Ma présence au sein de Fort-Darion perturbe. Je le sens.

Certains m’évitent comme la peste, murmurent dans mon dos ou me lancent des regards noirs. Leur colère et animosité sont compréhensibles. Même si l’Empire et les Royaumes Fédérés ont gagné, des hommes sont tombés. Ils étaient des pères, des frères, des fils ou des amis. J’ignore donc et n’en fais pas grand cas. De toute façon, je ne vais pas rester longtemps et, surtout, je ne serais pas invité de sitôt dans les parages. Sa Majesté Orys me l’a fait comprendre sans détour, et publiquement. Je soupçonne que sa sœur partage des sentiments similaires, mais se montre bien plus diplomate. En somme, nul besoin de créer un scandale stupide !

Par contre, d’autres me toisent avec curiosité, voire avec stupeur. Ils partagent tous un même regard, celui que toute la délégation impériale m’a offert lors des pourparlers. J’ai bien vite compris leur surprise, à l’instant où j’ai quitté mes terres natales et me suis rendu aux festivités. Je détonne clairement avec l’Empereur, l’Impératrice, le Prince Régent de Peyredragon, voire avec le Roi Jon. Je suis bien jeune – je crois même être le plus jeune souverain de Westeros, aujourd’hui – et je ne suis nullement marqué par la guerre.  Malgré mes drames personnels, j’ai des traits encore trop juvéniles. Mon Oncle, ou mes plus proches amis l’ont souvent souligné, notamment lorsque j’avais à me plier à ces rites de passage d’âge.

Quelques rares audacieux osent demander une rencontre. Je ne refuse pas. Je dois composer avec ces nouveaux alliés, et connaitre plus ou moins ceux qui vont dorénavant tournoyer autour de la couronne valoise – ou ce qu’elle vaut, encore – ou influer sur le collège impérial de près – en étant représentants – ou de loin – en étant des conseillers ou des amis. Oranne Whent est annoncée et elle ne tarde pas à se présenter ou à annoncer l’objet de sa visite. Elle se montre froide, sérieuse, inflexible. Je ne suis nullement intimidé. J’ai grandi dans l’ombre de Sharra Arryn et j’ai eu, pour un temps, Jordane Lannister comme belle-mère. Il faut davantage pour qu’une femme me cloue le bec juste avec une attitude ou quelques paroles.

Par contre, le sujet me gêne considérablement. L’Empire et les Royaumes Fédérés sont liés par la Constitution et sont tenus de s’entraider sur bien des sujets. Par contre, le Val ne s’est pas fédéré par volonté mais par obligation. Les devoirs s’accumulent et, en toute franchise, j’ai un grand mal à laisser tout ce leste. J’engage ma petite armée et flotte, je révèle le nombre de navires en construction ou le choix des ports à agrandir. Aujourd’hui, en prime, il faut que je révèle toutes les forces et les faiblesses économiques de mon royaume ?

Malgré moi, je fronce les sourcils.

- Je suis fort désolé si nous n’avons pas été introduit convenablement. La nuit a été agitée et, je dois avouer que beaucoup d’événements, de discours ou de rencontres se sont enchainés sur un laps de temps extrêmement court. Je vous présente mon Oncle, Lord Smaug Corbray, Capitaine de la Garde Faucon, et mon Mestre Hermett, répondis-je, l’invitant à prendre place à une table. Les appartements alloués à Ysilia et moi sont assez spacieuses et dotés de deux pièces : l’une pour la chambre à coucher et l’autre pour recevoir les personnes. Avant que nous commencions, désirez-vous qu’on vous apporte à boire, ou à manger ? , demandais-je, constatant qu’elle est plutôt pale.

Je prends place tranquillement, profitant de ce répit pour savoir ce que je vais bien pouvoir dire. Les deux autres hommes s’attellent autour de moi. Mon Oncle se glisse dans un coin, se rendant presqu’invisible. Le Mestre prend place immédiatement à un pupitre de fortune, mais de bonne facture, prêt à consigner tout ce qu’il faut. Je suis à peine gêné. Je ne reçois nulle personne sans quelques témoins dans les parages. Ce fut ainsi aussi loin que je me souvienne.

- Je ne suis pas certain de saisir dans quelle mesure l’Empire peut aider mon royaume sur le plan économique. Pourriez-vous m’éclairer un peu plus, notamment en donnant quelques exemples concrets ?, demandais-je, retournant habilement la question vers elle en jouant le faux ingénu. Enfin, quels sont les besoins de l’Empire, exactement ?

Un Roi n’est jamais seul. Il est constamment entouré de sa garde, de ses proches parents ou de ses sujets. Sollicité de jour comme de nuit, le répit n’est pas permis. Il peut autant parler du souci de paysans querelleurs sur un bougre d’âne que s’échiner à trouver un compromis entre deux seigneurs prêts à se déclarer une guerre sans merci.

Au milieu de tout ce marasme politique, il y a les protocoles et l’étiquette. Chaque petit écart peut être prompt pour une nouvelle rumeur. Si Oranne Whent avait été reçue seule, combien de temps avant qu’une domestique à la langue trop pendue le rapport à toutes ses amies – qui relayeront l’information ? Combien de temps exactement avant que les oisifs et intrigants de la Cour imaginent le pire, ou s’amusent à inventer une histoire rocambolesque ? Evidemment, la rumeur disparaitra aussitôt qu’elle aura enflé dans ce cas hypothétique. Par contre, il y a d’autres situations ou les on-dit seront persistants et pourront couter une Couronne, voire davantage.

Pour ces raisons-ci, je ne rencontre pas seul. Je m’entoure toujours d’un témoin de confiance. Je me défais de ces soutiens uniquement lorsque la discussion est critique, concerne des sujets sensibles ou nécessite de maintenir quelques secrets. Sauf erreur de ma part, il n’y a rien de tel en jeu aujourd’hui avec cette Conseillère. Par conséquent, je préfère m’entourer de mon Oncle et de mon Mestre.

Finalement, elle parle. Je prends grand soin de ne rien laisser paraitre de mon agacement. J’ai donné une armée – certes petite – et une flotte. J’ai également accepté de partager des plans de cette nouvelle flotte. Il semble que l’Empire est plus gourmand, avançant encore et toujours la nécessité de la guerre. Est-ce que l’Empereur en est conscient ? Si je comprends parfaitement la demande, elle me fatigue malgré tout. Sérieux et affable, je prends parole d’un ton courtois. Je me garde encore, et toujours, de lui montrer quoi que ce soit des véritables émotions qui m’agitent.

Je ne relèverai pas pour autant sa négligence à répondre à mes dernières questions, soit ce que l’Empire a à offrir de son côté. Torrhen m’en avait fait miroiter quelques possibilités lors des pourparlers. J’aurais aimé avoir un détail plus poussé avec sa Conseillère. Ce n’est pas bien grave, j’obtiendrai l’information aujourd’hui ou un autre jour ! Rien ne presse !

- Les montagnes et les sous-sols rocailleux ont toujours regorgé de richesses et de mines, Dame Oranne. Cependant, la richesse du Val ne se limite pas qu’à son fer reposant dans ses entrailles. Grace à notre climat, à la diversité de nos paysages et à un sol fertile, nous sommes assez fiers de notre agriculture. Il semble que c’est ce point qui vous intéresse, aujourd’hui, conclus-je. Nos provisions seront distribuées, en priorité, à l’armée valoise, puis au peuple valois et enfin aux armées alliées. J’ai vent que les armées du Nord et du Conflans ont quelques soucis de réapprovisionnements. Je me suis permis d’emporter davantage avec moi afin d’apporter un peu de répit à ces hommes, énumérais-je, lui montrant par là que j’avais déjà réfléchi à la question. Cependant, je ne peux pas faire davantage d’efforts. La capitulation a divisé mon Royaume, à nouveau. Je ne peux pas offrir plus d’arguments à mes adversaires en privant ma population de son blé ou en la rationnant, au profit de l’Empire, expliquais-je avec une tranquillité déconcertante.

Je sens que cette capitulation m’a arraché ce dernier morceau restant et survivant du Ronnel que j’étais. Je ne suis plus prompt à vouloir mourir de chagrin ou lors d’une bataille, mais je n’ai guère cette rage de vivre à tout prix. Le sort de mon royaume et de mon peuple m’importe toujours mais je n’ai plus ce désir de vouloir complaire ou de faire des compromis pour plaire à l’un ou à l’autre : ma loi primera, et les mécontents peuvent râler discrètement, ou tenter une rébellion au risque de finir au Mur ou voler par la Porte de la Lune.

Je suis détaché, avec mes objectifs propres. Voilà la situation.

Si j’écoute toujours mon entourage – Empire, Puissance Centrale, Conseil du Faucon, Ysilia … etc –, je me sens moins forcé de les suivre ou de les confronter ou que sais-je. C’est étrange comme sentiment, mais apaisant !

- Je pense que je réponds à votre question immédiate, mais que vous aurez bien de nombreuses autres encore. Je vous introduirai, par lettre, aux membres du Conseil du Faucon en charge de l’agriculture et de la trésorerie du Val et du Montagne. Ils pourront vous donner les informations nécessaires, et dans la limite que j’autorise. Pour toute information qui nécessitera mon accord, je vous prie de m’écrire directement.

Je me tais quelques instants, réfléchissant à toute autre information.

- Savez-vous les prérogatives du Conseil du Faucon, Dame Oranne ? , demandais-je, curieux de savoir quelles sont ses connaissances du Val. Si elle n’en sait rien , alors je viens de lui raconter du charabia et je dois clarifier mon point davantage.

En tant que Roi, je suis constamment sollicité pour de multiples et divers sujets, allant de la pêche aux affaires de guerre. Est-ce que cela veut dire que je suis un expert dans ces domaines si variés et si opposés ? Nullement ! Autrement, je ne serais pas assis dans quelques appartements de Fort-Darion, à signer autant ma défaite que mon adhésion à ce nouveau pouvoir. L’intérêt des conseillers réside là, touchant de plus près aux détails de tous ces sujets, apportant un éclairage bien nouveau – voire une expertise à quelques reprises.

Malheureusement, le Conseil du Faucon a largement abusé de sa position, mêlant et mélangeant ses prérogatives et ses fonctions. Une dame s’allie à un royaume, un seigneur brise cet accord. Dans les deux cas, tous les deux parlent au nom du Val et de la Montagne et, surtout, de la Maison Arryn et de son Souverain. Aujourd’hui, on me demande des comptes sur les actions d’hommes et de femmes qui ne m’ont pas laissé le droit de parole sous prétexte que je suis jeune ou faible. Aujourd’hui, ces mêmes personnes n’ont plus droit de paroles – ou du moins, je m’assure.

- Effectivement, le conseil du Faucon est composé de mes conseillers. Pendant la régence, ce conseil s’est chargé de prendre des décisions en mon nom. Ce droit de décision a pris fin à l’instant ou je suis revenu de mon deuil. Aujourd’hui, le conseil peut donner son avis sur divers sujets, mais je suis l’ultime décisionnaire, expliquais-je tranquillement. Au vu de la libéralité de cette conseillère, je suppose que l’Empire fait une confiance aveugle en ses gens. J’avoue envier l’Empereur et l’Impératrice s’ils sont entourés de gens compétents, tant les miens – et moi-même – avons peu brillé. Je ne sais pas exactement quel est le rôle et les prérogatives d’un conseiller au sein de l’Empire. Au sein du Val, le conseil du Faucon n’est que consultatif. Je vous invite donc à m’écrire en priorité. Mon Mestre se chargera de trier mes lettres et m’aider à répondre ou à transmettre lesdites lettres aux personnes compétentes. Vous serez mis au courant de toute décision soit de ma plume, soit de la personne compétente mais avec mon aval, conclus-je, considérant que cet entretien doit tirer vers la fin. Sachez que vos demandes sont bien prises en compte et seront étudiées attentivement. Si j’ai quelques ressources supplémentaires, je n’hésiterai pas à considérer les besoins de l’Empire dans l’allocation, promis-je avec sérieux.

Certes, je considérerai mais la priorité reste mon peuple. J’ai déjà bien pillé son trésor et je suis au bord de la ruine. Je ne peux pas imposer davantage de pression sur mon maitre des Finances, mes commerçants et mes nobles.

Le mestre s’éclaircit la gorge et annone l’entretien suivant.

- Dame Oranne, je suis bienheureux de vous avoir rencontré. J’espère que nous aurons l’opportunité d’échanger davantage et pour une collaboration toujours plus fructueuse.

Je me relève et la salue convenablement, respectant au mieux tous les protocoles liés autant à son rang et à son sexe qu’à mon propre rang et sexe.