La sécurité était renforcée. Le château était calme, tranquille. La guerre allait bientôt recommencer mais en attendant, les gens faisaient la fête, en bas. Ils buvaient à l’idée de répandre le sang. En haut, dans les appartements, pas un chat, ou presque. Le dragon Ebryon, qui n’en faisait qu’à sa tête et qui était encore de la taille d’un énorme chien, mangeait dans un nid de cigognes sur la plus haute des tours, pendant que la garde battait inlassablement le pavé. Deux petits dormaient profondément. Cette guerre n’était pas la leur, mais ils auraient la charge de celles à venir dans dix ans, dans vingt peut être. Ils étaient le sang de l’Empire, Glace du Nord et Feu du Dragon mêlés, réunis. La Garde Sombryndor vaquait à ses occupations ; Leslyn Raybrandt, dame guerrière, nettoyait son équipement, pendant que Yesaminda Forel, dame de l’Impératrice, plier le linge de ces jeunes altesses. Dans le couloir, la Garde Demalion, la redoutable Garde Impériale. Tous des vétérans de trois conflits minimum, ce qui signifiait que certains étaient déjà là vingt-cinq ans plus tôt quand l’Empereur était encore surnommé le Jeune Loup. Formidable protection que voilà. Et il y avait les prêtres, aussi. Une petite côterie de septons qui remontait le couloir, priant les Sept. Les Demalion se regardèrent. Des septons, ici ? L’Empereur était traité de païen, l’Impératrice d’hérétique. Poignée sur le fourreau, ils ne se laissèrent pas approchés, les Demalion. Mais à peine avaient-ils commencé à dégainer que deux lavandières qui descendaient enfouirent leur lame sous le casque des terribles soldats, qui s’effondrèrent sans un bruit.
Le complot était lancé. Le sang rougissait déjà les dalles d’Accalmie, souillée par l’ignominie. Les prêtres retirèrent capuchons et robes de bure, et dévoilèrent glaives et poignards. Leur chef, le Dévôt, s’était fait connaître quelques mois plus tôt pour avoir lancé la vendetta du peuple des Sept contre les vils souverains de l’Empire et leur propre traînée de reine. Si belle et si noble Argella Durrandon, qui avait lancé un appel aux réfugiés. Facile alors, avec son passé de piquier d’Argilac le Grand, de se faire accueillir en la capitale avec ses complices. D’un fanatisme intelligent et retors, l’homme ne fut pas long à trouver complicité. Chez des agents du Bief, chez d’autres désespérés et fanatiques comme lui. Entrer n’avait pas été facile, jusqu’au Saint des Saints ; le château qui dominait la ville. Il avait fallu corrompre, décider, acheter, faire chanter ou tuer. Ils étaient entrés par les catacombes que jadis, l’homme avait gardé pour le Roi qui partait butiner incognito la gueuse, vingt ans plus tôt. Il avait encore fallu une complicité interne. Pour déverrouiller l’accès des catacombes de l’intérieur. Et voilà les soudards rentrés, deux vétérans de l’Empire assassinés, et une demie-douzaines d’assassins sur les marches qui menaient jusqu’aux appartements impériaux. L’Empire n’était qu’une idée ; ils l’avaient compris. Une idée, ça se tue plus facilement qu’un vieux guerrier entouré de centaines d’hommes ou qu’une jeune impératrice qui commande aux dragons. Une idée n’est jamais aussi facile à tuer que quand elle n’est qu’innocence, et qu’elle ne marche pas encore. Ils ont vu l’Empereur parcourir plus bas le chemin de ronde en direction du camp, quittant tôt les libations. Et ils savent que l’Impératrice est entourée de centaines d’hommes en armes, et de la Reine honnie elle-même.
Bruits dans l’escalier. Leslyn Raybrandt tire l’épée et sort, sans autre équipement, sans son armure. Elle est Sombryndor, et elle connaît assez la routine de la Garde Impériale pour savoir quand quelque chose cloche. Elle ouvre la porte et la lumière de ses appartements conduisant à ceux des petits baigne le couloir ; deux Demalion tirent l’épée contre huit individus. Ils crient, houspillent, repoussent. Un cultiste est abattu, presque fendu en deux. Une des lavandières se fait embrocher mais frénétique, maintient la lame en elle alors que ses camarades font chuter le guerrier et le lardent de coups de lames. Le second est déjà submergé, même en coupant en deux un visage par l’horizontale.
Leslyn se retourne et hurle à Yesaminda de s’enfermer avec les petits, de barricader la porte. Elle fait de même, rageuse de la trahison. Et pousse une table contre une porte déjà à demi-dégondée à coups de bancs. L’alerte sonne, en bas. On se précipite dans l’escalier, on découvre les corps au premier niveau. Déjà, la porte cède. Le banc utilisé comme bélier passe au travers de la chambranle et le premier fanatique est cueilli à la gorge d’un coup d’épée précis. Il en reste quatre. Leslyn est seule. Rescapée de la rebéllion contre Harren le Noir, elle a été de toutes les embuscades, et a veillé sur Rhaenys au prix de sa vie. Elle vend chèrement la sienne. Egorge la dernière traîtresse, pousse un autre agresseur contre le mur, prend un coup de lame qui lui déchire la joue et lui lacère la poitrine. Elle crie, enfonce sa lame comme un dard de scorpion, d’une pique en pleine poitrine. Elle tombe, lardée de coups de couteaux.
Yesaminda Forel étouffe un cri dans sa main, adossée à la porte. Elle tremble, se fait secouer sous les assauts. Elle est enceinte, d’un chevalier du Bief passé à l’Empire. Elle n’a plus beaucoup de forces, elle est fatiguée. Mais elle tient quelques instants. Jusqu’à ce qu’une fenêtre ne s’ouvre, et que le dernier conjuré n’entre à son tour avec la grâce et l’agilité d’un chat. Des traits quelconques. Un air simple sur le visage. Neutre, indifférent. Long coutelas en main. Elle se débat, lui donne des coups, mais il lui tranche la gorge, et rejette son cadavre sur le côté. Il regarde les berceaux. Il a tout fait pour leur faciliter la tâche, mais ce n’est pas à lui de porter le coup fatal. Le contrat stipule que les assassinats doivent être du fait des conjurés, des factieux qui agitent ces pathétiques royaumes. L’ordre ne doit pas être suspecté. Alors il ouvre la porte de l’intérieur. Et les deux derniers fanatiques le dévisagent, sourcils froncés. Comment est-il arrivé là, ce garde qui leur a ouvert de l’intérieur ? Il leur indique les deux berceaux, les petits qui hurlent. Ils doivent faire vite. Couteau en main, ils n’hésitent pas et passent de chaque côté des deux berceaux. Le petit Aeden braille à s’en éclater les poumons. L’étrange Athynéa dévisage son meurtrier de ses yeux si sombres, et a arrêté de pleurer.
Le complice, lui, s’enfuit par là où il est arrivé, sans un regret pour les deux hommes qu’il laisse à leur meurtre puis à leur mort. A peine a-t-il grimpé sur la corniche qu’il voit une ombre tomber de la plus haute tour.
L’ombre, ramassée en boule sur elle-même, fracasse la fenêtre et passe au travers de la vitre sans s’esquinter sur les vitraux. Il frappe et percute le premier homme et le choc le repousse jusqu’au centre de la grande pièce, prit dans l’étreinte mortelle de ses serres, est déchiqueté et lacéré de crocs et de ses grandes griffes d’oiseau. L’autre tueur, sous le choc de l’entrée, de la percussion des corps, se reprend et veut frapper, mais un jet de flammes craché depuis cette tête reptilienne qui mordait son complice à l’épaule, et le happe totalement. Il hurle et se débat, met le feu au berceau alors que le monstre lui, déchiquette le corps cru, avant de passer au cuit pour le faire taire. Sur ses proies dévastées, il se redresse sur ses ailes et lâche une série de cris perçants. L’Empereur, arrive avec la Garde Demalion qui lui emboîte le pas. De peur panique, il passe devant la créature qu’il reconnaît et tire Athynéa du berceau qui prenait feu. Et donne de grands coups de draps enroulés pour éteindre les flammèches qui déjà léchaient l’emmaillotage des petits. L’Impératrice arrive alors, pour constater que sa fille a hérité de son sang, et de ses vertus. Elle est le Dragon, mais elle dévisage sa mère ivre de rage d’un air calme. Et ne pleure que quand on l’éloigne de son frère, le temps de le récupérer à son tour.
Le dernier tueur court sur les toits. Il a la Mort aux Trousses. Il sent le déplacement d’air. Pour être un prédateur, il sait qu’il est maintenant chassé.
Il tente le tout pour le tout et saute pour atteindre depuis le toit du corps de garde la pale du moulin qui tourne si vite à cette heure de la nuit. L’ombre lui cache la lune au moment où elle le prend en plein vol, et il ne peut que crier quand elle l’amène dans son propre nid, lui brise le dos en le faisant chuter de haut, et le cloue au sol de ses serres pour lentement le désosser à coups de crocs.
L’enquête fut rapide et le château n’avait pas dormi de la nuit. La rage de l’Empereur était terrible. Il avait laissé à l’Impératrice le soin de protéger ses enfants et avec la Reine de l’Orage, il avait remonté la piste des tueurs. Ils furent vite identifiés malgré leurs blessures. Des fanatiques du Grand Septon. Orageois pour six d’entre eux. De pauvres hères convaincus par les prêches et les sermons, arrivés méritants de la patrie comme bien d’autres réfugiés. Mais retournés par l’ennemi. Et la seule explication au garde retrouvé tué dans les latrines, visage découpé et à l’ouverture de l’intérieur d’une poterne secrète du château impliquait une vieille légende, à laquelle on ne survivait pas. L’Ordre Sombryndor avait été fondé pour protéger les héritiers. Et l’Ordre avait été massacré en accomplissant sa mission. L’Empereur rassura la Reine Argella. Des forces occultes étaient à l’œuvre contre l’Empire, contre Rhaenys depuis le premier jour de son accession au trône.
Le commanditaire ? Personne ne lâcha le morceau, même après des interrogatoires terriblement musclés. L'Empereur et ses hommes se salissaient les mains sans vergogne. Mais il ne faisait aucun doute qu’il y avait assez de monde pour haïr l’Empire, en Westeros comme ailleurs.
L’Empereur et l’Impératrice le jurèrent ; ceux qui s’en prenaient à leur famille ne mériteraient aucune pitié. Rhaenys soignait les corps de ses amis, des protecteurs de ses enfants. C'était pour elle une marque de respect. Un couvre-feu fut instauré, personne ne put plus s'approche des appartements impériaux et les dragons, depuis les tours, veillaient eux aussi au grain, leur ombre balayant la ville à intervalles réguliers.
Les quelques complices retrouvés furent soumis à la vindicte populaire, car la majorité du peuple soutenait sa Reine, et il s’en trouvait pour soutenir l’Empire aussi. La demi-douzaine de captifs survécu difficilement à la procession qui devait les amener aux portes de la ville, caillassés et bastonnés, ils trouvèrent l’Empereur, l’Impératrice, ses dragons et toute l’armée déployée devant le Corps de Garde. Là, ils furent cloués vifs sur des croix de bois ; l’Empereur et les proches des disparus, compagnons et autres, donnèrent du maillet pour hisser ces nouveaux avertissements vers l’ouest et le sud ; l’Empire partait en guerre.