Mina tenait la lettre dans ses mains, tremblant légèrement elle venait alors à relire les mots qu'une âme d'un lointain passé lui avait écrit. Tout cela était étrange, tellement étrange, pourquoi aujourd'hui, pourquoi maintenant ? Il y avait de nombreuses questions qui venaient à assaillir soudainement son esprit, alors qu'elle ne comprenait pas réellement les motivations d'un tel échange à présent. Quelques instants, la jeune lady Swann vint à fermer les yeux, laissant son esprit s'enfuir bien loin du campement impérial, retrouvant alors cette île de la Treille, son soleil, l'odeur du raisin qui s'était mis à chauffer sous les rayons de l'astre, de ces plages … Et de cette plage plus particulièrement. Elle se souvenait de ce jour, de ce dernier moment où elle avait vu la jeune femme, celle qu'elle appelait encore son amie. L'une et l'autre étaient plus qu'heureuses de se retrouver après des semaines, des mois et même des années de séparation. Mina avait été prise comme dame de compagnie dans le Bief, alors que Taïna Redwyne était elle restée à la Treille auprès de sa famille. Pour certaines occasions, les deux filles s'étaient alors retrouvées, échangeant alors avec enthousiasme, partageant tous les ragots de Cour, comme si rien ne les avaient jamais séparé. Quand Mina était revenue sur l'île de son enfance la dernière fois, c'était pour dire au-revoir, ou plutôt pour pouvoir dire adieu. Adieu à ses parents, à ses frères, à sa sœur, pour dire adieu à son amie, à ses souvenirs, à son enfance. Elle était revenue là, fraîchement fiancée à Lord Béric Swann et elle allait bientôt quitter les terres de sa famille pour pouvoir embarquer sur un navire qui l'emmènerait jusqu'à Pierheaume pour célébrer la bénédiction de son mariage et devenir une épouse et une mère pour un lord orageois qui manquait cruellement de l'une et qui désespérait d'avoir un jour un héritier, alors que sa précédente épouse n'avait pas réussi à lui donner satisfaction.

Pour autant, alors qu'elle était certaine que cette amitié allait pouvoir perdurer dans le temps, la jolie jeune femme s'était rendue compte que cela avait été tout l'inverse. Petit à petit, les échanges s'étaient espacés, elle avait senti que d'une certaine façon, si Taïna était heureuse pour son mariage, elle n'arrivait pas à passer outre le fait que c'était Mina qui avait été choisie et pas elle, alors qu'elle était de bien meilleure naissance qu'elle et qu'elle aurait pu prétendre à ce mariage, bien plus que la deuxième fille d'une famille vassale de la maison Redwyne. On ne parlait pas des négociations autour d'un mariage à la future épouse, on lui avait tout simplement dis qui elle devait épouser et c'est ce que Mina avait fait. Elle était partie, mais les regrets avaient été immenses et elle s'était sentie bien seule loin de la Treille. Aujourd'hui, alors que la guerre était plus forte que jamais, elle venait à recevoir une missive de la part de son ancienne amie, ancienne amie qui pour autant, venait à lui parler avec douceur et qui lui expliquait alors qu'elle était prête à intercéder en sa faveur auprès du couple royal du Bief pour pouvoir l'aider, sans doute faire en sorte qu'elle reste en vie si elle venait à être capturée un jour par les forces de son peuple d'origine. Cependant, elle se souvenait d'une discussion avec l'Empereur et elle savait aussi pourquoi elle était descendue avec l'armée au lieu de rester à Fort-Darion. Elle n'avait plus réellement pu discuter avec Torrhen depuis la dernière fois où ils s'étaient retrouvés en tête à tête auprès des jumeaux impériaux. Elle ne voulait pas le déranger, mais c'était sans doute une ouverture possible qu'elle avait avec le Bief et elle se devait de lui en parler. Mina se présenta donc aux gardes de l'Empereur, demandant la possibilité de lui parler, quelques instants tout au plus.

J’avais le sentiment que ma vie toute entière ne conduisait qu’à un seul état, qu’à une seule conséquence. J’étais éreinté. Je m’esquintais les yeux sur ces cartes. Avec tant de doutes et d’arrières pensées, de plans tout faits qui étalaient des calculs et des calculs sur des semaines, des mois. Je me gribouillais à la plume des idées au fur et à mesure. Des penses-bêtes, pour surveiller telle ou telle opportunité. Pour ne pas perdre la boule, dans l’avalanche d’événements qui nous tombent dessus sans cesse et qu’il faut bien trouver comment juguler, d’une manière ou d’une autre. J’ai la tête ailleurs, pourtant. Devant l’abîme historique devant lequel je me trouve, j’hésite. Je me dis que j’ai beaucoup à perdre, aujourd’hui. Mon sang irrigue plusieurs royaumes de Westeros, et je tiens à mes enfants, tous autant qu’ils sont. Je suis assailli de toutes parts, aujourd’hui. Pas de nouvelles du Val. Avec Sharra Arryn à sa tête, cela n’augurait rien de bon. L’Ouest ne prenait toujours pas partie, et la rumeur persistante d’entrevues étrangères n’était pas non plus pour me rassurer. Où que je regarde, il y avait des ennemis. Ou des ennemis en devenir. Et le Bief qui continuait de jouer trouble jeu, nous abandonnant ses conquêtes orageoises avec tant de facilités, fuyant devant nous en ne laissant que cinq mille hommes sur le terrain…


Tout allait trop vite, et pas assez à la fois.


Heureusement, il y avait des réussites. Les nouvelles restaient bonnes au nord. Il y avait des possibilités de victoires contre le jeune Hoare. Il y avait aussi de l’espoir sur notre économie, plus solide que jamais. Tout pouvait malgré tout pencher en notre défaveur. Un revers militaire d’importance, un nouveau neutre qui rentrait en guerre contre nous, et tout serait remis en question. Pourrions nous rééditer l’exploit d’avoir quelqu’un comme Mahée Allyrion dans nos rangs, de haut parage et avec des qualités politiques, pour semer le trouble chez nos autres ennemis ? Ou de pouvoir mener une bataille aussi décisive qu’Eysines dans les plus brefs délais ? J’en étais à passer ma vie sur ces fichues cartes, attendant la décision de Rhaenys, d’Argella, pour savoir vers quoi nous allions nous orienter.


Le jour baissait plutôt rapidement, malgré le printemps en plein essor.


Je sirotais un quart de vin, quand on m’avertit que Lady Swann demandait audience. Mon cœur loupa quelques battements, et j’eus d’un coup l’impression de me sentir encore plus vieux d’un coup. Je me précipitais en claudiquant à demi, ma jambe blessée étant bien trop raide après autant d’heures à travailler assis. Inquiet, je me jugulais pourtant pour mieux comprendre ce qu’il se passait ; elle ne devait certes pas être pressée à cause de mes enfants, de quelque chose qui aurait pu leur arriver, sinon ce ne serait pas une audience qu’elle demanderait mais la moitié du camp serait déjà en plein branlebas de combat. J’accepte la demande auprès des gardes, et on me l’introduit. Je m’approche tout de même, encore curieux et inquiet, et prends sa main dans la mienne pour y déposer un baiser aussi poilu que poli.


| Ma dame… Quel bon vent vous amène ? Rassurez-moi, le Prince Aeden, la Princesse Athynéa, ils vont bien ? |


J’entamais un rien trop vivement.

Mina s'était retrouvée d'une certaine façon dans l'intimité du couple impérial par un concours de circonstances qui venait aujourd'hui encore à la surprendre elle-même. Rien de tout cela n'était prévu, rien de tout cela n'était calculé, c'était bien loin de la personnalité profonde de la jeune femme, mais son dévouement, sa loyauté, elles, étaient plus que véritables. Elle s'était engagée auprès du couple impérial pour pouvoir prendre soin de leurs enfants, une tâche qu'elle prenait plus qu'à cœur et qui rendait ses journées bien plus agréables surtout en suivant les soldats au combat. Elle avait passé une partie de sa journée en leur compagnie, jusqu'au moment où Kora était venue prendre la relève, laissant ainsi l'opportunité pour la jeune lady de Pierheaume de se reposer. Il fallait dire que si elle avait pris soin de Lenora, plus difficilement de son petite garçon vu son état de santé, elle n'avait jamais eu les deux à gérer en même temps en si bas-âge. Il était bien plus compliqué d'avoir les deux frimousses à s'occuper, et d'ailleurs elle se demandait dernièrement s'ils n'avaient pas trouvé comme nouveau jeu, le fait de la faire tourner en bourrique. En effet, à peine avait-elle pris le soin de calmer les pleurs de l'un, que c'était au tour de l'autre, réveillant alors le premier. Pour autant, les sourires qu'elle pouvait recevoir d'eux valait tout l'or de Westeros et la rendait parfois mélancolique aussi de ne pas pouvoir profiter de celui de ses enfants. Elle avait donc été en contact assez étroit avec Torrhen Braenaryon, et d'une certaine façon, elle avait peut-être pris un peu trop confiance en elle à présent et en sa possibilité à pouvoir facilement se rendre auprès de l'Empereur pour obtenir un entretien avec ce dernier.

Il fallait bien avouer qu'elle n'avait pas réellement pris le temps de se poser la question de savoir si elle pouvait ou non venir à le déranger, quand on était venu lui transmettre la missive qui lui avait été adressée de la part de Taïna Redwyne, elle avait immédiatement quitté son lit de fortune pour pouvoir se présenter aux gardes et espérer obtenir une entrevue avec Torrhen. Elle n'avait pas pensé un seul instant qu'à débarquer ainsi, elle pourrait l'inquiéter au sujet de l'état de santé ou du bien-être d'Aeden ou d'Athynéa, et à présent, elle s'en voulait et se trouvait stupide. Elle se mit à rougir, se mordant légèrement la lèvre, avant de s'incliner devant lui, prenant quelques secondes pour pouvoir retrouver une certaine contenance devant lui. Elle se redressa alors, affichant un sourire doux et qui se voulait rassurant sur ses lèvres. « Je vous prie de me pardonner votre Majesté … Je ne suis pas venue pour vous parler de vos enfants, mais je tiens à vous rassurer, ils vont parfaitement bien, Lady Daena Redwyne est venue les voir et m'a certifié qu'ils se portaient bien l'un comme l'autre et ils sont à cet instant en compagnie de Kora, elle est venue me remplacer il y a quelques heures de cela. » Elle serra donc sa main quelques instants avant de la relâcher. « J'étais en train de me reposer quand un messager de Pierheaume est venu jusqu'ici pour pouvoir me transmettre une missive venue du Bief. Une de mes amies d'enfance, lady Taïna Redwyne … » Elle lui tendit alors la missive qu'elle avait reçu pour qu'il puisse la lire. « Il est peut-être temps que je serve à quelque chose pour tenter une approche entre l'Empire et le Bief, comme nous en avions parlé, il y a presque une éternité maintenant à Fort-Darion ... »

Lettre de Taïna Redwyne:

La jeune femme débarque et forcément c’est la peur qui prédomine. Si je n’avais jamais été un père du genre à me retrouver dans les environs immédiats de mes enfants, même en bas âge, je n’étais pas pour autant insensible à leur sort, loin de là. C’était même plutôt tout le contraire puisque tout ce que je faisais, tout le temps, c’était pour eux. La guerre, la politique, les édits et tout le reste. Il n’y avait absolument rien que je puisse faire qui ne soit pas pour le futur, pour qu’il soit encore meilleur et qu’il soit pour eux. Mon rêve absolu était qu’un jour, les enfants de mes enfants, ou plus loin encore s’il le fallait, aient le bonheur de pouvoir vivre une existence plus simple, sans toute ces guerres, ces trahisons et tout ce qui s’ensuivait. Ca n’était pas un rêve simple, et il était probablement inaccessible. Difficile dès lors de se mettre en position d’arranger les choses pour un futur aussi lointain qu’hypothétique, mais ça ne changeait rien à ma détermination. Il me fallait bien quelque chose pour pouvoir avancer et endurer tout ça…


Du coup, le rythme des battements de mon cœur s’était envolé très rapidement à la mention de ce qui venait de survenir… Une visite de Mina Swann n’était pas commune malgré notre lien de relative proximité et il n’en fallait pas moins pour que je me retrouve en état de panique tout juste maîtrisée. S’il arrivait quelque chose à mes bébés sous la protection de mon armée et d’un dragon, alors c’était que je devais bel et bien être maudit.


Sa gêne manifeste ne me renseigne en rien sur ce qu’il se passe et je suis à deux doigts de m’agacer sous le coup de l’impatience, et la voilà d’ailleurs qui s’explique aussitôt malgré le rougissement qui la marque d’une oreille à l’autre. La belle demande mon pardon, et tient à me rassurer. A priori ils sont actuellement sous la responsabilité et la garde de Daena Redwyne et de Kora, la servante de Rhaenys, ce qui ne peut que me rassurer même si ce n’est pas tout à fait ce qui était prévu au départ. J’imaginais que la jeune femme devait avoir de bonnes raisons d’être venue me voir de ce fait… J’écoute alors tout ce qu’elle me racontait à propos du messager venu de sa cité, et d’une certaine Redwyne… Une parente du capitaine Aylan ? A n’en pas douter. Amie d’enfance. Donc sans doute une sœur ou une cousine du chevalier du Bief, félon reconnu dans sa contrée. Je soupirais de soulagement quand je comprenais la raison de sa visite, enfin. Je ne montrais toutefois nulle trace, hormis une légère décrispation du visage.


| Je vous suis reconnaissant d’être venue me voir, Lady Mina. Il est temps de pouvoir agir en ce sens en effet. Mais pensez-vous seulement que cette jeune femme serait prête à trahir son pays de quelque manière que ce soit ? Je veux dire… Il nous semblait que la défection bieffoise de Ser Redwyne n’ai pas tant servi à lever les masses au sein de votre patrie d’origine… |


Je lui fais signe de s’asseoir sur l’une des chaises de campagne, toile et bois pliante.


| Comment pensez-vous pouvoir agir ? |

Mina savait parfaitement que de se présenter ainsi face à l'Empereur ne manquerait pas de mettre ses sens en alerte et qu'il puisse s'imaginer un nombre incalculable de situations ou de dangers qui pouvaient soudainement venir à menacer les jumeaux impériaux. Et bien qu'elle espérait que l'amitié qu'elle pensait avoir créé avec Torrhen Braenaryon ne dépendait pas seulement de la dévotion dont elle faisait preuve pour s'occuper des deux nourrissons qu'elle chérissait réellement. A moins, qu'elle s'était finalement trompée, et que malgré qu'il puisse avoir une certaine affection à son égard, celle-ci n'était nourrie que par la fonction qu'elle occupait pour le couple impérial. Mina ne montra rien de plus, son visage était déjà cramoisie et elle ne pouvait pas être plus dérangée qu'à l'heure actuelle sans doute. Elle aurait sans doute dû être plus formelle dans la façon de prendre contact avec l'empereur, demander une audience, puis attendre que celle-ci soit acceptée pour ensuite venir se présenter devant lui et avoir une conversation toute aussi formelle et pleine de convenance. Cependant, la jeune orageoise était quelque peu épuisée, par des nuits bien trop courtes et des journées bien trop longues parfois. Kora et elle se relayaient auprès des jumeaux quand leurs parents ne pouvaient être présents à côté d'eux. Quand elle n'était pas auprès des deux adorables bambins, elle venait à suivre Daena Redwyne, continuant à s'occuper des blessés et ainsi apprenant quelques petites choses dans le domaine du soin. Le soir, quand elle avait la possibilité de poser sa tête sur sa couche, elle s'endormait très facilement, mais la nuit était souvent agitée par des rêves trop heureux, ou des cauchemars bien trop sombres. Les premiers la plongeaient dans une profonde mélancolie et les seconds venaient parfois à la tenir éveillée de longues heures durant au lieu de pouvoir se reposer un peu.

Alors quand elle avait reçu cette missive, elle n'avait pas réellement pris le temps de réfléchir avant de rejoindre l'Empereur et elle était à présent plus que confuse de s'être ainsi imposée à sa personne. Elle s'empressa de lui répondre que tout allait pour le mieux, que les enfants allaient bien et qu'ils étaient l'un comme l'autre sous la protection de personnes dont Torrhen pouvait avoir pleinement confiance. De plus, il était certain qu'elle ne manquerait pas à retourner auprès d'eux, dès qu'elle aurait pris congé du souverain. Mina glissa discrètement les mains dans son dos, continuant alors à les triturer légèrement, avec un certain stress. Elle avait clairement fait un impair à cet instant, et elle ne pouvait que dés-apprécier la sensation que cela créait en elle. « Veuillez m'excuser encore d'avoir ainsi débarqué … Il n'était pas pour moi question d'être la source d'une quelconque inquiétude pour vous, votre Majesté ... » Elle baissa quelques instants la tête pour pouvoir reprendre son souffle. « La maison Redwyne a des possibilités, mais sans doute pas autant qu'elle le voudrait. Le fait que Aylan Redwyne est pris la décision de suivre une autre voie que ce que sa famille avait pu décider pour lui à sans doute poser quelques problèmes pour les espérances qu'ils pouvaient avoir. Jaden Redwyne a toujours eu beaucoup d'ambition pour les membres de sa famille, et notamment pour Taïna. Pour autant, vous avez raison, je n'ai que très peu de doute sur le fait qu'elle est bien trop loyal à ce dernier, bien plus qu'à la maison Hightower pour tenter quelque chose … Je ne sais pas comment réagir et c'est pour cela que je suis venue vous voir … Savoir ce que je pourrai tenter avec elle. »

Je n’aimais pas me retrouver dans des états pareils. Je n’en étais pas coutumier… Ou plutôt si, mais d’habitude je savais bien mieux me maîtriser que cela. Le fait d’être père n’avait jamais fait que prolonger un peu le stress, l’angoisse, que je pouvais ressentir depuis ma naissance. J’avais toujours eu peur, et mon père l’avait bien compris. C’était cela qui jadis le rendait complètement dingue à mon sujet. Son aîné, avoir peur ? Il savait que je ne tenais que par fierté, et il avait tout fait depuis toujours pour stimuler cette forme de bravoure. Forcément dans ces circonstances, les choses avaient toujours été compliquées et j’avais dû beaucoup prendre sur moi, et grandir plus vite… Ca m’avait bien servi. Mais aujourd’hui, les sources d’inquiétude étaient multiples. Je n’avais plus peur pour moi depuis longtemps, car avec ce que j’avais vécu à Buron j’avais extrêmement bien conscience de ma propre mortalité et de tout ce qu’elle impliquait. Je m’en faisais bien plus en revanche pour mon entourage, et pour mes enfants. L’ennemi avait prouvé qu’il était vil au point de vouloir s’en prendre à des âmes aussi pures, et ce n’était vraiment pas quelque chose pour me rassurer, loin de là. Le fait de les avoir gardés près de moi ne me rassurait finalement qu’à moitié alors…


La jeune femme semble touchée de mon inquiétude et se confond en excuses. Je ne peux pas la tancer pour ses mots, elle n’est pas du genre à avoir fait exprès de provoquer cette situation, loin de là… Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même pour mes angoisses de parent, et pour cette fébrilité qui m’était peu coutumière mais pourtant répandue ces derniers temps. Cette campagne toute entière avait une saveur particulière ; il était difficile pour quelqu’un comme moi de savoir à quoi s’en tenir et j’étais engoncé dans un mauvais pressentiment difficile à expliquer et à rationnaliser… J’acquiesce d’un signe de tête.


| Ne vous en faites point, Dame, c’est moi qui suis au regret d’avouer que je suis fatigué… |


La jeune femme me relate alors qui sont les Redwyne, et quels liens ils nourrissent entre eux. Avec leur position et aussi leurs choix. Je fronce un peu les sourcils quand elle a fini de m’expliquer les liens de filiation et qu’elle demande conseil concernant la marche à suivre… Du diable si j’en savais quelque chose, moi qui n’était pas au fait de la mentalité et des mœurs du Bief, qui ne savait rien de cette femme et de sa famille, et qui plus généralement, n’avait que peu de talent pour faire adhérer les gens à mes causes. C’était Rhaenys la meilleure à ce petit jeu. Moi je n’étais qu’un gantelet d’acier sans velours pour le recouvrir, et cela n’avait malheureusement jamais trompé personne. Je pèse le pour et le contre un bon moment.


| Je pense que vous pourriez d’abord vous interroger sur ce qui vous fait vous, adhérer à l’Empire. Parce que ce n’est pas de bons sentiments qu’elle a besoin, de paroles liées aux idées que nous portons volontiers partout. Vous devez personnaliser l’échange. Parlez-lui de votre quotidien. De vos espoirs, de vos peurs. De ce que vous retirez concrètement de toute cette entreprise, militaire et humaine, à laquelle vous participez… N’omettez rien... |


Je la regarde, mélancolique.


| Si vous ne lui épargnez rien des difficultés ni des épreuves que vous vivez, peut être comprendra-t-elle mieux ce que vous faites parmi nous, et ce qu’elle pourrait espérer à son tour. |`

La jeune femme aurait mieux fait de ne pas venir, elle aurait mieux fait de garder cela pour elle, de venir à penser les choses différemment au lieux de venir ainsi à débarquer sous la tente de l'Empereur pour pouvoir lui perler d'une telle futilité. Il était après tout un homme extrêmement occupé qui avait la charge de bon ombre d'hommes, de soldats, de guerriers et de prisonniers en charge dans ce campement militaire, tout autant que les femmes qui avaient suivi le chemin de ses guerriers pour diverses raisons, qu'elles soient bonnes ou mauvaises. Il avait donc de nombreuses choses en tête, et Mina venait lui rajouter une inquiétude supplémentaire, débarquant ainsi, presque en panique pour pouvoir lui parler d'une simple missive qu'elle avait reçu et venant alors à l'inquiéter possiblement au sujet des jumeaux impériaux. La jeune orageoise aurait du être bien plus mesurer, il n'y avait après tout aucune urgence directe à ce qu'elle venait de recevoir de la part de son amie d'enfance, dont elle n'avait clairement eu aucune nouvelle pratiquement à partir du jour où elle était devenue lady Mina Swann de Pierheaume. A côté de ça, elle venait inquiéter un père qui avait, elle le savait, peur pour la vie de ses jeunes enfants dont on avait menacé la vie à peine quelques semaines auparavant et qui continuaient aujourd'hui encore à être menacés par leur filiation et l'avenir qu'ils représentaient tous les deux pour le couple et pour l'Empire tout entier. Elle s'en voulait et elle continuait à bafouiller des paroles d'excuses face à Torrhen, ressentant une profonde honte qui l'aurait fait fuir sans aucun doute, si elle n'avait pas eu peur que cela soit en plus pris comme un manque flagrant de politesse et de considération à l'égard de ce dernier. Elle venait tout simplement de se ridiculiser devant lui.

Elle gardait la tête baissée, comme une enfant coupable devant un père qui allait sans doute la sermonner pour ses agissements. Elle se mordillait légèrement la lèvre et elle finit par sursauter légèrement alors quand elle l'entendit lui dire qu'il était fatigué. Elle redressa la tête pour pouvoir l'observer, s'approchant légèrement de lui pour pouvoir le regarder dans les yeux, elle ouvrit les yeux instants et poussa un long soupir avant de reprendre la parole. « Vous n'avez pas à vous excusez … Vous avez tellement de choses à penser que … Je n'aurais pas du tout simplement … Je crois que je suis quelque peu dans le même état Sire et que … Je prends parfaitement mon rôle auprès de vos enfants comme une priorité, comme un devoir, et encore plus que tout comme un réel plaisir d'être avec eux. Je les aime ses enfants, bien qu'ils ne soient pas les miens. Mais j'avoue que quand je ne suis pas avec eux, j'ai l'impression de tourner en rond, et de ne pas vous aider autrement, vous aviez parlé d'une tâche à accomplir et finalement je ne remplis pas ce rôle là. Qui sait, comme l'a dit mon beau-frère, je serai sans doute bien plus utile à Pierheaume qu'auprès de vous ou de ma souveraine ... » Elle croisa les bras, comme pour se protéger, comme pour se réchauffer après le froid qu'elle venait d'instaurer sans le voir sincèrement. « Ce que je fais parmi vous … J'avoue que ce que je vais dire est peut-être stupide mais en réalité … Je n'ai jamais vraiment réfléchis à la question, c'était une certitude en réalité. Que c'était la meilleure chose possible, le meilleur avenir que je pouvais fournir à mes enfants. Mon époux faisait confiance à Argella Durrandon, je lui fais tout aussi confiance et donc si elle croit en vous et votre cause, j'ai fais confiance à son jugement vis-à-vis de vous et quand je vous ai rencontré … D'une certaine façon, vous ressemblez à Béric et je me suis dis que j'avais fait le bon choix. Mais ce sera sans aucun doute la meilleure chose à faire. J'espère que je pourrai tenter de la convaincre ... » Même si elle avait un doute sur le succès d'une telle entreprise.

L’impatience succède à l’inquiétude. Je n’ai pas tellement de temps et il est fermement compté, à présent. Il n’est pas question de considérer qu’une discussion avec la nourrice et protectrice de mes enfants comme inutile ou dangereuse, rapport à la contraction toujours plus grande de mon emploi du temps… Mais tout de même, je me demande bien ce que Mina Swann peut me vouloir. Elle n’est pas tellement demandeuse d’entretiens d’ordinaire, elle reste à distance, prête à s’occuper de mes enfants sans jamais sembler douter de ma disponibilité ou de leur impératrice de mère. Dans tous les cas, c’est plutôt un honneur, il faut bien le souligner, que d’avoir une personne aussi gentille que dévouée à sa tâche. Je ne peux pas dire qu’elle soit motif de plaintes ou d’inquiétudes ; je n’ai que rarement connu personne plus proche de son devoir qu’elle et je la respecte beaucoup pour cela. Ca ne veut pas dire que nous sommes d’accord sur tout, évidemment, ni que nous sommes véritablement proches. Mais je sens une amitié sincère poindre, toutefois, sous le vernis de la préoccupation commune pour les deux princes de l’Empire.


Je ne voulais pas l’intimider, quoiqu’il en soit, par une brusquerie qui, si elle était habituelle chez ceux qui me suivaient à la bataille, l’était moins chez ceux qui me côtoyaient dans une existence plus civile… Je ne voulais pas la braquer non plus et me faire louper peut être une partie du message ou des choses qu’elle souhaitait aborder avec moi, par crainte de me déranger. Ce ne serait pas très raisonnable mais je comprenais aussi que ma présence soit intimidante, entre ma sale trogne marquée par les combats et mon attitude parfois revêche. La jeune femme semble en tout cas accuser le coup. Pas simple, de toute évidence, de se retrouver dans cette position devant moi. L’orageoise soupire, touchée, et explique aussi qu’elle n’aurait pas dû… Mais je la détrompe en secouant la tête en signe de dénégation, et en prenant ses mains dans les miennes. Je la détrompe aussitôt d’une voix qui se voulait douce.


| Je suis désolé si les circonstances ne vous sont pas favorables, Mina, je sais que suivre une armée en campagne n’est jamais quelque chose de facile, ni qui porte sur l’accomplissement personnel… A moins que l’on ne soit comme moi un vieux loup. Mais pour une jeune femme telle que vous, si douce et si gentille, je ne peux que comprendre votre sentiment de détachement de tout ce que vous vivez, ça doit vous être aussi étranger que le ciel l’est aux créatures marines… Ne vous tancez pas trop. C’est moi qui m’excuse de vous avoir mise dans une pareille position. |


C’était aussi mon travail et ma fonction que de rassurer les gens à mon service. La peur et le devoir ne suffisaient pas toujours, pas plus que ne le pouvait l’appât du gain. Je lui souris, même si avec mon visage cela ne fait apparaître qu’une immonde trogne barrée de cicatrices, et une barbe à moitié grise désormais. Ce n’est pas franchement comme ça que je compte inspirer le respect, mais la jeune lady venait de me rappeler quelque chose d’essentiel dans mon combat quotidien ; la confiance et la motivation. Je relève son visage du bout des doigts, pour bien qu’elle puisse me regarder dans les yeux et y voir des abîmes de sincérité dénuées du moindre doute.


| Alors battez vous pour cette certitude. Convainquez-la. Commencez par lui parler de son frère. De son héroïsme pour sa cause, de sa belle-sœur qui se tue à la tâche parmi nos blessés, de vous… Si proche de nous. Parlez lui de tout. Humanisez ce que vous vivez dans ce conflit, pour qu’elle ne puisse plus le voir au travers du regard déformé des racontars colportés par le Roi Manfred… |

Mina avait manqué de discernement sur cette question, mais il semblait qu'elle en manquait de plus en plus au fur et à mesure que la guerre continuait et que l'armée était en train d'avancer vers les terres du Bief où elle avait grandis. Elle avait conscience qu'elle risquait de rencontrer un visage connu, et qu'elle devrait alors affronter ce qu'elle redoutait le plus, de s'opposer directement à sa propre famille, à son propre sang ou aux personnes qu'elle avait côtoyé par le passé, et elle n'était clairement pas prête à accepter cela. Bien qu'elle avait été marié avec Béric Swann par décision de son père, elle avait fini par servir la cause de l'Orage de son plein gré, et encore plus sa décision de servir l'Empire et le couple impérial directement. Il y avait beaucoup trop de choses qui venaient à s'entremêler dans son esprit, elle pensait à ses enfants qui était si loin d'elle, elle pensait à la situation de Pierheaume et aux exigences de son beau-frère pour la maison Swann et par rapport à elle ; elle pensait à son frère qui continuait à rester inaccessible depuis la mort de son épouse. Elle se dévouait pour les deux jumeaux impériaux qui étaient devenus sa force de vivre et elle espérait que le couple n'était pas déçu de ce qu'elle faisait auprès d'eux. Et à l'instant quand elle avait reçu cette missive de la part d'une vieille amie, amie dont elle n'avait eu aucune nouvelle après l'annonce de sa première grossesse, quelques mois à peine après son mariage. Ce qui remontait à presque quatre ans maintenant. Pourquoi elle était venue voir Torrhen plutôt que quelqu'un d'autre ? Elle n'en savait rien, ou plutôt si, elle le savait parfaitement. D'une part parce qu'ils s'étaient mis d'accord sur le fait que si elle les accompagnait dans la campagne militaire c'était également pour pouvoir reprendre contact avec son passé. D'autre part, si elle était venue, c'est parce qu'elle avait confiance en ce dernier, et que si elle ne le connaissait pas depuis très longtemps, elle pouvait dire cependant qu'il y avait un certain sentiment d'amitié entre les deux.

Sauf que si la jeune Lady avait des préoccupations importantes, ce n'était clairement rien par rapport aux préoccupations qui pouvaient être celles d'un empereur et d'un chef de guerre en plus de cela. Le sentiment de honte ne cessait de grandir en elle, et en cet instant, elle n'avait finalement envie d'une chose, celle de fuir et de faire comme si la rencontre n'avait jamais eu lieu. Elle lui fit un pauvre sourire. « Me voilà donc une créature marine perdue face à l'immensité du ciel que peut représenter une campagne militaire. Je ne sais pas … Quand j'ai reçu la missive, j'ai pensé à vous immédiatement, j'ai voulu vous en parler … Je … Je ne sais pas ce qui m'a pris, je ne sais pas pourquoi j'ai fais ça, c'était naturel et je ne pensais pas que je créerais autant d'inquiétude chez vous. » Elle se retint de dire qu'elle s'était sans doute trompée sur ce qui les liait. Elle n'était qu'à son service, un service sans doute agréable, mais rien d'autre ne venait néanmoins à les lier. Et elle en était profondément déçue pour une raison qu'elle ne comprenait pas réellement. Elle saurait rester à sa place la prochaine fois à n'en pas douter. Elle serra quelques instants ses mains dans les siennes, le fixant dans les yeux, et même si son regard était sincère, elle continuait à se sentir déstabiliser, et elle se mit à trembler légèrement, venant à retirer ses mains pour ne pas qu'il s'en rende compte. « Je vais suivre vos conseils, j'espère qu'elle comprendra le message que je veux lui transmettre. Nous avons été si proches par le passé, j'espère qu'elle n'a pas oublié cela et qu'elle se souviendra de la jeune fille que j'étais alors, et que je ne viendrais pas à dire des choses si je ne les pensais pas véritablement. » Elle s'inclina face à l'empereur. « Je vous remercie pour vos conseils votre Majesté …  Maintenant que vous avez répondu à mes questions, puis-je vous rendre service de quelque façon que ce soit ? » C'était la moindre des choses qu'elle pouvait faire après tout le dérangement qu'elle avait causé.

Il était temps de passer quelque peu à autre chose, désormais, car la jeune femme n’avait pas provoqué quelque chose de grave, pas plus qu’elle n’avait l’envie ou le souhait de blesser qui que ce soit au départ. Dans tous les cas, il fallait avancer, car je ne supportais pas de tergiverser, de tourner autour du pot. Quelque chose me disait qu’en sus elle n’était pas venue me voir pour rien. Ce n’était jamais le cas, car Mina Swann n’était pas le genre de personne à verser dans le superficiel. Tout avait un sens, un but. Tout avait quelque chose de presque professionnel, et surtout d’efficace avec la jeune femme. Que de chemin parcouru de sa part depuis qu’elle avait fait visite dans ma demeure de Fort-Darion, souffreteuse et en rémission d’une longue maladie qui avait manqué d’avoir sa peau, et avec enfant à charge. Dans tous les cas, elle savait qu’elle pouvait venir me voir quelle qu’en soit la raison. Qu’il s’agisse de quelque chose de personnel ou de plus lié à sa mission, dans tous les cas la belle savait qu’elle pouvait me parler. J’étais son ami, et pas seulement son Empereur. Un lien nous unissait depuis qu’elle prenait nos enfants en charge en journée… Un profond lien de confiance. Je ne me voyais en aucun cas remettre tout ceci en question, à aucun moment.


La jeune femme m’explique assez tristement que jamais elle n’avait voulu provoquer d’inquiétude chez moi. J’ai une attitude qui se veut ouverte, pacificatrice, apaisante. C’est sans doute tout le contraire qui se produit quand on regarde un peu quelle vilaine trogne je suis capable d’offrir, entre mes cicatrices, mes cheveux poivres et sel, ma barbe sévère et mes cuirs de campagne… Plus paré pour le combat que pour tout le reste. J’essayais quand même de me montrer rassurant, et ce n’était de toute évidence pas une sinécure. Je ne voulais pas qu’il puisse exister la moindre anicroche entre nous, le moindre soupçon d’un comportement malheureux, ou déplacé. Je me frotte un peu les paupières, après les avoir fermées, alors que j’essaie d’évacuer de mon champ de vision le sentiment de fatigue qui me taraudait.


| Je suis désolé. C’est ma faute. Les mauvaises nouvelles s’accumulent un peu partout et il n’est guère aisé de démêler le vrai du faux de certaines situations… Il s’agit de politique et de la guerre, je ne veux pas vous ennuyer avec ça. Mais il est vrai que mon premier réflexe a été de craindre qu’il ne soit arrivé quelque chose à mes enfants. Vous voyez, depuis Accalmie… Bref. Je suis tout à vous. |


Je n’avais pas fini ma phrase car ça n’en valait pas la peine. Dans tous les cas, je ne voulais pas la brusquer ou lui donner le sentiment de me ficher de ses états d’âme. Même si elle retira bien vite ses mains, sans doute soucieuse et précautionneuse de la bienséance, ce que je ne pouvais ni lui retirer ni lui reprocher en aucune manière. La belle prend ce que je dis pour seuls conseils et semble s’en contenter. Je ne peux pas lui reprocher non plus, surtout si elle a cru me contraindre et m’embêter quelque peu…


| Nul service, non. Vous en faites déjà bien assez, et je crains que tout ce dont j’ai besoin en ce moment dame, c’est un autre pichet de vin et du repos. La campagne m’autorise le premier expédient mais me refuse éhontément le second, sans doute pour longtemps… |


Je lui fais signe de s’asseoir.


| Parlez moi plus de votre amie, dame. Ou de vos pensées. Je suis las pour l’instant des choses de la guerre. |

Mina se sentait sincèrement coupable à cet instant, face à cet empereur, à cet homme qui était devenu bien plus qu'une simple connaissance, qu'une illustre personne qui avait potentiellement tout pouvoir sur elle et qu'elle se devait de respecter et de servir au mieux. Bien sûr, sa dévotion tout comme son respect n'avait eu de cesse de grandir depuis qu'elle était rentrée de façon plus ou moins officielle au service de Torrhen Braenaryon, mais elle pouvait assurément dire qu'elle avait pour lui un sentiment d'amitié, qu'ils avaient réussi à créer au fur et à mesure de leurs rencontres et de leurs discussions. Et elle était plus que touchée par la confiance qu'il lui accordait, mais à cet instant elle venait à se dire qu'elle en n'avait sans doute abusée, bien qu'il faisait tout pour pouvoir lui assurer qu'il n'en était rien, ce qui rendait presque la gêne de la jeune femme encore plus grande. Elle se rendait surtout compte qu'elle était épuisée, elle n'avait pas été préparée ni physiquement, ni moralement à ce que pourrait être sa vie dans la suite de l'armée impériale. Elle n'était ni Rhaenys Braenaryon ou Argella Durrandon, des femmes qui avaient été forgées dans le feu, le fer et le sang. Elle n'était rien que la fille d'un petit seigneur du Bief, qui avait réussi à devenir dame de compagnie à la Cour de Hautjardin, puis elle s'était mariée et n'avait connu que le confort d'un château à un autre, plus ou moins grand. Elle n'était pas dans son élément ici, elle le savait bien mais faisait avec. Cependant, elle sentait que sa poitrine était douloureuse par moment, et qu'elle manquait alors de souffle. Ses enfants lui manquaient aussi, elle ne pouvait pas le nier, et elle espérait que tout se passait bien à Fort-Darion. Alors, elle ne pouvait que comprendre parfaitement la réaction de Torrhen, et elle culpabilisait d'avoir été celle qui l'avait déclenché.

Elle finit par pousser un long soupir alors, avant de se mettre à rire légèrement devant le ridicule de la situation, chacun venant à s'excuser d'avoir possiblement blessé l'autre. «  Nous pouvons passer encore beaucoup de temps à demander pardon à l'autre, mais la conclusion est la même pour tous les deux, nous sommes fatigués, et la moindre chose déclenche une réaction bien plus forte que ce qu'on voulait faire paraître. Je sais qu'après les événements d'Accalmie rien ne sera plus pareil qu'avant pour vous, votre femme et vos enfants et que tout ce que vous voulez c'est leur bien et leur sécurité. Je le dis encore une fois, je suis prête au même sacrifice que Yesaminda, bien que j'espère ne pas finir de la même manière. Quant aux problèmes politiques et militaires … Je ne suis peut-être pas la personne la plus concernée par tout cela, ni celle qui dispose des meilleures connaissances à ce sujet, néanmoins la reine de l'Orage m'a bien nommé au Collège Impérial, alors peut-être qu'un regard quelque peu différent pourrait vous aider et surtout vous changez de tous ces chefs militaires en armure de fer … Quoique, entre votre épouse, Argella Durrandon et Mahée Allyrion cela doit amener un peu de piquant à tout cela. Bien que je ne connaisse guère la dornienne, je sais que tout n'a pas été simple avec la reine de l'Orage. Je suppose donc que toutes les trois, ont un fort caractère qui n'est pas toujours aisé à canaliser. » Elle lui fit un clin d'oeil amusé, bien que le rose aux joues n'avait pas encore disparu.

Alors qu'elle entendait ses paroles, elle s'inclina légèrement, avant de sortir pour pouvoir demander à ce que quelqu'un apporte au plus vite un pichet de vin à l'empereur. Elle n'eut pas à attendre longtemps pour qu'on réponde positivement à sa demande, et elle revint alors auprès de Torrhen, prenant le godet qui traînait non loin de là et le remplissant suffisamment avant de le donner à ce dernier. «  Pour le repos, je ne peux pas faire grand chose, mais au moins vous avez déjà le vin ... » Elle finit par s'asseoir comme il le lui avait proposé quelques minutes plus tôt et elle plongea son regard dans le sien. «  C'est grâce à la maison Redwyne, et à Taïna, si j'ai eu la possibilité de gagner Hautjardin et d'être mise au service de la maison Tyrell. Les Goldwyne étant les vassaux des Redwyne, elle aurait très bien pu me garder à ces côtés, mais elle m'a offerte cette opportunité. Nous avons à peine un an d'écart, nous avons donc grandi ensemble, et je pense pouvoir dire que c'est ou du moins c'était l'une de mes amies les plus proches. Je crois qu'après mon mariage, avec lord Béric, elle a sans doute été jalouse de ma situation, alors qu'elle n'était toujours pas mariée, et elle a fini par couper tout contact avec moi. La guerre entre le Bief et l'Orage a fini par définitivement enterré tout cela … Je crois que sa missive m'a quelque peu perturbé … Et je n'ai pas l'esprit tranquille … J'ai appris … J'ai appris que mon plus jeune frère, Willos, avait été fait prisonnier après la bataille de Grassy Vale. On a refusé que je m'approche de lui … Que je puisse savoir comment il va. » Certes il était dans les forces de l'ennemi, mais avait-il seulement eu le choix, quand on était le cinquième enfant et le troisième fils de la famille.

Ne pas mettre les gens mal à l’aise était parfois compliqué. Je ne pouvais pas dire que j’étais un chef en la matière. Parfois, c’était même ouvertement volontaire, sans le sens où j’espérais en retirer quelque chose. Bousculer le quotidien de personnes qui vivaient dans un certain confort moral ou pécuniaire était le plus sûr moyen de les pousser à avoir une réaction franche et honnête, de pouvoir dégager quelque chose de vrai dans leur réponse. Ce n’était pas le cas avec Mina. Je n’avais pas à l’interroger ni à suspecter quoi que ce soit qui me serait caché ou travesti de quelque manière que ce soit. Elle était plutôt honnête, quitte à parfois présenter ses faiblesses. Il n’en restait pas moins que même sans le vouloir, je pouvais brusquer et bousculer les gens qui m’entouraient. J’étais né comme ça. Rude. Un peu frustre, et rustre même. Pas que de prime abord. Avoir l’habitude d’être jugé mais d’être né au dessus de la critique m’avait rendu imperméable au besoin de courtiser mon entourage. Je n’envisageais pas pour autant que ce soit lui qui se plie en quatre pour moi. Rien ne comptait en réalité, en dehors du simple devoir. J’étais prisonnier depuis toujours de ces principes, de la valeur et de l’honneur, qui ne pouvaient s’exprimer que dans le respect de chacun de sa propre fonction. Dans tous les cas, Mina Swann était du genre à accomplir les siens et à travailler aux objectifs communs de l’Empire. Je la respectais, donc. Et la considérais comme une amie. L’une des rares, car je n’entretenais pas tant de liens aussi soutenus et réguliers que cela en dehors de mes pairs souverains ou des soldats avec qui je passais l’essentiel de mon temps, finalement.


La jeune femme semble enfin rassurée devant l’ampleur un peu ridicule prise par la situation par la faute de ma réaction, et je m’en veux un peu même si j’ai bien conscience qu’au final les choses ne sont pas tellement graves. Je m’en voulais plus encore toutefois de paraître fatigué et qu’une jeune femme puisse s’en rendre compte, même si elle m’était plutôt proche. Je prenais cela comme un aveu de faiblesse intolérable, que je me devrais de corriger.


La belle me propose son aide et son point de vue. Je soupire doucement, et lui tourne alors le dos pour regarder quelques instants les braises qui continuaient de brûler dans l’âtre au centre de ma tente. Pouvais-je seulement confier quels espoirs et déceptions habitaient la dornienne, tandis que l’orageoise avait voulu partager ma couche ? Je me sentais plus seul que jamais, au sein de cette armée. Les choses étaient devenues bien plus compliquées que lorsque je régissais le Nord et ses troupes, bien plus familières à mes yeux.


| Je suis plus fort que ça. Advienne que pourra, dorénavant. Qu’elle qu’en soit l’issue je dois assumer les décisions prises pour moi-même comme pour mon épouse, et pour tout l’avenir de ma maisonnée. Espérons tous que plus personne n’aura à se sacrifier pour sauver des enfants, trop ont déjà été menacés. Que dire ? |


Je reprends un godet de vin, et en sers un autre à la jeune femme.


| Nous devons repartir pour l’Orage car partout l’Empire est menacé sur ses flancs. Pendant qu’on progresse ici, d’autres armées attaquent nos bases arrières. L’ennemi est partout, aujourd’hui. Et la désunion n’est pas loin. Je me battrais jusqu’au bout, mais jamais encore je n’avais eu à reculer. |


Je ne dis rien de plus. En mon for intérieur, je commence à sentir que l’équilibre des forces a peut être définitivement basculé de l’autre côté. Moi, reculer, c’est le signe que tout va mal. J’avais l’habitude de tout miser sur ma prochaine bataille mais aujourd’hui trop de choses, trop de vies même, étaient en jeu. Si je me plantais, beaucoup plus de gens que d’habitude allaient en payer le prix fort. Je me sentais vieux et dépassé. Et diablement seul. Les autres voyaient leurs intérêts dans ce conflit. Certains n’y croyaient même pas, y compris parmi mes proches et ma propre famille. Jamais encore on ne m’avait aussi peu suivi qu’aujourd’hui. Mon autorité, pour la première fois de ma vie, reposait plus sur mon titre que sur ma capacité à entraîner des gens derrière moi. Cette froide constatation était cruelle, et me ramenait à ma propre vulnérabilité et à mes propres manquements en tant qu’homme. La jeune femme boit et s’assied face à moi. Je la regarde, froid, sérieux, détaché. Peu d’affect, quand il faut évoquer les sujets sérieux. Ne rien montrer de ce que l’on pense ou de ce que l’on ressent. La peur de l’abîme était bien là. Mais peut être aussi simplement parce que ce combat, cette quête, était dévolu à de plus jeunes âmes que la mienne, déjà trop éprouvée par tout ce qui avait été traversé au cours de mon existence.


La blonde me confie le destin de son frère. Je la dévisage, la scanne intensément de longs instants.


| Je ne puis vous conseiller sur votre amie. Si ce n’est que si elle vous a écrit, c’est sans doute pour une très bonne raison. Quant à votre frère Willos, s’il a été fait prisonnier vous pouvez bien sûr le voir. Je vous ferais signer un blanc-seing qui vous ouvrira les portes des geôles, si c’est ce que vous souhaitez. S’il ne rallie pas votre autre frère dans sa troupe, ce qu’il est libre de faire, il sera bientôt conduit en terres de l’Orage en attente d’un échange de prisonniers… |

Mina n'avait jamais vu Torrhen dans cet état, et son cœur se serrait à l'image qu'elle avait devant lui. Il n'était pas question de ses blessures physiques, elle les avait toujours connu depuis qu'ils s'étaient rencontrés pour la première fois à Fort-Darion, et s'il était couvert de cicatrices à l'époque, la jeune femme n'était pas non plus au meilleur de sa forme à ce moment-là, c'était même tout le contraire alors qu'elle était aussi pâle que la mort et qu'elle n'avait pratiquement plus que la peau sur les os après plusieurs semaines où il avait été difficile de l'alimenter. Les mois avaient passé, les cicatrices étaient restés, mais Mina avait réussi à se relever, elle avait repris du poids et des couleurs, et même si parfois sa poitrine semblait douloureuse et que sa toux venait à se faire à nouveau présente, elle était en bonne santé comparer à un an auparavant. Et il était certain que toutes les opportunités qu'on lui avait offerte au cours de cette année et celles aussi qu'elle s'était offerte, malgré les tragédies qui avaient continué à arriver, qu'elle avait réussi à remonter la pente et qu'elle pouvait être aux côtés de l'empereur à cet instant. Elle ne pouvait pas dire qu'elle était sa plus grande ou sa plus vieille amie, qu'elle connaissait les tourments qui étaient les siens, même ceux qui étaient les plus secrets, les plus cachés au fond de son cœur et qui venaient à inquiéter son âme et son esprit ; et sans doute qu'elle ne viendrait jamais à le connaître de façon aussi personnelle, ce n'était certainement pas contre elle, mais elle n'avait pas le même statue que lui, elle n'avait pas non plus le même âge, ni le même sexe et il restait dans tous les cas, un roi avec ses secrets et ses blessures d'homme qui ne la regardait en aucune façon. Mais il était las et elle le voyait bien. La guerre venait à mettre tout le monde à rude épreuve, et cela était sans aucun doute encore plus vrai pour un souverain, pour un empereur. Les questionnements, les doutes devaient être nombreux. Il fallait gérer une armée, administrer tout un royaume, remettre à plat les possibles tensions entre les différents souverains et l'ensemble des protagonistes. Chacun avait sa vision de la chose, que ce soit de la gestion de terres, d'un peuple, de soldats ou de la stratégie qu'il fallait employer pour pouvoir y parvenir. Non à cet instant, bien plus qu'à n'importe lequel auparavant, elle ne voulait pas être à la place de Torrhen Braenaryon, elle n'était pas faite pour cela, et elle n'aurait jamais les épaules pour pouvoir supporter un quart de ce qui était sa charge et peut-être sa peine également. Et elle ne pouvait que le respecter un peu plus, à chaque minute qui passait.

La jeune femme eut un léger sourire triste sur les lèvres en le regardant, alors qu'il semblait perdu dans ses pensées, elle se rapprocha quelque peu de lui sans pour autant faire un mouvement dans sa direction. « Je ne doute pas que vous êtes fort votre Majesté … Mais ce n'est pas pour autant que vous devez toujours vous montrez sous votre meilleur jour, même sous l'intimité de votre tente. Je ne suis peut-être pas la mieux placée pour cela, il en est certain, mais vous avez le droit de faire tomber le masque devant moi quelques instants, rien ne sortira d'ici … Jamais. Vous avez été présent pour moi, alors que j'étais au plus mal, laissez-moi l'être pour vous également en cet instant. » Elle posa un regard plein de douceur sur l'Empereur. « Si on ne se sacrifie pas pour des enfants, alors quel sacrifice vaut-il d'être fait dans la vie ? » Elle le laissa continuer à parler, et son cœur manqua un battement quand il lui parla de la situation globale dans laquelle se trouvait l'Empire et la menace qui venait à présent d'ailleurs et à de nombreux endroits. Elle pensa alors à ses enfants rester à Fort-Darion, mais elle était certaine que s'ils avaient été en danger, il n'aurait pas manqué de lui en parler. Elle serra donc un peu plus la coupe dans sa main, sans pour autant goûter à son contenu, son esprit venait à s'éloigner d'ici quelques instants avant de reporter son attention sur Torrhen. « Plus on gagne, plus on est craint. Les ennemis de l'Empire sont nombreux, et même si votre projet est la paix, il est clair que tout le monde ne le voit pas de cet œil et qu'ils seront déterminés à nous combattre. Peut-être que pour le moment, reculer est la meilleure des stratégies pour pouvoir ensuite faire une nouvelle percée encore bien plus grande que la première. Cela vous permettra de stabiliser ce qui est déjà sous votre contrôle et votre protection, et de calmer les tensions qui peuvent exister au sein de l'Empire. Pour avoir été nommée au Collège Impérial, il n'est pas simple de faire suivre une volonté par autant de personnes qui ont un caractère et une expérience de vie si différentes les uns les autres sans qu'il n'y ait un seul accroc. Regardez à mon niveau, Lord Dovan Caron me méprise ouvertement car je suis née dans le Bief … Et pourtant je ne suis qu'une lady qui n'a jamais combattu et n'a jamais pris une décision militaire en cette faveur … Alors des souverains, qui ont a cœur comme vous de protéger leurs royaumes, cela ne peut qu'être épuisant. » Elle vint alors s'asseoir à ses côtés et après avoir déposé son verre, elle vint délicatement prendre la main de l'empereur dans la sienne, nouant ses doigts aux siens sans pour autant le regarder, légèrement rougissante de ce geste. « Vous ne pouvez vous battre seul, et ce n'est pas pour cela que vous devez vous jugez coupable d'un quelconque échec ... » Elle serra un peu plus sa paume dans la sienne, fermant doucement les yeux à ses derniers mots. « Quant à mon frère, je ne sais pas quelle décision il prendra, s'il est entré dans l'armée car on n'attend plus rien d'un cinquième enfant, ou si c'était par profonde conviction pour son royaume et pour son souverain. J'ose tout simplement espéré qu'il se souviendra assez de notre lien pour se laisser approcher et me laisser parler. Au moins, je l'aurai revu en vie au moins une fois  »

Personne n’aura à se sacrifier pour aider et protéger des enfants. Quel vœu pieux. Presque idéaliste. Quelle gageure, surtout ; notre Histoire collective nous prouvait à chaque instant que personne n’était à l’abri. Ni ceux qui savaient se défendre, ni ceux qui ne savaient pas. Dans tous les cas, la souffrance était au rendez-vous, et la dureté des épreuves n’aidait personne. Je devais passer à autre chose. Sans cesse avancer, au risque autrement, d’être laissé sur place et d’être abattu par mes ennemis, aidés en cela par les démons qui me taraudaient depuis toujours et qui se renforçaient au fil des années. Je devais continuer de les affronter… Cette mise à distance était aussi une mise en abîme de mon âme. Quelque chose de fort, de tortueux. Un travail permanent sur moi-même. Difficile, dès lors, d’envisager de vivre une existence pacifiée loin de tout ce qui caractérisait mon insouciance d’autrefois. Qu’il était loin, le Torrhen d’alors, toujours bon à se démarquer des autres par sa joie de vivre et par sa soif de découvertes et d’expériences…


Au fond, je ne le regrettais pas.


Il n’aurait pas survécu aux épreuves auxquelles je devais aujourd’hui faire face. Mais d’un autre côté, j’aurais pu continuer longtemps de prier mes Dieux Anciens pour un peu de paix, un peu de temps pour moi. J’en avais fait mon deuil. Je pouvais souhaiter longtemps que ça arrive sans pour autant y parvenir… Maintenant que j’étais propulsé dans ces circonstances, Empereur, général en chef, homme en guerre et père de famille, je n’avais plus d’autre choix que de celui de savoir comment vivre les circonstances dans lesquelles je me trouvais plutôt que de les choisir elles-mêmes. Je reste solide. Campé sur mes positions. Cette attitude neutre, objective, a toujours été ma marque de fabrique, et honnêtement mon meilleur rempart contre l’essentiel des attaques que j’avais pu recevoir dans mon existence. Quand je me tenais ainsi, je me donnais un sentiment de puissance, celui de me dire que rien ne m’atteignait vraiment.


Un leurre, rien de plus, mais cela me suffisait bien à raviver un courage froid. Je déglutis, toutefois, et fuis le regard de la jeune femme un instant quand elle m’incline à une faiblesse que je ne pourrais jamais partager sans conséquences.


| Vous avez bien entendu raison. Les enfants sont la raison et la cause de tout. Je vous remercie pour votre confiance. C’est ce genre de lien, de principe, qui fait fonctionner l’Empire. Colosse aux pieds d’argile. Nous survivrons collectivement ou nous mourrons seuls. |


Certitude chevillée au corps depuis longtemps. Depuis que le Val nous a tourné le dos et nous a laissés seuls face à nos innombrables ennemis. Bien sûr, elle avait raison. Le projet que nous bâtissions était ambitieux. Peut être utopique. Il n’avait jamais été question de l’imposer. Peut être avais je cru un moment que les choses ne seraient pas aussi difficiles. C’était possible… Mais souvent, une petite voix en moi m’avait plutôt murmuré que c’était impossible. Qu’on finirait submergés, par tous ceux qui ambitionnaient de nous conquérir auparavant, mais aussi par ceux qui jalouseraient le pouvoir qui serait dégagé par notre unité, notre mise en commun de ressources. J’écoute ce qu’elle me dit sur la haine, la colère et la rancœur qui continuaient d’animer certaines personnes au sein de l’Empire. Pas d’angélisme sur ce sujet, c’était certain. Je savais bien que les inimitiés perduraient, et plus encore, qu’elles pouvaient s’accroître selon la réussite ou l’échec sur le terrain…


Je déglutis à nouveau, regard posé sur sa main. Doigts entrelacés. Je ressens quelque chose…


De la proximité ? De l’amitié ? Du désir ?


Ce geste est inconvenant, toutefois. Je l’ai peut être encouragé, alors que je n’aurais pas dû. J’étais vieux, laid et marié. Mina était tout le contraire. Je ne pouvais pas atteindre à son honneur ou à sa vertu, et moins encore laisser condamner son image par des situations mal venues et ambiguës. Je retire doucement ma main avant de venir envelopper la sienne des miennes, les deux rassemblées. Glaciales, comme toujours.


| Je ne peux pas, et je ne le veux pas. Mais je ne peux pas risquer de porter ombrage à votre réputation, ma douce amie. Pas comme ça. Vous ne vous rendez pas compte des dégâts qu’occasionnent déjà notre réputation, à ma Dame et à moi-même, et que cela impacte tout l’Empire à la suite. Quant à votre frère, je vous laisse essayer. Je fais confiance à votre jugement. |

Le monde tournait parfois d'une bien étrange façon. Il était certain que pour la petite Mina Goldwyne, née à la Treille des années auparavant, il semblait qu'il tournait parfois vite, bien trop vite, pour qu'elle puisse garder l'équilibre face à ce qu'elle avait pu connaître dans sa si jeune existence. Elle ne regrettait rien de tout ce qu'elle avait vécu, des choses avouables à certaines bien plus coupables qu'elle avait pu vivre ou commettre. Peut-être qu'elle viendrait un jour à payer le plus lourd prix face à tout cela, face à la bonté dont on l'avait gratifié, à la confiance qu'on lui avait accordé alors qu'elle n'était pas parfaite, sans être pour autant la pire des criminelles qui pouvaient bien exister à Westeros. Elle appréciait les nouvelles charges qu'elle avait, et prenait à cœur de remplir sa tâche jour après jour, autant auprès de sa souveraine, que du couple impérial. Se sentir utile était quelque chose d'exceptionnel surtout dans un monde d'hommes où les femmes avaient une place bien précise, et quand elles se retrouvaient généralement à suivre une armée, ce n'était pas pour rendre de tels services, mais bien plus pour vendre son corps aux soldats qui étaient en manque de chaleur humaine et de contacter plus doux que celui d'une épée qui s'entrechoquait dans une autre. Mina était pour le moment sous bonne protection, et personne n'était venue lui porter une quelconque offense. Elle savait qu'elle devait cela à la position qu'elle occupait, bien que très peu de gens était véritablement au courant de ce qu'elle faisait là, venant souvent à disparaître de longues heures on ne savait trop où. Mais il était certain que cela ne pourrait que faire naître de nouvelles rumeurs dont elle serait la cible, et si pour le moment elle n'en avait que faire, cela pouvait changer. Les allusions de son beau-frère à son égard lors de leur dernière entrevue l'avait rendue tout simplement folle de rage, et il n'avait eu de cesse de lui rappeler où se trouvait sa place. C'est à dire, à Pierheaume.

Mais elle ne se voyait pas rentrer, elle ne voulait pas rentrer, il en était hors de question. Elle savait ce qui l'attendait une fois qu'elle serait dans la cité des Swann, elle savait les désirs et les ambitions qui peuplaient l'esprit d'Edmund. Il voulait le titre de Lord, il voulait la régence sur le petit Harlan, et il voulait l'épouser elle, comme cela arrivait souvent dans les familles, quand la femme de l'aîné devenait sa veuve et que le second n'avait toujours pas pris d'épouse. Ainsi tout rentrait dans l'ordre, rien ne bougerait, et surtout pas la jeune lady qui se devait de répondre à ses ordres et à ses désirs. Elle ne voulait pas partir, s'éloigner à nouveaux de ses frères, de ceux qu'elle pouvait sans doute appeler amis, même si certains portaient une couronne sur la tête. Elle n'avait pas vraiment envie de quitter les jumeaux non plus, ils étaient si attachants. Elle n'avait pas envie non plus de le quitter lui, cet empereur bourru qu'elle avait appris à connaître au cours des semaines, qui étaient devenus des mois. Surtout à un instant où il semblait aussi peu serein, si fatigué, si fragile. L'Empereur avait toujours semblé être un roc, immuable, qui serait toujours présent pour les autres et sur qui il était si évident et si simple de se reposer. Il était fait pour cela, pour régner, pour guerroyer. Ce n'était pas à remettre en question. Mais les coups du sort ne l'avaient pas épargné, et aujourd'hui, la pierre semblait moins solide qu'avant, plus prompt à s'éroder et même à se fendre.

Il n'était pas simple de voir Torrhen Braenaryon ainsi et elle préféra garder le silence après ces quelques mots. Mourir seul. C'était un bien triste sort que celui-ci et rien que l'idée vint à la faire frissonner de la tête jusqu'aux pieds, elle ne voulait pas encore se résoudre à cette possibilité, même si elle semblait parfois se rapprocher d'une façon terrible. Elle rouvrit les yeux alors qu'il entourait sa main des siennes et elle plongea son regard dans le sien, écoutant ses paroles sans montrer au début une quelconque réaction. « Encore une fois je vous remercie de vous soucier de ma réputation et de vouloir la protéger, mais je crois que notre amitié est une force plutôt qu'un préjudice. Quant au reste ... » Elle n'ajouta plus un mot, alors qu'elle avait un léger sourire malicieux. Elle se redressa légèrement et elle vint déposer un baiser sur la joue de l'homme, restant ainsi quelques longues secondes, tout en détachant ses mains des siennes. Elle vint ensuite à faire une révérence devant lui. « Je vous remercie pour votre écoute, et de me permettre de voir mon frère votre Majesté. » Elle commença à s'éloigner et se retourna brièvement vers lui. « Et si vous désirez parler, vous savez où me trouver. » Elle quitta alors sa tente.