L’appel a enflammé Westeros.
Sa Sainteté le Grand Septon Lycaon XII a lancé un vibrant appel à ses ouailles ; les Sept saignent des maux infligés aux croyants par les apostats, les hérétiques et les païens. Le discours, relayé de village en village par les marchands, les prêtres itinérants, par des crieurs publics, a fait grand bruit. Le message, véritable appel aux armes et à la guerre sainte, se diffuse depuis le Grand Septuaire de Villevieille et enflamme les communautés les plus ferventes sur son passage.
Dans le Bief, le feu a pris rapidement. Les marchands de Villevieille et de La Treille n’ont eu besoin que de quelques jours pour se concerter et mettre au service de la Foi des cogues et des galères de commerce, parfois anciennes, d’autres mieux armées et mieux entretenues. Des armateurs privés ont également envoyé des vaisseaux et des équipages de volontaire. Piètres combattants mais dévoués à transporter les guerriers de la Foi où leur présence sera requise. Si les dons affluèrent sur mer depuis les domaines Hightower et Redwyne, le Bief vit également se rassembler spontanément des foules qui s’équipèrent de bric et de broc ; piques et épieux improvisés, outils agricoles ou armes anciennes. Chez les Tarly, tout ce que le château disposait encore de francs coureurs, de sergents et de jeunes fils de chevaliers. D’autres seigneurs, ayant évité jusque là la guerre contre Dorne et l’Orage, se mirent à disposition avec leurs troupes personnelles et leurs serfs au service des Fils du Guerrier et des Pauvres Compagnons. Même chose pour Lord Bullwer, Lord Costayne, Ser Merryweather, Lord Rowan, Ser Tyssier. Les levées paysannes furent gonflées de la mise à disposition de certaines unités de milices bourgeoises, comme chez les Vouyvière, Varnier, Grimm, les Mullendore, les Peake, les Risley, les Serry ou les Cuy. Ces rassemblements de troupes arborant l’étoile à Sept Branches sur leur surcôt se mirent dès lors à converger vers Villevieille pour se mettre à disposition de Sa Sainteté. Il se murmura bientôt que près de 10 000 nobles, chevaliers, sergents, miliciens, artisans et paysans avaient « pris l’Etoile ». Autant de recrues potentielles en moins pour l’armée Royale, et de bouches à nourrir en plus pour le peuple, avec moins de bras pour la produire. Mais les Bieffois, particulièrement dévôts, avaient accueilli favorablement la légitimité religieuse de leur quête de vengeance des déprédations subies sur leur frontière. Ils se pressaient sous l’étendard des Sept, clamant leur haine des non-croyants.
Très vite, par le commerce et la rapidité des messagers, la nouvelle passa les frontières et se répandit. L’écho qu’elle trouva dans le Conflans fut particulièrement limité. Comment partir en croisade contre les Nordiens quand nombre de familles révéraient encore les Anciens Dieux, quand certaines, disait-on, soutenaient la libération du joug d’Harrenhal, et, raison principale, quand la défense du royaume incombait aux terribles fer-nés, eux-mêmes païens ? La majeure partie des centaines de recrues vint de la côte occidentale et se rassembla à Salvemer, sous le commandement du vieillissant Lord Mallister et de ses fils, qui rassemblèrent les jeunes et les vieux de leurs domaines, ainsi que toutes les montures disponibles. La troupe était peu nombreuse, mais extrêmement motivée. Le rassemblement à proximité des troupes royales fut toutefois source de tensions ; les capitaines aux ordres du Roi Harren ne comprenaient pas que ces volontaires préfèrent se battre pour les Dieux, sous l’autorité d’un Pontife étranger, plutôt que sous celle du Roi. Lord Mallister envoya une missive au Grand Septon, attendant ses nouvelles instructions.
La flamme reprit de plus belle dans l’atmosphère déjà électrique de l’Ouest. La populace y grondait contre ses dirigeants, ses dirigeants voulaient défendre ses privilèges et différentes factions émergeaient depuis des semaines, sans que n’émanent de Castral Roc l’autorité pour rétablir l’Ordre Royal. Les festivités pour le mariage de la Princesse Megara y étaient encore dans tous les esprits… Mais l’appel du Grand Septon fut entendu. La population de Port-Lannis elle-même s’enflamma. Devait-on partir en croisade contre le peuple même de la future Reine ? Certains étaient volontaires, d’autres profondément récalcitrants. Le guet dû plusieurs fois ramener le calme à coups de hampes dans la foule pour éviter les bagarres. La tension sociale, à son comble avec la marche des Réclamants qui devait bientôt arriver à la capitale et l’occupation de Falwell par les Seigneurs Frondeurs, était un terreau fertile pour l’agitation.
Lord Crakehall, vieil homme dévôt, demanda à sa fille la Reine si le Roi avait une position officielle vis-à-vis de la croisade, tout en appuyant sur le fait qu’il était-lui-même prêt à se mettre au service de la Foi, avec la majorité de ses hommes. D’autres seigneurs prirent l’Etoile et commencèrent à rassembler leurs volontaires ; Lord Ouestrelin, Lord Serrett, qui abandonnait par là-même l’occupation de Falwell, mais aussi Lord Reyne, Ministre des Finances du Roi qui se mit à soutenir ouvertement les croisés. Des paysans arrivaient de quantité de régions, des fiefs Lefford, Lydden, Moreland, Jast, Fléaufort, Gerblance. Ils étaient globalement peu soutenus par leur noblesse, qui avait déjà fait connaissance de la Princesse Jeyne et qui préférait la neutralité du royaume, tout comme le maintien de la paix sociale en écrasant les vélléités rebelles. Toutefois, quantité de bourgeois et de paysans virent dans la croisade l’opportunité de légitimer leurs revendications politiques ; en repoussant les hérétiques et les païens, on ne saurait plus s’opposer à leurs demandes pour une plus grande justice. Les troupes se réunirent de manière isolée, propre à chaque fief, et cette levée volontaire pesa lourdement sur les travaux des champs, notamment dans le centre du pays. Les capitaines et seigneurs de cette croisade ouestrienne attendaient maintenant leurs instructions, ainsi que le positionnement du Roc vis-à-vis de leur entreprise.
Les nouvelles atteignirent elles aussi le Val d’Arryn, mais plus tardivement. Lord Rougefort, amant notoire de la Reine et conseiller royal, se fit le porte-parole des Borell et autres volontaires issus de la paysannerie chez les Baelish et les Froideseaux. La Foi n’y levait que peu de troupes, et Rougefort eut beau tempêter à la cour, il ne sut faire plier la Reine Sharra quant à ouvrir les Portes Sanglantes aux troupes croisées. Les familles les plus influentes étaient en effet trop proches du Nord, ou bien elles-mêmes adeptes des Anciens Dieux, pour autoriser le pouvoir royal à cette prise de position. Rougefort eut une dispute terrible avec Lord Royce. Le premier insulta publiquement l’autre de païen et de dévôt de faux dieux. Le second asséna de manière toute aussi notoire à son adversaire politique, qu’il n’était guidé que par sa jalousie pour le Roi du Nord, et son ambition politique. En effet, si Rougefort était connu comme l’amant de la Reine, des rumeurs couraient une liaison qu’elle aurait entretenue avec le Roi du Nord Torrhen Stark, lors d’un voyage à Winterfell. Tous deux finirent égratignés par l’esclandre, et les tensions étaient fortes dans l’armée des Portes Sanglantes, entre croisés et piétons loyaux aux Anciens Dieux. Pour le moment, sans navires et sans blanc-seing, la croisade Valoise était bloquée derrière ses montagnes.
La coalition voyait toutefois ses récents acquis militaires menacés par l’émergence d’une nouvelle faction qui leur était antagoniste. Toutefois, il faudrait du temps pour que ces troupes obtiennent leurs ordres, leurs laissez-passez et se mettent en marche. En sus, elles n’étaient pas soumises à l’autorité des souverains temporels, seulement du Pontife, qui poursuivait ses propres objectifs. De plus, le départ de tous ces volontaires pesait parfois lourdement sur les ressources des royaumes concernés ; cela faisait moins de bras pour engranger une dernière récolte avant l’Hiver, moins de négoce, et il fallait aussi nourrir ces volontaires. La charité suffisait, la plupart du temps, mais la Foi fut forcée de procéder à des collectes, demander aux seigneurs, surtout ceux qui ne prenaient l’Etoile, pour donner de quoi sustenter ceux qui iraient défendre la Foi à leur place.
Les réactions des souverains des royaumes étant ciblés par cette croisade eurent des réactions très diverses. Le Roi Harren s’en gargarisa, tout en se faisant rappeler à l’Ordre par le Grand Septon, qui lui laissa entendre que ses fer-nés accomplissaient peut être l’œuvre des Sept en s’attaquant aux hérétiques, mais qu’il leur restait tout de même à se convertir. La Reine Rhaenys se défendit de toute hérésie, acceptant les envoyés du Pontife et arguant de son respect de la Foi et de ses rites. Aucun de ses bannerets ou des seigneurs voisins à ses frontières ne se souleva contre elle sur ce motif. Si aucune réponse n’était parvenue des Rois de l’Ouest, du Bief ou de Dorne ou de l’Orage, celle du Roi du Nord en revanche, fut lapidaire. « Le Nord n’a jamais persécuté quiconque pour sa religion. Pour tous ceux qui utiliseraient la Foi pour satisfaire leurs ambitions financières et politiques, l’Hiver Vient. »