Gamin, lorsque vous jouez à la guerre avec vos amis, tantôt en vous répartissant en deux camps adverses, tantôt en vous amusant avec quelques soldats en bois ou en plomb, il y avait une notion de joie pour le gagnant et de tristesse pour le perdant. Or, la réalité était si différente ! J’avais tant perdu et tant gagné sur ces derniers affrontements pour défendre mes terres, que ce soit sa prospérité ou son indépendance, que je n’arrivais plus à savoir quand nous pouvions parler de victoire ou de défaite.

Pouvait-on célébrer une bataille remportée, quand vos pertes étaient supérieures à celles de votre adversaire ? Devait-on punir son général, quand il a préféré préserver un grand nombre d’hommes plutôt que de les sacrifier pour remporter une place ? Dans le premier cas, nous étions affaiblis en nombre vis-à-vis d’ennemis toujours nombreux et constants mais nous avons pu avancer. Dans le second cas, nous étions indemnes mais nous reculions – or reculer était synonyme de mort, ou de piège ou de perte.

L’œil rivé sur l’horizon, j’estimais déjà la boucherie qui se préparait. Les hommes allaient crever en nombre, soit sous les feux d’un Dragon, soit sous les flèches enflammées de l’adversaire, soit sous la lame de ces derniers. Le sol allait se gorger du sang des ennemis et des alliés, et l’odeur allait attirer tous les vautours des horizons jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucun lambeau de chair à découvert et non picoré.

Je finis par détourner mon attention du champ de bataille, encore vide et non noyé sous le sang des alliés comme des ennemis, pour fixer mon allié, le Roi Manfred Hightower, Premier de son nom. Je m’étais lancé dans cette guerre sous l’impulsion et les assurances données par l’Ouest mais, en raison de la proximité des armées bieffoises comme d’intérêts communs, j’avais fini par échanger davantage avec cet allié inconnu. Jusqu’à récemment, il n’avait été qu’un nom sur un bout de papier dont les idées m’avaient inspiré et dont les stratégies m’avaient beaucoup appris en retour.

- Le Dragon impactera le moral des troupes. La situation pourrait tourner en notre désavantage à tout instant, qu’importe notre nombre, soufflais-je, me rappelant de mes propres déconfitures maritimes avec cette bestiole des Sept enfers. Si j’avais échappé à la perte complète de ma flotte, les marins en avaient gardé un bien amers et indélébiles souvenirs ! Les arbalètes et les armes de siège n’ont servi à rien, quand Il a attaqué le port de Goëville, dis-je, laissant échapper une pointe d’admiration malgré tout. La bête était belle, et puissante et surtout rare ! J’étais déjà désolé d’avoir à abattre une telle beauté de la Nature, sortie tout droit des Sept Enfers ou des Sept Paradis ! Avez-vous des archers avec des arcs longs ? m’hasardais-je. C’était les seules armes qui pourraient réellement percer la solide carapace de la créature, mais elles faisaient grandement défaut à ma propre armée. Hormis les arcs traditionnels ou les arbalètes, je n’avais rien d’autre à offrir contre une cible mouvante et volante, surtout. Si non … il faut trouver un moyen de l’amener à terre, et d’y rester.

Et je pense aussitôt à la cavalière. Si le Dragon était intouchable au ciel, ce n’était pas le cas de celle qui le chevauchait. Serait-il déstabilisé et vulnérable, si l’Impératrice était touchée par une flèche ?

Les rumeurs couraient bon train au sein du campement sur les différents Souverains. Si les avis étaient plutôt tranchés vis-à-vis du Roi Manfred et du Roi Lyman, l’affaire était autre avec moi. J’étais le « Jeunot », le « Roitelet », le « Faucon », ou le « Petit Roi » pour les Bieffois et les Ouestriens.

Mon mode de vie devait assurément soutenir ces multiples petites rumeurs. Ma tente était toujours illuminée par la flamme de quelques bougis, mais elle n’était jamais visitée par quelques compagnies galantes. Seuls les messagers entraient et sortaient à toute heure de la journée et de soirée, et hâtivement, le temps de me transmettre une missive – ou d’écouter leur prochaine mission. Mon oncle m’avait bien conseillé d’inviter une femme, pour ne pas subir les sobriquets de quiconque mais j’avais été sourd à l’affaire. Ma seconde épouse attendait aux Eyrié, avec un enfant dans le ventre. Elle était la preuve suffisante que je répondais à quelques exigences masculines ou que sais-je.

Il m’arrivait de quitter mon refuge en toile mais uniquement pour rencontrer quelques généraux, ou me mêler un court instant à ces troupes qui donnaient leur vie pour le Royaume. Bref, j’intriguais autant que j’étonnais ces troupes étrangères. Mes Seigneurs ne faisaient plus grand cas, habitués maintenant à mes humeurs et à mes caprices. Bon gré, mal gré, à force de victoires et de défaites, j’avais réussi à obtenir leurs respects et leurs loyautés. Enfin, et plus important, j’avais réussi à les unir sous une même bannière, et une même volonté. Je n’avais plus à craindre qu’une guerre civile éclate pour des motifs religieux ou politiques, et menace la stabilité du Royaume. Je n’aurais pas à crever contre un frère d’armes, mais contre l’ennemi.

Le Roi du Bief arrive, et il parle. Je ne dis rien, me contentant d’observer ciel et terre longuement, en assimilant ces nouvelles informations.

- Des cavaliers peuvent attirer la bête jusqu’à un point précis, non loin des archers qui se seront dissimulés en amont. Pendant que l’Impératrice aura toute son attention détournée vers cet appât, les archers pourront se dévoiler et lancer la première volée de flèches. Ils doivent essayer de viser, en priorité, le ventre de la bête : nos chances de toucher l’Impératrice seront plus élevées. Or sans cette dernière, le Dragon manquera de coordination ou d’objectif, proposais-je. Nos troupes à pied doivent bloquer tout soutien que l’armée impériale peut apporter à leur Souveraine. Cette dernière doit être totalement, et pleinement isolée, conclus-je.

Ce plan s’appuyait sur une croyance un peu folle, celle que la bête a besoin de s’arrêter quelques secondes pour souffler la mort et le feu sur nos troupes. Or, qui dit arrêt, dit opportunité ! Si j’avais appris une chose avec cette guerre, c’était que le mouvement était gage de réussite, là où l’immobilité était promesse de mort et d’échec.

L’idéal serait que le Dragon a besoin d’un appui, ou un soutien, pour un souffle puissant mais j’ai de sérieux doutes sur ce point-ci. Autrement, nous ne serions pas à réfléchir sur comment l’abattre, aujourd’hui.

Manfred Hightower est un saint homme très respecté par les siens et le Grand Septon. Pourtant, en sa présence, je ne me sens guère en sécurité ou en paix. Au contraire, un désagréable frisson me parcourt, celui que je ressens à chaque fois que je me sens terriblement en danger. Avec ce Souverain, j’ai le sentiment que le pire est à venir, que l’Impératrice et son dragon sont les dernières barrières … Quel gâchis ! Si seulement Rhaenys et Torrhen s’étaient contentés d’être Roi et Reine de leurs Royaumes de naissance, nous n’en serions pas là, à nous étriper ou à offrir davantage de crédit au Bieffois. Car oui, soyons honnête : mon allié ne m’inspire aucune confiance, malgré qu’il a respecté sa parole jusqu’à maintenant.

- Je partagerai votre humour lorsque nos hommes danseront autour de la tête du dragon, répondis-je, les traits des plus sérieux.

Je réfléchis ensuite sur la tactique proposée. Balayant le champ du regard, j’imagine les différents mouvements de troupes et j’essaye d’anticiper la réponse de l’adversaire. L’Impératrice n’est pas vivante par chance. Comme Manfred l’a souligné pertinemment, elle ne manque pas de bravoure, ou de force : elle sait inspirer ses hommes, et user à bon escient son dragon. Elle est une ennemie de taille, dont on pourrait se vanter d’avoir occis ou contre qui il n’y a nulle honte à perdre.

- Nous n’avons pas un dragon, ou son équivalent, à notre disposition : nous sommes désavantagés d’office, qu’importe notre nombre. En prenant en compte ce point épineux, nous devons envisager la possibilité que la manœuvre échoue totalement. Dans ce cas, que proposez-vous ? Le repli me semble bien impossible : nous aurons un dragon aux trousses, demandais-je.

J’ai ouïe dire que des armées ont pu fuir malgré que l’Impératrice et sa bête les pourchassent, notamment les armées biefoises. Qu’est-ce qu’une telle cavalcade exige ? Abandon de toutes les rations, armes et armures ? Insomnies sur de nombreuses journées ? Marche forcée vers une destination nébuleuse ?

Je soupire. Je me retrouve, encore, face à un choix terrible. Qu’est-ce que je déteste la guerre, par les Sept ! Plus que jamais, j’aspire à la paix. Pour autant, je ne me leurre pas : elle est éphémère. Je suis un jeune Souverain, et je vais surement être témoin de nouvelles tensions, voire acteurs de futurs conflits : je vais réendosser cette armure dans le futur, si je survis à cette bataille. Est-ce que je serais si las de batailler, que j’emprunterai le même chemin ambitieux – quoiqu’un peu fou – de ceux que je combats aujourd’hui même ? Si tel est le cas, quelle ironie !

- Bien, faisons comme vous proposez. Ne perdons pas de temps avec davantage de discussions. La meilleure défense est l’attaque : nous devons nous imposer, sans tarder, en menant les premières manœuvres, décidais-je.

Les ordres sont donnés. Et les jeux sont faits !


PS : je te laisse décider si on décrit la bataille, ou si on passe direct après bataille ?

Une bataille menée par des hommes, et ne prenant en considération que des hommes, peut être prévisible. La répartition respective des forces en présence, le terrain ou encore le nombre sont tant d’éléments qui peuvent déterminer l’issue d’une bataille. En cours de jeu, le gagnant peut se démarquer aisément – ou difficilement. Toujours est-il que le ton est vite donné. Si inverser une tendance est difficile, elle n’est pas impossible. Il suffit d’un génie militaire pour imaginer les actions les plus audacieuses et ingénieuses ou pour se sortir d’un guêpier qui devrait clouer toute son armée.

Or, nous ne menons pas un combat contre des hommes. Notre féroce et principal adversaire est une femme, chevauchant une Dragon. Nul besoin de stratégie avec une telle bête entre les jambes. Par sa seule présence, la créature insuffle la peur dans nos rangs et le courage dans les rangs adverses : le moral des troupes impacte bien vite la tournure d’une confrontation. Par un souffle, la chose peut décimer des unités entières, tout en préservant ses alliés : le nombre devient vite un paramètre insignifiant et ridicule.

Sans tarder, et comme entendu, je dirige mon infanterie et la place afin d’être la première ligne de front de l’armée adverse. Nous allions être une barricade à cette dernière, et préserver autant que possible la cavalierie bieffoise. Cette dernière doit abattre l’Impératrice – et nous assurer une victoire quasi certaine par conséquent. Si la formation est bonne, rien n’est sûre avec la Maison Targaryen et ses âmes damnées. Nous ne pouvons que prier les Sept pour qu’une flèche atteigne la cavalière, et que d’autres crèvent les yeux ou mettent à mal les ailes du Dragon.

La cavalerie impériale vient à la rencontre des miens. Certaines têtes valoises tombent, certains Impériaux s’écrasent sous leur cheval. Nous frappons ceux qui ne portent pas nos couleurs, sans savoir si nous frappons un jeune ou un vieil homme, sans savoir s’il est encore armé ou non, s’il se défend ou s’il attaque. Non loin, j’entends un second fracas : la cavalerie bieffoise frappe également, déboussolant nos ennemis, et nous offrant davantage d’ascendant !

La victoire aurait pu être notre, si un cri ne nous force pas tous à relever – le temps d’une seconde – la tête vers le ciel. La seconde suivante, deux volets de flèches sont lancés vers le ciel – nous obligeant à retenir le souffle. Et puis, la troisième seconde, une vague de chaleur traverse les rangs – ardente pour ceux qui sont près de la colline encore, supportable pour ceux qui en sont éloignés. Incapable de savoir si la tactique a réussi, j’hurle, j’insiste : il faut repousser et battre l’armée.

Que vaut une Souveraine sans armée ? Rien. Elle sera seule contre des milliers.  
Que vaut cette armée sans sa Souveraine ? Rien. Elle sera en infériorité numérique et désorganisée.

A défaut de mettre à genou la Peyredragonienne, il faut s’attaquer à ces hommes et sans trainer. J’hurle, j’insiste, je pousse avec la Garde du Faucon encore debout. La pression monte subitement : les Impériaux veulent supporter les actions de leur Impératrice dans notre dos, et nos gens qui veulent tout bonnement se frayer un chemin vers un terrain plus propice et moins étouffant. L’armure se fait lourde, presque collante, mais on doit supporter. C’est un mal pour un bien, une douleur pour une vie …

Au loin, j’entends un hurlement. Celui du Dragon. Je n’ose pas relever la tête à nouveau, trop préoccupé à la garder sur mes épaules face à des adversaires tantôt plus grands, tantôt plus massifs.

*** je te laisse décider sur l'avenir du Dragon et de Rhaenys Alternatif ***