Between earth and heaven

On retiendra de notre ambition qu'elle était digne
Avec un soupçon d'utopie
On retiendra de notre passion qu'elle était fine
Pas du genre de celles qui détruisent

Une sorte de calme après une affreuse tempête. C'est ce qu'a débuté la naissance de Joy, une accalmie. Après les cris, les pleurs et les menaces, les mots dangereux qui flirtaient avec une haine qui semblait réelle, il a accepté de l'accompagner. Ce devrait être la fin de l'histoire mais rien n'est jamais aussi simple.

Jeyne est exténuée mais encore suffisamment rationnelle pour savoir que rien n'est gagné. Elle est pleine d'espoir mais pas assez stupide pour penser que leur départ signe le début d'une nouvelle ère, que l'amour a fini par triompher et que tout est terminé. Mais naïvement, ce qu'elle retient, c'est qu'il a fait un pas vers elle. Qu'il est monté avec elle dans cette calèche au lieu d'essayer de l'en dissuader. Et c'est tout ce dont elle avait besoin. D'un pas vers elle. Sa présence rend le trajet bien moins pénible, bien que la douleur continue de pulser douloureusement dans sa chair à chaque soubresaut de cette voiture terriblement instable. Elle ne se plaint pas, pourtant. Ce voyage, elle l'a voulu. Elle l'a réclamé de très nombreuses fois et l'a finalement obtenu. Alors elle s'endort, de temps en temps, pour se réveiller quelques minutes après. L'Ouest est belle et ces terres là, pas encore ravagées par la guerre. Un apaisement, sans aucun doute.

Mais derrière le calme, les perturbations. Encore, toujours. Tout ce qui pèse entre eux, les non-dits et les actes qu'elle ne peut tolérer. L'assaut sur le Nord, les gens qui souffrent encore. Ses gens. De la main de son mari. Alors il y a la culpabilité de tant apprécier sa présence alors qu'eux subissent encore les affres des combats et il y a aussi celle de quitter sa place, sa juste place. Celle de mère. Auprès de Joy qui vit déjà ses premiers instants sans elle et auprès de Martyn qui n'a cessé de la voir triste. Ces pensées la tourmentent et la poussent à garder le silence, pas par mépris mais parce qu'elle ne saurait par où commencer. Pourtant, une forme d'urgence nait en son sein. Elle sait qu'ils doivent avancer, dans une direction ou dans une autre. Et que l'un ou l'autre, voire les deux, devront renoncer à quelque chose s'ils souhaitent demeurer ce qu'ils sont.

Deux mains liées entre elles.  

Quand il la prend, cette main qui lui appartient déjà, elle ne la lui refuse pas. Parce qu'elle n'en a aucune envie et parce qu'elle sait qu'il en a besoin autant qu'elle. De cette proximité qu'ils se sont si longtemps refusé, à se fuir l'un l'autre et à se croiser sans l'avoir fait exprès. Sa question manque de la faire rire, alors qu'elle observe leurs mains nouées.

- Non.

Elle ne ment pas. Elle ne l'a jamais détesté, pas une seconde de sa vie.

- Ça aurait été plus facile que je puisse te détester.

Ils auraient pu devenir un de ces couples tristes, comme l'étaient Jordane et Loren Lannister. Ceux qui cohabitent mais ne vivent pas vraiment ensemble. Jeyne ne se souvient plus exactement de ce qu'il y avait entre ses propres parents. De l'amour, sans aucun doute. Beaucoup d'absence aussi.

- Mais tu restes la seule personne que je sois en capacité d'aimer ainsi.

Elle a essayé, pourtant. De s'imaginer ce qu'aurait été une vie sans lui, ou de se projeter dans un avenir où il n'y est pas. Mais rien. Jeyne entrelace leurs doigts plusieurs fois, les passe sur la paume de sa main. Rien qu'elle n'imagine pouvoir surpasser ça.

- Et je sais que tu le fais pour moi. Je sais et je t'en remercie.

Même s'il ne le dira pas, elle sait qu'il n'a aucune raison d'être dans cette calèche si ce n'est qu'elle s'y trouve aussi. Et contrairement à ce qu'il semble penser, elle le comprend. Jeyne soupire.

- Je n'ai cessé de te défendre, tu sais.

Qu'elle assène, comme désireuse de rétablir une vérité qu'ils ont peut-être déjà oublié. Celle qu'ils n'ont de cesse de se battre l'un pour l'autre.

- Ils t’ont appelé traitre et menteur, ils m'ont dit que tu n'as ni honneur ni égard pour tes semblables. Et je t'ai toujours défendu parce que je sais parfaitement que tout ce que tu fais, tu le fais pour notre famille. Pour ce qui te semble juste. Et pour ton royaume.

Elle n'est pas d'accord avec les actes en question mais n'a jamais douté des raisons qui les motivaient. Jamais.

- Et je sais aussi que des questions te hantent et te poussent à la méfiance. Tu as trop perdu pour ne pas te méfier.

La mort de son père et de sa sœur ne remontent pas à très loin et demeurent particulièrement mystérieuses. Et au fond, elle sait que ça le ronge toujours. Il cherche alors des coupables et fait de son mieux pour démêler mensonges de vérités distordues.

- Et toi ?

Jeyne lève le nez qu'elle gardait baissé, les yeux résolument fixés sur leurs mains.

- Regrettes-tu notre mariage, parfois ?

C'est une question qui la tourmente depuis le début de leurs interminables conflits. Cette part de doutes qui lui souffle que peut-être, de temps en temps, il aurait préféré ne jamais l'avoir rencontré.

Between earth and heaven

On retiendra de notre ambition qu'elle était digne
Avec un soupçon d'utopie
On retiendra de notre passion qu'elle était fine
Pas du genre de celles qui détruisent

Ce qui la frappe de plein fouet, c'est que rire ainsi lui manquait terriblement. Rire avec lui, de tout, de rien. Surtout de rien. L'idée la percute comme les vagues s'écrasent contre le Roc, avec cette même brutalité. Et alors à nouveau, c'est évident. S'arrêter, ce serait comme cesser de respirer. Elle se demande distraitement, mais sérieusement, quand est-ce qu'elle a laissé faire ça. Quand est-ce qu'elle l'a laissé, impunément, devenir l'air qu'elle inspire.

- Menteur.

Le sourire niais d'une adolescente énamourée sur les lèvres, elle secoue la tête. Il a douté, comme elle doute à chaque instant de leur capacité à traverser ces épreuves sans finir inévitablement ébréchés. Sans changer. Elle doute aussi de sa famille, de ses actes à lui et de ceux de l'ancienne reine Lannister. Elle doute d'eux et du bien-fondé de leur couple, qui n'a politiquement plus lieu d'être depuis que la guerre a éclaté. Elle observe Sybelle, Enorya et elle doute. Encore et encore. Ce qui n'empêche en rien l'amour inconditionnel d'exister. Peut-être dans une version un brin plus empoisonnée qu'elle ne l'était avant que ces doutes n'émergent.

- C'est ce qui fait ton charme, en quelque sorte. Je ne sais pas si Jon parviendra à le comprendre, cela dit.

Et en y réfléchissant mieux encore, elle se rend compte qu'il n'y a pas eu d'avant ces doutes. Leur couple entier est construit, fondé sur des incompréhensions, des manqués, des disputes stériles et des doutes. C'est aussi ce qui fait sa beauté, en quelque sorte. Que rien ne soit parvenu à les séparer.

- Je suppose que ma mission diplomatique consiste finalement à faire passer ton manque d'honneur pour une irrésistible qualité.

Son regard toujours amusé cherche le sien, déjà plus sombre. Et elle le sait, c'est déjà terminé. Ce moment d'insouciance, cette douceur dans ses yeux. Quand elle reprend la parole, sa voix n'est plus aussi légère qu'elle l'était. Il y a déjà, prématurément, un peu de cette appréhension nichée au fond de son ventre. Elle vient dévorer tout ce qu'il y a de jeune en eux, tout ce qu'il y a d'innocent.

- Tu me rends heureuse.

Elle a l'impression de supplier, déjà. Attends, arrête. Ne nous abandonne pas. Pas comme ça. Elle écoute pourtant. Jusqu'à la fin. Elle est attentive aux conditions qu'il pose à leur présence ici, dans cette calèche. À cette démarche. Cette première étape renforce l'appréhension qui la ronge. Écoute la suite, acquiesce pour marquer son approbation. Et c'est ensuite l'intolérable qui vient, qu'elle entend tout de même. Mais qu'elle n'écoute pas. Jeyne retire sa main de celle de son mari, brûlée.

- Tu n'as pas le droit.

Elle est blessée comme elle n'a jamais été. Ses yeux se noient déjà dans des larmes qui ne coulent pourtant pas. Elle se contentent de bouillir dans ses orbites, chauffées par toutes les émotions contraires qu'elle ressent. Elle s'imagine bondir hors de cette calèche et faire comprendre au monde entier toute la colère qu'elle ressent face à ce discours là. Elle se contente pourtant de le regarder pendant plusieurs secondes, figée. Terrifiée.

- Tu n'as pas le droit de me laisser seule là-bas. Tu n'as pas le droit de me dire ça.

Elle fait comme si l'idée lui était entièrement étrangère. Comme si elle n'y avait pas déjà penser avant, à le laisser. Elle y a pensé. Souvent. Mais l'entendre le lui proposer, c'est comme être poignardée.

- Ne me dis pas ça.

Retiens moi. À nouveau, elle supplie. Elle sait, au fond. Elle sait ce qu'il fait. Elle sait qu'il a raison. C'est elle qui se poignarde elle-même, dans cette histoire.

- On s'était promis qu'on serait différents.

Ils s'étaient promis qu'ils ne répèteraient pas les mêmes erreurs que leurs ainés. Qu'ils feraient mieux, qu'ils seraient vieux, qu'ils mourraient ensemble. Jeyne aurait préféré la colère mais cède au désespoir. Celui-là même qui l'écrase de tout son poids. Les larmes coulent enfin, mais elle secoue la tête. Elle ne veut pas de cette discussion, la rejette en bloc. Jeyne croise les bras autour d'elle, se refuse à le regarder.

- Tu vas faire la paix avec l'empire de mon père. Nous allons faire cette paix. Il n'y a aucune autre option.

Parce qu'elle n'imagine rien d'autre d'heureux qui puisse exister.