Le moral n'était clairement pas au beau fixe chez la jeune souveraine du Val et de la Montagne. Il y avait eu de nombreux hauts et bas au cours des dernières semaines, comme au cours des derniers mois. Comme une vague rapide, tout avait été emporté en une fraction de seconde et par instant, elle s'était clairement crue prise dans l'étau d'un rouleau venant à se fracasser avec force contre les côtes du royaume qu'elle aimait tant, sans parvenir à remonter à la surface. La mer ne l'avait pas engloutie, en tout cas, pas totalement si on venait à faire le parallèle avec l'Empire qui avait fini par s'imposer comme seule solution pérenne pour éviter la destruction pure et simple de ce territoire dont elle était devenue la Reine il n'y a pas si longtemps que cela. Ce rattachement qui semblait presque inévitable, même quand le Val se trouvait encore dans la dynamique des Puissances Centrales, n'était pas forcément à l'opposée de l'idéologie qui était celle de la jeune femme. Dans un passé qui n'était pas si lointain, elle s'était sincèrement réjouie de se voir fiancer à Jon Stark et d'avoir un instant imaginé qu'elle pourrait devenir Reine du Nord, là où la religion qu'elle pratiquait, les croyances qui étaient les siennes étaient respectées, tout autant que la stabilité d'une certaine ligne de conduite qui pouvait être appréciable. Mais les choses ne s'étaient pas faites et la vie avait continué son chemin et elle n'avait eu d'autre choix que de l'accepter, attendant un signe du destin, un signe tout simplement pour savoir où elle finirait par aller, pour savoir quelle femme, elle allait devoir devenir, pour répondre aux exigences de son père ou à celle d'un mari. Il était évident que de se retrouver uni à Ronnel avait été un soulagement pour elle. C'était un garçon qu'elle connaissait depuis toujours, et même s'ils s'étaient perdus de vu d'une certaine façon, elle savait qu'il ferait en sorte de prendre soin d'elle, et qu'il ne viendrait même pas à l'esprit de lui faire du mal d'une façon ou d'une autre. C'était un soulagement non négligeable, et à force de patience, même si leur union était encore toute récente, Ysilia pouvait constater quelques petits changements, qui pouvaient paraître totalement anodins, mais qui comptaient beaucoup à ses yeux.

Mais voilà, si certaines choses prenaient un nouveau tournent plus positif, il n'en restait pas moins que la guerre était toujours présente. Ils avaient, certes, changé de camp, et se devaient, aujourd'hui, de combattre les alliées d'hier, au côté des ennemis d'il y a peu, sans parler de tous les troubles, que leur nouveau changement de position dans les alliances, avaient provoqué au sein même du royaume du Val et de la Montagne. La Reine était donc inquiète, mais la femme l'était sans doute encore bien plus. Comme tous les souverains fédérés de l'Empire, le Roi se devait de partir rejoindre un front pour combattre, et la jeune femme désespérait de ne pas avoir la chance de voir son époux revenir auprès d'elle. Il avait traversé tellement d'épreuves, ils avaient traversé tellement de moments difficiles, qu'elle ne voulait pas perdre ce qu'ils étaient en train de construire et qui lui réchauffait sincèrement le cœur. Plus encore, la peur de devenir mère devenait de plus en plus grand. Il n'était pas question d'être à la hauteur ou non, étant une femme de la noblesse, elle pourrait sans aucun doute bénéficier d'une armada entière de sages femmes, nourrices et autre personnel pour pouvoir l'aider dans sa tâche de mère, voir même la remplacer si elle ne s'en estimait pas capable ou si elle ne désirait pas s'occuper de sa progéniture. Mais avant tout cela, il y avait la période aussi belle que cauchemardesque de la grossesse. Celle où elle devait rester en vie, car le Val avait déjà trop perdu, car Ronnel avait déjà perdu une Reine, une épouse et un enfant mort-né. Elle n'avait pas le droit à l'erreur, car sinon la vie pouvait venir à lui retirer celle de son enfant et elle avait vu dans le regard de l'Impératrice, Rhaenys Braenaryon, cette souffrance, d'une mère à qui on avait enlevé l'enfant qui grandissait dans son ventre mais sans pour autant avoir eu l'occasion de le voir naître, de le voir vivant. Tous ces mots lui donnaient un mal de tête impressionnant, sans parler des nausées qui avaient fait leur apparition. Seuls les membres de la Cour de la Reine, et encore les plus proches de cette dernière était au courant de son état de santé, ne voulant pas qu'on puisse la menacer enceinte ici, Fort-Darion gardait encore beaucoup d'ennemis du Val. Cependant, alors qu'elle s'était posée tranquillement dans un petit jardin du château, elle se sentait de plus en plus faible, prête à vomir ou à s'évanouir selon les préférences de son corps.

La capitale impériale était complètement en chambardement, de tous les côtés, il y avait une sorte de mouvement perpétuel, entre ceux qui arrivaient à Fort-Darion et ceux qui venaient à en partir. Cela allait du simple pêcheur qui ramenait sa cargaison à son épouse qui irait le vendre ensuite sur le marché, au plus important transporteur de vin des régions auxquelles on pouvait encore accéder, ainsi que les marchands de tissu et tout commerçant qui avait pleinement conscience qu'en venant ici, il devrait normalement faire de bonnes affaires. Si bien sûr, ses produits se révélaient d'être qualité, car on ne pouvait oublier un seul instant ici, que ce qui faisait l'importance de cette cité, au bout d'un long bras remontant jusqu'à la mer, c'est qu'il y avait de nombreuses délégations, des hommes, des femmes politiques et leurs personnels attitrés qui évoluaient ici, et qui avaient les moyens pour la majorité de se payer les meilleures choses qui soient. Ce qui avait presque disparu à présent, c'était les soldats, venus de tous les horizons de l'Empire, et qui avaient dû repartir pour continuer cette guerre qui semblait interminable. Ronnel était également parti, et elle espérait bien le voir revenir un jour, le voir revenir le plus vite possible. Il lui avait promis d'être là, auprès d'elle, avant la naissance de leur enfant. Il voulait être celui qui accueillait leur bébé à naître et pas l'inverse. C'était une vision enchanteresse mais elle se demandait si cela pouvait être réalisable tout simplement. Le Val était le petit poucet, le dernier qui était venu à s'ajouter à la liste des Royaumes Fédérées, et même si Ysilia était pleinement favorable à cette décision, une décision qu'elle estimait sans doute bien meilleure pour leur royaume, elle ne se serait jamais permise d'encourager Ronnel dans une ou l'autre de ces décisions, elle était là pour le conseiller et pour le moment cela était bien suffisant. Le monde tournait bien plus vite, bien trop vite, et il n'était pas aisé de prendre ses marques. En deux mois de temps, elle était devenue Reine d'un royaume en guerre contre l'Empire, à Reine d'un royaume en guerre, allié de l'Empire et contre les Puissances Centrales. Elle n'avait pas eu le temps de passer par les Eyrié, venant directement à la Porte Sanglante, puis à Fort-Darion pour signer la Constitution. Maintenant elle allait repartir, mais pour le Nord cette fois, pour rencontrer la Reine Eleanor Stark, pour essayer d'apaiser les cœurs des hommes et des femmes des Trois Soeurs qui étaient rattachés à un autre territoire.

Quand allait-elle rentrée au pays ? Elle n'en savait strictement rien, et le pire dans tout cela, c'est qu'elle n'était même pas certaine de pouvoir regagner tout de suite les Eyrié, car elle se doutait que des tensions parcouraient le royaume, que tout le monde ne saluait pas le passage du Val des Puissances Centrales à l'Empire. Néanmoins, elle avait le désir de rentrer, elle espérait plus tôt que plus tard, mais rien que de poser les pieds à Roche-aux -Runes, et elle savait qu'elle se sentirait bien mieux, auprès de sa mère, auprès de son petit frère. Dans les moments délicats, il fallait se rapprocher de sa famille. En attendant, tout ce qu'elle voulait s'était d'être seule, sans doute sa garde rapprochée, sans ses dames de compagnie qui avaient tendance à piailler toute la journée. C'était devenu pire encore depuis qu'elles avaient appris que Ysilia était enceinte. Il y avait maintenant un concours pour pouvoir conseiller la future mère en position, en nourriture, ou en consommation ou non d'alcool pour essayer de faire en sorte que le bébé qu'elle portait soit un fils et non une fille. Ici, dans le petit jardin à l'écart, elle s'estimait assez en sécurité, ou du moins elle l'espérait, pour ne pas finir embrocher par un vindicatif venant à lui reprocher les morts causées par le Val. Elle avait besoin de souffler, de respirer, loin des commérages et des messes basses dont raffolaient ses dames de compagnie. Cependant, son esprit ne manquait pas de tourner à plein régime, et elle se sentait perdre pied petit à petit. Sa vision était un peu trouble, la sueur froide qui lui glissait dans le dos était insupportable. Elle entendit néanmoins une voix délicate avant de voir la personne se présenter à ses côtés. Elle fixa alors Helena Hoare du mieux qu'elle put et elle se mit à secouer la tête. « Je ne suis pas en pleine forme mais ce n'est rien … C'est juste ... » Elle se leva tant bien que mal, s'accrochant alors au parapet d'une main, elle se mit à vomir au-dessus de celui-ci. Ce qui, d'une certaine manière, lui permet de reprendre un peu contenance. Elle vint à s'asseoir sur le sol, faisant un pauvre sourire à la jeune femme. « Oh non, je vous prie, n'appelez personne. Sinon le Mestre risque de courir me rejoindre, avec la moitié de la délégation valoise, alors que ce n'est qu'une nausée, parmi tant d'autres. Dans mon état, il paraît que cela est tout à fait normal … Et les nombreuses préoccupations qui sont les miennes, m'empêchent visiblement de combattre les nausées, voir même cela a tendance à les provoquer ... »

Ysilia avait toujours beaucoup apprécié de se promener à l'extérieur, et heureusement pour elle, elle avait la chance d'être dans une cité qui se trouvait juste au bord de la mer. La jeune souveraine du Val avait eu l'opportunité de grandir sur les rivages de l'océan, Roche-aux-Runes offrait une vue tout simplement magnifique et elle avait toujours trouvé le réconfort dans les parfums que l'étendue salée pouvait offrir, si on occultait bien évidemment, le fait qu'il n'était pas toujours agréable de se promener sur le port, pour des questions d'odeurs bien moins appréciables. Alors, certes, en venant à se promener dans un des jardins de Fort-Darion, ne lui permettait pas forcément d'avoir une vue sur la mer, ni la possibilité d'entendre le roulis régulier des vagues venant à s'étendre sur la plage ou à se fracasser contre les rochers comme une douce musique, mais elle se sentait dans tous les cas, bien mieux à l'extérieur des murs du château plutôt qu'à l'intérieur. Cela lui permettait de réfléchir plus nettement aux tenants et aux aboutissants actuels, et c'était tout autant un avantage qu'un défaut, alors que son estomac ne tenait plus beaucoup le choc depuis quelques jours déjà. Et elle n'avait guère envie de se gaver de diverses potions, même si elle venait d'un mestre compétant, pour pouvoir calmer les sautes d'humeur de son ventre, alors que tout venait à être démultiplié par les tracas que son esprit s'amusait à lui rappeler sans cesse. Bientôt, elle partirait en voyage pour le Nord, ce royaume où elle avait failli devenir reine, avant que tout ne soit remis en considération par des volontés et des obligations politiques, plus fortes, et qui l'avaient totalement dépassé. C'était une mission diplomatique de premier ordre dans lequel elle s'était lancée. La Reine du Nord n'avait pu se déplacer jusqu'à Fort-Darion, à temps, pour les célébrations de l'intégration du Val à l'Empire. Et c'était peut-être mieux ainsi, car on ne pouvait pas parler d'une véritable félicité pour tous. Cependant, il était difficile d'ignorer cette jeune souveraine, qui se retrouvait en plus être sans doute la voisine la plus directe du Val et qui régnait sur un royaume qui venait de récupérer des territoires aux Arryn. La rencontre était tout simplement inévitable, il fallait faire la transition entre les deux, essayer de soulager un peu des familles importantes des Trois Soeurs et s'excuser auprès d'eux après les avoir perdu de leur giron. Il fallait également faire bonne figure auprès du Nord et essayer de nouer un contact qui serait plus que profitable. Peut-être que les deux jeunes femmes viendraient à s'entendre plus facilement que leurs époux respectifs.

Sans doute aurait-elle pu continuer longtemps à envisager tout un tas d'éventualités possibles mais elle s'était soudainement prise dans un tourbillon dont il lui semblait impossible de sortir. Elle n'avait jamais été d'une santé fragile, les Anciens Dieux semblaient avoir veillée sur elle depuis son enfance. Pour autant, ils semblaient s'amuser un peu avec elle depuis qu'elle avait commencé à annoncer à son entourage qu'elle était enceinte. Au moins, elle arrivait petit à petit à sentir les choses quand une nausée ou un étourdissement venait à la toucher. Ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est que quelqu'un viendrait à assister à cet instant gênant, et en plus de cela, ce n'était pas n'importe qui au sein de l'Empire, même si elle n'avait pas eu l'occasion de lui parler directement. En arrivant ici, elle avait appris à reconnaître les personnalités les plus importantes. Ce n'était pas très royal comme présentation mais il était certain qu'elle n'était pas en mesure de se remettre debout pour le moment. Les yeux fermés, elle reprenait doucement son souffle, et elle sentait qu'elle parvenait doucement mais sûrement à récupérer le contrôle de son corps. Elle ne s'attendait pas à ce que la jeune femme viendrait à s'asseoir à ses côtés sur le sol, mais cela eut l'effet de la faire sourire un peu. « C'est ça, ça n'arrive jamais au bon moment. On va dire qu'heureusement que cela ne me soit pas arrivé devant tout le monde lors des festivités avec l'ensemble de la Cour présente … Le Val est déjà assez sous surveillance comme ça ... » Elle eut un pauvre sourire, caressant doucement son ventre comme pour lui apporter un peu de calme. « Je garde le conseil malgré tout, on ne sait jamais, peut-être que cela aura plus de succès pour moi. » Il fut alors temps de faire les présentations. «  Heureuse de faire votre connaissance Helena, je suis Ysilia Arryn, mais je crois que vous l'avez déjà deviné ... » Maintenant qu'elle connaissait l'identité de son interlocutrice, elle ne savait pas si elle se devait de s'excuser auprès de la jeune femme pour la perte ou non de son enfant, elle ne voulait pas faire un mauvais pas, ou avoir une mauvaise parole qui pourrait la blesser d'une quelconque façon. Elle savait ce qu'il s'était passé pour Lady Bracken, ancienne femme de Yoren Hoare. « Vous qui êtes arrivée à Fort-Darion depuis plus longtemps que moi, pensez-vous que nous parviendrons à être un peu tranquille ici ou devons-nous nous attendre à voir une foule de courtisans arriver d'ici peu ? Il y a tellement de vie ici, dans cet espace en construction. »

Le secret, voilà dans quoi elle vivait depuis plusieurs semaines maintenant, dans le secret. Même avant cette grossesse qui était arrivée bien vite et qui la remplissait de joie, elle avait dû se taire pour ne pas dévoiler la possible nouvelle alliance entre le Roi Ronnel Arryn et elle. Le jeune souverain n'avait pas encore totalement fini la période de deuil après la disparition de sa précédente épouse, et elle était parfaitement consciente qu'il n'avait pas fini à faire son deuil tout simplement, au-delà des obligations du pouvoir et du délai réglementaire qu'on imposait au veuf ou à la veuve avant un possible remariage. Cela n'aurait pas été bien vu, même si tout le monde à la Cour ou au sein du Val se doutait bien qu'une telle chose était en train de se préparer, un homme si jeune que lui ne pouvait rester trop longtemps sans prendre une nouvelle épouse alors qu'on attendait plus que tout un héritier, et cela était encore plus criant de vérité alors que le royaume était maintenant plongé dans la guerre. Finalement, entre l'annonce officielle de la cérémonie et la noce en elle-même, il s'était passé un peu moins d'un mois avant qu'elle ne soit propulsée comme nouvelle Reine du Val et de la Montagne, et très vite, elle était tombée enceinte. Rien ne se voyait, rien ne se savait, seul le mestre et elle, étaient dans la confidence. Pourquoi ? Parce qu'ils avaient perdu la guerre et qu'ils se devaient de négocier avec l'Empire. Il était difficile à ce moment-là, de lancer une telle nouvelle en plein visage d'un époux totalement perdu par les événements et devant gérer un important lot d'informations, sans parler de mener aussi bien que possible des négociations. Bon finalement, elle lui avait dit juste après, profondément agacé par le comportement de celui qu'elle appelait aujourd'hui son mari et qui se perdait encore dans sa dépression, comme une amie qui ne le quittait jamais vraiment. Aujourd'hui, l'entourage le plus proche de Ysilia était au courant si elle se retrouvait à avoir un quelconque malaise, mais la Cour Impériale, elle n'était pas encore mise dans la confidence et elle se doutait que cela irait vite à se savoir dès qu'elle en murmurait le mot à quelqu'un de trop bavard. « Je préférerai qu'on ne sache rien en effet, pour le moment … Si l'histoire venait à se reproduire, je ne sais pas comment je réagirais, pas plus que Ronnel d'ailleurs. » Était-il véritablement nécessaire de dire de quoi elle parlait ? Elle se doutait que la disparition avait fait le tour de Westeros.

Elle eut un sourire léger en l'entendant. « Espérons alors qu'ils finiront vite par détourner les yeux, je n'ai jamais trop aimé être le centre de l'attention et avec le départ de Ronnel et des troupes valoises pour les combats dans le Conflans, il ne reste que moi au final et je sais que certains attendent que je fasse le moindre faux pas pour me tomber dessus ou pour pouvoir me railler. » Elle baissa la tête quelques instants, alors qu'elle sentait une petite pointe d'angoisse remontée à nouveau. « Au moins, vous ne pourrez pas oublier notre première rencontre.  Peut-être que vous désirez que nous nous relevions et que nous fassions quelques pas, telles de dignes dames de la Cour qui discutent tout en marchant, cela donnerait moins l'impression que nous sommes deux jeunes femmes désespérées, bien qu'en réalité, c'est de ma faute si vous êtes coincée sur ce sol. Ce n'est pas très agréable, et sans doute pas digne de notre condition. Mais c'est fou ce que cela peut faire du bien. J'aimais me poser sur la plage et regarder les vagues qui s'étalaient sur le sol … Cela avait quelque chose d'hypnotique. » Elle regarda au loin, alors qu'elle sentait le mal du pays se faire sentir. « Une véritable fourmilière, j'ai toujours peur de faire une erreur en croisant un courtisant ou une courtisane dans les couloirs du château et de ne pas savoir quelle personne importante cela peut être. Avec le principe de l'Empire, il y a tellement de monde … » Elle posa sa main sur son ventre. « Vous n'avez pas à vous excuser, c'est agréable pour une fois d'en parler avec quelqu'un, de pouvoir se réjouir d'une certaine façon de ce qui m'arrive. J'en suis à environ deux mois de grossesse, c'est le tout début, mais apparemment c'est l'époque où les nausées font leur apparition. J'ai l'impression de nager en plein flou … Même si on nous en parle, on ne peut pas comprendre tant qu'on ne le vit pas. »

« Et je vous en remercie profondément. Il n'y a rien de dramatique en soit, mais … C'est comme tout le reste, on se doit de faire attention, à tout, tout le temps, vis-à-vis de tout le monde. » Parfois, elle avait l'impression que ce n'était tout simplement pas une vie. Elle avait été prise dans l'engrenage du pouvoir royal et pour le moment, elle venait à suivre la dynamique engagée, sans trop avoir pris le temps de se pauser, et de penser réellement à la place qui était la sienne. Il était si difficile de devoir cacher la nouvelle de sa grossesse, de ne pas pouvoir l'annoncer à la terre entière, et de pouvoir exalter pleinement de joie à la face du monde. Cela serait sans doute indécent, cela serait sans doute mal vu. Par qui ? Elle n'en savait strictement rien, mais elle se doutait que même quelque chose d'aussi précieux pouvait être la proie à des convoitises. Même au sein de son propre royaume, elle savait qu'il lui était important, impératif même de faire attention. Bien sûr, si tout se passait bien, et tout se passerait bien, elle ne pourrait éternellement cacher son état, ses formes, et tout ce qui pouvait aller avec. Cela se saurait, mais le plus tard serait sûrement le mieux pour tout le monde, et elle en premier. Ce qui faisait, qu'au final, elle ne profitait pas totalement de sa situation de femme enceinte, et elle ne parlait pas seulement à cause des nausées et des vomissements dont elle était victime depuis quelques temps. Pour ne pas devenir une cible, ou pour l'être un peu moins, elle devait de garder le secret sur cette vie nouvelle qui était en train de grandir en elle. Elle ne pouvait pas passer son temps, sa main sur son ventre, souriant avec cette tendresse maternelle qu'elle avait pu voir chez sa mère quand elle attendait Donnel ou encore chez Nymeria à l'époque. Et même avec Ronnel, il avait fallu faire preuve de diplomatie pour pouvoir enfin lui tirer un sourire, et une certaine forme de joie sincère sur la venue future de leur enfant. Ils avaient parlé sexe du bébé, et même prénom de ce dernier et c'était ça qui avait réussi à détendre un peu la jeune femme. Mais maintenant, il était loin, si loin.

« Rester soi-même … Ce n'est pas la chose la plus évidente. Je sais que je suis attendue au tournant, parce que le Val est encore vu comme un ennemi par beaucoup, parce que l'Empire est vu également comme un ennemi encore au sein de mon royaume. Un revirement de position comme le nôtre n'est nullement évident et les conséquences seront lourdes. Est-ce que cela serait plus bénéfique ou plus négatif pour nous, il est trop tôt pour le dire. Mais pour le moment, nous payons un lourd tribu. C'est ainsi quand on se rend, mais je ne pensais pas que cela irait jusqu'à la dissolution de mon union avec Ronnel par le Grand Septon. Alors certes, je prie les Anciens Dieux, cependant, cela remet en cause beaucoup de choses, surtout pour ceux qui nous désapprouvent. Ils peuvent considérer que je ne suis plus Reine, et que l'enfant que je porte n'est finalement qu'un bâtard. Difficile de rester pleinement soi-même comme ça, et de mettre surtout son énergie pour le bien être de son enfant. » Il fallait qu'elle reste aussi digne que possible, mais elle se sentait parfois accabler par tout cela. « Alors, restons assises, comme deux jeunes filles qui discutent en dehors de toute convenance protocolaire. » Elle continuait à regarder devant elle, quelque peu perdue, un peu fatiguée aussi par sa nausée toute récente. « Le Mestre est déjà acharné sur moi. Je pense que Ronnel a bien fait comprendre ce qu'il voulait ou non me concernant. Je ne peux pas lui en vouloir, il a perdu une femme et un enfant pendant la grossesse, il ne veut pas que cela se reproduise mais c'est parfois étouffant … Si je pouvais avoir ma mère à mes côtés chaque jour je crois que je serai plus sereine, avant d'exploser qu'elle soit toujours là. Le compromis est toujours difficile à trouver. » Elle se tourna vers Helena, lui souriant doucement. « Parlez-moi de vous Helena, parlez-moi de votre Conflans, parlez-moi de votre parcours. Il fut jalonner, j'imagine, de nombreuses épreuves, mais je ne connais que la version qu'on entend dans les couloirs de Fort-Darion. Je voudrais apprendre à vous connaître, avec vos propres mots. » Souffla-t-elle du bout des lèvres, elle espérait ne pas trop se montrer effrontée à cet instant et elle se mit à rougir doucement.

L'Empire n'était pas un si grand mal pour tout le monde, en tout cas pas au niveau de leur famille. Ysilia n'avait-elle pas été promise à Jon ? Même si cela n'avait duré que quelques semaines, quelques mois, et l'échange de quelques missives entre les deux promis qui avaient donné l'impression que cela pourrait fonctionner. En tout cas, c'était la sensation qu'elle avait eu en lisant ses écrits, ils avaient tous les deux des valeurs, une religion commune et le sens de la famille également. Le destin en avait décidé autrement et elle n'était pas capable de dire si c'était une bonne ou une mauvaise chose pour autant. Elle ne pouvait tout simplement plus envisager un instant les choses autrement que la réalité face à laquelle elle était confrontée. Jon avait épousé une femme du Conflans, elle, elle avait noué une alliance avec un cousin pas si éloigné que cela, pour que la couronne ne puisse pas être réclamé par Asher Royce et sa maison, alors qu'il descendait également des Arryn. C'était des petits détails comme cela qui façonnaient le monde et le faisaient tel qu'il était aujourd'hui. Elle portait l'enfant de Ronnel, et même si elle savait que le chemin serait sans doute encore long pour eux deux, pour leur famille qu'ils étaient en train de fonder et pour le royaume qu'ils se devaient de gouverner ensemble. Ils trouveraient leur place parmi l'Empire, l'un et l'autre n'avaient pas le choix, de cela, elle en était certaines. « La situation du Val a toujours été plus ou moins complexe, je pense que la neutralité qu'on a voulu jouer au début de la guerre, permettait de créer un statu-quo, qui ne plaisait sans doute pas à grand monde, mais qui au moins ne poussait dans une ou l'autre des situations … J'ai prôné aussi cette cause, face à ceux qui étaient contre l'Empire et ceux qui auraient voulu être avec … Puis on a suivi les premiers et on a renoncé pour suivre les seconds. Tout cela a réveillé des choses bien profondes. Quant à moi … Je partage la même croyance que les Nordiens vis-à-vis des Anciens Dieux. Nous sommes une des seules maisons valoises à les prier, alors cela nous rapproche un peu d'eux, et c'est sans doute pour cela que j'ai aussi failli épouser Jon Stark. Mais je ne crois pas que cela soit véritablement d'une grande aide pour convaincre le peuple du Val. » Elle se tourna vers Helena, un sourire triste sur le visage. « Deux terres différentes, mais le combat est le même. Tout ce que j'espère, c'est que ni l'une, ni l'autre, ne sera finalement déçue par cette alliance avec l'Empire et j'espère que vous obtiendrez ce que l'on vous a proposé pour rejoindre cette cause. Vous le méritez ».

Elle était passée par tant d'épreuves pour en arriver là, Ysilia n'aurait clairement pas eu envie de se trouver à sa place. Que ce soit sa vie auprès de son époux, dont le nom avait su inquiétée, voir même terrifiée la jeune femme, ou que ce soit à propos de la perte de son bébé. « Je l'espère aussi ma Dame, mais je me dis que si les Anciens Dieux venaient à me le reprendre, c'est qu'ils auraient une bonne raison pour cela. Mon chagrin n'en serait pas moins grand pour autant, et je compatis à tout ce que vous avez pu vivre. J'espère pour vous que vous connaîtrez un autre amour, une autre grossesse et que vous aurez un jour la satisfaction de tenir votre enfant dans les bras. » Elle vint à prendre sa main dans la sienne et à la serrer délicatement dans un geste de pure compassion avec cette dernière. Elle était encore jeune, sa vie n'était pas déjà derrière elle, et encore moins sa vie de femme. Elle relâcha sa main et regarda devant elle, elle n'était pas certaine que le souci était vraiment pour sa personne, bien qu'il ait de l'affection pour elle, la grossesse lui semblait parfois plus importante que tout le reste, mais ils n'avaient pas eu le temps de beaucoup échangés sur la question, ou tout du moins, pas assez aux yeux de la jeune femme. Elle écouta Helena commencer à parler d'elle et des apprentissages étonnants auxquels elle avait pu participer. « Je peux comprendre votre mère, je crois que la mienne aurait désapprouvée tout aussi fortement que la vôtre, mais vous semblez bien plus téméraire et forte que je ne le serai jamais. Ces pratiques vous sont-elles toujours autorisées aujourd'hui ? Même en l'absence d'un époux, il semble toujours y avoir un homme pour dire ce qu'on doit faire. » Elle sourit amusée avant de retourner dans son silence, attentive aux paroles de l'ancienne Reine. « Vous avez su défendre vos convictions, même si on ne peut pas toujours s'y soustraire. Peut-être que l'avenir vous guidera à nouveau jusque dans le Conflans. Que souhaitez-vous aujourd'hui pour vous et non pour le bien commun ? »

Faire ce qu'elle avait pu ? Elle n'avait strictement rien fait de son côté, elle avait à peine eu le temps de dire ouf, que les choses étaient déjà terminées. Si elle se souvenait bien, à peine un peu plus d'un mois c'était écoulé entre le moment où elle était devenue officiellement l'épouse de Ronnel et ces instants douloureux à la frontière entre l'Empire et le Val, où il avait fallu négocier la capitulation. Le Roi alors ne l'avait pas convié à une telle chose, préférant s'entourer seulement de son conseiller le plus proche, qui était également son beau-père, pour l'occasion. Rien ne dit que la toute jeune souveraine aurait pris la parole à ce moment-là, elle comprenait les enjeux importants que se jouaient alors, et il n'était pas question un seul instant qu'elle puisse avoir une parole malheureuse qui remette tout en cause et qu'on vienne ensuite à lui reprocher l'échec des négociations. Pour autant, elle était Reine, qu'elle le veuille ou non, que le monde entier le désire ou non. C'était elle que Ronnel avait épousé après une année de deuil terrible, et elle aurait aimé qu'il lui montre la confiance qu'il plaçait en ce mariage, et surtout en elle, en lui demandant d'assister à un moment si important pour leur famille, autant que pour le royaume. Ysilia avait toujours été dans l'ombre de Ronnel, en tant que cousine éloignée, en tant qu'amie d'enfance, puis ensuite, en tant que dame de compagnie de sa précédente épouse. Elle avait toujours été là, et avait toujours gardé cette distance polie et exigée par la bienséance, le protocole. Mais au moment où elle aurait pu être intégrée, dans un instant aussi important que celui-là, où elle aurait pu apprendre ce que voulait dire être Reine, elle avait été exclu. La frustration était moins importante qu'auparavant, mais elle n'en restait pas moins présente. Était-ce parce qu'elle était jeune ? Était-ce parce qu'elle était une femme ? Était-ce parce qu'elle n'était pas Nymeria ? Elle ne savait pas. « Je ne m'en veux pas … Je n'ai pas véritablement les moyens de m'en vouloir, je n'étais pas encore mariée quand la couronne a décidé de se lancer de la guerre et j'étais tout juste mariée quand la couronne a choisi de signer la paix, mais on m'a tenu à l'écart. J'imagine que les têtes pensantes avaient de bonnes raisons pour cela. »

« Oui, ici tout semble prometteur, car les gens se croisent, ils viennent de s'y loin pour certains pour se retrouver juste ici dans cette capitale, pour échanger, pour discuter … Cela vient à créer des éléments qu'on n'a pas forcément imaginé. De bonnes choses, comme de moins bonnes, mais cela crée de la vie et c'est ce qui est intéressant ici. Mais nous sommes des souveraines, nous sommes des dames de Cour, un jour ou l'autre nous quitterons sans doute Fort-Darion pour rentrer chez nous, et seuls les Dieux savent ce qui nous attendent là-bas. » Elle le regarda avec un certain abattement, avant de fermer les yeux quelques instants. « Que ce soit ici ou ailleurs, je ne doute pas qu'il me faudra quelques conseils pour pouvoir survivre dans ce monde, survivre dans ce rôle. Pour autant, ce n'est pas à vous de devoir assumer ce fardeau. » Souffla-t-elle du bout des lèvres avec un fugace sourire qui s'était dessiné. Elle resta silencieuse de longues secondes, peut-être même plusieurs minutes pour laisser à Helena, le temps de pleurer, d'avoir mal sans doute en son fort intérieur, de l'exprimer ou de le garder pour elle alors qu'elle parlait de son enfant disparu. Perdre son mari, son fils et manquer de mourir le même soir, c'était des blessures qui pouvaient être longues à cicatriser. « Son nom aurait sans doute été difficile à porter, mais bien accompagné, notamment par vous, je ne doute pas qu'il aurait réussi à s'en sortir. Vous êtes fortes, vous l'auriez été tout autant pour deux … Et le jour où cela vous arrivera à nouveau, vous aurez la force de supporter vos doutes et vos craintes pour accompagner ce nouvel enfant tout au long de sa vie. J'en suis profondément persuadée. » Elle faisait partie de ses grandes femmes du monde, celles qui avaient tout pour elles, celles qui pouvaient tout réussir à partir du moment où elle le voulait véritablement. « Alors prenez le temps de continuer à tirer à l'arc, si cela vous comble, il y a si peu de moments où on s'autorise à faire ce qu'on aime. » Elle observa l'horizon et elle se posa la question de ce qu'elle ferait. « J'espère que vous pourrez les retrouver rapidement. » Son visage se tourna vers Helena, le regard quelque peu rêveur. « J'aimerai voir la mer … Pas celle d'ici, mais celle de chez moi. Je n'aime pas la Porte-Sanglante, je n'aime pas les Eyrié, ni l'un ni l'autre ne me correspond. Si je pouvais, je voudrais rester habiter en bord de mer, pouvoir observer les couleurs du soleil se refléter sur les vagues … Sentir les embruns marins. Mais on ne bouge pas une capitale ancestrale comme ça … J'espère juste qu'on me laissera rentrer chez moi de temps en temps, embrasser ma mère, prendre mon jeune frère dans les bras, il n'a que cinq ans. D'une certaine façon, c'est mon premier enfant, il me manque, il me manque tous les deux. »