La situation à Dorne restait tendue. Des mois que la Principauté avait accepté la Paix de Boycitre. Presque un an. Et la situation s’améliorait, progressivement. Le commerce reprenait. Les soldats rentraient chez eux, pour ceux qui avaient survécu, et qui avaient été payés. L’arrière pays restait dévasté, aussi bien par la politique de la Terre Brûlée des dorniens que par les déprédations des bieffois, des croisés, des fer-nés et même des ouestriens qui avaient participé à la croisade sous bannière Lannister. Des rescapés des combats, civils et militaires, se constituaient en bandes de brigands et rançonnaient fermes et voyageurs. Mais malgré ces troubles à l’ordre public dans les campagnes, les villes se reconstruisaient, et les familles se retrouvaient entre soldats et déplacés qui rentraient enfin chez eux.
Il y avait aussi les longues cohortes de missionnaires, venus des autres royaumes bien plus fervents des Sept, qui venaient prêcher sur les marchés, déboulaient dans les tavernes et les bordels avec des croisés armés pour forcer aux conversions ou à la mise au feu d’idoles impies. Partout, de la rancœur, envers cette « Odieuse Paix » comme la surnommait le peuple. Evidemment, cela nourrissait ici et là des amitiés envers la cause de Mahée Allyrion et de la rebéllion qu’elle menait contre la Princesse Deria et sa famille, qui avaient accepté les conditions ennemies. Mais beaucoup n’oubliaient pas les histoires sur l’abandon de Dorne par l’Empire… Le peuple encaissait depuis des mois les vexations, contre la promesse d’un retour rapide à la prospérité.
Mais malgré cela, la rancœur continuait de monter, et même le retour à un certain confort de vie, loin de toute perspective de disette, ne suffisait pas à éloigner la peur de drames et de privations. La rebéllion provoquait des combats dans l’Est de la Principauté et le Bief écrasait sous sa botte plusieurs fiefs conquis.
Ce fut aux Météores que l’étincelle mit le feu aux poudres.
Les Dayne étaient proches du pouvoir dornien, l’année d’avant. Et puis, leur ville avait été mise sous blocus de la Flotte de Fer. La région avait été pillée et incendiée. La ville assiégée, avait subi des bombardements pendant des semaines, et la disette avait menacé. Sous ses murs, une armée de secours menée par le Prince de Dorne et ses principaux généraux avait échoué, et la citadelle avait fini par se rendre, l’un des membres de la fratrie Dayne préférant se suicider plutôt que de rendre sa bannière aux bieffois. La ville, mise au pas, était la première à bénéficier de la reprise du commerce et de l’activité économique de la Principauté. Mais la haine envers l’ennemi et la défiance envers le pouvoir Princier, accusé d’avoir abandonné la cité par sa stratégie d’évitement, avait éloigné les Dayne de la Princesse. Les missionnaires de la Foi étaient partout. Ils se permettaient beaucoup de largesses envers le peuple. Les temples dévoués à d’autres religions, des anciens dieux de la Rhoyne ou d’Essos, étaient fermés, voire incendiés. Ces vexations étaient encaissées, mais tout juste. Lord Dayne avait bien besoin de ses miliciens et hommes d’armes, rassemblés par quelques centaines depuis la fin des hostilités, pour maintenir l’ordre. Il avait refusé d’envoyer ses troupes à Lancehélion pour combattre les rebelles Allyrion, ayant bien d’autres chats à fouetter.
Et pourtant… Les Martell édictèrent de nouvelles lois promouvant la liberté de culte à Dorne. Cela rendit fous furieux de nombreux septons et missionnaires, qui pourchassaient avec plus encore de zèle toute trace d’hérésie. Le peuple se montait les uns contre les autres, entre fidèles ou non, et plusieurs fois le guet dû ramener l’ordre à coups de hampes dans la foule. Jusqu’à ce qu’un bûcher ne soit dressé, et que des catins, arborant tatouages et breloques en l’honneur des anciens dieux de la Rhoyne, ne soient poussées sur les fagots de bois. La foule perdit tout contrôle d’elle-même en assistant au drame et le guet fut débordé. Les missionnaires furent lynchés, littéralement, et mis eux-mêmes au feu. Le peuple était las des sévices et du fanatisme religieux qui les environnait depuis trop longtemps, pour un peuple plus habitué à une certaine liberté que dans d’autres royaumes. Les hommes d’armes de la Foi escortant les missionnaires répliquèrent mais furent bientôt massacrés par la milice urbaine, qui avait choisi son camp. Celui de leurs voisins, de leur propre famille. Les combats furent brefs et violents, sans pitié aucune.
Les bannières du Bief furent mises à bas, et couvertes d’inscriptions injurieuses, accrochées aux portes de la ville. Des marchands du Bief furent précipités du haut des quais, d’autres furent pendus pour profiter des malheurs de Dorne pour s’enrichir. En une nuit, des navires de commerce furent pillés et incendiés. Ceux et surtout celles qui furent accusés de collision avec « l’occupant » furent trainés dans les rues et violentés. On louait autant les Martell que la rebéllion, dans les rues en liesse. Le décret de liberté de culte d’un côté, la promesse d’être libérés à jamais du Bief de l’autre. Plus personne ne voulait se battre, sinon pour Dorne. Que ce soit volontaire ou pas, le pouvoir à Lancehélion avait mis le feu aux poudres.
Restait à savoir qui en profiterait, au final.
Le peuple savait qu’il risquait la colère et du Grand Septon, et du Bief, mais malgré la débauche de violence, un grisant vent de liberté soufflait sur la ville frontalière. Pendant quelques heures, on oublia que la frontière était proche et que des troupes bieffoises étaient susceptibles de punir l’affront, ou que la Princesse Deria ne sévisse contre cet acte de sédition, qui pouvait démarrer un nouveau conflit avec ses nouveaux alliés.
Les Météores se déclaraient ville libre dès le lendemain. Bannières d’améthyste, croisant l’épée et l’étoile filante sur toutes les tours de la ville. Ce que Barristan Dayne allait faire, désormais ? Nul ne le savait, mais le torchon brûlait entre lui et tous ceux qui comptaient sur son obéissance aux règles d’une paix qui lui paraissait plus inique que jamais.