Fardée à outrance pour accentuer les traits de ce personnage que j’allais incarner, j’en dessinais ensuite d’une main alerte, la moustache fine dont chaque pointe frisottait comme une arabesque. Mes habits étaient volontairement un peu trop grands pour amplifier des courbes masculines que je ne possédais pas. Au moins je n’avais pas à bander mes seins comme Mira. Enfin pour ce qu’il y avait à camoufler… c’est fou comme il y a de l’injustice à ce niveau quand je regarde à l’intérieur de ma tunique. Je laisse partir un soupir en la lâchant pour attraper une longue pièce de tissu afin d’en faire un turban autour de ma tête. Ce soir, j’allais incarner Le Tigre, cet ennemi juré de Westeros. Les dernières rumeurs parlent de la trêve réclamée par la Princesse Deria et le Tigre après qu’un autre conflit eut lieu, massacrant un trop grand nombre d’hommes de part et d’autre. Dornienne de naissance, cela n’empêche pas mon cœur de saigner pour tous ceux qui ont donné leur vie...au nom de quoi ? De plus de pouvoir ? D’une terre… On dit que des navires sont et leurs hommes sont sacrifiés pour que d’autres plus opportuns puissent atteindre leur but. On dit tellement de choses que je ne sais plus démêler le vrai du faux. Franchement vous y croyez, vous à des monstres qui auraient terrassé des cohortes de soldat ?... j’ai l’esprit large mais là. En tout cas le Bief piétinait toujours Dorne, gagnant des terres en compensation d’une paix. Bien que les risques soient considérables, nous avions fait de toutes ces rumeurs une pièce comique ou satirique suivant le point de vue du spectateur qui la regardait. Une histoire qui faisait la part belle à la Princesse qui réussit à convaincre un jour de s’allier au Tigre donc moi dans cette pièce. D’un combattant et stratège très certainement hors pair, nous en avions fait un chaton docile aux pieds de la maison Martell. Les fer-nés devenaient les marionnettes d’une coalition aux visages des puissances centrales, que nous avons choisi d’illustrer seulement par le Bief. D’ailleurs nous avions juché un biefois aux couleurs de la Maison Hightower sur un poney… très certainement pas du tout au goût du véritable lord de cette Maison renommée.

- Aïshaa magne-toi c’est à toi.
- ….j’arrive, j’arrive… Me précipitai-je en avalant un morceau de pain.

Que le spectacle continue…

Le tout premier souvenir qui me revient quand je ferme mes yeux c’est justement les premières secondes où je les ai ouverts sur le visage de Perham. Du plus lointain que je me souvienne je n’ai jamais lu autant de compassion chez quelqu’un. Peut-être en a-t-il eu sur celui de ma défunte mère mais je serais bien incapable de l’affirmer. Quand on m’a retiré de ses bras, je n’étais encore qu’un bébé. Des mamans j’en ai eu plusieurs mais aucune ne devaient savoir vraiment quel était le rôle d’une véritable maman. Oh non n’allez pas croire que j’ai été maltraitée, non pas du tout. D’ailleurs les bâtards sont plutôt bien considérés à Dorne. Non c’est juste que je ne sais pas ce qu’on éprouve quand on possède l’amour d’une mère… ou d’un père.

C’est un concours de circonstance qui m’aura appris que je suis l’enfant illégitime de Lord Santagar. Ma demi-sœur Allyria se sera chargée de m’apprendre que je n’étais pas de son sang. Pff les gosses sont parfois si cruels entre eux. Etait-ce de ma faute si elle et moi partageons le même père ? Je n’avais rien demandé et n’attendais rien d’autre si ce n’était une famille. Et bien cette famille de sang, je l’ai fuie quand mon lord de père a voulu me rendre son nom en me mariant à je ne sais quelle autre maison. La tête farcie des aventures que je lisais, je me croyais forte, prête à affronter tous les dangers les poches vides. Cette grande assurance fût renforcée quand je suis passée à travers les mailles du filet des soldats à ma recherche. On se sent puissant et victorieux mais cela ne dure que l’instant des premières nuits seule dehors. Vient ensuite les doutes, la faim et la peur. Les doutes parce que ce père n’était peut-être pas si mal attentionné. La faim ensuite qui vous conduit à voler sur les étales ou à manger dans des restes laissés dans des assiettes. La peur parce que vous ressemblez trop à une jeune fille alors vous faites en sorte de transformer en jeune homme, volant des hardes, coupant vos cheveux.

Mais ceci ne dure qu’un temps, peu à peu le manque de nourriture puise dans mes forces qui déclinent. Mal nutrition et quelques mauvais traitements n’améliorent rien. Je finis par tomber d’épuisement. Ma survie je la dois à la troupe du Soleil. A Perham plus exactement qui découvrit mon corps malingre dans un fossé.

Père et mère à la fois, comme avec chacun des membres de la troupe, les quelques années que j’ai partagé auprès de lui m’ont fait grandir sans doute plus vite. Les arts du divertissement n’ont plus de secret, j’aime jouer la comédie autant que j’aime danser nus pieds autour d’un feu ou pour régaler les yeux de nos spectateurs. Perham m’a offert cette famille qui manquait à mon cœur, régalant en même temps ma soif d’aventures même si elles ne se passent que le temps d’un spectacle.

Notre petite troupe sillonne les routes au rythme du vent quand il ne nous porte pas vers des terres hostiles. Les temps sont difficiles rendant malheureusement les routes incertaines. N’allaient pas croire que nous ne sommes que des saltimbanques sans défense. Je pourrais vous dire que Cynric ne manque jamais sa cible aux couteaux, que Mira joue parfaitement de la fronde et etc…quant à moi, il s’avère que j’ai développé une prédisposition pour le tir à l’arc. Saltimbanque, voleurs ou coupe-jarrets… est-ce que tout ceci à vraiment de l’importance quand il s’agit de votre famille de cœur dont je suis à présente la Reine ? Qui l’aurait cru que je pourrais un jour m’enorgueillir d’un titre tel que celui-ci.

Je n’ai pas perdu l’habitude de me vêtir comme homme quand nous voyageons, c’est tellement plus pratique. Seuls mes cheveux peuvent me trahir si je ne les dissimule pas. D’ailleurs je m’en amuse beaucoup quand on cherche la petite danseuse qui vient de se produire.

J’aime cette vie malgré sa rudesse, mes rêves n’ont pas limite sauf peut-être celle de cette mer qui sépare Westeros d’Essos. A quoi ressemble cette terre ? Les peuples qui l’habitent sont-ils si hostiles que le raconte ? Le Tigre est-il aussi assoiffé de pouvoir que l’Empire ?