Après avoir pris par surprise les osts du Bief, qui pensaient piéger le corps de bataille impérial, l'Empereur et l'Impératrice avaient repris leur route, faisant fi de toute prudence, de toute réserve, allant droit devant. Ils franchirent à marche soutenue la frontière, délaissant le charroi ravitaillant l'armée pour ne plus vivre que des greniers à grains et du bétail, des maraîchages d'automne. Partout sur leur chemin, les moissons se terminaient et on récoltait les denrées des temps pluvieux qui précédaient l'hiver ; maïs en abondance, légumineuses... La région regorgeait de tout, même si les armées du Bief avaient utilisé l'endroit pour leur propre ravitaillement. Les réquisitions étaient à la charge de la cavalerie de l'armée quand elle n'éclairait pas les avants et les flancs de l'armée, et le dragon de l'Impératrice permettait de repérer les menaces éventuelles. Le soir, les hommes dormaient à la belle étoile ou sous la tente, de relayant pour protéger les campements mais sans fortifications.

Les armées du Bief étaient étirées ; il avait fallu se redéployer face à Dorne, face au sud du Conflans occupé par l'Empire, et soutenir l'effort sur Accalmie... Jamais l'Empereur et ses troupes ne rencontrèrent de troupes régulières. A Pommingham, le château fut pris par les chevaux-légers lanciers, fanions du loup et du dragon au vent, avant même que l'alerte ne soit donnée et les portes fermées. Les sergents désarmés se virent privés de tout équipement, tout comme l'armée Braenaryon dépouilla le bourg de ses denrées et de son fourrage avant de repartir.

La rumeur commença à enfler.

L'armée marchait vite. Délestée de tout, elle prenait de vitesse les autorités de la région, et l'ombre menaçant de la terrifiante Meraxès précédait invariablement des norias de cavaliers fanions au vent, et des colonnes d'infanterie lourde arme d'hast passée sur l'épaule, baluchon nouée autour du fer des hallebardes.

Bientôt, ce fut la panique à Cendregué. Le châtelain local parti à la guerre, c'est son chambellan qui accueillit avec un étendard de sa maison et la bannière des Hightower, les avant-gardes Braenaryon. L'Empereur en personne, juché sur un grand destrier noir, s'avança au milieu d'une garde Demalion en armure de plates. Lui-même encadré de sergents montés, le chambellan Cendregué fit part de ses conditions pour acheter la distance de l'armée impériale, laissant les impériaux silencieux.

Le malaise se répandit dans la délégation bieffoise alors qu'au loin l'armée impériale, tambours battants, se déployait comme pour la bataille. Et l'angoisse grandissant, relançant l'Empereur, Cendregué se vit couvrir d'une ombre grandissante.

Un hurlement déchira le matin, et le dragon s'abattit sur le corps de garde, faisant s'effondrer une partie du toit, et de nombreuses pierres. Les défenseurs de la milice, terrifiés, s'égaillèrent en tous sens. S'écartant du chambellan, l'Empereur piqua des deux et avec sa Garde, entra dans la ville, saluant d'un signe de tête son Impératrice qui reprit avec sa sœur son envol.

L'armée entra, et mis la ville et ses ressources en coupe réglée. Au matin ne restaient rien des greniers de la ville ni des réserves de toutes sortes de la cité, si ce n'étaient des places vides ou en cendres. Il y avait aussi quelques corps aussi, de soldats lapidés par leurs camarades sur ordre de l'Empereur pour pillage ou pire encore, le dragon et l'Impératrice ayant présidé à la scène aux premières lueurs du jour. Le code militaire du Nord avait suivi l'armée Braenaryon si loin au sud... L'armée à la bannière Rouge et Noir marchait encore, remontant la Coquelle vers la Mander.

Hautjardin n'était plus qu'à quatre cent lieues.

Et l'Empire ne semblait pas décidé à laisser subsistance à l'armée bieffoise revenant de l'Orage, lancée à sa poursuite. Il voulait aller vite.

Et frapper fort.

La panique se répandit dans les terres du Bief.

La panique, et la résolution. Parce que les païens et les hérétiques n'étaient qu'à deux semaines, ou dix jours, de marche de la capitale. Et de là, de tout le cœur du pays. Sur les routes, des milliers de fuyards et d'exilés, fuyant les rumeurs de dragons, de pillages et de massacres, et les maisons nobles de jurer que jamais le Loup ni le Dragon ne prendraient les lieux Saints du Royaume.

Loin de là, d'angoisse, d'attente et de fureur, une Reine accouchait d'une petite Elara, jurant que ses enfants, même nées femmes, seraient l'instrument de la vengeance de leur lignée.