Alors que le Roi Yoren Hoare était mort à Aubray contre l’Empire, le Royaume du Sel et du Roc était dans la tourmente. Les droits de sa femme Helena, ayant perdu leur enfant à naître, étaient oubliés, bafoués par les lois insulaires qui ne laisseraient jamais une femme, non fer-née de surcroît, prendre le pouvoir sans rien dire. Les Etats Généraux de la Royauté furent convoqués dans l’espoir de redonner une direction pour le peuple fer-né, qui avait payé un très lourd tribut dans sa guerre pour conserver Néra et Conflans contre l’Empire. La dynastie Hoare n’était plus représentée que par une femme, ses derniers héritiers mâles ayant été déshérités pour la trahison de leur père et de leur frère. Le pouvoir était vacant.

Rodrik Harloi fut le premier à porter sa candidature, étant à l’initiative de cet appel aux Etats Généraux. Il se murmurait volontiers que c’était une tentative masquée de coup d’Etat de la part de l’ambitieux amiral, pour priver du pouvoir la dynastie Hoare et sa dernière représentante légale. Jeune amiral de la Flotte de Fer, nommé par le défunt Yoren Hoare, l’homme avait à son crédit la participation à de nombreux raids sous le commandement de ses prédécesseurs, et avait aussi une campagne victorieuse sous son commandement sur les côtes du Conflans et du Nord. Surtout, il avait participé à la victoire de la flotte de Fer, du Bief et de l’Ouest contre le Tigre de Volantis à Lancehélion. Son armée l’avait aussi emporté à Chantrerive, bien qu’il fut absent, contre des troupes Tully. Beaucoup de victoires, mais peu alors qu’il était aux commandes. Certains le critiquaient pour n'avoir pas soutenu la campagne de Yoren dans le Conflans de manière plus active, d'autres lui reconnaissaient l'économie des forces fer-nées... Il avait cependant pour lui le fait d’être le commandant le plus gradé encore en vie des cadres de l’armée du Sel et du Roc, en sus de défendre l’abolition de la monarchie héréditaire, le retour à l’Antique Voie et le recours systématique aux Etats Généraux de la Royauté pour désigner chaque nouveau Roi. De façon plus ambivalente, son mariage avec Myria née Frey, mais épouse d’un Hoare et d’après la rumeur maîtresse de son jeune frère survivant, était à la fois une force, car elle lui donnait un pied dans le Conflans, mais un handicap, car l’entourage de la Belle avait commis trahison sur trahison depuis deux ans. Son premier époux d’abord, son fils ensuite, sans parler de liens qu’on lui prêtait avec d’autres personnalités sulfureuses, comme le renégat Lyle Salfalaise. Les fer-nés parlaient beaucoup… Et ce n’est pas toujours un avantage.

Beaucoup suivirent Harloi. Les Greyjoy notamment, et leurs grandes forces vives, rallièrent l’Amiral de la Flotte de Fer. Lord Orquebois lui emboîta le pas, en bon vassal et décidé à soutenir la cause de son Seigneur et surtout le recours à l’Antique Voie. La maison Volmark, décimée et régie par des hommes sûrs au service de l’amiral, soutint avec ce fief les prétentions au trône de leur suzerain. Il en fut de même pour ce qu’il restait des Salfalaise, car les manœuvres de Myria Harloi pour faire régenter les terres des traîtres lui permirent de rallier à son mari les maisons qui les géraient désormais. Lord Vendeloyn rallia également Harloi, ne pouvant se résoudre à voir les Iles de Fer commandées par une femme. Rodrik avait alors cinq maisons pour le suivre, d'après les serments échangés.

Eren Hightower, née Hoare, était devenue Reine du Bief sur volonté de son père, Harren le Noir, pour nouer une alliance avec ce Royaume. Convertie aux Sept, elle était crainte pour ses années de service et de commandement de la Flotte de Fer. Enfant préférée de son terrible père, la Garce Mortelle s’était illustrée dans de nombreuses campagnes maritimes victorieuses contre le Nord, le Bief et Dorne. Elle n’avait plus combattu ensuite, car jeune mariée, elle était vite tombée enceinte. Beaucoup lui reprochaient son abandon de ses terres et de sa religion, d’autres comprenaient les nécessités politiques et de sa nature de femme… L’essentiel ne voulait pas d’une femme au pouvoir. Mais Eren était encore auréolée de gloire de ses victoires passées et de son alliance au Bief, qui seule, avait sauvé le Sel et le Roc d’une fin esseulée face à l’Empire. Beaucoup la craignaient encore, de sa terrible réputation de jadis. C’est écartelés entre devoir et répulsion pour sa nature et sa nouvelle allégeance que beaucoup de seigneurs reçurent une missive de la Reine Eren, après celle de Lord Harloi. Cette missive contenait autant de promesses de prospérité retrouvée, de guerre victorieuse sous son commandement, que de menaces pour ceux qui se mettraient en travers de sa route. Hoare de naissance, la Reine du Bief faisait honneur à la devise de sa maison de naissance, et brûlait de s’élever, quitte à tout brûler sur son passage.

Bien sûr, les survivants des troupes et navires Hoare se rallièrent à la Reine Eren, dont des centaines d’hommes restés avec elle dans le Bief pour protéger sa sécurité et sa couronne ; ces hommes lui étaient farouchement acquis car elle les avait menés à la guerre près de deux décennies durant. Lord Botley, dont le père était mort à Lancehélion avec Yoren Hoare, petit frère d’Eren et dernier roi en date, se rallia à Eren. Lord Merlyn, gouverneur nommé par Yoren et ancien compagnon d’armes, la rejoignit également, car il se rappelait fort bien ce qu’il se passait quand la Commandante était désappointée. Ceci et les suspicions de trahison qui pesaient sur sa tête depuis l’empoisonnement d’une partie de la suite du Roi Yoren à la veille d’Aubray ; l’homme avait à cœur de prouver son allégeance à sa seule reine légitime. Trois maisons soutinrent donc les prétentions de la Reine Eren.

D’autres seigneurs se déclarèrent, comme Lord Noirmarées. Fort de sa participation à la bataille de Buron qui avait vu l’Empereur défait en personne, le vieux seigneur, à la langue bien pendue, réclamait à grands corps et cris que l’honneur de mener la guerre revienne à ceux qui étaient descendus de leurs boutres pour autre chose que des rapines. Sa cause fut entendue, mais aucune maison ne donna rapidement son assentiment à Noirmarées.

Plusieurs restaient neutres, ou en tout cas ne s’étaient pas déclarés. C’était le cas de Lord Timbal, qui gérait un des plus grands fiefs des Iles de Fer. On se murmurait que l’homme avait de grandes ambitions pour le Royaume, mais comme souverain ? Nul ne savait encore le dire. Lord Reyl et Lord Royle, deux seigneurs de moindre puissance, ne se déclarèrent dans un premier temps pour personne. Ce fut également le cas de Lord Valleuse, de Lord Wynch et de Lord Tawne, qui ne voulaient pas prendre parti sans en savoir plus sur les candidats en lice.

Ces diverses prises de position ne provoquèrent ni remous ni désordres. Il n’y eut pas de vendettas ou d’intimidations. Vues les pertes subies en des années de guerre, ce qu’il restait de forces à chaque seigneur était soigneusement mobilisé pour protéger navires, châteaux et cultures pour éviter tout débordement de voisins qui voudraient se montrer un peu trop passionnés…

Bientôt, les Etats Généraux de la Royauté se réuniraient. Et beaucoup d’alliances étaient encore amenées à se nouer, des concessions devront être faites, et peut être le sang ne coulera pas.

Pas trop.