Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n'y est pas [Tour V - terminé]

Je lève le nez vers le ciel, esquissant un sourire en voyant l’horizon sans nuage. Si le temps se refroidit au moins est-il toujours aussi beau pour le moment. Pourtant, cela ne risque guère de durer à en croire les mestres et autres, l’Hiver vient et il vient vite. Raison de plus pour profiter des dernières semaines, des derniers jours de beaux temps qu’il nous reste. Et j’ai besoin de me changer les idées, de me vider un peu la tête même après tout ce remue-ménage et ces nouvelles. Non pas qu’être mariée me change la vie, pas vraiment, mais il y a beaucoup trop de nouvelles données imprécises et incertaines pour que je me sente véritablement sereine. Entre mon tout nouvel époux nommé Connétable de l’Empire, qui ne perd peut-être pas au change niveau héritage et domaine, mais rien n’est moins sûr, et le reste… J’inspire profondément alors que de nouveau mon cœur se serre en y pensant. Je suis parvenue à garder la tête haute, et il n’y a pas de raison que cela change, mais peu sont ceux qui savent à quel point cela a pu me toucher. Quand bien même est-ce normal après ce qu’il s’est passé, je n’ai pas envie de m’y appesantir, je n’ai pas envie de perdre cette image de force, voire de dureté, que j’ai réussi à bâtir. Seul xxx sait que je suis tout autant touchée et blessée que lui, et quand bien même, lui aussi demeure imperturbable et presque froid, alors qu’il a non seulement perdu sa mère, mais sa femme également… et son fief, son île, notre île. Notre maison.

Je me répète que mes enfants vont bien, que les deux plus jeunes sont en sécurité à Winterfell, que je les retrouverais bientôt, mais cela ne change pas grand-chose, même s’ils me manquent chaque jour un peu plus et que j’ai vraiment hâte de les voir et de les serrer dans mes bras. Benjen sera toujours au-devant du danger, et je ne serais plus là. Je sais bien que ça ne change rien, que je ne puis le protéger même en restant, mais, c’était pourtant le cas, en quelque sorte… ce n’est pas logique je sais.
Je frissonne, resserrant mon manteau sur mes épaules et caresse doucement le museau de la jument en l’attendant. Peut-être ne viendra-t-il pas. Sans doute serait-ce même plus intelligent et prudent, quand bien même ne l’avons-nous jamais été tous les deux. J’ai proposé à Conrad, qui est bien trop occupé avec son départ imminent, ainsi qu’à mon frère, avec une réponse identique. Alors à défaut, qui de mieux que le capitaine de la garde de la princesse ? J’ai eu l’air bien assez agacée lorsque les hommes avec qui il aurait été raisonnable de se promener ont refusé pour que cela soit crédible non ? Ils sont tous préoccupés et surchargés avec les derniers préparatifs, alors à quoi bon insister ? Sans doute l’est-il lui aussi… peut-être moins toujours est-il. J’espère qu’il ne va pas m’envoyer un page pour me signifier son refus. Cela m’ennuierait quand même de devoir y aller seule. Et puis, je n’aurais plus guère l’occasion de le revoir, et je dois avouer que cela m’attriste. J’ai une moue en me demandant vaguement comment ce valet a pu devenir important pour moi, tout en sachant que nous avons bien plus parlé que ce que l’on pourrait imaginer…
Et j’ai un mince sourire alors que je le vois arriver. J’incline la tête.

« Messire Kenning. Je suis heureuse de vous voir. Acceptez-vous de m’accompagner ? Je pourrais y aller seule, mais il s’avère que ma famille est réticente à l’idée que je me promène seule. Ce qui est saugrenu, malgré tout, je ne vais pas inquiéter mon époux pour si peu n’est-ce pas ? »

Je ne devrais pas y aller. Ce serait peu raisonnable et, surtout, il y a encore fort à faire avant notre départ. Il a été arrêté et j’avoue que je suis plus que soulagé de reprendre la route mais, surtout, de la reprendre avec autant de monde. Au moins Jeyne sera en sécurité et il y aura plusieurs milliers d’hommes prêts à mourir pour elle en cas de besoin. Tant qu’elle arrive à bon port, c’est l’essentiel.

Je me surprends à me faire nostalgique, à penser à Castral Roc de plus en plus souvent. Je suis un piètre correspondant épistolaire et je sens que je vais me faire sermonner à mon retour. Mais je tâcherai de me faire pardonner auprès des principales intéressées. Et je me demande un instant comment se passe leur vie là-bas, avant de secouer la tête. Je me suis interdit d’y penser vraiment, préférant éviter de me faire trop sombre, triste ou je ne sais quoi. L’ambiance est déjà suffisamment tendue pour cela.

C’est peut-être pour ça que je suis en chemin vers les écuries. Pour rejoindre mon propre cheval et accompagner Nelya pour ce qui sera probablement une de nos dernières escapades. Et puis, j’avoue que l’idée de pouvoir monter de nouveau à cheval, avant de prendre la route est une bonne chose. Je suis un peu rouillé et j’ai peur que ma jambe ne fasse des siennes. Alors, quitte à me rendre ridicule, autant que ce ne soit qu’en sa présence non ? Et au moins, je saurais quelles sont mes limites.

Alors, je finis par arriver et j’ai un sourire en reconnaissant la silhouette familière de Nelya. Je la fixe un instant avant de me rapprocher, attrapant les brides tendues de mon cheval par un page et esquissant un semblant de révérence à l’égard de la dame. « Lady Omble, ce sera un plaisir de vous accompagner. J’ai besoin de prendre un peu l’air et surtout de remonter à cheval, ce que je n’ai pas fait depuis mon arrivée. J’ai peur d’être un peu maladroit, j’espère que vous saurez me pardonner. Et votre famille a raison. Se promener seule dans les parages n’est pas conseillé. » Je monte en selle, attendant qu’elle fasse de même, avant de sortir de l’enceinte du château.

Et j’ai un soupir de soulagement en voyant que ma jambe, même si elle me tire un peu, n’est pas aussi douloureuse qu’escomptée. J’ai un regard vers Nelya avant de souffler, avec un sourire. « Bon, je ne risque pas de tomber de cheval à cause de ma blessure. C’est plutôt une bonne chose j’imagine. Tu connais un peu les environs ou pas ? Oh… j’ai oublié de te féliciter pour ton mariage je crois. » J’ai un clin d’œil malicieux à son attention avant d’accélérer un peu le pas et de nous éloigner un peu de l’agitation tout autour du château. Entre les hommes Lannister qui campent non loin et les allées et venues, j’avoue que retrouver un semblant de calme ne sera pas de refus. Et puis, cette petite forêt non loin a l’air parfaite pour une promenade non ? Nous devrions être tranquilles. J’ajoute donc, désignant les arbres. « Par là, cela te convient ? »

L’effervescence est omniprésente ces derniers temps et je ne parviens pas à me joindre à l’engouement général. Quoique je ne suis pas certaine que l’on puisse parler d’engouement ou de joie… Certes, les ouestiens repartent chez eux, et ont des raisons d’être heureux, mais les autres… Oh, j’ai cessé il y a bien longtemps de chercher à comprendre le comportement et les réactions des soldats du Nord, trop pressés et trop fébriles de repartir combattre… De mon côté, je crains plus l’avenir que je ne saurais le dire. Benjen repart, moi aussi, mais je ne l’accompagne pas cette fois-ci, je ne serais plus à ses côtés. Alors j’essaie de me concentrer sur ceux que je vais retrouver, et non sur celui, ceux que je crains de ne plus revoir. Cela fait trop longtemps, bien trop longtemps, et la perte des miens me le fait encore plus cruellement ressentir. Alors oui, sans doute suis-je tout de même quelque peu pressée de rentrer, de retourner à Winterfell et de pouvoir serrer mes enfants dans mes bras. Peut-être pourrais-je de nouveau envisager l’avenir plus sereinement, même si mon aîné combattra encore et toujours…
Pour le moment, je ne puis que ressasser et m’inquiéter, sans devoir paraître le moins du monde inquiète ou tourmentée. Chagrinée ou attristée à la limite, mais je ne peux me permettre davantage. Alors à défaut de pouvoir être utile, ou de vouloir discuter des modalités du trajet de sa nouvelle majesté jusqu’à Winterfell, je préfère m’occuper l’esprit. Et non, je n’ai évidemment pas choisi au hasard qui m’accompagnerait.

Peut-être est-ce parce qu’il me rappelle un peu Ryman, sans doute est-ce cela qui m’a attiré chez lui au départ. Peut-être son sourire et sa nonchalance, feinte ou non, son besoin de reconnaissance et cette insolence aussi agaçante qu’imperceptible. Non seulement le temps passé en sa compagnie est plus qu’agréable il faut bien l’avouer, mais surtout il parvient presque à me faire oublier le reste, tant le temps qui passe que les malheurs qui se produisent. Ce n’est que momentané et éphémère, mais c’est toujours cela de pris non ? Alors oui, je suis heureuse de le voir arriver, même si je me contente d’un léger sourire à son intention. Je secoue la tête en l’entendant.

« N’ayez crainte, je n’oserai juger un homme tout juste remis d’une si grave blessure. D’autant plus que j’étais présente et que j’ai pu constater de la violence de l’attaque de mes propres yeux. » Je regarde autour de nous et hausse un sourcil. « Avec tous les soldats qui circulent dans les environs, ce n’est pas non plus imprudent, je ne comptais guère m’éloigner. Mais je ne vais point contre l’avis de Ser mon époux. »

Ser mon époux dont le rire se ferait entendre à la ronde s’il m’entendait prononcer cette phrase, mais fort heureusement il n’est pas là. Et puis, il sait tout autant que moi que jamais je ne le contredirais en public, pas tant qu’il ne dépasse pas certaines limites tout du moins. Je monte à cheval, m’installant convenablement avant de faire avancer ma jument à la suite du jeune homme. Je lui rends son sourire.

« Tu m’en vois rassurée, je n’aurais pas aimé devoir te ramasser à terre. Et non, je ne connais guère les environs, puisque je n’ai guère l’autorisation de mon cher époux de m’y aventurer seule… et que je ne suis pas aussi stupide que cela. » Je lui jette un regard, souriant un peu plus en voyant son clin d’œil. « Effectivement, tu as oublié. Mais je te pardonne ton retard n’aie crainte. » Je le suis, observant les alentours alors que nous nous enfonçant un peu plus dans la forêt. Cette agitation a beau m’agacer, elle va me manquer. Le Nord est presque déserté, et c’est bien parce que mes enfants s’y trouvent que j’y retourne… Enfin non. J’aime ses paysages sauvages à couper le souffle malgré tout ce que je peux dire. Mais j’aime tout autant les réceptions et les rencontres… « Ce sera parfait. Ne partons pas trop loin non plus, ils seraient capables d’envoyer des hommes nous retrouver si nous mettons trop de temps à rentrer. » J’ai un sourire amusé alors que je me porte à ses côtés, avant de désigner sa jambe. « Ta jambe supportera un tel voyage ? Ne pas tomber est une chose, ne plus pouvoir bouger ta jambe parce que tu veux trop en faire en est une autre... » Mon sourire se fait plus doux. « Pressé de rentrer je suppose ? T’es-tu déjà imaginé à quoi ressemblerait ta femme à ton retour ? »

Même si j’ai hâte de rentrer à Castral Roc, je me demande ce que je pourrais leur raconter. Est-ce que j’ai le droit de faire part de mes doutes, de toutes ces interrogations qui n’ont eu de cesse de se bousculer à mesure que le temps a passé ? Une part de moi me souffle que je ferais mieux de garder le silence, de ne pas dire quoi que ce soit avant d’en savoir plus sur l’ambiance dans l’Ouest, notamment auprès du Roi. Après tout, il a passé de nombreux jours à discuter avec nombre de personnes présentes ici. Et sa venue même a eu quelque chose d’assez spectaculaire, sans compter le fait qu’elle a engendré quelques tensions. Mais au moins, je sais que nous serons bien entourés pour rentrer et que Jeyne sera en sécurité.

Et, en attendant de partir, j’ai envie de profiter de la compagnie de Nelya, que je ne reverrais probablement pas avant très longtemps. Je sais, je m’étais déjà fait cette réflexion à deux reprises et j’ai parfois l’impression que le destin s’amuse à nous faire emprunter des chemins qui se croisent plus souvent qu’il ne le faudrait. Mais, avec l’hiver qui approche, je suppose que nous allons tous regagner nos demeures et nous préparer pour les conflits à venir. Elle me manquera, d’une certaine façon, même si nous serons tous les deux fort occupés et comblés par nos conjoints respectifs. Enfin, ce sera mon cas tout du moins, j’espère que ce sera pareil pour elle. Même si je ne doute pas qu’elle saura s’occuper autrement si nécessaire.

Je me fends d’un sourire amusé à sa répartie, mimant une révérence avant de souffler, d’un ton taquin. « Vous êtes bien aimable lady Omble. J’aimerais autant ne pas avoir à subir la honte d’un regard moqueur si peu de temps avant mon départ. Et cela reste peu prudent tout de même, vous le savez bien. Tant que vous n’en faites pas qu’à votre tête, tout va bien donc. » Je retiens tout de même une grimace à l’évocation de son époux dont la réputation n’est pas des plus aimables. Mais visiblement, Nelya ne semble pas avoir de problèmes avec cela. Cela ne m’étonne guère au vu de sa force de caractère et je suppose qu’il lui faudra au moins cela.

Je lui jette un nouveau regard amusé après avoir galopé quelques instants avant de soupirer tout de même de soulagement. « Tu m’aurais vraiment ramassé ou tu m’aurais abandonné aux loups qui rôdent ? Enfin, avec mon beau-père non loin, il faudra nier m’avoir croisé si tu veux éviter les problèmes. » Je lève les yeux à cette idée avant de tousser un rire. « Ne fais pas ta mauvaise tête, il a eu raison de t’interdire de te promener seule. Il y a plusieurs centaines de soldats ouestriens qui seraient ravis de jouer avec toi, sans compter … tout le reste. » Elle le sait aussi bien que moi de toute façon et je n’insiste pas, la fixant un instant avant de reprendre, d’un ton toujours aussi léger. « Je dois donc te féliciter ? Tout se passe comme tu le voudrais avec lui ? »

Je sais, la question est pour le moins intime. Mais au vu des relations que nous avons tous les deux, je crois que nous avons dépassé le stade des discussions de simple courtoisie non ? Je hoche la tête quand elle confirme que la petite forêt lui convient et je tousse un rire. « Oui, j’aimerais autant être rentré avant que l’on commence à s’interroger sur les raisons de notre absence. » Pour le moment tout le monde est bien trop occupé pour cela mais, d’ici quelques heures, ce sera une autre histoire. « Pour ma jambe... » J’ai une grimace avant d’inspirer longuement. « Il faudra bien. Hors de question de me retrouver dans une carriole ou que sais-je comme un handicapé. Je ferais le trajet à cheval et je prendrais le temps qu’il faut pour me reposer à mon arrivée. Je l’espère en tout cas. Tant que je ne tombe, cela ira bien. » Et je hoche la tête, mon regard se perdant un peu dans le vide à sa question. « … je… oui j’ai hâte de rentrer. Mais je suis un peu inquiet de l’accueil qui nous sera fait en vérité. Je n’ai passé que peu de temps avec ma femme avant que nous partions, nous n’avons pas eu le temps de devenir vraiment proches et… elle m’a dit dans ses missives qu’ils ont du desserrer ses robes à la taille à plusieurs reprises. Je suis curieux de voir ça, surtout au vu de la taille qu’elle a en temps normal. Et toi, tu es contente de retrouver tes enfants j’imagine. » La connaissant, c’est bien la seule chose qui la ferait traverser tout Westeros sans hésiter.

Le retrouver, sans doute pour la dernière fois - cette fois-ci - est à la fois plaisant et assez… déroutant ? Lui qui est rapidement devenu un compagnon distrayant… Et puis, cela a toujours quelque chose de grisant de le côtoyer, non que j’aime particulièrement les situations délicates ou difficiles, mais…. Si peut-être bien que si. Au moins, est-ce amusant et divertissant. J’esquisse un sourire en secouant la tête.

« Je ne me moque jamais des soldats mon brave, car je n’oublie pas qu’ils risquent leur vie pour nous protéger. » Ou quelque chose du genre. « Et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, je suis prudente et j’écoute les conseils que l’on me donne. »

Je ne les suis pas souvent, mais je les écoute. En l’occurrence, Conrad ayant dû en parler à plus d’un, je préfère me montrer docile et sage. Pas uniquement pour que l’on me considère comme l’épouse modèle, mais si sa propre femme ne tient aucun compte de ses paroles, qu’adviendra-t-il de ses hommes ? Il est Lord, Connétable de l’Empire, son autorité fait loi, n’est-ce pas ? Qui plus est, la susceptibilité et l’orgueil des hommes sont de petites choses sensibles qu’il faut manier avec précaution. Je lui souris plus franchement alors que nous nous sommes éloignés et que nos chevaux reprennent un rythme plus lent.

« Suis-je vraiment si peu charitable à tes yeux ? Je t’aurais ramassé. Outre ton beau-père, que j’aurais peut-être pu amadouer d’une façon ou d’une autre, avec qui pourrais-je plaisanter et qui pourrais-je taquiner dans les mois à venir si ce n’est toi ? » Je lui jette un coup d’œil et soupire en levant les yeux au ciel. « Je le sais bien. Mais le contredire est bien plus amusant que de lui avouer qu’il a raison, je ne vais tout de même pas lui rendre la tâche facile, je ne suis point un de ses soldats… » Je le fixe un peu plus longtemps, souriant de nouveau. « Je ne suis toujours pas grosse, malheureusement, pas que je le sache du moins. Et malgré son… obédience à l’Empereur et ce nouveau poste dont il n’a daigné me parler que tardivement… Je suppose que oui, tout se passe plutôt bien. Je me retrouve à devoir composer avec le Nord et l’Empire, avec la promesse de terres près de la nouvelle capitale, et mes enfants au Nord, peut-être pourrais-je continuer à jouer les ambassadrices ou quelque chose du genre… je ne vais pas me plaindre. Pas trop. »

Je lui fais un clin d’œil et regarde autour de nous.

« Nous avons le temps avant qu’ils ne s’inquiètent, ils ont tous tant à faire… » Je plisse un peu les yeux en le dévisageant, mon regard se posant un instant sur la jambe en question. Je renifle et plisse le nez. « Comme un handicapé ou une femme… Je n’ai jamais aimé me sentir inutile ou être oisive non plus, je te comprends fort bien. D’autant que tu es chevalier et que tu dois jouer ton rôle devant les autres. Je ne sais si cela est pire en tant qu’époux de la princesse ou en tant que Commandant de la garde royale tiens… » Non, j’ai dit que je ne me moquais point, je me demande vraiment. Je souffle un rire léger alors qu’il répond à ma question et parle de sa femme. « Si ta femme te mentionne, même indirectement, qu’elle a pris du poids, beaucoup de poids, c’est déjà qu’elle a assez confiance en toi pour te l’avouer. Et surtout, surtout… » Je lui jette un coup d’œil et soupire, me perdant à mon tour dans la contemplation des bois nous entourant. « Je ne connais pas la princesse, je ne saurais préjuger de son comportement et caractère, mais une femme enceinte, surtout la première fois… a tendance à se trouver uniquement trop grosse, laide et gauche. Surtout quand elle est particulièrement jolie comme ton épouse. Alors, que ce soit la vérité ou non, dis-lui qu’elle est encore plus jolie que dans ton souvenir. Dire qu’elle porte la vie et qu’elle va avoir votre enfant, votre héritier, est une chose, mais en vérité, ce n’est ni aussi simple, ni aussi évident, même pour les mères. Que vous ne soyez pas vraiment proches ne changent rien, pense à elle avant de penser à l’enfant… Sinon tu risques de ne jamais l’être, proche d’elle. Et puis, ajouter qu’elle est encore bien plus jolie sans ses robes peut avoir des avantages pour toi…» Je souris, amusée, et je hoche la tête. « Et j’ai hâte oui. Cela fait longtemps, trop longtemps. Ils ont dû apprendre pour leur grand-mère de la bouche d’inconnus et… Je ne peux malheureusement pas faire grand-chose pour Benjen, j’ai beau être convaincue du contraire, je ne peux le protéger uniquement par ma présence, il est bien entouré et il sait se battre, et… Ils ont besoin de moi aussi. Ils me manquent oui, et ils grandissent tellement vite à cet âge-là… » J’ai un mince sourire, mon cœur se serrant à cette pensée. Oui, je suis bien plus pressée que je ne veux bien l’avouer. Et non, cela ne m’étonne ni ne me gêne de discuter de tout cela avec lui. Allez savoir pourquoi…

J’avoue, en dépit de tout bon sens, je suis heureux de pouvoir profiter d’un dernier moment en tête à tête avec Nelya. Outre les moments purement charnels que nous avons pu passer ensemble, pour notre plus grand plaisir mutuel, elle est d’une compagnie des plus agréables et lui parler me permet bien souvent de réfléchir à ma propre situation. J’arrive grâce à elle à faire preuve d’objectivité sur certaines situations et surtout à ne pas m’apitoyer sur mon sort. Elle n’est pas du genre à avoir pitié de moi. « La plupart des soldats aiment à risquer leur vie. Ou en tout cas, ce que cela peut leur apporter une fois rentrés à la maison. Il y a quelque chose de grisant à parler d’une bataille ou d’un moment où l’on a risqué sa vie. Même si c’est effrayant la plupart du temps. » J’ai parlé d’un ton pensif, plus pour moi-même qu’autre chose, avant de sourire à la lady. « Vraiment ? Lady Omble écoute tous les conseils qu’on lui prodigue ? »

Je me fends d’un clin d’oeil dans sa direction alors que je continue de mener nos deux chevaux un peu à l’écart. Pas trop loin pour que nous puissions rentrer rapidement, mais à l’abri des regards tout de même. Et je tousse un rire à sa répartie. « Tu n’es pas la personne la plus charitable du monde, il faut tout de même le reconnaître. Mais heureux de voir que tu m’aurais ramassé pour pouvoir me taquiner. » Et je secoue la tête, clairement amusé quand elle continue avant de grimacer, non sans me frotter l’arrière du crâne. « Si tu l’avais été… il y aurait tout de même eu de fortes probabilités que j’ai un lien dans cette histoire non ? Ca ne t’aurait pas posé problème ? Quant au reste… je peux comprendre qu’il soit difficile pour toi d’apprendre à composer avec de nouvelles informations. Ce serait bien que tu continues à jouer les ambassadrices, on pourrait se recroiser.» J’ai un sourire malicieux avant de reprendre, un brin plus sérieux. « Tu vas rentrer dans le nord alors ? Ou aller voir leur fameuse capitale ? »

Et mon sourire se fait plus large quand elle reprend. Un peu de temps tous les deux. J’ai une vague idée sur la façon dont les choses vont se passer mais, pour le moment, nous sommes sages tous les deux. En pleine discussion. « Je dois m’excuser ? Mais oui, comme une femme, si cela t’agrée. Et je me vois mal rangé dans un coin avec le Roi qui commande la troupe, ce serait vraiment le comble, que ce soit comme commandant de la garde princière et non royale ma dame, ou comme époux de la princesse… dans tous les cas, je n’apprécierais guère. Mais j’ai peur de ne pas avoir mon mot à dire si le Roi décide. Heureusement, il est du genre à vouloir nous laisser faire nos propres erreurs, dans ce domaine en tout cas. » Je l’écoute avec une attention accrue quand elle évoque la réaction possible de Meg et je lève les sourcils, un rien décontenancé. « Je dois donc lui mentir ? Enfin pas lui mentir mais si elle a pris du poids, elle a bien du s’en rendre compte toute seule. Et elle sera forcément moins avenante avec un ventre arrondi non ? » Je laisse filer un silence, un rien sceptique, avant de laisser filer un soupir. « Donc lui dire qu’elle est encore plus jolie et ne penser qu’à elle, c’est bien cela ? » J’aimerais me dire que je serais sincère quand je la verrais, que je le penserais vraiment mais, au vu des propos de Nelya, j’ai tout de même un sérieux doute à ce propos. Tout comme j’ai du mal à l’imaginer comme elle doit être aujourd’hui. Pourtant, plus le temps passe, plus le départ se fait proche et plus je pense à Meg. Elle me manque, bien plus que je l’aurais cru possible et, enfant ou pas, j’ai envie de la serrer dans mes bras.

Je lui jette un regard en coin quand elle parle de ses enfants et je laisse filer un silence avant de souffler, d’une voix plus douce. « C’est amusant de voir à quel point tu te transformes quand tu parles d’eux. Tu as pu échanger un peu avec eux tout de même ? » J’ajoute, sourcils légèrement froncés. « J’espère que je pourrais voir grandir mes enfants. » Je ne sais même pas pourquoi j’ai dit cela en réalité. Je secoue la tête avant d’aviser un point d’eau que je lui désigne, guidant nos chevaux jusque-là avant de mettre le pied à terre, non sans tanguer quelques secondes, grimaçant de douleur. Le voyage retour va vraiment être rude.

Je hoche la tête à ses paroles, non sans avoir une moue désabusée et de soupirer par la suite.

« Grisant oui, de quoi impressionner et exciter les bonnes gens prêtant l’oreille. Père adorait cela, nous conter ses batailles, autour de la cheminée en jouant des ombres et des murmures du vent, et pourtant, les Dieux savent que ce n’était pas le plus prolixe des hommes. Et j’aimais beaucoup. » J’ai un sourire, avant de laisser échapper un rire en l’entendant. « Évidemment ! Lady Omble est une épouse modèle. Tous les conseils ne sont pas judicieux pour autant, mais les écouter est tout à fait dans mes possibilités. »

Je le suis, menant ma monture à la suite de la sienne. Et j’ai un sourire en l’entendant.

« Connais-tu des gens réellement altruistes et philanthropes ? Sans arrière-pensée, ni raison, calcul ou nécessité ? Je fais aussi bien illusion que d’autres la plupart du temps. Avec certains… j’évite les simulacres inutiles. » Même si je ne dirais nullement que ces personnes sont privilégiées… Je le dévisage un instant, et j’inspire lentement. « Mes enfants me ressemblent davantage qu’à leur père, si ce n’est Lyarra qui a hérité de ses yeux. À moins qu’il n’ait été blond, quelle importance ? Je ne t’aurais nullement importuné si telle est ton inquiétude. » J’ai un mince sourire. « Ce serait bien. Même si je ne suis pas certaine que cela arrive… Et je rentre, j’ai trop tarder à retrouver mes enfants. Leur capitale… reste une bourgade. J’irai sans plus tard. »

Un jour, si elle est encore là. J’ai déjà beaucoup à faire dans les jours et semaines à venir, et je connais la guerre et ses conséquences, trop pour vouloir anticiper et prévoir à long terme. Protéger les miens sera une tâche assez ardue et prenante pour ne pas m’encombrer inutilement.
Je chasse d’un geste de la main sa précision sur son poste et j’acquiesce.

« Et te laisser chevaucher en sachant que tu ne pourras plus marcher en arrivant est une erreur qu’il te laissera commettre ? C’est une bonne méthode, je dois appliquer peu ou prou la mienne à mes enfants, pour certaines choses. Il n’y a qu’ainsi que l’on apprend et grandit après tout. » Même si en matrone trop protectrice parfois, ce n’est pas toujours évident. Mais je sais comment j’étais, je sais à quel point vouloir empêcher des décisions et des choix a un effet contraire et plus que néfaste. Et nous revoilà sur un sujet plus délicat. Je le fixe et hausse un sourcil. « Forcément ? Peut-être. Mais elle n’aura perdu ni son sourire, ni ses formes, au contraire même. Tu pourrais t’en satisfaire et apprécier qui sait. Et je ne parle pas de lui mentir, qu’elle ait pris du poids est une chose plus que normale, je te dis de la rassurer et d’être prévenant. » Je souris doucement en l’observant. « Oui. Et quoiqu’il en soit, ne réfléchis pas trop, tu n’auras peut-être même pas besoin de chercher quoi dire que ton attitude parlera pour toi. Quoique les mots sont utiles malgré tout. Tu pourrais la trouver bien plus avenante que ce que tu imagines. Dis-le-lui juste. Ou adoucis la vérité si telle n’est pas le cas. Mais vu ton regard quand tu penses à elle… Ne t’en fais pas trop. » Car malgré ses craintes et son manque de conviction, il a l’air plutôt attaché à sa jeune femme déjà. Tant qu’il fait mieux que les hommes de ma connaissance, il s’en sortira. Je hausse les sourcils quand il reprend la parole, le dévisageant un instant. « Je deviens douce et sentimentale ? J’ai été la première surprise lorsque je m’en suis rendue compte la première fois. Je ne pensais pas pouvoir aimer autant. Les enfants sont une calamité qui te font t’inquiéter, te mettre en colère, t’affoler, te forcent à penser à eux avant tout, et qui malgré cela deviennent le centre de ton monde. Et oui, j’ai pu leur écrire et voir des nouvelles, même si ce n’est pas assez souvent. Et j’ai besoin de les serrer dans mes bras. » Ma main effleure sa joue. « Ne fais pas trop l’idiot et prends garde à toi, il n’y a nulle raison que ce ne soit pas le cas. Mais je te ressortirai cette phrase quand tu te plaindras de trop. »

Je descends à sa suite, secouant la tête sans rien dire en le voyant grimacer, et je laisse mon cheval paître non loin avant de me diriger vers le bord de l’eau.

« Dois-je aller chercher un mestre ou un garde, ou ta jambe tiendra-t-elle ? »

Au temps pour ma volonté de ne pas le taquiner.

Je laisse filer un silence songeur à ses propos, avant de souffler, à mi-voix. « Je n’ai probablement pas connu assez de conflits pour y trouver quoi que ce soit de grisant. Sûrement même. Et pourtant, j’ai souvenir de ces soirées passées à écouter le Roi nous conter les batailles qu’il avait vécues et auxquelles mon père avait participé. C’était encore mieux que toutes ces histoires que l’on pouvait entendre ailleurs. J’avoue que j’ai parfois du mal à comprendre ce qui peut rendre tout cela épique ou grandiose mais je me dis que je finirais par saisir les subtilités plus tard. Ou par savoir suffisamment jouer le jeu pour faire croire que c’est le cas. » J’ai un sourire amusé alors qu’elle me targue être une épouse modèle et je la fixe un instant, le regard pétillant. « Voyez-vous ça. Et donc, tu les écoutes avant de les oublier aussi sec, c’est bien cela ? »

A sa question, je fronce légèrement les sourcils avant de finir par soupirer. « Malheureusement pour eux oui, j’en connais quelques-uns. Que les gens de la cour aiment à manipuler et à rendre aigris à mesure que passe le temps. Et à quel point est-ce altruiste de faire des calculs non pour soi mais pour les autres ? » Je tousse un rire avant de reprendre, toujours sur un ton amusé. « Je suppose que je fais partie de ces privilégiés ? » Je laisse filer un temps avant de reprendre, un rien plus sérieux. « Ce n’est pas mon inquiétude. J’aimerais savoir, si c’était le cas. » Parce que j’ai fini par m’attacher à elle et que ce n’est pas quelque chose d’anodin. Quand bien même elle n’a pas l’air de s’en soucier plus que cela. Je lui lance une œillade, non sans tousser un rire au reste de ses propos. « Une bourgade hein… tant de mépris en un seul mot, c’est assez impressionnant. Tu parles peut-être de la future capitale de tout le continent ou peu s’en faut. » Au rythme où vont les choses, c’est bien ce qu’ils souhaitent en tout cas. A cette pensée, j’ai une grimace avant de secouer la tête.

Et je lui adresse mon plus beau sourire tandis que je reprends, comme si de rien était. « Ce qu’ils ne savent pas ne peut pas leur faire de mal. Je sais que Meg va déjà m’envoyer voir le Mestre dès que j’aurais posé un pied à Castral Roc, que je profite au moins des derniers instants où je peux n’en faire qu’à ma guise. Et si je n’ai toujours pas appris aujourd’hui, tu crois vraiment que cela peut changer ? » Pour le reste, je me sentirais presque comme un enfant pris en faute alors qu’elle me sermonne quelque peu concernant ma femme. Mais j’ai tout de même une grimace sceptique quand elle me dit que j’apprécierais le changement. « Le mariage est une chose bien trop compliquée en vérité. Et je n’ai pas vraiment eu le temps de me faire à quoi que ce soit que j’étais parti du Roc et loin d’elle. Je suppose que je ne devrais pas me plaindre et me contenter d’apprécier l’idée de rentrer bientôt chez moi. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. » Je me frotte la nuque, un rien dubitatif au reste de ses explications. « Mon regard ? Qu’a-t-il donc de particulier ? » Pour un peu, je trouverais la situation des plus étranges. Parler de ma femme avec elle, vu ce que nous avons fait plus d’une fois, parler de ses enfants, alors qu’il n’aurait pas été impossible que je sois le père du sien si elle était grosse. Et pourtant, je me sens à mon aise avec elle, sans avoir à chercher la meilleure façon de tourner la phrase ou à savoir si je vais l’offenser ou non. « Tu deviens douce et sentimentale oui. Sans cette ironie mordante dont tu arrives à faire preuve à chaque instant ou presque. Mais tu me brosses un portrait pour le moins inquiétant, tu en as conscience ? Et que feras-tu, une fois que tu les auras serrés dans tes bras ? » J’ai une grimace quand elle effleure ma joue. « Je ne suis pas sûr d’avoir vraiment le choix quant à prendre garde à moi. J’aurais tout de même le droit de me plaindre ou pas ? »

Si je ne peux pas cacher ma grimace de douleur quand je mets le pied à terre, je ne peux pas non plus m’empêcher de lever les yeux à sa remarque. « Moque-toi donc femme de peu de foi. Je peux tenir debout, tant que tu ne me demandes pas de courir. Mais si tu souhaites gambader, fais-le à ta guise… » Tout en parlant, je finis par m’assoir tout près du cours d’eau, laissant échapper un soupir alors que je tends ma jambe douloureuse. Au temps pour le coté bravache.

« Les entendre et les vivre sont deux choses différentes… Et il est des hommes qui aiment tout autant faire vivre leurs combats et exploits, les rendant plus impressionnants et plus grandioses à chaque narration. Il est, je crois, plus facile de s’en souvenir et de vivre avec de telles atrocités en les contant telle une légende et en voyant dans les yeux des autres émerveillement et respect… » Je perds le peu de sérieux que j’avais pour le fixer en plissant les yeux d’amusement. « Je ne les oublie pas, je n’en tiens pas compte, note la nuance. J’ai dû œuvrer assez durement pour obtenir ce que j’ai, ce que je suis, je ne vais pas laisser d’autres changer cela et prendre des décisions pour moi. »

Je le dévisage un instant, fronçant légèrement les sourcils à mon tour et je hoche la tête, laissant échapper un soupir.

« Peut-être bien suis-je trop narcissique ou insouciante, mais comme tu le dis si bien, les personnes de bonnes volontés, aimables et obligeants, ne font pas long feu au sein d’une cour. » Et il va sans dire que je préfère amplement être du côté de ceux qui manipulent. « Disons que si tu es conscient d’agir pour les autres, c’est déjà… un bon point. Et tu as grandi avec la famille royale, dans son ombre, je suppose qu’il est normal pour toi d’agir pour eux. » J’esquisse un sourire. « Te considères-tu ainsi ? Privilégié ?… Mais oui, tu fais partie de ceux-là. » Je le dévisage un instant en silence avant de doucement lui sourire. « Si tel est le cas, tu seras donc au courant. Mais ça ne l’est point pour le moment. » Quant à savoir quand cela sera possible… Il sera déjà parti depuis longtemps. Mais c’est… amusant qu’il souhaite être informé alors même qu’il va en avoir un légitime. Mon sourire s’agrandit en l’entendant rire. « Les mots ont un pouvoir qu’il faut manier avec précaution, et je m’en sors plutôt bien en général. Et si cela doit arriver, cette capitale aura toute mon estime et ma fascination. » Mais c’est encore bien loin d’être le cas.

Je le toise alors qu’il parle, se plaignant peu ou prou que sa femme prenne soin de lui, et je lève les yeux au ciel, un sourire aux lèvres. « Ne peut-on toujours apprendre et évoluer ? Mais j’aime autant que tu ne changes pas trop à ce sujet, ces côtés insouciant et arrogant font partie de ton charme. » Et j’acquiesce alors qu’il reprend. « Si c’était facile, ce ne serait guère intéressant reconnais-le. » Je lui jette un coup d’œil. « Tu as l’air heureux, pressé de la retrouver malgré tout ce que tu peux dire. Quand tu parles d’elle, il y a cette petite flamme et souvent cette infime sourire… Tu ne l’as peut-être guère côtoyé longtemps avant de partir, mais tu sembles déjà l’apprécier… C’est une bonne chose. » Après tout, que lui souhaiter de mieux que, non seulement s’entendre avec sa femme, mais de l’apprécier, voire peut-être davantage avec du temps. Et qu’importe ce que nous avons fait tous deux, ou ce que nous allons faire, et qu’importe que je sois trop cynique pour y croire réellement, si cela peut le rendre heureux ma foi… Et j’ai un sourire, avant de souffler un rire en l’entendant. « Oh. Et est-ce préférable que je sois douce plutôt qu’ironique ? Et cela n’a rien d’inquiétant, ils te font juste ressentir les choses beaucoup plus intensément… et ils apportent bien plus de joie et de bonheur qu’on ne pourrait l’imaginer, ne t’inquiète pas. Quant à ce que je ferais… je m’ennuierais à mourir, il n’y a presque plus personne dans le Nord, je vais me retrouver entourée d’enfants, d’ennuyantes épouses et de demoiselles candides, coincée par le froid de l’Hiver. Je tenterais de survivre à tout cela. » Je soupire et souris de nouveau en acquiesçant d’un signe de tête. « Fais ton possible pour que ce soit le cas alors. Tu auras le droit de te plaindre oui, cela me divertira et te soulagera de pouvoir en parler. »

Mon sourire s’agrandit, avant que je ne le rejoigne, m’asseyant sagement à ses côtés en lissant ma robe.

« Je ne suis point en tenue pour gambader comme tu le dis si bien, sans parler du fait que cela n’a aucun intérêt, d’autant plus seule. Il faudrait tout de même en parler au mestre, peut-être qu’avec l’application d’onguents, par massage, se remettra-t-elle plus rapidement. » Je lui jette un coup d’oeil. « Cela avait marché pour ton épaule à Winterfell… C’est fort dommage, je n’ai pas emporté d’eau de source chaude… »

Si j’écoute ses propos avec attention, je ne peux m’empêcher de souffler avec une certaine malice. « Tu es la voix de la sagesse en vérité. Mais tu ne penses vraiment pas que certains voient vraiment ces combats tels qu’ils les décrivent ? Sans ressentir le besoin de les enjoliver ? Certains sont tout de même bien plus guerriers que d’autres. Je n’ai pas été éduqué de la sorte et je tente plus de m’adapter qu’autre chose. Ce n’est pas le cas de tout le monde, loin de là. » Le Nord est connu pour être bien plus guerrier que l’Ouest par exemple, personne ne viendra me contredire. Et je tousse un rire quand elle continue. « Je note la nuance ma dame. Et même si les décisions sont avisées, tu serais capable de ne pas les écouter par principe alors ? »

Je grimace alors que nous évoquons la Cour, un peu plus sérieux. « Le pire c’est que ces gens pleins de bonne volonté sont précieux et méritent tout de même qu’on veille sur eux. Sinon ce serait tout bonnement un panier de crabes dans lequel on aurait pas envie de mettre les pieds. Quant à être dans l’ombre de la famille royale… j’avoue que je ne saurais pas faire autrement. J’ai été éduqué pour les protéger, pour veiller sur eux, de toutes les façons possibles. Avec plus ou moins de succès... » Une grimace, avant de continuer. « On ne va pas se mentir. Je suis le cadet d’une petite famille de l’Ouest et j’ai fini marié à une Princesse Lannister, sans compter le fait que je suis connu pour être une des personnes les plus proches du Prince. Tu appellerais ça comment toi ? » Malgré tout, l’imaginer porter mon enfant a quelque chose d’un peu perturbant et je hoche la tête quand elle esquisse un sourire. « Merci. Je sais, ça peut paraître idiot et que d’autres préféreraient en savoir le moins possible mais, au final, tu n’es pas n’importe qui. » Difficile de lui expliquer plus longuement pourquoi je souhaite être informé. Et j’ai un sourire amusé quand elle me confirme qu’elle n’a guère d’estime pour la future capitale de son Empire. « Et pourquoi n’a-t-elle pas encore toutes ces qualités à tes yeux ? » Je suis curieux, j’avoue, même si j’espère clairement qu’elle ne sera jamais ma capitale.

J’essaie d’ailleurs de ne pas froncer les sourcils à cette pensée alors que nous finissons par évoquer Meg. Si j’ai un sourire taquin quand elle parle de mon insouciance et de mon arrogance, ne cherchant en rien à la détromper, je hoche la tête au reste de ses propos. « Je ne sais pas à quoi je m’attendais pour être honnête. Le mariage n’était qu’un mot que je ne pensais pas avoir à mettre en pratique avant un bon moment. Ou en tout cas, qu’il ne prendrait pas autant d’importance aussi vite. » Et je ne peux m’empêcher d’avoir un sourire plus doux quand elle continue. « Elle me manque. La jeune femme que j’apprends à connaître est différente de la Princesse que tout le monde connaît. Et elle est particulièrement attachante. » Tout comme Nelya peut se montrer particulièrement attendrissante quand on parle de ses enfants. Ce n’est pas la première fois qu’elle agit de la sorte et je ne peux m’empêcher de sourire. « Disons que c’est une facette de toi tout aussi intéressante que les autres. Et que tu ne montres pas souvent. Mais tu vas être entourée de tes enfants, tu ne devrais pas être ravie ? Quant aux ennuyantes épouses… ne te crois-tu pas être capable de leur trouver un intérêt ? Ne serait-ce que pour rendre tout cela moins rude ? » J’ai tout de même du mal à croire qu’elle s’ennuiera réellement, elle qui semble toujours capable de retomber sur ses pieds. Après tout, elle est l’épouse du Maréchal de l’Empire ou je ne sais quoi du même genre. « Je suis sûr que tu ne manqueras pas de te moquer de moi, je me trompe ? »

J’ai un sourire en coin alors qu’elle me rejoint et je la suis des yeux avant de souffler, malicieux. « Amusant de voir comment tu lisses ta robe. On dirait l’image même de l’innocence ou peu s’en faut. » Je grimace tout de même quand elle me dit d’en parler au Mestre, avant de soupirer longuement. « Je n’ai pas envie de le revoir, il me sort par les yeux. Et ta compagnie est bien plus agréable que la sienne. Et détrompe-toi, il y a plein de monde qui aime à gambader, et seul qui plus est. » Je me penche vers elle, attrapant son menton pour effleurer ses lèvres. « J’avoue que les sources chaudes ont été particulièrement efficaces. Mais ton traitement était peu conventionnel si ma mémoire est bonne. »

Je le fixe et laisser filer un soupir. « SI, évidemment que si, même si je maintiens qu’ils enjolivent le tout sans forcément s’en rendre compte. Et oui, contrairement à toi, les nordiens sont des guerriers, la plupart d’entre eux… ne savent vivre qu’à travers une bataille. Mon époux en est le parfait exemple… Tout comme mon père l’était. Un royaume constamment en guerre ne peut qu’engendrer de tels hommes. » J’ai un mince sourire, qui s’agrandit. « Je ne suis pas aussi obtus non plus, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit… Tout dépend du conseil ou de la décision. Mais je n’aime pas qu’on décide pour moi. »

Je le fixe et hoche la tête. « Oui, tu as sans doute raison. Mais parfois ont-ils de la chance, et ont-ils à leur côté une personne telle que toi, qui veille sur eux. Et de ce que je sais ou que j’ai pu entendre, tu ne t’en sors pas si mal. Tu ne serais point là dans le cas contraire. » J’ai un sourire en haussant un sourcil. « De ce point de vue là, tu l’es certainement effectivement. Mais ne parlions-nous pas des personnes avec qui je me comporte sans malice ? Tu m’embrouilles mon jeune ami. » J’ai de nouveau un léger sourire, qui s’agrandit un peu en l’entendant. « Oh. J’en suis touchée. Et ce n’est pas idiot, c’est… bien, chevaleresque ? » Sans aucun doute inutile, et si tel était le cas, peut-être regretterait-il d’avoir voulu savoir, mais c’est amusant. Et il tiendrait donc un peu à moi ? C’est idiot… mais plaisant. Je regarde autour de nous en faisant la moue. « Parce qu’elle n’a pas un seul bâtiment plus grand qu’une chaumière ? Parce que leur Empire est plus récent que le nouveau-né de Lady Flint ? Je suis loin de l’enthousiasme de mon époux à ce sujet… Mais ce n’est guère important. » D’ici quelques années, s’ils arrivent à en faire quelque chose, nous en rediscuterons. D’ici là, je m’efforcerais de sourire sagement.

Et, chose qui serait des plus étranges avec d’autres, nous finissons par parler de lui et de son épouse, qu’il semble déjà apprécier malgré ses réticences ou hésitations. « Tu n’es pourtant pas si jeune, cela avait déjà dû être évoqué, dernier né ou non d’une petite famille, non ? Mais je comprends malgré tout, on est toujours surpris lorsque cela arrive. » Je lui souris, l’observant avec curiosité, et non sans une certaine douceur je dois le reconnaître. « J’en suis heureuse pour toi. Et pour elle. Et si ce n’est déjà fait, n’hésite pas à lui dire, qu’elle est bien différente de l’image de princesse qu’elle renvoie d’ordinaire, qu’elle est attachante… » Je hoche la tête, souriant toujours, alors qu’on commence à parler de moi et de mes enfants. « Cette facette me fait paraître plus fragile, il faut savoir s’en servir à bon escient. Et être entourée de mes enfants est une chose que j’attends et désire, cela ne signifie pas non plus que j’apprécie d’être au milieu de toute une marmaille criante et gesticulante… quand bien même n’y aura-t-il sans doute pas autant de monde à Winterfell en vérité. Mais tu as raison, je leur trouverai un intérêt et ce ne sera pas si terrible. » Et dans le pire des cas, j’irai rendre visite à celles rester dans leur demeure, cela m’occupera. Peut-être cela m’aidera à me rapprocher de la jeune reine, si tant est que je le souhaite réellement. Je le fixe, me faisant presque sérieuse l’espace d’un instant, avant d’esquisser un nouveau sourire. « Peut-être. Mais de toi, je ne me moque qu’avec bienveillance. Et je ne ferais pas que ça, c’est promis. »

Je finis de disposer ma jupe en soufflant un léger rire. « Mais je suis l’innocence incarnée. Tout n’est affaire que de petits gestes dispensés avec soin. Et cette robe est ma foi fort jolie, il serait dommage de la froisser. » J’ai une moue, qui se transforme en sourire quand il poursuit. « Je vais prendre cela comme un compliment, même si le fait que tu ne l’apprécies visiblement pas beaucoup laisse à penser que ce n’est guère difficile d’être de meilleure compagnie. » Je chasse le reste d’un geste de la main, avant de retenir ma respiration une seconde. Je souris contre ses lèvres et acquiesce. « Les sources chaudes résolvent bien des problèmes. » Je frôle ses lèvres des miennes. « Peu conventionnel, mais efficace tu le reconnaîtras. As-tu besoin que nous le testions à nouveau ? » Je le dévisage en souriant doucement, ma main montant pour effleurer sa mâchoire.

J’ai un temps de silence, alors que je me fais songeur à ses propos. « En vérité, j’aimerais ne pas avoir à devenir un vrai guerrier, notamment si cela implique de vivre depuis toujours dans un pays où les batailles font constamment rage. Mais je peux comprendre qu’ils aient du mal à voir les choses autrement. C’est plus facile de parler de paix quand on vient de l’Ouest. » Et je tousse un rire alors qu’elle me répond, la fixant un instant avant de secouer la tête. « Tu es particulièrement assurée, c’est mieux que de dire que tu es obtuse alors ? Et si la décision est bonne mais que tu n’as pas eu ton mot à dire, que ferais-tu ? » Je me fais un rien taquin mais il est vrai que je n’ai guère l’habitude de fréquenter des femmes comme elle. Elle m’a permis d’avoir un point de vue bien différent sur la gent féminine et, à terme, d’apprécier les éclats de caractère de ma propre épouse, tout aussi rares soient-ils.

Mon sourire se fait moins assuré alors que l’on évoque ceux sur qui je veille, ou tout du moins j’essaie de veiller, depuis toujours ou presque. Et je soupire à ses propos avant de souffler, à mi-voix. « Je ne sais pas s’ils ont de la chance de m’avoir ou si j’ai de la chance de pouvoir être à leurs côtés. Les deux probablement. Et je gage que j’apprends de mes erreurs, c’est toujours cela de pris. » Je ne suis toujours pas convaincu de ne pas avoir failli ces derniers temps mais qu’importe, je sais de quoi je dois me défier désormais. « Je ne fais pas partie des personnes avec qui tu te comportes sans malice, dois-je donc continuer d’en parler ? » J’ai un clin d’œil à son attention avant de me faire un brin sérieux à l’idée qu’elle puisse porter mon enfant. Je ne sais si je dois être inquiet ou non en vérité, d’autant qu’elle saura exactement ce qu’il faut faire si cela arrive. « Chevaleresque ? Ma foi, c’est bien plus flatteur qu’idiot, cela me convient ma dame. » Même si je suis soulagé de ne pas avoir à m’en préoccuper donc, ne nous leurrons pas.

Et je ne peux m’empêcher de rire quand elle évoque l’Empire, non sans avoir jeté un regard aux alentours, comme pour s’assurer que nous sommes seuls. « Ne t’en fais pas, il n’y a personne qui sera en mesure de rapporter tes paroles. Et il paraitrait que cet Empire est pourtant promis à bien des grandes choses si tout se passe comme ils l’entendent. Je t’avoue que je ne sais guère comment me positionner vis-à-vis de tout cela et à savoir quelle place l’Ouest devrait avoir. » Encore moins depuis que je ne comprends plus les desseins de mon Roi et de ma Reine, si tant est que je les ai compris un jour. Mais, comme elle dit, ce n’est guère important. Dans l’immédiat tout du moins. Je gage que les prochains mois risquent d’être particulièrement complexes et qu’il me faudra me faire une opinion rapidement. A cette pensée, j’ai un soupir, même si j’esquisse un sourire au reste de ses propos.

« Il est vrai que je ne suis pas si jeune, mais j’avais toujours fait en sorte de ne pas me retrouver dans des situations embarrassantes qui m’auraient obligé à réfléchir à un mariage rapide. Mais dans ce cas précis c’est plutôt… une bonne surprise. » Une excellente même. Et il me tarde de retrouver ma femme, plus que ce que j’aurais cru. « Je lui ai déjà dit. Je lui ai même fait part de mon attachement à son égard. Elle a été agréablement surprise je crois. J’espère… » J’arque un sourcil à ce souvenir avant de rire quand elle parle de ses enfants. « Oh et quand utilises-tu cette facette alors ? Je suis certain que tu trouveras de quoi faire avant que tu n’aies le temps de te lasser de cette fameuse marmaille. Au pire, j’accueillerais tes plaintes sans me moquer, c’est promis. » Un léger clin d’œil alors que je continue, sur le même ton léger. « Se moquer avec bienveillance ? Et à quoi cela ressemble donc ? »

Mon regard s’attarde alors sous sa jupe, alors que, comme à chaque fois que je suis seul avec elle, je songe à ce qui peut s’y cacher, sans ressentir le moindre scrupule à ce sujet. Ce n’est pas comme si elle était une jeune fille naïve dont j’abusais de la crédulité. Et il en va de même pour elle. Nous avons fait ce qui nous plaisait, sans qu’il n’y ait de conséquences fâcheuses pour personne alors, pourquoi avoir mauvaise conscience ? « Toi, l’innocence incarnée ? Il va falloir développer davantage ton propos, tu le sais. Et oui, cette robe te va particulièrement bien. Je tâcherais d’y faire attention donc. » Je lui rends un sourire taquin avant de hausser une épaule. « Evidemment que c’est un compliment. Et je parie que je pourrais trouver pire que lui si cela peut te rassurer. Quand bien même je ferais tout pour ne pas le croiser avant mon départ. » Et mes lèvres cherchent de nouveau les siennes, dans un baiser que je m’amuse à prolonger, non sans qu’il ne se finisse par un rire. « J’avoue, j’en garde un souvenir bien plus plaisant que les potions du Mestre. Et tu es peu conventionnelle. Quant à ce qui est de tester tes remèdes de nouveau… N’as-tu pas peur de froisser ta robe ? »

« Oui, je comprends. Quoi de plus normal que de vouloir vivre en paix et en sécurité ? En dehors de ces hommes du moins, n’importe qui serait d’accord. » Je le fixe un instant, avant de secouer la tête en soupirant. « Je ne sais si cela est mieux, mais cela sonne déjà mieux. Si la décision est bonne, je m’y plierais. Et cela dépend de qui décide. Je trouverais sans doute un moyen de retourner la situation pour qu’elle me convienne. Je l’espère du moins. » À dire vrai, voilà bien longtemps que personne n’a véritablement essayé de me contraindre à quoi que ce soit. Mon père n’a jamais vraiment essayé, me connaissant sans doute trop bien, et feu mon premier époux avait cessé d’y penser lorsque j’avais écrit à Torrhen pour qu’il consacre notre union. Quant à Conrad… il n’était pas assez idiot pour vraiment essayer de le faire.

Et si nous changeons aisément de sujet comme à notre habitude, son sourire se fait lui plus hésitant qu’à son habitude. C’est amusant, presque touchant, de le voir si incertain et réservé, alors qu’il parle de personnes qu’il côtoie depuis toujours. Il s’agit de la famille royale certes, mais ne devrait-il pas justement être certain de ses capacités, étant donné qu’il est toujours à leurs côtés, qu’il est même marié à l’aînée des filles ? Je lui lance un regard, avant de secouer la tête en souriant. « Apprendre de ses erreurs et ne point refaire la même, c’est une bonne résolution. Et je ne sais si cela doit te rassurer ou non, mais tu fais bel et bien partie de ceux avec qui je me comporte presque sans malice. » Je souris en retour à son clin d’œil, avant d’incliner sagement la tête alors que l’on se fait momentanément plus sérieux. Je ne suis pas certaine que je lui aurais réellement dit, ou que je le ferais si cela devait arriver, mais est-ce si important ? Ce n’est pas à l’ordre du jour quoi qu’il en soit.

Je souris alors qu’il rit, jetant malgré tout un regard autour de nous quand nous évoquons l’Empire et que je n’en dresse pas le plus beau des tableaux. Mais nous sommes bel et bien seuls. Heureusement soit dit en passant. J’ai une légère moue et j’inspire profondément avant de lui répondre. « Je crains que, si tout se passe comme ils l’entendent, il ne reste guère de place pour les autres royaumes. Et je dois avouer, malgré ma place relativement enviable dans ce nouvel ordre qu’ils établissent, en tant que femme de leur Sénéchal, que je ne sais pas trop comment prendre tout cela non plus. Dans le meilleur des cas, je suppose que je serais riche et jalousée, peut-être avec un minimum d’influence sur mon époux qui sait. » Je souris de nouveau en secouant la tête. « Quoique je doute que ce dernier point puisse véritablement arriver ou avoir une incidence sur le reste. » Même si cela ne coûte rien d’essayer. Après tout, je ne vais pas rester longtemps retranchée dans mon coin si j’ai la possibilité d’obtenir davantage n’est-ce pas ?

« Toi, éviter les situations embarrassantes ? Non que j’ai du mal à l’imaginer, mais je t’aurais plus vu être le premier à sauter pieds joints dans les ennuis, va savoir pourquoi. » Je souris, franchement amusée, avant de me faire plus douce. « Une bonne surprise… Tant mieux. Et elle l’a été, n’aie aucune crainte à ce sujet. » Je plisse les yeux, avant de hausser un sourcil. « Je ne vais pas te révéler tous mes secrets ! Oui, je trouverai à m’occuper, il y aura toujours de quoi faire je n’en doute pas. Et je t’écrirai, en tachant d’omettre le ton moqueur de tes réponses. » Et que je puisse rire de ses mésaventures de mon côté n’est pas comparable. Je soupire. « Soit. Je t’écouterai te plaindre et ne me moquerai aussi peu que possible. Et si cela m’arrive malgré tout, ce ne sera point désobligeant, peut-être même auras-tu le droit à quelques conseils ou suggestions de ma part. »

Je pourrais faire mine d’ignorer ou de m’offusquer de son regard un peu trop insistant, mais ce serait au mieux ridicule, au pire hypocrite. Et puis, cela n’a aucun intérêt alors que nous ne sommes que tous les deux et que nous avons bien trop partagés pour pouvoir encore faire semblant. Et je ne nierai aucunement apprécier l’effet que j’ai sur lui. Je lui souris donc en le remerciant d’un signe de tête. « Merci… Nul besoin d’étayer ce qui ne peut l’être. Laisse-moi croire que je peux encore le paraître, quand bien même cela serait illusoire avec toi. » Légère moue boudeuse qui ne dure pas, laissant place à un rire quand il répond. Et ce dernier est étouffé alors que je lui rends son baiser. « J’aime ne pas être conventionnelle. Ce qui est classique est banal, ce qui est banal est ennuyeux. Je n’aime pas ce qui est ennuyeux. Et tu as dit que tu y prendrais garde, à toi de ne point la froisser. »

J’ai un temps de silence, alors que je me fais pensif. « Vivre en paix et en sécurité oui, mais à quel prix ? C’est bien ce qui m’inquiète en vérité. » Le prix que l’Ouest sera prêt à payer pour garder son confort, pour continuer à vivre de la sorte. Je sais que nous ne sommes pas réputé pour nos principes et notre courage mais, tout de même, j’ai peur que cela aille beaucoup trop loin. Et je tousse un rire quand elle reprend, notamment à son soupir. « Tout est dans les formes n’est-ce pas ? Et pourtant, parfois, on a pas le choix. Surtout selon qui décide. » Je grimace à cette pensée et à ce qui nous a amenés ici. Mais je sais qu’elle a un sacré caractère, qu’elle serait probablement capable de dire non à l’Empereur lui-même si elle en n’a pas envie. En vérité, je me demande même si ce n’est pas déjà fait. J’hésite un instant à lui poser la question avant que la conversation ne dérive, comme à notre habitude.

Je lui lance une oeillade amusée alors qu’elle continue. Et c’est plus délicat que je ne l’aurais cru. De parler de cette famille auprès de laquelle je vis depuis toujours ou presque. Toute royale qu’elle soit, j’ai un attachement pour eux qui dépasse de loin les simples convenances. Lyman est un frère pour moi, Nymeria est l’autre sœur que j’aurais aimé avoir. Et Megara… J’ai une ombre de sourire avant de reprendre à ses propos. « Difficile parfois de ne pas refaire les mêmes erreurs pourtant. D’autant que certaines sont parfois plus amusantes que d’autres. » J’ai un clin d’oeil malicieux. « Je suppose que je suis rassuré. Cela veut dire que tu es toi-même quand nous sommes ensemble. Et c’est appréciable. D’autant que c’est réciproque. » Il s’est développé une curieuse amitié entre nous en réalité. Qui me manquera. Comme la dernière fois que je suis parti de Winterfell.

Si parler de cet Empire auquel elle adhère avec plus ou moins d’enthousiasme est intéressant, j’ai tout de même une crainte qu’on nous écoute. Alors qu’il n’en est rien évidemment. Nous sommes seuls à des lieues à la ronde. Personne pour nous espionner, d’autant que nous ne sommes pas des gens importants, loin de là. Et tant mieux. « A t’entendre, l’Ouest va se faire broyer s’il ne ploie pas le genou. Sauf que ce n’est pas dans la nature de mes souverains. » J’ai une grimace qui se mue en sourire quand elle continue. « Riche et jalousée hein… je suis sûr que ça ne te déplairait pas. Quant à avoir de l’influence sur ton époux… ne va pas me faire croire que tu ne vas pas essayer. Pas pour le pouvoir mais pour assurer ta place. Non ? »

Et j’ai un rire quand elle reprend. « Sauter à pieds joints dans les ennuis ne veut pas dire de rester sur place pour en subir les conséquences. J’ai souvent réussi à m’esquiver avant que cela ne me retombe dessus, même s’il m’est parfois arrivé de me rater, évidemment. » J’ai un silence un peu embarrassé alors que je hoche doucement la tête. « Des craintes, j’en aurais, je ne suis pas idiot au point de croire qu’il me suffit d’un sourire pour qu’elle soit totalement sous le charme. Il en faudrait au moins deux. » J’ai un clin d’oeil malicieux avant de continuer. « Oh tu peux bien me donner quelques pistes non ? Mais je te préfère te rappeler que je suis un piètre correspondant. Je ferais un effort pour toi cependant, nos discussions n’ont jamais manqué de piquant, même par missive. » Nous avions déjà un peu échangé tous les deux et j’avais apprécié nos échanges. Au point de faire l’effort de remettre ça. « Des conseils ? De quel ordre ? Mais tu peux déjà commencer à me prodiguer ta sagesse dans ta grande bonté. »

Je ne devrais probablement pas la regarder comme ça, je le sais bien. Surtout au vu de nos discussions. Et pourtant, comme à chaque fois que nous sommes tous les deux, je ne peux pas m’en empêcher. Elle semble pourtant ne pas s’en formaliser et je souffle, mon sourire se faisant plus large. « Je ferais donc mine de te croire innocente. Que dois-je faire pour cela alors ? Il va falloir m’aider un peu. » Surtout à la façon dont elle me rend mon baiser. Dire qu’elle me fait toujours autant d’effet est un euphémisme mais je sais que la réciproque est vraie. Et puis, nous allons nous séparer dans quelques jours. Autant en profiter pendant que nous le pouvons encore non ?

Je le fixe un instant, avant que mon regard ne se perde autour de nous. « C’est une vaste question. Je pourrais te répondre que le prix sera sans doute trop élevé, mais je ne saurais te dire en vérité. Et cela ne demandait pas vraiment de réponse, n’est-ce pas ?… Nous avons l’habitude de nous battre, que ce soit contre les sauvageons ou les fer-nés. Si cela devait cesser un jour, que nous pouvions vivre en paix et en sécurité, les hommes seraient perdus et désœuvrés. Peut-être prendraient-ils exemple sur les lions paresseux pour s’en sortir ? » J’ai un sourire amusé, avant de laisser filer un soupir et de hocher la tête. « Donner l’impression que l’idée vient de moi ou qu’il s’agit d’une faveur de ma part. Cela ne marche pas toujours, mais je m’en sors plutôt bien. » Quel que soit celui qui décide. Enfin, il est plus facile de refuser ou de marchander avec certains qu’avec d’autres c’est évident.

Tout comme il est évident qu’il est plus que réservé concernant la famille royale et sa relation avec eux, et je reconnais que cela ne soit pas être si aisé. Malgré tout, il en fait partie maintenant, il va bien falloir qu’il s’y fasse. Je souris en l’entendant, avant de secouer la tête, même si effectivement, certaines erreurs sont plus amusantes à commettre que d’autres. Je le fixe et mon sourire se fait taquin. « Moi-même, pour le meilleur et pour le pire. Et je suis de mon côté soulagée que ce soit réciproque. Et c’est agréable effectivement. » D’autant plus que cette relation est totalement inattendue et surprenante. Et que j’ai appris à l’apprécier, aussi étonnant cela soit-il.

Et non pas uniquement parce qu’il s’est révélé être un amant plus que doué. Converser avec lui est particulièrement intéressant et, comme nous venons de le mentionner, il est bien l’un des seuls avec qui je me permets d’être sincère. Il n’y a guère qu’avec lui que je peux être un tant soit peu franche concernant l’Empire. Je le dévisage et esquisse un sourire qui n’atteint pas mes yeux. « Je crains que ce n’est pas dans la nature de l’Empereur et de l’Impératrice que d’être tolérant à ce sujet. Mais l’Ouest est un grand royaume, il n’y a sans doute pas à s’en faire. » Je laisse filer un rire alors qu’il poursuit. « Le pouvoir sans les responsabilités, est-ce trop demander ?… Évidemment que je souhaite avoir une influence sur lui, et que je vais m’y consacrer. C’est un jeu bien plus amusant que de simplement se faire confectionner de nouvelles robes, non ? »

Loin de moi l’idée de me plaindre si je peux renouveler ma garde-robe, mais si je peux obtenir davantage, autant le tenter. Il me fait rire de nouveau alors qu’il me répond, et je l’observe, une lueur amusée dans les yeux. « Effectivement, ce n’est pas la même chose, l’un n’empêchant pas l’autre il est vrai, au temps pour moi. D’autant que j’aurais dû le savoir, tu as fort habilement esquivé nombre de situations délicates depuis que nous nous connaissons… » Je hoche la tête, avant d’ajouter, toujours aussi amusée, quand bien même ce sujet le touche plus que le reste je m’en rends compte, et je trouve cela touchant en vérité. « Souris-lui donc en arrivant, cela en fera au moins deux. » J’ai un mince sourire. « Des pistes sur l’art de pouvoir être douce et sentimentale sans l’être tout le temps ? Paraître fragile est délicat, à double tranchant. Les autres dames sont rassurées de savoir que mes enfants comptent plus que tout, les hommes aiment avoir des êtres fragiles à protéger. Mais je suis une Mormont, j’ai été élevé sur l’un des territoires les plus austères du Nord… Je ne peux trop jouer avec cette facette donc, sous peine d’en perdre tout le crédit. Et je viens d’épouser un Omble, Conrad qui plus est, ce qui n’arrange rien. C’est un jeu d’équilibriste ma foi plutôt divertissant. Et je te remercie d’ores et déjà de tes efforts à venir concernant nos échanges, j’en suis touchée. » Je hausse une épaule. « Je t’ai donné assez de conseils pour aujourd’hui, occupe-toi de ton épouse pour le moment, l’enfant à venir aura bien assez de gens attentionné autour de lui. »

Il est sans doute déplacé, autant qu’étrange, de discuter femme et enfants alors que nous nous déshabillons presque du regard l’un l’autre. C’est pourtant ainsi que ce sont déroulés chacune de nos rencontres, et ce depuis le début. Des discussions importantes et sérieuses précédents des moments bien moins honnêtes et décents. « Tu ne devrais pas me regarder ainsi, et encore moins oser m’embrasser… Mais je serais déçue si ce n’était pas le cas. Peu importe donc. » Je balaye tout cela d’un geste de la main, avant de me laisser attirer à lui.

Je me fais songeur, laissant filer un silence entre nous avant de souffler, d’un ton moins léger que d’ordinaire. « Il semblerait que le prix soit toujours trop élevé. Mais c’était en effet une question plus rhétorique qu’autre chose. Quoi qu’il en coûte nous devons tendre à cela n’est- ce pas ? Pour nous, pour nos enfants. Si le plus grand souci est de savoir quoi faire des hommes désoeuvrés, ce ne serait pas si mal non ? Même si je sais que votre peuple est en guerre depuis des dizaines d’années, faire cesser ces conflits ne serait pas une si mauvaise chose. » Quel que soit le vainqueur ? Difficile à dire. Je ne sais pas encore comment me positionner dans tout cela et, surtout, quelle pourrait être la place de l’Ouest sur ce nouvel échiquier qui se dessine. Les lions sont peut-être paresseux mais il ne faut pas les forcer à quoi que ce soit, je l’ai bien vu. « Et je suppose que c’est un travail de longue haleine pour faire croire que la décision vient de toi. Je me trompe ? Mais oui, tu as l’air de bien tirer ton épingle du jeu. »

Elle a tout de même droit à une œillade amusée alors que nous continuons d’échanger, d’évoquer nos attaches sans trop nous y attarder non plus. J’ai un rire quand elle reprend. « Le pire n’est pas désagréable non plus si cela peut te rassurer. Tu as de la personnalité et j’apprécie cela. Je ne pensais pas m’entendre aussi bien avec quelqu’un. Pas de cette façon en tout cas. » Pour un peu, je regretterais presque de ne plus la revoir. Bon, en vérité, je le regrette et pas qu’un peu. Pas uniquement pour les relations charnelles que nous avons pu avoir mais aussi pour cette complicité et cette façon dont nous avons de discuter. Elle m’oblige à me remettre en question ou, tout du moins, à réfléchir à mes propres engagements. Sans avoir à lui cacher le fond de ma pensée ou mes inquiétudes. Et je vois dans son regard que c’est réciproque, notamment lorsque nous évoquons l’Empire.

J’ai tout de même un soupir à ses propos, effleurant son épaule, la mine pensive. « Bien sûr que si l’Ouest a du souci à se faire. J’ai bien peur que nous finissions par être en guerre les uns contre les autres au train où vont les choses. Jamais Jordane Lannister n’acceptera de ployer le genou devant qui que ce soit. Et jamais tes Empereurs ne l’accepteront. Il y a forcément un moment où les choses vont mal tourner. Même si pour l’heure l’Ouest n’est pas l’ennemi le plus important. » J’arrive tout de même à souffler un rire quand elle reprend. « Je ne suis pas sûr que les deux fonctionnent bien l’un sans l’autre, mais si quelqu’un peut y arriver, c’est bien toi. Et oui, je te vois mal mourir d’ennui à choisir de nouvelles robes mais plutôt bien à réfléchir à la façon dont tu pourras influer dans l’ombre. Il faudra prendre garde à toi alors ? » J’ai parlé d’un ton léger, essayant d’oublier que nous pourrions finir, plus rapidement qu’escompté, par être tous les deux ennemis.

Et je lui décoche un sourire taquin, chassant cette pensée de toutes mes forces avant de me focaliser uniquement sur elle. « Je suis plutôt doué pour me sortir des ennuis oui. Même si j’aime bien les chercher. C’est parfois très tentant. Trop peut-être. » Je lui offre un clin d’œil avant de me faire un brin plus sérieux à l’évocation de mes retrouvailles à venir avec Meg. Et je hoche la tête, attentif à ses propos. « Donc deux sourires, c’est bien noté. » Je l’observe, curieux, alors qu’elle continue de parler. « … toutes les nordiennes sont comme ça ? J’ai l’impression d’entendre un portrait de Jeyne d’une certaine façon. Ce mélange de force et de fragilité que n’auront probablement jamais les ouestriennes que je peux connaitre en tout cas. C’est quelque chose d’assez surprenant en vérité. Et d’attachant. » J’arque un sourcil avant de reprendre. « N’es-tu pas supposée me prodiguer ta sagesse ou quelque chose dans le genre ? Je vais devoir revenir pour une autre leçon avant mon départ donc. C’est noté. Et oui, je ferais l’effort de t’écrire. »

Même si oui, la situation peut être un peu déplacée dans l’immédiat. Et que nous savons pertinemment que je tenterais effectivement de la recroiser une dernière fois avant de partir. Elle peut le voir dans mon sourire malicieux alors que je souffle, non sans effleurer ses lèvres une nouvelle fois. « Donc je devrais me comporter sagement et ne rien tenter ? En t’ayant rien que pour moi loin de tous ? Voilà qui s’apparenterait plus à de la torture en fait. » Heureusement, il n’en est rien et je la ramène contre moi, sans me soucier du reste.

Mon regard se fait plus doux, plus pensif, et j’ai un semblant de sourire. « Pour nos enfants. Ce ne serait pas si mal. De ne pas avoir à se dire que c’est peut-être la dernière fois que l’on peut les voir et les embrasser, de pouvoir leur offrir une vie plus sereine … et plus longue. Mais les hommes finissent toujours par trouver de nouvelles choses à combattre, de nouveaux ennemis à affronter. Cela en serait risible si ce n’était aussi tragique. » Je laisse filer un soupir, avant de sourire en lui faisant un clin d’œil. « Tu n’as pas idée. Mais c’est amusant en général, cela compense les efforts. »

Il faut bien se divertir comme l’on peut. Même si ce genre de divertissements n’est pas vraiment de ceux dont on peut discuter ou se vanter. Sauf avec de rares personnes, comme lui donc. Je le fixe un instant. « Tant mieux. Et oui, qui aurait cru que le petit valet du lionceau se révélerait aussi intéressant et charmant ? Cette complicité est effectivement on ne peut plus plaisante. Nos échanges vont me manquer. » Et pas uniquement la partie non verbale inavouable. C’est agréable, surprenant mais agréable, de pouvoir ainsi discuter autant de sujets légers que de sujets délicats. Et il est bien loin d’être aussi sot qu’il peut s’évertuer à vouloir le faire croire. Comme le prouvent nos innombrables discussions depuis notre rencontre.

« L’Empire craint davantage l’Ouest que d’autres royaumes, sans doute en grande partie à cause de la Lionne. Mais ils n’accepteront pas effectivement que l’on puisse leur résister, tant ils sont persuadés de leur bon droit… Pour le bien de tous, ou quelque chose du genre. Mais comme tu le dis si bien, ils ont plus importants à s’occuper pour le moment. » J’esquisse de nouveau un sourire en l’entendant rire, avant de hausser les épaules. « J’aimerais bien pouvoir influer les événements à venir. Toi d’un côté, moi de l’autre, cela pourrait être une solution. Mais ta future reine est la fille de l’Empereur, et la sœur du roi du Nord, cela devrait compter ou jouer un rôle, ne crois-tu pas ?… Je l’espère en tout cas. » Cela éviterait un énième ennemi à combattre. Et je serais désolée de devoir le compter parmi eux.

Et tout comme lui, je préfère ne pas m’attarder sur cette pensée, quand bien même est-elle réaliste et possible. Je lui retourne son sourire, les yeux rieurs. Évidemment que cela est trop tentant, surtout lorsque l’on connaît le résultat. Je hoche la tête quand il parle de son épouse, et du nombre de sourires dont il lui faudra user, avant de souffler un nouveau rire à sa réponse. « Le Nord n’est pas le royaume le plus tendre qu’il soit, même, ou surtout, pour les femmes. Toutes ne sont pas comme ça, fort heureusement, je serais banale sinon et ce serait terrible, mais il est nécessaire de se forger une certaine force de caractère je pense oui. Nous n’avons pas de climat doux pour nous prélasser, ni de vert pâturages dans lesquels flâner en cueillant des fleurs. Cela n’empêche nullement les femmes d’êtres pourtant parfois aussi insouciantes que les ouestriennes… je n’ai pas dit idiotes note-le. Et je ne suis pas réellement fragile. » Loin de là même. Je l’espère du moins. Mais être attachante me va fort bien. « Je ne suis point une vieille rebouteuse qui dispense sa sagesse et ses connaissances, je ne suis pas assez âgée pour cela n’exagère pas. »

Je souris contre ses lèvres, me moquant une nouvelle fois de la bienséance ou même de son âge à lui. J’ai bien trop envie de sentir de nouveau ses mains sur moi pour ne serait-ce que songer à le faire languir. « Ce serait bien trop horrible, personne ne saurait être aussi cruel » Quelle idée de penser à être sage, je ne l’ai jamais vraiment été et je ne compte guère changer. Encore moins avec quelqu’un qui continue de me faire autant d’effets à chacune de nos rencontres.

Si nos échanges gardent toujours cette légèreté teintée d’une certaine… distanciation par rapport aux évènements, ce qui pour moi est un soulagement quand tout le monde semble s’échiner à vouloir toujours tout prendre au sérieux, j’arrive tout de même à avoir des discussions des plus intéressantes avec Nelya. Et à imaginer les choses sous un angle nouveau, sans pour autant tout remettre en question. « Oui, ce ne serait pas si mal. Imaginer un avenir sans guerre pour eux. Ce serait un grand pas en avant. Mais comme tu le dis, j’ai peur que certains trouvent toujours quelque chose qui leur déplaît. Et si ça ne vient pas de Westeros, cela viendra peut-être de par-delà les mers. » J’ai un bref soupir à cette pensée, me doutant pertinemment que nous ne connaîtrons probablement pas de notre vivant un monde sans guerre. J’arrive tout de même à esquisser un sourire amusé quand elle continue, la fixant un instant, curieux. « Oh je me doute bien que si tu n’y trouvais pas ton compte, tu ne continuerais pas ce petit jeu, n’est-ce pas ? Mais il faut bien que tu t’occupes donc. »

Elle m’amuse, à n’en pas douter et je sais que c’est réciproque, que mes aventures arrivent également à la distraire. Je lève un sourcil au reste de ses propos, avant de hocher la tête. « J’avoue que je me surprends moi-même ma dame. Et qui aurait cru que je n’étais pas qu’un simple valet finalement ? J’avoue tout de même que ce petit jeu m’a beaucoup amusé. » Quand bien même il aurait pu avoir de fâcheuses conséquences auprès de certaines personnes, j’en ai bien conscient. « Et oui, nos discussions me manqueront aussi. Je ne parle bien que des discussions, même si le reste… aussi évidemment. » Un regard malicieux alors que on regard s’attarde longuement sur elle et que je reprends, comme si de rien était.

« Tu crois vraiment que l’Empire nous craint davantage que d’autres ? Est-ce pour cela que le Nord a marié sa fille aux Lannister ? » A la réflexion, ce ne serait pas si surprenant après tout, histoire de limiter la casse, de freiner un conflit qui ne manquerait d’arriver tôt ou tard. « Et… penses-tu qu’ils soient dans leur bon droit ? Qu’ils mènent la guerre aux Hoare est une chose. Ils ont été agressés et sont légitimes d’une certaine façon… mais vouloir asservir l’ensemble du continent en arguant qu’ils sont les meilleurs pour le diriger… c’est un peu… même dans l’Ouest nous ne sommes pas aussi imbus de nous-mêmes quand on y pense. » J’ai une grimace avant de hausser les épaules en parfait miroir. « Je ne sais pas Nelya. En vérité, je ne sais pas si la voix de la Princesse aura son importance ou si elle ne sera qu’une excuse à certains comportements, d’un côté comme de l’autre. Si elle attisera le feu ou arrivera à le calmer. Difficile à dire dans ces circonstances, d’autant qu’elle doit avoir du mal à savoir comment se positionner après notre venue ici. » Et encore plus que la nordienne ne peut l’imaginer en réalité. Mais je préfère ne pas trop aborder ce sujet, les confidences de Jeyne restant ce qu’elles sont, des confidences.

Je ne peux m’empêcher de rire lorsqu’elle évoque les femmes du Nord et sa propre originalité. « Tu trouverais toujours un moyen de tirer ton épingle du jeu voyons, je ne m’inquiète pas pour cela. Mais je comprends. Tout comme il est difficile de trouver des hommes qui n’ont pas connu la guerre d’une façon ou d’une autre. Alors que c’est encore la norme dans l’Ouest ou peu s’en faut. J’ai parfois du mal à imaginer comment tout ce beau monde pourrait s’entendre quand j’y pense. A avoir vécu tant de choses différentes et avoir des visions de la vie diamétralement opposées. » Et j’éclate de rire sans retenue au reste de ses propos. « Mais voyons, je n’oserais jamais penser cela de toi voyons. Je sais que je suis un voyou mais pas à ce point-là tout de même ! » Et puis, si je la trouvais trop âgée, je n’aurais pas mes lèvres plaquées contre les siennes, mon corps déjà tendu vers elle à attendre la suite avec une impatience non dissimulée. « Oui, tu n’es donc pas aussi cruelle, me voilà rassuré. » Comme si nous avions déjà réussi à être sages tous les deux lorsque personne n’est avec nous. Ce serait mal nous connaître.

Que ce soit lui, petit noble arrogant et sans prétention de l’Ouest, qui m’invite à voir les choses différemment, et que ce soit avec lui que je parvienne à discuter sans réellement prendre de gant et sans trop me soucier de ce que je dis, est assez risible. Sans doute pourrait-il, avec toutes mes paroles, me mettre en porte-à-faux… Si l’on omettait que non seulement, il en dit tout autant, mais que nous faisons bien plus que de simplement discuter. Quoique, encore une fois, je serais plus durement châtiée que lui. Mais cela a toujours fonctionné ainsi avec lui, bien loin de moi l’idée de m’en plaindre, et j’ai étrangement confiance en lui. Je hoche la tête, acquiesçant silencieusement à ses paroles. Un grand pas en avant que la plupart refuseront de franchir, qu’il leur sera impossible de franchir. Les hommes ont toujours été ainsi, des Premiers Andals à aujourd’hui, pourquoi cela changerait-il ? J’ai néanmoins un sourire à la suite. « Je ne continuerai certes pas. Mais s’occuper est primordial effectivement. »

Mon sourire s’agrandit alors que nous continuons sur des sujets moins sérieux, avec néanmoins ce fond de vérité, comme toujours avec lui. Je lève rapidement les yeux au ciel, sans perdre mon sourire. « C’était un jeu amusant, même s’il n’a pas dû être au goût de chacun et qu’il aurait pu porter à conséquences… Mais nous nous sommes croisés grâce à cela, rien que pour cette rencontre, cela en valait la peine. » Mon sourire se fait taquin. « Les discussions comme le reste, évidemment. » Même son regard inconvenant me manquera, c’est dire.

J’ai une moue et hausse une épaule. « Qui sait ? C’est un moyen comme un autre de s’assurer une certaine neutralité, à défaut d’une loyauté, non ? » Et peut-être d’espérer récupérer le royaume à long terme, lorsque la demoiselle deviendra reine. Je ne sais trop ce que Torrhen espérait réellement, mais je sais que si la princesse aime le Nord comme le reste de sa famille, il n’en reste pas moins qu’elle peut tout autant apprendre à aimer son nouveau royaume, d’autant qu’elle y régnera. Je grimace et lui jette un coup d’œil, baissant la voix malgré moi. « Mon avis importe-t-il vraiment ?… Dans leur bon droit, non, mais peut-être s’imaginent-ils réellement pouvoir gouverner mieux que les autres, protéger plus de gens ainsi. Je ne saurais dire si c’est une réelle philanthropie ou de la suffisance crâne qui les guide. Je te dirais que je trouve cette jeune impératrice bien arrogante pour quelqu’un ayant grandi sur une île guère plus grande que la mienne, mais elle a un dragon, des dragons, cela aide à se faire entendre… Quant à l’empereur ma foi, seul le Nord lui importait autrefois… Je ne sais ce qui lui est passé par la tête. Peut-être l’a-t-elle ensorcelé. » Je souris en le regardant. Il n’avait jamais été le plus tendre des hommes, les années et les pertes endurées étant loin d’améliorer son caractère, mais j’avoue avoir été plus que surprise lors de leur… rapprochement et alliance. « Partagée entre deux royaumes, qui finiront sans doute par s’affronter, j’imagine bien qu’elle a du mal à trouver sa place. Quant à se faire entendre, près de la Lionne, cela relèverait de l’exploit non ? Même pour quelqu’un comme la princesse… Mais personne ne peut nier qu’elle aura un rôle à jouer, volontairement ou non. » Qu’elle serve de poids du côté de Jordane Lannister ou d’appui pour Torrhen Braenaryon, la malheureuse va devoir s’imposer bien plus que quiconque si elle désire s’en sortir… pas forcément indemne quoi qu’il en soit.

Je le dévisage, un mince sourire éclairant de nouveau mon visage. « Des choses fort jolies et intéressantes peuvent pourtant naître des différences. Mais tu as raison, les ententes et conciliations seront difficiles, quel que soit le moyen de faire. La diversité peut être une bonne chose, mais tant de contrastes… cela relèverait du miracle. » Ou il y aura eu tant de morts de chaque côté que les différences n’importeront plus et que seule l’envie de survivre importera… Réjouissant oui. C’est bien pour cela que je me concentre sur lui, sa présence et son rire. « Un voyou rien que cela ?… Tu m’en vois soulagé. » Comme si je pouvais en douter alors qu’il m’embrasse déjà. Je souris, mes lèvres commençant à courir sur sa peau, parvenant sans mal à mettre de côté toutes convenances, comme toujours avec lui.

Il est amusant de voir qu’avec elle, je suis capable de me remettre bien plus aisément en question qu’en temps normal. Peut-être parce qu’elle me donne le sentiment que rien n’a vraiment d’importance et que je peux tout dire, tout imaginer, sans que cela ne me porte préjudice. En tout cas, je sais que je vais regretter cette relation quand je serais reparti. Comme elle m’avait manqué lorsque j’étais parti de Winterfell. Alors, autant en profiter jusqu’au bout non ? J’ai un sourire amusé à nos échanges alors que je me fais songeur. « Et que feras-tu alors ? Si tu ne continues pas. Comment vas-tu donc pouvoir occuper cet esprit bouillonnant ? »

Et je hausse une épaule, la mine taquine. « J’avoue que j’ai vu bien plus de choses que je n’aurais pu le faire en étant… juste moi. Etonnamment. Et les gens n’auraient pas eu le même comportement avec moi. J’avoue que je ne regrette en rien ce petit jeu. Encore moins avec toi. » Elle a le droit à un clin d’oeil malicieux alors que je reprends, presque sérieux. « Mais j’adore discuter avec toi ma dame, tu m’obliges à réfléchir à ce que je dois dire, c’est… intéressant. »

D’ailleurs la discussion se fait vraiment plus sérieuse. Et je ne peux m’empêcher de froncer les sourcils, mon regard se perdant un instant dans le vide. « Possible. Mais c’est un peu extrême comme façon de faire non ? Vendre un enfant pour assurer une neutralité c’est cher payé. Surtout qu’elle n’aura que peu duré. C’était juste pour retarder l’inévitable tu crois ? » Je n’aime guère cette idée et pourtant, elle commence à faire son chemin, lentement mais sûrement. « Ton avis m’importe en tout cas. Il me permet d’avoir un éclairage plus… nuancé sur les choses. » Et je l’écoute, hochant la tête, sans bien savoir quoi penser de tout cela. « C’est… on dirait un conte. J’ai tout de même du mal à croire que deux personnes s’estiment mieux placées que nombres de têtes couronnées pour diriger tout un continent sans connaître les us et coutumes de chacun. Je ne sais pas c’est… tellement suffisant. » Et je lève un sourcil, intrigué par le reste de ses propos. « Peut-être qu’elle a su réveiller des envies chez lui qui étaient endormies. Et elle est fort avenante, si ça se trouve, il ne pense plus avec sa tête. » J’ai un sourire amusé, songeant à l’impératrice qui est en effet une magnifique femme avant de me focaliser sur le reste.

Et je ne peux m’empêcher de soupirer, pensif. « Elle deviendra Reine un jour. A moins que le royaume de l’Ouest ne s’effondre avant. Et là, la question ne se posera pas. Mais si ce n’est pas le cas, toute lionne qu’elle soit, Jordane Lannister devra laisser sa place. Je sais que Lyman ne la laissera pas diriger si ce n’est plus elle la Reine. Même si ce sera… délicat. Et si ça doit arriver, il faudra que la louve soit prête à devenir pleinement ouestrienne. » Ce qui est le cas. Je suppose. Mais j’avoue que le rôle qui lui a été attribué, qu’elle le veuille ou non, est bien lourd. Trop peut-être pour elle alors que les deux pays qui sont les siens vont finir par s’affronter tôt ou tard. Et ses allégeances risquent de lui faire encore plus de mal qu’escompté.

Je l’écoute avec attention, même si j’ai un sourire en coin et que je commence à la regarder d’une façon qui laisse peu de place à l’imagination sur ce que dont j’ai envie, ne nous leurrons pas. « Il est vrai. Pour autant, comme tu le dis, je ne suis pas sûr que tous ces contrastes arrivent à donner quelque chose de constructif. Et pourtant, ce n’est pas l’essence même de votre Empire ? » Comment pourrait-il fonctionner ? Comment les ennemis d’hier pourraient vivre ensemble en paix ? A moins d’exterminer toute une partie de la population, j’avoue avoir du mal à croire que c’est vraiment possible, même si cet idéal a quelque chose de particulièrement séduisant. Mais dans l’immédiat, je préfère être séduit par autre chose, alors que mes lèvres vont déjà chercher les siennes, que j’ai un rire taquin à ses propos. « Tu pensais que j’étais quoi ? Un gentilhomme ? Et tu aurais fait quoi si c’était le cas ? »

Je le fixe tout en réfléchissant, avant de hausser les épaules avec une moue amusée. « Je préfère ne pas savoir, d’autant que jusqu’à présent, j’ai toujours trouvé de quoi m’en satisfaire et m’en amuser, je ne compte donc pas cesser. Le résultat pourrait être désastreux. » Et si dans le pire des cas, je me transformais en mégère ou en parfaite idiote ? Cela serait étonnant, mais peut-être que les autres femmes manquent principalement de curiosité ou de… Non, la plupart des femmes sont simplement sages demoiselles, manquant atrocement de caractère, à qui jamais l’idée de réfléchir par elles-mêmes ne viendraient, alors contredire ou s’opposer aux hommes… Quelle horreur ! J’acquiesce à ses paroles suivantes, un léger sourire toujours aux lèvres. « Les serviteurs ne sont pas importants, personne ne se préoccupe réellement de ce qu’ils peuvent entendre ou penser. Mais il est donc heureux que tu t’en sois tiré sans dommage. » Mon regard pèse sur lui un instant alors que je hoche la tête. « J’aime également nos échanges jeune Kenning. Ils sont aussi surprenants qu’intéressants il est vrai. »

Je fronce un peu les sourcils à mon tour. « Je pense… Au tout début, le roi Stark, Torrhen j’entends, voulait éradiquer les Hoare à tout prix, ce qui n’a pas changé. Et que pour cela il aurait été prêt à tout Il souhaitait se rattacher les royaumes de l’Ouest et du Val, et une femme n’est guère plus qu’un trophée et une alliance en devenir, une princesse encore davantage. Je ne saurais te dire s’il aurait continué par la suite, mais je n’en suis pas certaine. Pour être franche, je pense que c’est l’arrivée de la dragonne qui a perturbé les plans et les équilibres. C’est de leur rencontre qu’est née cette… absurdité. » Je fais un vague geste tout en parlant, avant de doucement soupirer. Mon sourire se fait plus doux en l’entendant, et j’incline la tête pour le remercier, avant de poursuivre et d’acquiescer. « Suffisant est un faible mot dans ce cas. Mais à les entendre, il y a équité et tolérance, écoute et égalité. Les us et coutumes, le pouvoir et l’organisation seront respectés. Bien trop utopique et illusoire à mon goût, mais beaucoup y croient visiblement. » Je souffle un léger rire. « Oh, j’imagine bien que nombre d’hommes se plieraient en quatre pour elle. Peut-être lui rappelle-t-elle un peu feue son épouse. » Et dans le fond, cela n’avait aucune importance. Ils s’étaient montés la tête à deux.

Je me tais un instant. Pleinement ouestrienne. Hum. Cela ne plaira pas à tout le monde. « Quand elle sera Reine. Pour le moment, malgré toute sa bonne volonté et malgré son caractère, Jordane Lannister est fermement assise sur son trône. Quand cela arrivera… il lui faudra de l’aide, des soutiens. » Je le regarde tout en parlant. Je sais qu’il l’apprécie, au-delà de son devoir, et je dois avouer que je l’aime bien aussi cette princesse, aussi fière et entêtée soit-elle. Elle ne sera pas seule, mais face à des suzerains comme la Lannister ou les Braenaryons… face à son père…

Je secoue la tête, comme pour chasser tout cela, alors que la conversation dévie de nouveau, plus ou moins. « Je suis Nordienne, je ne fais partie de l’Empire que par extension, on ne m’a guère demandé mon avis. Mais c’est donc l’essence même et la volonté de l’Empire. Construire un monde plus sûr et plus pacifique. C’est un idéal affiché plutôt séduisant. » Même si on ne m’enlèvera pas de la tête que la volonté de tout contrôler et de tout posséder est bien plus forte que le reste. S’en rendent-ils compte eux-mêmes ? Je n’en sais rien et je n’en ai cure. Jusqu’où sont-ils prêts à aller pour cela ? Quand je me pose la question, la réponse me terrifie. Alors il est évidemment plus facile de rechercher de la douceur et de la frivolité à ses côtés. Je fronce les sourcils avec une moue. « J’aurais dû te dévoyer, ce qui aurait été à double tranchant. Cela aurait pu être amusant, mais bien plus embarrassant et dangereux. » Je lui souris de plus belle. « Et je préfère les voyous. »

J’ai un sourire amusé à la fixer l’espace d’un instant. « Désastreux ? Rien que ça ? Et que pourrait-il arriver de si désastreux ? Tu crois que tu pourrais mourir d’ennui ? Je serais obligé de venir te secourir et tout, ce serait dramatique j’avoue… » Une œillade malicieuse avant que je ne reprenne, non sans tousser un rire quand elle continue. « J’avoue, j’en ai appris presque autant en me faisant passer pour un valet qu’en des années à rester dans l’ombre du Prince. Mais c’est une leçon importante à retenir sur ma façon de faire à l’avenir. Comme quoi, peut-être que j’écoute ce qu’on me raconte après tout. » Voilà qui serait surprenant. Enfin, tout de même, je n’ai pas oublié la réaction des uns et des autres à la découverte de la supercherie. Et pourtant, je ne regrette pas. Je ne suis pas sûr que Jeyne ou Lynara auraient agi de la même façon avec moi si elles m’avaient vu comme le petit nobliau arrogant que j’étais à l’époque. « Je ne pensais pas que j’aimerais autant discuter avec toi… que le reste pour être honnête. Et j’aime à espérer que nos chemins se recroiseront pour voir si c’est toujours le cas. »

Et je l’écoute avec plus de sérieux, non sans effleurer au préalable ses sourcils froncés d’une caresse. « J’ai du mal à imaginer qu’il ait pu voir sa fille comme un trophée. Tu crois que s’il n’avait pas rencontré la Targaryen, il n’aurait jamais songé à tout ça ? Pour un peu, on dirait qu’elle l’a manipulé. Mais cet Empire, j’ai du mal à le concevoir, à imaginer qu’il soit viable. Nous sommes tous bien trop différents. Et j’imagine encore moins Jeyne ployer le genou, même devant son père. » Mon soupir fait écho au sien avant de grimacer. « Tu crois vraiment que c’est possible ? Comment tu peux attendre que des gens habitués à régner depuis des générations soient heureux de laisser le dernier mot à quelqu’un qui n’a aucune légitimité sur leurs terres ? » Mon sourire se fait un peu plus narquois quand elle confirme mes propos, d’une certaine façon et je me contente de hausser les épaules avant de grimacer au reste. « Je sais que Jordane Lannister ne lâchera pas le trône, que son époux soit en vie ou non. Ce sera un exercice des plus difficiles et je ne sais même pas si nos soutiens seront suffisants. Enfin, nous avons le temps d’ici là je crois. » Que l’Empire se renforce, qu’il sombre, que d’autres leaders émergent. Il s’est passé tellement de choses en une paire de mois qu’il est difficile d’imaginer de quoi l’avenir sera fait.

Je lui lance un regard curieux avant de reprendre, d’un ton amusé. « Séduisant qu’on décide à ta place sans demander ton avis ? Qu’ils puissent tout contrôler à leur guise ? Cela m’étonne de toi tiens… » Mais, comme toujours, nos échanges dérapent… un peu. Parce qu’il est plus facile d’oublier les problèmes que d’en discuter, ne nous leurrons pas, surtout en aussi bonne compagnie. Parce que son sourire provoquent nombre d’idées peu convenables et qu’elle le sait. « Je me demande ce que ça aurait pu donner si tu m’avais dévoyé. Tu y aurais peut-être pris moins de plaisir. C’eût été fort dommage tu ne crois pas ? »

J’écarquille les yeux, faussement choquée, et j’approuve vivement d’un signe de tête. « Mais oui, exactement. Ou je deviendrais comme les autres femmes, bien trop sages et ennuyeuses, ce serait aussi terrible… Même si te voir venir à mon secours pourrait être amusant. » Je retrouve un sourire amusé en l’entendant rire. « J’ai retenu que tu étais prêt à tout pour suivre ton Prince, et je ne suis pas la seule… Et sembler ne pas s’en préoccuper ne signifie pas que tu n’entends pas, je suis bien placée pour le savoir. » Et j’acquiesce en le regardant, un léger sourire toujours aux lèvres. « Je l’espère aussi, même si cela paraît plus que compromis. »

Je souffle un rire, et je secoue la tête. « Pourquoi cela serait-il différent pour lui ? Une enfant signifie une alliance possible, ni plus ni moins. Qu’il puisse l’aimer ne change rien à cet état de fait. Et je ne dis pas qu’elle le manipule, je pense qu’ils se sont entraîné l’un l’autre sur cette voie… Peut-être. À dire vrai, cela n’a plus guère d’importance maintenant. Et nous verrons bien assez tôt s’il est viable ou s’ils ont perdu l’esprit… Quant à Jeyne, je l’imagine étrangement encore moins plier le genou devant son père que devant quiconque. » Peut-être parce qu’il a été jusqu’à changer de nom, jusqu’à vouloir mettre l’héritage de son nom sous la coupe d’une puissance plus grande, ou simplement par arrogance et aplomb, je ne sais trop… « Leur Conseil laisse chacun décider, ils n’interviennent qu’en cas de mésententes au sein des royaumes unis… De ce que j’ai compris. Si tel est le cas, les souverains resteront seuls maîtres des décisions concernant leur royaume respectif. Même si pour moi, cela revient à laisser le dernier mot à quelqu’un d’étranger effectivement. » J’ai une moue alors que je me fais songeuse. « Elle n’est reine que parce que le roi… est roi, mais on la connaît bien davantage à l’étranger que son époux, même moi je sais que c’est elle qui dirige le royaume de l’Ouest d’une main de fer depuis de longues années. Il sera en effet difficile de changer cela… mais vous saurez y faire face le moment venu. » Et comme dit, d’ici là, tellement de choses peuvent se passer qu’il ne sert à rien d’essayer de prévoir.

Je le fixe, avant de lever les yeux au ciel. « Je parlais du but visé et avoué, pas des moyens ou principes mis en place, n’en rajoute pas. Et je ne suis qu’une femme, dois-je te rappeler que les hommes ont logiquement toujours tout décidé pour moi depuis ma naissance ?… Enfin théoriquement. » Nous savons tous deux que ce n’est point le cas, mais il aurait dû en être ainsi, comme pour chaque femme de chaque royaume, ou presque. Mais je ne suis heureusement pas comme les autres femmes, et il doit en être presque heureux que moi… « Peut-être. Peut-être que le défi aurait été intéressant. Mais le risque d’être moins satisfaite aurait été bien trop grand je te l’accorde. »

Mon sourire se fait plus large à sa mine faussement choquée et je secoue la tête, non sans lui lancer un regard pétillant de malice. « J’avoue que l’idée de te voir devenir bien trop sage et ennuyeuse a quelque chose de véritablement effrayant. Pourtant, j’ai tout de même du mal à croire que tu te laisserais aller à de tels travers, même pour le plaisir de me voir arriver à ton secours. Je me trompe ? » Evidemment que oui. Difficile d’imaginer Nelya se fondre dans le moule de toutes les femmes qu’elle aime à décrier. Et ce serait fort dommage au demeurant. Je me fais un brin plus sérieux, juste un peu, alors que nous continuons et je hausse une épaule à ses paroles. « En effet, je suis prêt à tout. J’ai beau chercher des limites, j’avoue que je n’en trouve pas. Je ne sais pas si je dois en être fier ou pas, difficile à dire. Et j’ai beau entendre, parfois je n’écoute pas, je reste un mauvais garçon quand je veux, ne l’oublie pas. » Un clin d’œil appuyé même s’il est suivi d’une grimace. « J’avoue, cela risque d’être difficile. Alors autant essayer de profiter des derniers moments qui nous restent, n’est-ce pas ? »

J’arque tout de même un sourcil un rien dubitatif à son rire et au reste de ses propos. « Et bien, c’est tout de même différent de voir sa fille comme une alliance intéressante que comme un trophée non ? Enfin je… je ne sais pas. Je suis probablement trop naïf et pas assez manipulateur pour voir comment ce serait possible. Et pour le reste… c’est en effet un peu tard pour essayer de trouver l’origine de tout cela. Même si je suis curieux, j’avoue. Je ne m’attendais pas du tout à ce genre de revirement quand j’ai rencontré le Roi du Nord pour la première fois. Quant au fait qu’ils aient ou non perdu l’esprit… je ne suis pas sûr d’avoir envie de voir les conséquences si c’est le cas. » J’ai un sourire narquois quand elle parle de nouveau de Jeyne et je hoche la tête. « Elle sera Reine et ne ploiera jamais le genou devant qui que ce soit… sauf si c’est pour sauver les siens. Je ne sais pas jusqu’où elle serait prête à aller pour ça. » Vraiment pas. Enfin, j’espère que l’avenir ne me donnera pas non plus l’occasion de voir ça, je ne suis pas sûr d’apprécier ce que cela pourrait donner. « Je trouve ça… surprenant que le Conseil permette ce genre de choses. J’ai du mal à voir comment cela peut réellement fonctionner, surtout avec des origines et des avis si différents. Encore plus avec deux têtes étrangères qui dirigent le tout. Enfin, peu importe. Il faut attendre de voir ce que ça donne donc. » Tout comme la suite des évènements lorsque Jordane Lannister ne sera plus Reine de l’Ouest. Mon regard se perd dans le vide un instant à cette pensée, avant de retrouver mon sourire quand elle reprend.

Il faut dire que garder mon sérieux trop longtemps avec elle est difficile. Et c’est ce qui me fait grandement apprécier sa compagnie. Bien plus que je ne le devrais surtout avec le monde qui nous entoure. Mais peu importe. Je me fends d’un rire à sa réaction et je hausse une épaule, comme si de rien était. « Je vois. Et ne va pas me faire croire qu’être une femme limite ton champ d’action. Il est juste différent. Et les femmes ont bien plus d’importance que tu ne veux le faire croire. Au vu de la famille qui gouverne mon pays, je pourrais difficilement croire autre chose. » Mais là encore, au final, ça n’a pas grande importance. Mon regard se fait pétillant et je souffle, alors que j’effleure sa joue du bout des doigts. « Tellement de peut-être, ça en donne presque le tournis. Mais heureusement, tu n’as pas eu à courir ce risque donc. Et c’est tant mieux. »