Année -17
La pluie tombe, quelques éclairs brisent le ciel avec fracas, un orage de plus sur ces terres, le dernier pour ma femme…
Assis à ses côtés je la voyais gémir continuellement, son teint était devenu livide, ses mains, moites, et devant mon inquiétude grandissante mon père m'avait mis à l'écart, hors de la pièce. Depuis, je fais les cent pas, guettant la moindre nouvelle, tendant l'oreille au moindre gémissement.
Chaque seconde m'apparait comme une éternité, voilà de trop longues heures que ma Becca est dans cette pièce.
Les cris de douleur se font de plus en plus faibles, jusqu'à disparaitre pendant de longues minutes… avant qu'un gémissement ne vienne briser le silence… un gémissement de bébé !
Il ne m'en faut pas plus pour que je me précipite à l'intérieur de la salle avec l'envie de serrer mon deuxième enfant dans les bras, l'envie d'embrasser ma femm… Aussitôt à l'intérieur ma joie s'envole d'un seul coup, autour de moi je vois des visages déconfis. Mon père s'avance vers moi, l'air grave :
"Gregor, tu dois être fort. Becca… ça lui a demandé trop d'efforts. On ne peut plus rien pour elle, elle est morte." Je cris ? Je crois… Je pleure en tout cas en me précipitant au chevet du corps sans vie de ma femme. Je ne prête même pas attention à mon fils aîné de quatre ans qui est entré dans la pièce pour savoir ce qu'il s'y fabriquait, ni même à mon père qui s'empresse de le confier à un garde et de le faire reconduire dans sa chambre. J'ai l'impression d'avoir reçu un coup de massue, Becca… ma femme… elle qui était… Soudain je réalise, je sèche péniblement mes larmes avant de me tourner vers mon père.
"Et… le bébé…?"Mon père tend le bras en direction du mestre portant délicatement un précieux trésor entre ses bras. Seule la petite tête de l'enfant dépasse du linge dans lequel il est enveloppé. Le mestre me tend mon fils et je m'empresse de le prendre dans mes bras.
"C'est un garçon, ton deuxième. Quel nom veux-tu lui donner ?" "Lothar… Tu t'appelleras Lothar." Dis-je en direction de la petite bouille dans mes bras.
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Année -8
Jamais de toute ma vie la grande salle de La Griffonnière n'a été si solennelle, et jamais elle ne le sera autant de mon vivant.
Mon père a été emporté par la maladie quelques jours plus tôt, La Griffonnière est encore en deuil mais aujourd'hui je m'assois pour la première fois sur le trône du Griffon, le siège ancestral de la maison Connington, en tant que Lord de La Griffonnière.
Avant de nous quitter mon père aura tout de même réussi à me remarier voilà deux années déjà, sept ans après la mort de ma première femme. Myrcella Swann ou plutôt Myrcella Connington désormais, ma seconde épouse, est issue d'une des plus grandes maisons de l'Orage.
Mon regard se pose sur elle et son ventre arrondi, elle qui porte déjà le fruit de notre union, mon troisième enfant. J'apprécie Myrcella, je commence à l'aimer par moments, mais il me faudra du temps pour effacer le souvenir de ma première femme de ma tête.
Tournant la tête de l'autre côté, je regarde mes deux fils, Pyron, l'aîné, et Lothar. À respectivement 11 et 7 ans ils ont du mal à mesurer toute la solennité de l'instant, je les vois se chamailler discrètement et j'en décoche un sourire. Leur complicité est belle à voir et j'en suis d'autant plus confiant en l'éducation que je leur apporte. Je sais que lorsque le moment sera venu et que Pyron devra prendre ma place sur ce siège, il en sera digne et il sera prêt.
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Année 0 Mois 3 Je jette un regard sur le champ de bataille, ce soir nous fêterons une victoire. Argillac Durrandon, mon ami, mon roi, vient contempler une dernière fois le carnage du jour à mes côtés. Le sol est jonché de cadavre, beaucoup d'entre-eux sont ennemis mais nous avons subits de lourdes pertes nous aussi. Plus de mille orageois nous ont quitté aujourd'hui, aucun d'entre-eux n'aura l'occasion de revoir le visage de leurs fils, filles, femmes,… autant de familles qui perdent un frère, un fils, un oncle… Je ne peux m'empêcher de penser à la mienne de famille, ma femme, notre fille et mon plus jeune fils restés à La Griffonnière… les reverrais-je un jour ?
Argillac pose une main ferme sur mon épaule et, comme s'il lisait dans mes pensées, me lance :
" Tu les reverras Gregor, tout comme je reverrais ma femme et ma fille. Nous ressortirons victorieux de cette guerre, comme nous l'avons toujours fait mon ami. "Ses mots me redonnent le sourire, voilà des années que je combats sous ses ordres en Essos, en mer, au Val, dans le Conflans, au Trident, dans le Bief et dans les Marches de Dorne. Argillac a bâti sa légende sur son armée, il apporte une confiance à ses hommes et c'est avec fierté que je l'appelle "mon Roi".
"Ce soir nous fêterons la victoire. Les hommes content déjà tes faits d'armes d'aujourd'hui, ils te surnomment "Le Griffon des trois-Collines". Ton fils aussi s'est bien battu à mes côtés." Mon fils aîné, Pyron, s'illustrant au combat, ces mots me comblent de bonheur, la lignée des Connington sera entre de bonnes mains à ma mort. Quant aux surnoms que me donnent les soldats, ils me font sourires. J'ai participé à tant de guerres… et eu presqu'autant de surnoms différents que maintenant je n'y prête guère attention. Je suis le commandant de la troisième division d'infanterie de l'armée de l'Orage et j'ai conduits le flanc droit de notre armée aujourd'hui, les responsabilités valent bien plus que les surnoms.
"Mon Roi ! Mon Roi !" Un jeune soldat accourt à toute allure dans notre direction.
"Mon Roi ! Des prisonniers ! Nous avons trouvé des prisonniers Targaryen !" Je lance un soupir presqu'indétectable. Les Targaryen… voilà sans doute l'un des rares points de désaccord que nous avons Argillac et moi. Le Roi de l'Orage a toujours en travers de la gorge l'insulte faite par Aegon à sa proposition de mariage avec sa fille. Les visages à la tête de Peyredragon ont changé depuis, Aegon a payé pour son affront innommable. Mais Argillac se refuse à toute alliance avec le dragon et cela malgré toutes mes tentatives pour lui faire comprendre qu'une véritable alliance entre nos deux royaumes (et pas seulement une simple cause commune) est plus que nécessaire face à un ennemi aussi puissant.
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Année 0 Mois 6
Des corbeaux sont arrivés ce matin… messagers de terribles nouvelles.
Le Bief a ouvert ses frontières à Harren le Noir, l'armée du Conflans a filé tout droit vers Accalmie. La capitale est assiégée et peu des nôtres sont présents pour la défendre. Quelques brèves nouvelles de ma famille m'indiquent que mon plus jeune fils a été mobilisé pour prêter main forte à la princesse avec le peu de forces que La Griffonnière pouvait encore fournir. Plus les secondes, les minutes défilent depuis l'instant où j'ai appris la nouvelle et plus j'ai peur. Mon fils au cœur des combats et si Accalmie tombe La Griffonnière sera la suivante… J'ai peur de ne plus pouvoir embrasser ma femme, serrer mes enfants dans mes bras, j'ai peur de les perdre.
Argillac a réuni ses principaux généraux sous sa tente, distribuant ses ordres rapidement il nous expose son plan. Il rentrera faire face aux troupes du Conflans avec une partie de l'armée tandis que l'autre partie restera dans la baie de la Néra. Malgré mes vives protestations le roi ne me laisse pas l'accompagner défendre notre pays, il m'a confié le commandement des troupes restantes.
Je rejoins mon fils aîné alors qu'il prépare déjà sa monture. Il sera de ceux qui devront défendre Accalmie.
"J'aurais aimé être à tes côtés pour cette mission… Soit fort mon fils, soit digne des Connington !" Il acquiesce d'un signe de tête.
"N'ait crainte père, je protègerai le roi et notre famille. Il ne leur arrivera rien, aussi longtemps que je vivrai." Je lui rends ses paroles en le serrant une dernière fois dans mes bras. Mon fils sera, à ma mort, l'un des plus grands lords que les Connington auront connu, c'est ma fierté.
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Année 0 Mois 7 La rumeur a enflée au fil des jours, je ne voulais pas y croire au début mais elle s'est faite de plus en plus insistante, revenant sans cesse à mes oreilles. Je ne voulais pas y croire… Jusqu'au jour où des éclaireurs l'ont confirmé.
Je tiens ce foutu rapport, ce foutu papier entre mes mains qui raconte exactement ce que l'éclaireur au garde à vous devant moi vient de me décrire.
L'armée d'Argillac… Pyron, mon fils,… Il n'y a eu aucun survivant. Les troupes du Conflans ont pris en tenaille l'armée de l'Orage grâce aux traitres de la Néra, des hommes sans honneur tout comme le chef qu'ils ont rallié. A 2 ou 3 contre 1 les Orageois n'avaient aucune chance.
Bien plus que des soldats, je perds des amis, des compagnons d'armes et de beuveries, je perds mon Roi, je perds mon Fils…
Je congédie toutes les personnes présentes dans la tente de commandement, il me faut être seul. Il me faut être seul pour ne pas montrer ma défaillance à mes hommes, ne pas leur montrer le doute dans mon regard, ne pas leur montrer les larmes qui coulent sur mes joues aux souvenirs de mon fils.
Je reste seul de longues minutes, reprenant petit à petit contenance, digérant la nouvelle. D'autres rumeurs parlaient de la mort de la princesse, de la chute d'Accalmie… Je me refuse à seulement envisager pareille catastrophe. Je me surprends à prier pour mon second fils, pour ma famille, pour le futur de l'Orage.
Car oui, de la suite des évènements dépendra la survie ou non du royaume de l'Orage, l'heure n'est pas aux pleurs et à l'apitoiement, l'heure est à la fureur de l'Orage.
Je serre le poing sur mon bout de papier avant de le jeter le plus loin possible dans un cri de colère.
Je sors de la tente d'un pas décidé, donnant plusieurs ordres pour lever le camp et être prêt à partir dès l'aube. Nous allons défendre nos terres, nos maisons, notre princesse. Nous allons défendre l'Orage.
J'aboie mes ordres de tous côtés, mais quand enfin je fini de donner mes directives force est de constater que la motivation des soldats n'est plus très grande, les dernières nouvelles les ont dévasté.
Secouant la tête je me dirige directement vers une estrade de fortune faite avec quelques tonneaux vides avant de m'adresser aux troupes.
" Soldats ! Compagnons ! Mes frères ! Je lis sur vos visages, ce même doute qui pourrait saisir mon cœur. Notre roi est mort... Mais souvenez-vous de lui, souvenez-vous de tous ceux qui sont tombés et souvenez-vous de ce pourquoi ils ont sacrifié leurs vies ! Ils se battaient pour nos familles, pour nos maisons, ils se battaient pour l'Orage ! L'ennemi nous croit anéanti, l'ennemi nous croit faible, il attaque notre Princesse et nous devrions le laisser faire ? Accalmie est assiégée, nous allons la défendre ! Notre est la fureur ! " De nombreux soldats poussent des cris, j'entends plusieurs "Notre est la fureur ! ", la devise des Durrandon, arriver à mes oreilles. Les troupes semblent remotivées, du moins pour un temps.
Les Targaryen devront se débrouiller seuls dans la Néra mais c'est la seule solution pour l'Orage. Le Conflans n'aura pas le dernier mot. Joren Hoare, meurtrier de mon fils, je jure sur les sept que j'aurai ta tête.