La situation est bien critique. Je ne suis pas friande des lettres reçues de Torrhen et de Rhaenys. S’ils sont similaires – deux parents inquiets, deux monarques à l’avenir incertain –, leurs recommandations respectives se contredisent. Ils ne me mettent pas pied au mur, ils me demandent inconsciemment – ou consciemment – de choisir entre l’un et l’autre. J’ai bien envisagé des scénarios vis-à-vis de ce couple impérial : Rhaenys qui peut mal juger mon attachement pour Torrhen ou, encore, mal voir mon ambition naturelle pour tout ce qui touche au pouvoir, le Loup qui peut craindre qu’un jour ou l’autre ma jalousie empiète sur mon raisonnement et ma loyauté, ce même Loup qui a ses maitresses, la Dragonne qui a ses amants, la gestion de bâtards et d’illégitimes … Jamais, ô grand jamais, je ne pensais qu’obéir à l’un revenait à désobéir de près, ou de loin, à l’autre.

Anxieuse, je décide de prendre le grand air. J’ai à écrire à tête reposée, à prendre la décision la plus adéquate et la plus convenable, celle qui m’assure encore la confiance de deux souverains qui ne semblent plus communiquer – ou alors qui ne savent plus ce qu’ils ont décidé communément. Cheval au galop ; je fonce sur ces terres immenses d’apparence mais si petites en comparaison du grand Nord. Les distances s’allongent, le temps passe, le jour laisse petit à petit place à la nuit.

Perdue dans mes pensées, je remarque à peine là où je mets pied ou la trajectoire de l’astre solaire. J’entends intendante au loin, j’ignore. J’entends, encore une fois, intendante et grommelle quelques mots indistincts. La troisième intendante résonne. Là, je relève la tête, agacée au plus haut point et tente de ralentir le cheval. Je braque trop violemment la bride, la bête est déstabilisée. Elle hennit, elle menace de me faire tomber. Je peine à retrouver le contrôle. Mes muscles sont bandés. Au loin, j’entends la voix de deux à trois hommes, tentant de calmer la brave bête.

Ils y arrivent. Souffle court, joues rouges, membres fébriles, je mets pied au sol et observe mon environnement. Je sais où je suis, et je sais qui m’entoure. Je ne suis pas loin du nouveau campement d’entrainement et la petite cohorte curieuse qui s’est rapprochée est composée de Garlan Goldwyne et une à deux jeunes recrus. Quant à celui qui hurlait « intendante » à trois reprises, il est un garde du palais impérial qui a eu pour ordre de me retrouver. Mon absence inhabituelle a inquiété certains, apparemment. Confuse, je tente de retrouver un semblant de calme.

- Je me porte bien, soldats. Je vous remercie de vos inquiétudes. Je vous prie de reprendre vos occupations. J’ai besoin d’échanger quelques mots avec Lord Goldwyne.

Les jeunes s’éloignent, ne me laissant qu’avec le Bieffois en question.

- Commandant Goldwyne, je m’excuse tant pour mon intrusion que pour ma gaucherie. Il semble que j’ai trop rêvé à dos de cheval, au point de parcourir trop de lieu. Acceptez-vous de m’avoir comme invitée, le temps de briser le pain et le sel avec vous ?

Loin des champs de bataille martelés par les tempêtes et les vents des terres de l’orage, loin des plaines alluviales marquées par le sang des combats récents entre les forces de l’Empire et de l’Ouest , Garlan devait se résoudre à donner le meilleur de lui-même, ici, à la capitale. Il aurait préféré se battre dans l’ost de l’Empereur comme il avait déjà pu le faire à plusieurs reprises dans le passé, montrant ce dont il était capable sous la bannière impériale et étant prêt à tout donner pour elle. Savoir que certains de ses proches prenaient plus de risques que lui en ce moment-même, que des amis risquaient à chaque instant leur vie dans une malencontreuse escarmouche, cela lui était insupportable. Il était loin de toute zone de conflit, étant forcé de rester à distance au vu de son état.

Il retrouvait chaque jour des forces, mais il ignorait s’il retrouvait toutes ses forces d’antan, il faisait tout pour en tout cas. Et si ça ne devait pas être le cas, il aurait fait de son mieux en s’exerçant tous les jours à la tâche et devrait s’adapter à cette nouvelle condition. Cela ne serait guère aisé, mais il espérait pouvoir un jour retourner sur le champ de bataille, là où était sa place de guerrier et d’officier dans l’armée impériale. Voulant se montrer utile, il demanda à l’Empereur ce qu’il pouvait faire ici à la Capitale pour participer l’effort de guerre. La formation et l’entrainement du nouveau corps d’armée de réserve lui furent confiées. Une tâche dont il s’acquittait avec ferveur, en sachant que les armées sur le front avaient besoin de ces renforts au plus vite pour pouvoir à la fois tenir la ligne de front, mais également progresser dans la campagne.

Cependant, après tant de mois de conflit, les réserves matériels et humaines avaient été plus qu’affectées. On avait fait en sorte de mobiliser les plus fringants gaillards lors du premier appel en leur donnant du matériel de bonne qualité. Matériel qui avait été par la suite largement répandue et envoyée par aux différentes armées de l’Empire via le train de ravitaillement, amenuisant considérablement les stocks. Garlan devait composer avec ce qu’il avait, avec les fonds de tiroir, le temps que les forgerons et les différents artisans puissent proposer un équipement décent aux nouvelles recrues. Et ces nouvelles recrues, parlons-en… Comme dis, les plus fringants et costauds avaient fait parti de la première levée. Même s’il avait pu trouver certains individus d’âge moyen, ayant étant été dispensés par leurs activités essentielles à l’économie de l’Empire lors de la première levée, on retrouvait aussi nombre de jeunots qui avaient vu que trop peu d’années passées ou d’autres vieillards qui avaient connus trop de guerres.

L’officier savait qu’il pouvait compter au moins sur leur expérience du combat… Il n’avait pas le choix, il devrait composer avec cette bande hétéroclite. Il serait leur nouveau commandant, il les formerait pour qu’ils soient dignes de marcher fièrement sous la bannière impériale, de tenir solidement une ligne, de composer avec les différentes unités et de défendre chèrement leur vie. Il y avait beaucoup à faire et si peu de temps pour se faire… C’est dans ce contexte que nous retrouvions notre héros !

Ce dernier avait emménagé depuis plusieurs semaines dans le camp de formation de l’armée impériale encore en construction. Il avait fallu du temps pour que ce dernier se montre décent, les premiers équipements pour accueillir les nouvelles recrues avaient été fait de bric et de broc. Ils avaient dû regretter amèrement de quitter ainsi leur chez-eux pour se retrouver alors dans un tel endroit. Grâce à l’Intendance, il avait pu obtenir davantage de moyens pour ces guerriers en devenir. Ils avaient pu connaître de vilains jours de pluie précédemment, aujourd’hui, le ciel était obscurci par les orages chargées, mais il ne pleuvait pas. Le terrain était détrempé et pourtant le camp était en effervescence. Des recrues s’entrainaient par petits groupes sur différents ateliers sous l’ordre de sergents issus du Guet de la capitale et de vétérans volontaires.

Entrainement, préparation du matériel, marche au pas, tout un tas d’exercices et de manœuvres étaient réalisés chaque jour pour enseigner la discipline impériale. Garlan passait en revue ses troupes en passant d’atelier en atelier, boitillant, il faisait en sorte de ne plus utiliser cette maudite canne. Des douleurs latentes persistées, il passait outre pour que cela ne se voit pas sur son visage. Son attention se porta alors vers l’allée principale du camp lorsque les bruyants hennissements d’un équidé se firent entendre. Il s’y dirigea et constata que la scène avait attiré son lot de curieux. Il reconnut immédiatement la cavalière qui n’était qu’autre que l’Intendance de l’Empire, Lady Nelya Omble. Cette dernière semblait bien avoir due mal à calmer sa monture, ses hommes l’y aidèrent. La dame semblait plus que confuse par la scène, il rebondit sur ses propos en tonnant d’une voix forte à l’attention des recrues à proximité : « Vous avez entendu la dame, messieurs. Retournez à l’entrainement ! Il se retourna vers des sergents en repos non loin de la scène : « Sergents, entrainement par groupe de deux aux attaques et parades à l’épée pendant une heure pour la première cohorte. Le terrain central est particulièrement détrempé et boueux, vous y réaliserez l’entrainement d’aujourd’hui. Vous mettrez ensuite les recrues en ordre de marche pour manœuvrer autour de la capitale. Je veux un ordre de marche impeccable et aucun tir au flanc ! »

Le terrain d’un champ de bataille était un véritable bourbier à force d’être piétiné, autant leur proposer un paysage le plus fidèle à la réalité pour s’exercer. Les sergents scandèrent leurs ordres et les recrues se rassemblèrent au loin par groupes sur le terrain d’entrainement. La cohue dispersait. Garlan s’avança vers la monture de la nordienne : « Vous n’avez point à formuler d’excuses, Lady Omble. Sans votre aide et les moyens que vous y avez alloué, ce camp, la formation des recrues et la mission de l’Empereur auraient été des objectifs difficilement atteignables. Et j’accepte bien entendu, Lady Omble, cela sera un plaisir ! Je n’aurai guère de grands mets à vous proposer, mais je pense que cela devrait vous satisfaire tout de même. »

Suite à cela, il proposa son assistance pour l’aider à descendre de sa monture et héla un palefrenier pour qu’il s’occupe du cheval en l’absence de sa maîtresse. Une fois qu’elle eut pied à terre, il lui désigna le chemin d’un geste élégant de la main pour l’inviter à le suivre. Une grande tente de commandement située à plus d’une centaine de mètres de là. Alors qu’ils se dirigeaient doucement vers sa tente : « J’espère ne point ne montrer trop indiscret, Lady Omble. Cependant, vos « rêveries » à cheval ne seraient-elles pas induites par de mauvaises nouvelles du front dont je n’ai pas encore été informé ? » Si cela était le cas, ça ne saurait tarder, l’Empereur lui avait confié la défense de la Capitale et si les événements tournaient au vinaigre au front, il avait déjà pris des dispositions pour mener à bien la défendre de Fort-Darion.

Ils passèrent par de nombreux groupes de soldats en formation menées à la baguette par leurs instructeurs. L’intendante put apprécier le jeune âge des nouvelles recrues, ou au contraire l’ancienneté de ces dernières. Ils arrivèrent enfin à sa tente, Garlan dépassa l’intendante d’un pas pour lui ouvrir le voie en levant la toile : « Vous ne retrouverez certainement pas les fastes du château impérial, mais il y a tout le nécessaire pour notre entretien. Je vous en prie, Lady Omble.« /span> »