Une chaude lueur d’encens embaumait la chambre funéraire. Sarzir veillait Sowena, prisonnier du silence, tandis qu’il profitait d’un dernier instant de complicité avec celle qui n’était déjà plus. Ses mains entouraient celles de sa promise. Son regard, meurtri par les sanglots, scrutait le visage de sa douce dans les moindres détails, y cherchant désespérément une issue à cette horrible réalité qui n’en avait aucune. Dans un dernier élan de détresse, le chevalier guettait autour de lui les signes d’un cauchemar un peu trop crédible, dans lequel il serait encore plongé. Mais il n’y en avait aucun. L’homme s’effondra contre elle une toute dernière fois, et lui baisa le front dans un ultime témoignage d’amour. Il se releva, tâchant tant bien que mal de reprendre ses esprits, cerné par les pleurs et les complaintes des proches de son épouse, venus assister à son dernier hommage. L’endroit n’était illuminé que par les dizaines de bougies, alignées jusqu’à la dépouille, qui marquaient un chemin de passage à tous ceux qui souhaitaient aller s’y recueillir. Chacun vint embrasser Lady Santagar, et lui dire adieu. Chacun présenta ses condoléances et sa compassion à Sarzir, qui fit de son mieux pour rester digne.

Ensuite, conformément aux rites funèbres de Dorne, Sowena Santagar fut portée dehors, sur un somptueux lit fait de bois et d’ornements végétaux, qu’on installa sur un bûcher, face au désert. Un prêtre des Sept prit la parole pour bénir la défunte, suivi d’une cultiste des anciens dieux de la Rhoyne ; Sowena était en effet issue d’une famille qui vénérait encore la tradition ancestrale de Dorne. L’on répartit sur le bûcher des huiles facilement inflammables, et l’on alluma une torche. Elle fut tendue à Sarzir, à qui revenait la responsabilité insoutenable de conduire sa bien-aimée à son plus grand voyage. Il s’avança vers elle, imprima son doux visage dans sa mémoire, et jeta la torche sur le bûcher. Il s’embrasa, frénétiquement. Le Santagar fixa le spectacle de feu, l’air totalement absent, flottant dans le néant. Il resta planté ici plusieurs heures, sans rien dire, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que lui sur les lieux ; et que du foyer ne persiste que des braises.

Là, dans la nuit totale, il regagna Bois-moucheté. Il déambula dans les ruelles et sur les remparts de la cité des Santagar, errant sans but tel un fantôme. A quoi ressemblerait sa vie, désormais ? Son existence avait-elle un sens, privée de sa raison d’être ? Ne serait-il pas plus simple de la rejoindre tout de suite ? Juché en haut d’un rempart, Sarzir enjamba un créneau et s’assit sur la muraille, les deux pieds dans le vide. Il observa les contrebas. La distance qui le séparait de Sowena ne tenait qu’à quelques mètres de hauteur, moyennant une chute sans accroc. Il resta dans cette position pendant près d’une heure, jusqu’à se ressaisir. Et il pleura de nouveau. Il redressa la tête pour contempler les étoiles ; elles étaient belles cette nuit. Il partit en quête d’une lueur plus vive qu’une autre, qu’il attribua à sa chère et tendre, qui maintenant le protégerait de là-haut.

Un peu plus loin sur les remparts, il lui sembla entendre des bruits de pas. Il songea spontanément au corps de garde, qui devait effectuer sa ronde. Il n’y prêta donc pas davantage attention. A un moment, le bruit de cette marche se fit plus proche. Il se retourna, et discerna une silhouette qui n’avait pas l’air d’un soldat. Il s’agissait d’une femme.

Arianne Martell se tenait derrière lui. L’homme pivota légèrement la tête et entraperçut sa silhouette. Se ressaisissant, il prit une grande inspiration puis opéra un demi-tour, passant ses jambes de l’autre côté de la muraille. Il lui faisait face, désormais. La jeune femme se rapprochait avec calme et douceur. Par sa seule attitude, elle lui communiquait un mélange de compassion, de peine et de soutien. Sarzir releva la tête, et plongea ses yeux dans ceux d’Arianne, en quête de quelque chose qui n’était déjà plus. Dans ses yeux, à lui, l’on ne lisait que la douleur. Elle le tirait, dans tous ses traits.

Lady Martell était une vraie amie pour Sowena ; peut-être était-elle d’ailleurs la meilleure de ses amies. Les deux femmes se connaissaient de longue date et, bien que Sarzir n’ait eu que peu l’occasion d’interagir avec Arianne, celle-ci lui fut maintes fois dépeinte – toujours en termes élogieux – par sa bien-aimée. Sowena voyait Arianne comme une sœur.

Sarzir inspecta ses mains, d’abord sans raison apparente, cherchant désespérément à fuir ce moment déjà bien trop long et qui ne faisait en réalité que commencer. Ce deuil, il ne le savait pas encore, serait un fardeau dont il ne parviendrait jamais à se départir, toute sa vie durant. A son annulaire, était encore ancrée son alliance. Cet anneau était l’un des derniers objets qui le rattachaient à cette réalité passée, et qui n’était plus désormais. Ceci eut pour effet de lui arracher une nouvelle larme, qui perla très vite le long de sa joue, déjà bien humidifiée par des heures de sanglots.

[Sarzir] « Je ne sais pas… »

Et il n’en savait rien, de fait. Sarzir était prisonnier de l’instant présent. Se projeter, réfléchir à ce qu’il pourrait faire ou devenir, demain, sans Sowena, lui paraissait faire insulte à sa chère et tendre, en même temps qu’à son deuil. Et pourtant, tout rationnel qu’il était, le Santagar savait qu’Arianne posait ici une question importante. Il ne pourrait se permettre de se morfondre durant des semaines. Il faudrait, coûte que coûte, qu’il aille de l’avant.

Alors, l’une des manières qu’il trouva spontanément pour s’extirper à sa condition malheureuse, était de solliciter auprès d’Arianne, si elle l’acceptait, quelques souvenirs d’une intimité amicale à laquelle Sarzir n’avait jamais vraiment assisté. Il comptait ainsi découvrir Sowena sous un jour nouveau ce qui, de manière un peu naïve, la ramènerait à la vie ; de façon éphémère, certes, mais il en était là.

[Sarzir] « Sowena vous aimait sincèrement. Elle était discrète sur ses amitiés, et les protégeait farouchement. Mais à chaque fois qu’elle m’a parlé de vous, Arianne, c’était pour me dire toute l’estime qu’elle vous portait. Je vous remercie pour ce que vous avez été pour elle. Et je vous remercie d’être là ce soir. »

Il marqua une courte pause, relevant la tête pour croiser le regard de son interlocutrice.

[Sarzir] « Je… Je me demandais si vous accepteriez peut-être de me parler d’elle. Comment vous-êtes-vous rencontrées ?  Quel genre d’amie était Sowena ? Aussi étrange que cela puisse paraître, nous n’avons jamais vraiment parlé de cela, elle et moi. Et je serais heureux d’en connaître davantage sur votre histoire. Je sais que votre relation d’amitié comptait énormément pour elle. Elle compte aussi pour moi, par conséquent. »

Il regagna le silence.