'il lui fallait un petit temps d'adaptation, pour s'habituer à la rapidité de la jeune Stark. Des Stark, Daemon connaissait surtout Jon et son caractère discret, sérieux, mais le Cerwyn était étonné de voir qu'une Stark pouvait avoir une si grande bouche. Avait-elle une vision si simpliste des combats, qu'elle pensait qu'en situation réelle elle aurait le temps de parler ? Très probablement mais, heureusement pour elle, elle n'aurait jamais à savoir à quel point elle était dans l'erreur. Tout ceci n'était qu'un jeu pour elle, du moins c'était ce que pensait Daemon, mais ce dernier n'avait plus le luxe de penser ainsi.

Il prit alors un peu de distance, laissant la demoiselle lui expliquer qu'elle avait été entraînée avec ses cousins, ce qui expliquait son évidente maîtrise de l'arme qu'elle portait. Hochant la tête pour confirmer ce qu'il venait d'entraîner, le colosse en devenir se redressa, faisant craquer sa nuque d'un mouvement de ce dernier, en entendant les provocations de la demoiselle. Il appréciait les bons partenaires, certes, mais définitivement pas ceux qui avaient une trop grande bouche. Enfin bon, elle était une Stark alors il ravala ses pensées profondes, en raffermissant la prise sur le manche de son arme.




A quoi bon mentir ? Il avait déjà fait ses exercices quotidiens, bien au-delà du nécessaire. Il n'aimait simplement pas rester à rien faire alors, plutôt que d'aller lire, il avait décidé de s'exercer un peu plus. Certes il avait encore beaucoup de chemin à parcourir, mais il savait que ce qu'il lui manquait il ne le trouverait que sur le champ de bataille, et pas dans un combat où sa vie n'était pas en jeu. Enfin bon, il allait devoir s'en contenter pour le moment. Hochant la tête, il repartait donc  à la charge, avec un peu plus de souplesse et de jeu de jambes que précédemment, bien décidé à ne pas laisser la demoiselle prendre la grosse tête.

Daemon avait été entraîné toute sa vie, afin de devenir le meilleur. Pas uniquement le meilleur guerrier, hache ou épée à la main, mais également le meilleur héritier d'une maison dont il aurait la charge, quand son heure serait venue. Il avait donc tout à prouver, à son père comme à lui-même, et c'était la raison pour laquelle il s'entraîner plus dur et plus souvent que quiconque car, au bout du compte, quand son heure viendrait de prendre le manteau de Lord, ses talents feraient la différence. Alors oui il s'était déjà entraîné mais en avait encore largement en réserve, il ne souhaitait simplement pas s'étendre sur le sujet car, au final, la fatigue ne faisait-elle pas partie du jeu ? A l'avenir il allait devoir se battre sur plusieurs terrains, dans plusieurs conditions et ses adversaires n'attendraient pas bien sagement qu'il reprenne son souffle.

Alors oui, une partie de lui voulait croire en la bienveillance de Lyanna, quand elle proposa de faire une pause s'il n'en pouvait plus, mais une partie de lui, plus fière, refusa de céder à cette facilité. Il était homme à vouloir pousser encore et toujours plus loin, afin de connaître et repousser ses limites chaque jour. Il ne rebondit donc pas sur la proposition de la demoiselle, car il savait qu'un instant de faiblesse ou de relâchement pouvait faire la différence entre la vie et la mort. Il ne s'attendait pas à ce que la Stark comprenne, elle qui n'avait jamais vu ce qu'un homme pouvait faire subir à un autre homme, elle qui n'aurait jamais à observer et participer aux plus sanglants des massacres jamais connus. Qu'elle reste donc avec ses idées et son imagination, car la réalité était bien pire que tout à qu'elle pouvait imaginer.

Les coups s'échangèrent donc de plus belle, rapides et secs, nés de la détermination de l'un et de l'autre, jusqu'à ce que ce soit le tour de la Stark de prendre un peu de distance, pour reprendre son souffle. Daemon fut tenté de se moquer à son tour, mais ce fut la proposition de la demoiselle qui lui coupa l'herbe sous le pied. Après avoir douté de son intérêt pour les femmes, douté de sa capacité à plaire et produire un héritier, maintenant elle lui demandait d'être son cavalier au mariage pour lequel ils étaient ici, tous les deux ? Était-ce une blague de mauvais goût, ou le nom qu'elle portait la rendait insensible aux conséquences de ses paroles ? Daemon trouvait la Stark trop sûre d'elle, avec une trop grande bouche pour être à son goût et, si tout ceci n'était qu'un jeu d'apparence et n'impliquait rien de plus, il n'était pas pour autant enclin à accepter.




Il aurait pu dire qu'il allait au mariage avec Willona Reed, la sœur de celui dont il avait été l'écuyer, jadis, mais avait-il vraiment besoin de se justifier ? Il ne s'attendait pas à grand chose de Willona, mais ce mariage serait l'occasion de resserrer les liens entre les maisons du Nord, notamment. Il avait donc un rôle à jouer là-dedans, et il comptait bien se montrer à la hauteur.




Eh bien oui, il fallait bien nourrir un grand gaillard comme lui, non ?

La demoiselle était encore jeune, elle n'avait pas encore accepté que, toute femme qu'elle était, elle n'aurait jamais vraiment son mot à dire dans beaucoup d'aspects de sa vie. C'était injuste, certes, mais c'était malheureusement ainsi qu'allait le monde depuis des temps immémoriaux. Ainsi, lorsqu'elle mentionna le choix qu'elle n'avait pas, la décision imposée, le Cerwyn ne réagit pas. Pourquoi ? Déjà parce que sa situation était différente, essayer de comprendre serait  hypocrite de sa part, et ensuite parce qu'il était bien trop tôt pour avoir un débat sur la place de la femme dans la société. Au lieu de cela, il attrapa la main qui lui fut tendue, pour mettre fin à cette session d'entraînement, écoutant la Stark le complimenter et le remercier pour le temps qui lui fut accordé.

Il s'était attendu à ce qu'on lui propose un verre ou un repas chaud mais, au lieu de cela, la Stark insista pour que Daemon prenne un bain. Certes, il allait se lever dans ses quartiers, mais ce n'était pas dans ses plans immédiats, il corrigea donc d'un :




Pensant que l'affaire était close, il suivit donc la Stark à l'intérieur du château, pensant pouvoir se remplir la panse mais, une fois encore, la demoiselle sembla obstinée à l'idée que Daemon se débarrasse de sa crasse. Oui, il puait à cause de l'entraînement : était-ce une raison pour insister de la sorte ? Commençant à être agacé par cette insistance, il reprécisa à nouveau :




Il était encore assez grand pour s'occuper de son hygiène tout seul, non ?  Seulement voilà, l'ordre avait été donné, le bain était déjà en train d'être coulé : il n'était plus possible de faire machine arrière, pas sans se montrer grossier, en tout cas. Il laissa donc la Stark rejoindre ses quartiers et, de son côté, il lui fut allouée une pièce, le temps du bain. Il resta là, à observer le liquide chaud devant lui, avant de soupirer et de commencer à poser ses affaires sur une chaise, juste à côté.




Alors qu'il plongeait dans le liquide chaud, il sentit ses muscles se détendre instantanément sous l'effet de cette chaleur intense. Les yeux fermés, la tête rejetée en arrière, il resta là, parfaitement immobile, profitant du silence de cet instant en comprenant bien que...




D'ici quelques instants il allait finir de se laver, se rhabiller et sortir pour retourner dans ses quartiers. D'ici quelques instants, oui, mais il pouvait rester là encore un peu. Juste quelques secondes de plus.

Fils de seigneur ou non, le jeune homme savait qu'il devait faire attention à son image, bien évidemment, mais il avait surtout été élevé au milieu de soldats. Ses critères en terme de luxe et de confort étaient sans doute un peu plus bas que la normale, ce qui expliquait que, après un entraînement, il préférait trouver un seau d'eau ou une rivière, et cela ferait très bien l'affaire pour se faire un petit coup de propre. Il n'en attendait pas plus, il n'en demandait pas plus non plus mais il ne s'attendait pas à ce qu'on l'invite à prendre un bain, dans l'enceinte de Winterfell...il ne s'attendait pas non plus à ce que cette proposition vienne d'une personne qu'il ne connaissait guère. Bien sûr il n'était qu'un invité ici, il ne voulait donc pas se montrer grossier en refusant une telle offre, mais il devait bien avouer qu'il n'était pas à l'aise du tout.
Oh certes il était détendu mais, quitte à prendre un bain, il aurait préféré le prendre à Castel-Cerwyn plutôt qu'ici. Enfin bon, il n'allait pas faire la fine bouche, le geste était apprécié d'autant plus qu'il allait être suivi d'un repas, mais il savait aussi qu'il n'allait pas trop prolonger son séjour dans ces murs. Il avait d'autres choses à faire, d'autres personnes à voir pendant le temps qu'il passerait ici, alors autant ne pas perdre de temps. S'extirpant de ce bain à regret, le guerrier se hâta de se sécher et s'habiller, prenant le temps d'attacher ses cheveux en arrière. Devrait-il penser à les couper, un jour ? Ce serait plus pratique, oui, mais laisser ses cheveux avec une telle longueur n'avait absolument rien d'inhabituel pour un nordien. Du moment que cela ne le gênait pas pour le combat, c'était tout ce qui comptait, au fond.

Vérifiant qu'il était rhabillé correctement, à présent, le jeune homme prit une profonde respiration, poussant doucement la porte avant de pénétrer dans le couloir. Balayant les deux bouts, curieux de voir s'il allait croiser quelqu'un d'autre, il était quelque peu soulagé de se savoir seul, pour le moment. Bon, quelle direction à présent ? Devrait-il faire son impoli et rentrer dans ses quartiers directement ? Non, un repas avait été préparé, il serait vraiment grossier de renvoyer les plats en cuisine, pour retourner manger seul dans ses quartiers.




Il allait donc prendre le temps de manger, de se remplir la panse, de remercier la jeune Stark pour ce geste fort appréciable et, ensuite, il allait retourner lire un petit peu, histoire de cultiver son esprit. Il était un guerrier, certes, mais faire travailler son cerveau n'était jamais une mauvaise chose non plus. Allez, à la bouffe !