De longues heures, de trop longues heures s'étaient écoulées depuis que Ronnel l'avait quitté, en compagnie de son père, Lord Asher Royce et de l'oncle du roi, Smaug Corbray, pour pouvoir aller discuter avec l'Empereur et sans doute prendre la décision de rendre les armes. Ysilia était encore très jeune, trop peut-être comme certains pourraient le dire, mais surtout le penser, quelques uns avaient encore le respect de la couronne malgré tous les derniers événements qui avaient jalonné l'histoire récente du Val et de la Montaigne. Cela faisait à peine quelques semaines qu'elle était devenue Reine, et le monde avait déjà changé. Son père lui avait donné l'éducation nécessaire pour pouvoir affronter des situations qui dépassaient ce que connaissaient le commun des mortels, et son apparente naïveté ou encore cette timidité qu'était la sienne, était une armure idéale. Elle reconnaissait volontiers qu'elle n'avait ni la beauté, ni le charisme ou l'intelligence de Sharra, elle n'avait pas non plus l'énergie et le caractère de feu de Nymeria, et elle se devait de trouver son propre style, de s'affirmer comme souveraine mais suivant la femme qu'elle était et sans vouloir ressembler parfaitement aux femmes qui avaient été sur le trône avant elle. Pour autant, il fallait bien avouer que ce qui se profilait était de taille. Les négociations étaient toujours complexes, mais encore plus dans leur cas, alors que l'Empire avait d'une certaine façon l'ascendant sur le Val. Les dernières victoires des Braenaryon et des royaumes fédérés contre leur royaume étaient considérables, même s'il était hors de question de dire que les Valois n'avaient pas eu le courage de les affronter. Malheureusement, malgré toute la volonté de parvenir à mettre à mal les armées ennemis, il était impossible de combattre véritablement quand les alliés manquent à l'appel et que les ennemis semblent toujours plus nombreux.

Si Ysilia avait du faire avec la frustration de ne pas pouvoir accompagner Ronnel lors des discussions, elle avait fini par s'inquiéter de plus en plus alors qu'elle ne le voyait pas revenir. Et son état n'aidait clairement pas pour gérer sereinement la situation. La jeune femme avait appris sa grossesse après son voyage pour arriver jusqu'à la Porte Sanglante. Si elle avait eu le désir d'informer rapidement son époux de la merveilleuse nouvelle qui venait à bénir leur union, elle était pleinement consciente de l'importance de ce qui allait se jouer entre Arryn et Braenaryon et elle n'avait pas voulu le lui dire, et peut-être lui causer des soucis supplémentaires ou venir à le déconcentrer. Encore une fois, la jeune femme avait dû faire face au fantôme de Nymeria Lannister, et de la tragédie qui avait touché le couple tout nouvellement marié, alors qu'elle avait fini par mourir, d'une fausse couche, emportant les rêves d'avenir d'un roi et d'un royaume tout entier. Elle imaginait facilement que l'annonce d'une nouvelle grossesse et de l'espoir de l'arrivée d'un petit prince pour le Val, pouvait également raviver l'angoisse de la perte et il était important de préserver autant le père qui devait prendre de lourdes décisions, que la futur mère qui gardait en son sein, le plus précieux des trésors. Elle avait passé la nuit, les mains posées sur son ventre, en attendant le retour de son époux, avant de finir par fermer les yeux, somnolant plus qu'elle ne dormait véritablement, sursautant à chaque fois qu'elle entendait des pas se rapprochant ou le bruit de conversations. Néanmoins, le matin commençait presque à se lever quand enfant il passa la porte. Elle se redressa vivement, les yeux encore un peu dans le vague, mais elle le passa en revue rapidement et elle se jeta à son cou, le serrant contre elle. « J'ai eu si peur de te perdre ... » Souffla-t-elle alors.

Je n’ai jamais été aussi las et abattu. La mort de Nymeria, la dispute avec mère, l’entrée en guerre et, finalement, la capitulation sont autant d’événements qui y contribuent. Déjà, j’anticipe et appréhende les conséquences de ce dernier échec. Est-ce que mes vassaux me suivront encore, alors que je viens d’en abandonner plusieurs – et leurs terres – entre les mains du Nord et de l’Empire ? Est-ce que mon nom, et surtout la devise de ma Maison, a encore un sens avec cet abandon ? Qu’est-ce qu’un Roi sans honneur et sans la confiance de ses sujets ?

Rien est le mot qui m’accable depuis cette poignée de main avec l’Empereur, scellant l’avenir des miens et de mes gens.

Lorsque la Porte Sanglante se présente à ma délégation et à moi, je m’interroge davantage sur la justesse de mes décisions. Ai-je agi par sagesse, ou par couardise ? J’aime penser que c’est le premier cas, en prenant exemple sur mes parents, leurs réussites mais aussi leurs erreurs. Père est mort, auréolé de gloire évidemment, mais en emportant l’armée avec lui. Mère a assuré une splendide régence, mais a mis l’accent sur l’économie et sur une alliance avec une Maison tournant sournoisement sa propre veste contre ses alliés. J’ai changé de camp, certes, mais les générations futures pourront compter sur une armée forte, une flotte nombreuse mais également de solides alliances avec tous les voisins.

Et si je me trompe.

Je prétends que j’ai agi pour le bien de tous mais est-ce véritablement le cas ? Est-ce que je ne serais pas le plus lâche des Souverains, celui qui a définitivement apporté honte et déshonneur à son nom, à sa lignée et à ses ancêtres ? Je sais que mère désapprouvera totalement et entièrement cette décision. Déjà, je crains ses propres décisions. Si elle est aimante envers ses fils, elle n’en reste pas moins une Reine redoutable adorant le Royaume autant que sa chair et son sang. Enfin, que dois-je penser de Jonos ? Si beaucoup se détourne de moi pour chercher une nouvelle figure forte auprès de ce jeune frère, que suis-je censé faire ? Je n’imagine pas me retourner contre mon propre frère – et mon seul héritier à ce jour.

Malgré ces sombres pensées qui m’accablent, je garde la tête haute et le regard portant au loin. Qu’importe que j’ai raison ou tort, qu’importe que je gagne ou que je perds, je refuse de montrer une quelconque faiblesse à quiconque dorénavant – hormis Ysilia, mon frère et mon beau-frère. Voilà l’une des nombreuses décisions prises suite à mon retour en tant que Roi du Val, après une longue période de deuils. Je maintiens cette attitude quoiqu’il arrive, jusqu’à être dans l’intimité de mes appartements. Lorsque je passe les portes de la Forteresse, j’impose le silence et me dirige tout droit vers ma chambre. Ysilia m’accueille, clairement rassurée de me revoir vivant.

Là, j’abandonne tout le poids de la couronne et profite de la proximité et de l’attention d’une amie sincère. J’enfonce ma tête au creux de son cou pendant de longues minutes. Désespéré, je ferme quelques instants les yeux pour pouvoir m’isoler, réfléchir encore un peu et surtout éviter de montrer à mon épouse davantage de mon état lamentable. Retrouvant un brin de force, je rouvre ces paupières et plante mon regard dans le sien.

- J’ai capitulé.

L’annonce a un gout bien amer en bouche.

- Seuls les Sept savent si je suis perdu ou non. Tout le monde sait que le Destin n'est pas tendre avec les perdants, et les félons.

Assassinat, complot, maladie ... tant de maux qui entrainent définitivement la mort d'un Souverain incapable.

- Evidemment, l’Empire et les Royaumes Fédérés ont exigé bien des concessions de ma part. J’ai cédé, n’ayant aucun réel pouvoir de négociation. Nous devons en parler, avant de pouvoir laisser libre court à nos émotions, soufflais-je, me détestant d'agir aussi froidement avec celle qui m'a attendu avec une réelle anxiété.

Je ne m'excuse pas pour autant. Ysilia, mieux qui quiconque, sait qu'elle et moi n'avons pas le choix. La Couronne a toujours eu un prix et, souvent, elle a été parmi les premiers témoins. Aujourd'hui, elle l'expérimente pleinement. Je l’invite à s’asseoir sur une chaise, non loin d’une table de travail. J’aurais préféré dormir, mais je ne peux pas me le permettre. Je ne suis plus un enfant, mais un adulte. Et j’ai déjà à préparer l’annonce à venir, et surtout avertir la Reine du Val en premier lieu.

- Tout d’abord, nous allons nous rendre à Fort-Darion pour signer la Constitution et devenir un Royaume Fédéré. Voici une copie, indiquant nos devoirs et nos droits, lui tendis-je un papier que j'avais mis de coté sur cette table de travail. Je lui laisse le temps de lire, avant de reprendre. Par cet acte, nous abandonnerons notre indépendance et tout droit sur notre politique extérieure, voire intérieure sur certaines décisions. Il faudra défendre notre point de vue auprès des autres Royaumes, et nous arranger leurs voix. Du moins, voilà la lourde tache que je te confierai, avec le soutien de ton père. Moi, je n’ai plus aucune légitimité qu’importe ce qu’un bout de papier peut dire. Je suis, et je resterai, le Roi qui a perdu et qui brise constamment ses alliances. Personne ne m'écoutera, personne ne me fera confiance.

Je me tais, attendant sa première réaction.
Il y a encore tant à discuter et à parler.

Ysilia n'avait pas été là quand la guerre s'était décidée, quand Ronnel avait fait le choix de s'allier avec les Puissances Centrales contre l'Empire Braenaryon. A l'époque, les deux jeunes gens n'étaient pas encore mariés, ils étaient même à peine fiancés d'ailleurs et elle n'avait nullement voix au chapitre. Ysilia n'avait pas été là non plus quand Ronnel avait pris la décision de partir discuter avec l'Empire Braenaryon contre les Puissances Centrales. Mais même si elle n'avait pas été là pour ces deux événements majeurs, elle se faisait la promesse d'être là pour la suite, pour leur avenir commun, pour l'avenir du royaume et du peuple du Val et de la Montagne. Et elle l'avait attendu, sans être capable de faire quoi que ce soit d'autre que de fixer la porte de la chambre dans laquelle elle se trouvait aux Portes Sanglantes. Le Mestre était venu lui rendre visite, et lui avait ordonné de manger, pour son bien et celui de l'enfant qu'elle portait. Nymeria était déjà morte en couches, il n'aurait été pas de bonnes augures qu'une autre souveraine de la maison Arryn disparaisse dans les mêmes conditions. Bien que ce soit tout récent et que le secret était pour le moment bien gardé, elle était déjà sous surveillance de ceux qui connaissaient son état. Et elle était bien décidée à annoncer à Ronnel la bonne nouvelle ce soir. Après l'épreuve, ou plutôt les épreuves qu'il avait traversé dernièrement, elle espérait sincèrement que cela serait une bonne nouvelle à entendre pour lui. Fallait-il déjà qu'il revienne des pourparlers avec l'Empire. Il passa soudainement la porte, refermant cette dernière après son arrivé, ils n'étaient plus que tous les deux, et ils devaient s'enfermer dans cette bulle le temps de discuter des choses importantes qui concernaient leur avenir commun et celui du royaume du Val. Néanmoins, elle vint juste à se lever dans un premier temps et à le serrer contre elle, véritablement heureuse de le revoir vivant et entier. Et elle le sentit s'abandonner dans le creux de ses bras, nichant sa tête dans son cou. Elle n'aurait su dire combien de temps, ils restèrent dans cette position mais elle ne bougea pas d'un centimètre tant qu'il n'en ressentit pas le besoin lui-même.

Elle hocha la tête quand il plongea son regard dans le sien pour prononcer les paroles qu'elle attendait depuis qu'il était parti pour les négociations. « Ronnel, tu as fait tout ce que tu as pu pour le royaume. L'avenir nous dira si tu as pris ou non la bonne décision, mais regarde ce qu'il s'est passé … Où est l'Ouest ? Où est le Bief actuellement ? Bien loin du Val. Je ne suis pas certaine que nous aurions pu tenir … Nous perdons, mais notre royaume n'est pas mort. » Et c'était important de le souligner à ses yeux, même si cela n'apportait pas le réconfort dont il avait besoin. Elle serra sa main dans la sienne et lui adressa un sourire doux, qui se voulait apaisant bien qu'insuffisant face au désespoir qu'elle percevait de la part de son époux. « En effet, nous avons beaucoup de choses à nous dire. » Et pas seulement de son côté à lui. Mais il avait raison, pour le moment, ils devaient faire le point sur les termes de la capitulation et après, ils verraient pour le reste. Même ce bébé pouvait attendre encore quelques heures. Elle regagna la chaise qu'elle avait quitté peu de temps auparavant, et elle eut à nouveau des douleurs dans tout le corps d'avoir trop attendue dessus. Néanmoins, même si son corps réclamait du repos, son esprit était encore pleinement éveillé pour pouvoir écouter les paroles de son époux. Elle récupéra la Constitution qu'elle allait devoir signer à Fort-Darion, et elle se mit à la lire aussi attentivement que possible. Sans doute n'en percevait-elle pas tous les tenants et les aboutissants en première lecture, mais elle n'avait pas les moyens de la refuser d'une façon ou d'une autre. Elle aurait donc le temps de l'étudier plus longuement à un autre moment. Pour autant le reste des paroles de Ronnel la blessèrent bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé. Elle se redressa vivement et lui lança un regard passablement agacé. « Je peux comprendre tout le désarroi, le désespoir, la tristesse, le remord qui sont visiblement devenus tes partenaires de vie. Depuis la mort de Nymeria, tu t'accables de tout. Tu as fait des choix, étaient-ce les bons ou les mauvais ? Tu as voulu conserver l'indépendance du Val et ne pas que nous soyons noyés au sein de la structure impériale. Cela n'a pas fonctionné et c'est dommage, mais ce n'est pas pour autant que nous ne pourrons pas avoir notre rôle à jouer dans cet Empire. Est-ce que cela sera simple ? Non. Est-ce que nous arriverons à nous imposer facilement ? Non. Mais nous avons les cartes pour avoir nous aussi de l'importance dans ce système. Si le fardeau est si grand que cela pour toi, alors va te jeter par la Porte de la Lune et on parlera de toi comme le Roi qui était encore un enfant et qui n'a pas su digérer les épreuves de la vie. » Elle soupira, portant la main à son ventre, elle prit quelques instants pour se calmer. « Ta vie n'est pas finie. Tu vas devoir gagner leur confiance, et regagner celle d'une partie du peuple. Mais d'autres te suivront, moi je te suivrai. Il y a beaucoup à gagner à faire parti de l'Empire, transformons cela comme une nouvelle opportunité et non pas comme un nouveau fardeau que tu dois porter sur tes épaules. Pour le bien de ton peuple, pour le bien du royaume, pour ton propre bien, pour le mien et pour l'enfant que je porte ! Je veux d'un véritable père pour lui, pas d'un fantôme qui vit avec le passé en se flagellant des maux du monde entier ! »

Les insomnies, les soucis, les pertes et défaites, les illusions offertes par les uns et par les autres ont bien vite raison de moi. Alors, lorsqu’Ysilia se lève, je bondis aussi. Lorsqu’elle élève la voix, j’élève la mienne. Je tente de l’interrompre, en soupirant lourdement ou en m’exclamant sans retenu, mais peine perdue ! Elle ne me laisse aucune chance pour placer un mot ! Enfin, elle se tait, me laissant tout le loisir de répondre et de m’exprimer.

- Toi, plus que quiconque, me connait, Ysilia ! Nous avons grandi ensemble ! Vas-tu me dire que j’ai été préparé à tout ça ? Prétends-tu que n’importe qui peut se relever subitement, en quelques heures, semaines ou mois et reprendre sa vie avec la même force, la même ardeur ? Vas-tu me dire que ce sont les épreuves de vie de tout le monde, que tout le monde porte ce même fardeau ? Il est lourd, ce foutu fardeau, Ysilia ! Et va comprendre, je m’y accroche encore et encore ! Sans lui, j’étais prêt à crever face à ce foutu dragon, ou sous l’épée de Torrhen !

Les joues rouges, je la fixe. Je suis prêt à reprendre ma litanie, à poursuivre cette dispute bien stupide, à cracher toute ma colère une bonne fois pour toute. Elle reprend la parole d’un ton calme et maitrisant, me surprenant et m’agaçant à la fois. Elle ne peut pas s’emporter pour aussitôt se taire ! Et, elle me cloue définitivement le bec. Je la fixe longuement, incapable de prononcer le moindre mot – ou plutôt incapable de mettre mes idées dans l’ordre. La tempête a disparu, laissant sa place au brouillard et aux montagnes vertigineuses.

- Quel enfant ? Comment ça se fait ? Non, je sais comment ! Maintenant ?, balbutiais-je, la langue fourchant sur quelques mots.

Les Sept me gratifient de l’opportunité d’être à nouveau père, d’un Prince ou d’une Princesse. La joie et l’excitation se mêlent à la crainte. Toute naissance est une bénédiction, mais j’en tremble personnellement. Il n’est pas question de fausse-couche, loin de là ! La situation du Val est encore trop incertaine. Est-ce véritablement le moment opportun pour la naissance d’un nouveau membre de la Maison Arryn ? Cette simple question me donne la nausée, aussitôt. Il n’existe jamais une période propice à ce genre d’événement. Ces êtres arrivent, chamboulent le quotidien et tentent de se frayer leur propre chemin dans la vie. Au lieu de m’inquiéter et prolonger ce silence lourd, je devrais être heureux et me saisir par les hanches de ma femme et la gratifier d’un baiser.

- Toi et moi, parents ? finis-je par demander, incrédule encore. Je suis heureux. Sincèrement heureux, Ysilia, conclus-je, d’un ton nullement maitrisé ou joué.

Qu’elle sente toutes ces émotions qui s’emparent de moi, d’un feu nouveau qui commence à se répandre dans mes veines. C’est une chose que de se battre pour une entité – La Couronne –, pour un groupuscule anonyme – le peuple et la noblesse – et pour un futur hypothétique, c’est autre quand ce dernier se concrétise finalement.

- Tu peux avoir raison. Une telle annonce à un tel moment ne peut qu’être un bon signe, n’est-ce pas ?

Et je me confie à elle, dans toute ma vulnérabilité, mes doutes et j’en passe. Il n’est plus question d’un lien bâtit sur le mariage et quelques instants partagés au sein d’une chambre, mais d’un nouveau lien – différent.

Ysilia n'était pas du genre à perdre son sang froid. Elle avait pendant longtemps été une jeune fille dont la timidité était presque maladive, bien qu'elle avait toujours eu son petit caractère, elle n'osait pas le montrer et elle s'étonnait elle-même d'avoir ainsi pris la décision de s'opposer à son époux, mais avant tout à son ami d'enfance. Néanmoins, il y avait trop longtemps qu'il était dans un état plus ou moins passif, dans certains cas, qu'il venait à s'infliger tous les maux de l'univers et elle ne voulait pas qu'il s'estime comme étant simplement un perdant, qui avait entraîné la chute de sa famille comme celle de tout un peuple. Finalement, c'était la première fois qu'ils s'affrontaient tous les deux, et c'était peut-être même la première fois pour la jeune femme qu'elle affrontait ainsi quelqu'un. Mais comme il venait si justement de le rappeler, ils avaient grandi ensemble, ils avaient vécu des choses qu'ils n'avaient pas vécu avec d'autres personnes, et même si tout cela avait été purement platonique jusqu'à tout récemment, ils avaient su créer une relation solide l'un avec l'autre, une vraie relation de confiance et ils pouvaient tout se dire. Et ce soir, il était plus que nécessaire, essentiel même qu'ils le fassent, même si cela venait à les faire pousser quelques cris d'un côté comme d'un autre. « Non tu n'étais pas fait pour vivre tout cela, mais tu étais destiné à être Roi. En étant le fils aîné, tu devenais automatiquement le prince héritier du Val et de la Montagne. On ne pouvait pas prédire les catastrophes qui t'ont touché personnellement ou qui ont touché ton peuple, mais il était certain que cela ne pouvait pas être une promenade de santé. Et tu dois continuer à t'accrocher à tout ça, même si c'est difficile. Alors bien sûr, tu n'y mettras peut-être pas la même ardeur dans l'avenir, car tu as été blessé, pas physiquement mais moralement, et c'est une blessure bien plus dure à soigner. Mais tu n'es plus seul Ronnel. Je suis là, et pas seulement comme amie, mais aussi comme femme et comme Reine pour t'épauler ! »

Et en une fraction de seconde, Ysilia s'était radoucie, elle avait dit ce qu'elle désirait dire et surtout, elle avait fait l'annonce qu'elle désirait faire en tant qu'épouse mais qu'elle gardait pour elle depuis plusieurs jours déjà, ne trouvant jamais le bon moment pour lui annoncer qu'il allait être père. Et elle ne put s'empêcher de rire alors que l'esprit de Ronnel se retrouvait soudainement tout embrumé par la nouvelle de sa grossesse. « Heureusement que tu sais comment, nous avons beaucoup pratiqué au cours des dernières semaines pour que ça puisse arriver. Oui maintenant, il va être fort difficile de mettre à l'arrêt ce que nous avons mis tant d'ardeur et de passion à créer. » Et le résultat était qu'elle était à présent enceinte. Elle n'était qu'au début de cette nouvelle étape de son existence, de la leur d'ailleurs, mais elle était si heureuse de pouvoir lui offrir ce cadeau, aujourd'hui. Elle se retrouva bien vite dans les bras de Ronnel et elle profita du baiser qu'il lui donna, passant ses bras autour du coup de son époux pour pouvoir se serrer un peu plus contre la poitrine de ce dernier. « Oui Ronnel, tu vas être papa, nous allons être parents ensemble. » Elle prit sa main dans la sienne et la posa sur son ventre. « Il faudra encore attendre quelques semaines avant que je ne m'arrondisse et que tout le monde ne soit au courant de mon état, mais ça va bel et bien se produire. » Elle eut une petite larme qui glissa sur sa joue avant qu'elle ne lui vole un autre baiser. « Je ne veux pas que tu te laisses mourir, aujourd'hui, ou demain. Je veux que tu sois là pour voir naître cet enfant. Cela doit te donner une nouvelle force de te relever, même si tu as traversé plusieurs fois l'horreur dans ton existence. »

Roi. Je n’ai jamais voulu de ce titre. Enfant, j’ai vite compris que je n’hériterai de ce glorieux rôle que lorsque mon père sera passé de vie à trépas. La perspective que mon vaillant et courageux père puisse mourir était si impensable, que j’en suis venu à détester instinctivement cet avenir. Ma très chère mère m’encourage, m’assurant que je serais un bon monarque : ceux qui ne veulent pas être Roi sont, souvent, ceux qui prennent à cœur ce rôle.

Roi. Je le deviens contre mon grès. Les responsabilités pleuvent sur mes épaules, les alourdissant chaque seconde. La Reine Régente promet, le Conseil du Faucon défait, nos alliés et nos ennemis se méfient naturellement de nous. Ma voix est à peine entendue. Comment ai-je supporté ce rôle de roi fantoche ? Grâce à ma belle Nymeria. Parce que je suis Roi, j’ai pu l’épouser. Un instant, je l’ai apprécié ce fichu titre et ces jeux de pouvoir.

Roi. Je n’aime toujours pas ce titre. Mon soleil s’est éteint, emportant ma joie de vivre. Je suis seul, avec ce maudit titre. Les lunes passent, la Couronne est toujours aussi inconfortable. La guerre est déclarée et est perdue, Elle chancelle davantage sur le haut de mon crâne. Le peuple se divise, Elle se gausse, Elle glisse d’un côté ou l’autre, mais Elle ne me quitte toujours pas.

Et puis, il y a ces nouveaux rôles.

Epoux. La situation est encore trop étrange. J’apprécie et je respecte ma femme, mais la passion manque. Je n’arrive pas à offrir la même ardeur qu’avec Nymeria. Le sentiment d’être égoïste, ou impuissant, m’accable. Je multiplie les efforts, mais cette étincelle disparaît aussitôt qu’elle apparaît. La crainte qu’un autre l’aime plus passionnément côtoie l’envie qu’elle découvre cet amour ardent. Est-ce nous trouverons ce compromis, au fil des années ? Ne dit-on pas que l’amour se construit ?

Père. Ce mot est plus réconfortant, presque chaleureux. Les couloirs venteux mais blancs des Eyriés ou ceux de l’austère Forteresse de la Porte Sanglante se remplissent de rires et de jeux. Je me surprends à imaginer une petite princesse, un brin capricieuse, téméraire et pleine de vie. Il y a bien un prince héritier, mais un peu plus effacé et plus attentif.

Ma main glisse sur le ventre d’Ysilia. Il est encore plat, mais je sais qu’il s’arrondira vite. Je remarque sa petite larme mais ne fait rien. Elle me vole un baiser, je n’y réponds pas. Je suis encore trop abasourdi par cette nouvelle. Elle change toute la perspective de l’avenir qui se profile à l’horizon. Il n’est plus question de réunir un peuple sous une même bannière, ou de protéger les intérêts des futurs générations valoises. Il est question d’un Prince, ou d’une Princesse, du Val et de la Montagne. Je m’éloigne quelques instants, me dirigeant vers la fenêtre. Là, je m’appuie à la rambarde et inspire profondément l’air frais matinal.

La joie laisse place à une sincère crainte.

Je reporte mon attention à Ysilia. Mes traits sont plus sérieux, presqu’inquiet.

- Je refuse de perdre un nouvel enfant, Ysilia. Et je refuse tout autant de perdre une nouvelle Reine, une amie chère en prime, commençais-je. Je te ferais cette promesse de faire de mon mieux pour revenir vivant au Val, si toi-même me jures que tu mettras ta santé et celle de notre enfant à venir en priorité, dis-je, me rapprochant d’elle, sans la quitter du regard. Tu dois me jurer sur tes dieux que tu feras preuve d’égoïsme en écoutant que tes besoins avant tout, que tu te plieras à tous les protocoles de sécurité et que tu suivras attentivement toutes les recommandations du Mestre, insistais-je, prenant sa main. Qu’importe les impératifs du Royaume, qu’importe ce que le conseil, ce que ton père, ou ce que le peuple exigera, tu dois me jurer que tu penseras à toi et à notre enfant avant tout le reste. Le Royaume est ma responsabilité. Ton rôle est, dorénavant, de mettre au monde cet enfant. Je me fiche que tu mettes au monde un Prince, ou une Princesse. Ne te fais pas avoir par les recettes de grand-mère de ces dames de la cour, m’entends-tu. Un enfant en bonne santé et une épouse tout aussi rayonnante, voilà ce que je veux avoir en revenant au Val, m’entends-tu ?

Je me rappelle subitement les heures angoissantes aux côtés de Nymeria. Ses douleurs, ses inquiétudes sur le sexe ou la santé de l’enfant, toutes ces pressions pour la naissance d’un prince héritier – et toutes les fichues recettes qu’on lui proposait. Je ne veux pas revivre cet enfer. Je ne peux pas perdre, encore, deux êtres.

Ysilia n'avait nullement eu le désir d'annoncer une si grande nouvelle à son époux dans un tel contexte. Mais les exigences du pouvoir étaient celles qu'elles étaient. Aujourd'hui, après plusieurs longues heures, il avait très largement dû négocier, et sans doute renoncer à tout un tas de choses pour pouvoir assurer un nouvel équilibre au Val et espérer donner un avenir à ce royaume, qui était aux yeux de la jeune souveraine, plein de promesses et qui pouvait être réellement utile dans les affrontements futurs contre les Puissances Centrales. Il était certain que s'il gagnait des batailles, auprès d'autres souverains de l'Empire, il ne manquerait pas de gagner leur confiance, gagner le respect dont il manquait sans doute aujourd'hui, alors qu'une partie de son peuple allait sans doute refuser ce nouvel état de fait et que du côté des nouveaux alliés, il y aurait forcément une défiance. La signature d'une Constitution ne pouvait changer la façon de penser des gens en un claquement de doigts. Il allait falloir se battre, autant d'un point de vue militaire que d'un point de vue politique. Et elle ne savait pas encore lequel des deux combats serait le plus ardu à mener. C'était un poids lourd à porter sur les épaules d'une Reine si jeune, cela l'était encore plus pour un souverain qui avait régulièrement souffert, depuis la perte d'un père, jusqu'à la perte d'une épouse et d'un enfant à naître. La vie n'avait pas épargné Ronnel et cela venait à désoler profondément la jeune femme. Il était son ami depuis aussi loin qu'elle pouvait se souvenir, et elle avait connu ses espoirs, autant que son désarroi et son deuil. Elle avait essayé à chaque fois de le soutenir au mieux, et maintenant qu'elle était sa femme, elle devait encore redoubler d'effort. Pour autant, il lui était bien impossible de savoir tout ce qui devait lui passer par la tête pour le moment, et d'une certaine façon, elle ne voulait pas le savoir. Elle avait ses propres émotions et pensées à gérer pour le moment. Et une partie d'elle n'avait pas envie de souffrir de ce qu'elle pourrait découvrir dans l'esprit de son Roi.

En attendant, elle lui avait révélé son précieux secret et elle attendait de savoir ce que cela allait donner, ce que cela allait réveiller dans le cœur ou dans l'esprit de Ronnel. Elle n'était pas Nymeria, et c'était pour le moment autant une force qu'un problème. Et d'une certaine façon, elle savait qu'elle devait réussir là où la précédente Reine avait malheureusement échoué. Elle devait donner la vie, elle devait mener cette grossesse à bien et mettre au monde cet enfant. Que ce soit une fille ou un garçon, tout ce qui comptait, c'était de parvenir à lui faire pousser son premier souffle de vie et d'avoir un enfant assez robuste pour affronter la vie. Elle sentit la main de Ronnel glisser sur son ventre, mais alors qu'elle venait à chercher du réconfort en capturant ses lèvres des siennes, il n'y eut aucune réponse. Elle dut alors encaisser et ne montra rien d'autre de ses sentiments, maintenant bien plus sombres. La joie de lui avoir annoncé la nouvelle, avait fini par s'envoler. Pour autant, elle avait relevé la tête, et elle devait mettre ses émotions de côté, il ne fallait pas qu'elle se laisse happer par tout cela, autant pour préserver la Reine, que la femme, que l'enfant qui avait commencé à grandir dans son corps. Elle hocha la tête quand il se mit à parler, le visage plus fermé que quelques instants auparavant. « Je ferai ce que mon Roi, mon époux et mon ami me demande, pour pouvoir préserver ma santé, et surtout celle de l'enfant que je porte. » Elle le laissa s'approcher, mais ne fit pas un geste dans sa direction pour autant. « Je peux te faire toutes les promesses du monde, et je compte bien m'y tenir, car ne doute pas un seul instant que je fais de cet enfant une priorité. J'ai toujours eu le désir de devenir mère, et quand j'ai eu la chance d'être présente pour Donnel, de m'occuper de lui après sa naissance, j'ai compris que je ferai tout pour les enfants que je viendrai à avoir un jour, si les Anciens Dieux me permettaient de connaître cette chance. Et je me battrai pour celui que je porte, tu n'as pas à en douter un seul instant. Mais pour autant, je sais aussi que je suis Reine, que je suis Reine à une époque bien complexe et qu'il me faudra aussi penser au bien de notre royaume, quand toi tu seras au combat. »

La joie laisse place à des traits plus sérieux – et durs. Je n’ai pas besoin d’être un grand devin pour comprendre que mon épouse est déçue, tant par mon attitude que par mes paroles. Elle espérait davantage de ma part – le bonheur, la félicité, l’éclat d’un rire simple et franc. Si je la comprends, j’ai un grand mal à faire preuve davantage d’empathie et est tout bonnement incapable de feindre une telle émotion.

Si cette nouvelle est splendide, je ne suis plus aussi naïf qu’à l’époque. Je sais maintenant l’envers du décor si tout va mal : le sang, la douleur, la mort … Toutes ces images et sensations me reviennent en mémoire avec vivacité, et force. Je revois le corps sanguinolent de Nymeria ou cet enfant ayant à peine pris forme dans le récipient du Mestre. Elle ne peut pas comprendre – et je ne veux pas qu’elle comprenne ! Qu’importe que je sois le salaud de l’histoire, tant que tout va bien pour elle.

Un long s’écoule s’installe entre nous, après nos longues tirades respectives. Il y a un événement à fêter. Or, j’ai un tantinet tué l’humeur du jour. En prime, la fatigue de ces derniers jours – et la nuit passée aux pourparlers – a littéralement raison de moi. Un compromis fait son chemin dans mon esprit, et je reprends la parole pour partager quelques projets et pensées.

- Je suis, sincèrement et vraiment, heureux de cette nouvelle, Ysi. Je te le jure, lui soufflais-je, cherchant ses mains et, surtout, son regard. Que dirais-tu d’une balade, juste toi et moi, vers les coups de midi ? Si tu le veux bien, alors habilles toi très chaudement et, surtout, demandes à ce qu’on nous prépare un panier repas et un cheval très docile. Nous n’irons pas loin, nous pourrons marcher, dis-je, en me rapprochant encore. La garde ne nous accompagnera pas. Il y a assez d’hommes d’armes pour nous venir à l’aide si on hurle, conclus-je, tentant un pauvre trait d’humour. Jusqu’à là, j’ai besoin de quelques heures de sommeil.

Je me sépare finalement. Si l’idée d’un bain chaud est réconfortante, le lit est clairement plus attrayant à cet instant. Las, alourdi, je me déshabille au mieux – ou plutôt à moitié – et je m’effondre presqu’aussitôt. Le sommeil s’empare de moi en quelques secondes, me plongeant dans une demi-mort. Nul rêve, nul cauchemar, nulle pensée ne perturbent ce repos bien mérité. Ni les bruits de couloirs, les entrainements des hommes d’armes non loin ou les ronronnements d’un lynx ne me parviennent aux oreilles. Je suis bien. Lorsque je rouvre les paupières, j’ai la sensation d’avoir simplement fait une petite somme – mais reposante et revigorante. Il me suffit d’un regard par la fenêtre pour comprendre que j’ai tort. Le soleil est à son zénith : toute la matinée vient de passer.

Un brin bredouille, encore désorienté, je m’assois sur le rebord de mon lit et repense à tous ces événements récents. Mon regard balaie la pièce, à la recherche de ma Reine. A-t-elle accepté mon invitation, et s’est-elle préparée en conséquent ? Au contraire, a-t-elle décliné poliment et courtoisement, et je dois en trouver le signe quelque part – une lettre, un mot de la garde ? La voix rauque, je finis par prononcer son prénom.

- Ysi ?

Ysilia savait qu'elle devait trouver sa place, en tant que Reine, mais peut-être encore plus en tant qu'épouse. Il n'était pas question de confiance, ils se connaissaient depuis si longtemps Ronnel et elle, qu'elle savait pertinemment que cette partie-là au moins, lui était déjà acquise depuis de nombreuses années. Bien que son statut tout récent à ses côtés, pouvait encore être sujet à caution et qu'elle était toute aussi jeune que son époux, elle était pleinement consciente de l'importance du rôle qu'elle avait à jouer et qu'elle se devait de le tenir, qu'elle soit enceinte ou non. Car bien que la nécessité d'un héritier était un gage de survis pour le Val, Ronnel allait partir pour le Conflans, d'un jour à l'autre, et alors, elle serait la garante avec le reste des membres du Conseil du Faucon de la situation au sein du royaume du Val et de la Montagne, et à quoi cela pourrait bien servir de mettre au monde un fils, si au cours des prochains mois, Ronnel venait à être renversé dans ses propres terres. Elle serait une Reine, et elle serait aussi Mère, et rien ne pourrait l'arrêter à présent. Être une épouse pour autant lui apparaissait comme étant une tâche bien plus difficile. Il vivait avec ses démons, avec ses fantômes et  ils étaient peut-être trop nombreux pour parvenir à profiter pleinement de l'horizon qui se profilait aujourd'hui. Certes, il avait capitulé, mais son peuple était encore debout. La tâche n'en serait pas moins aisée pour autant, elle le savait parfaitement, mais elle portait peut-être l'avenir de leur histoire dans son ventre et elle avait envie de s'en réjouir, et si elle le devait, elle était prête à le faire toute seule. Ronnel ne pouvait pas lui enlever cela, c'était son petit miracle à elle. C'était son enfant à elle.

La fatigue le terrassait, elle n'en doutait pas un seul instant. La journée, la nuit, étaient longues, bien trop longues et depuis bien trop longtemps malheureusement. Il avait accumulé beaucoup de fatigue, d'inquiétude, de stress ou de souffrance, et elle ne pouvait qu'être là pour le soutenir comme elle l'avait toujours fait. Elle le laissa prendre ses mains, elle le laissa serrer les mains et s'approcher un peu plus d'elle qu'auparavant. Elle continuait à le regarder droit dans les yeux. « Je ne peux que te croire, si tu le dis, mais tout ton corps, en exprime le contraire pour autant. » La proposition qu'il vint à lui faire était forte alléchante. Et elle hocha la tête pour toute réponse, elle qui était si douce, et si gentille, avait été blessé par la réaction de son époux. Pendant un temps, elle s'était dit que plus encore qu'elle ne reste en vie, il désirait surtout que cet enfant qu'elle portait depuis peu arrive à son terme. Peut-être la propre fatigue qu'elle ressentait, venait à lui faire voir les choses sous un angle plus sombre que cela ne l'était au final. « Je vais te laisser te reposer tranquillement. » Elle inclina légèrement la tête devant lui, tenta un sourire, avant de rejoindre une pièce annexe. Cela avait été compliqué pour lui et elle ne voulait pas le déranger en restant à ses côtés, elle qui se demandait si elle allait retrouver le sommeil.

Finalement, elle quitta la chambre et demanda à ce que les serviteurs présents à la Porte Sanglante puissent préparer ce que leur Roi avait envisagé pour une balade champêtre en tête à tête. Elle retourna ensuite dans la pièce jouxtant la chambre où Ronnel semblait dormir d'un sommeil profond et nécessaire. Elle s'était posée, ses affaires étaient prêtes pour partir, mais comme son époux n'était pas réveillée, elle lisait tranquillement un livre en l'attendant. Quand elle entendit son prénom raccourci. Elle se leva du siège où elle se trouvait et entra dans la chambre. « Oui je suis là. » Elle fit quelques pas, venant à lui servir un verre d'eau avant de le lui apporter. « Tout est prêt, si tu désires toujours y aller. Sinon on peut se faire servir ici si tu préfères encore te reposer. »

Je retrouve mes esprits et, surtout, les souvenirs les plus récents ressurgissent avec force. Je grimace, constatant de nouvelles erreurs ou bêtises vis-à-vis de mon épouse. Je souffle, aussi, à la simple idée que cette situation inconfortable vis-à-vis de l’Empire s’est terminée – quoique, nullement comme je l’avais escompté. Plus les secondes s’écoulent, et plus je sens chaque changement dans chaque fibre de mon corps. Les pièces du puzzle se rassemblent, le brouillard se dissipe et surtout la vie reprend tous ses droits. Tout semble avoir changé en l’espace de quelques heures, tant sur un plan purement politique que sur un plan personnel. Le changement est drastique, presque inexplicable.

Pour autant, je n’en perds pas pied. Endurci par les deuils et défaites passées, j’appréhende ces échecs et ces opportunités plus sereinement, d’un œil tout nouveau. La faiblesse n’est plus permise, non pas parce que je suis Roi, mais parce que je vais être père. Père. Si le mot avait sonné comme un glas terrible, au moment de l’annonce, un palpitement étrange – comme une excitation balbutiante – anime mon cœur. Je veux saisir cette petite étincelle de joie, malgré toute la crainte qu’elle m’inspire. La perspective d’une douleur future – et possible – faiblit de minutes en minutes face à la chance d’un bonheur inattendu, et pourtant tant voulu.

La voix d’Ysilia résonne. Je me retourne et la détaille attentivement, sans un mot. Mon regard se fixe, malgré moi, sur ce ventre encore plat. Un enfant grandit là, et va naître dans quelques mois. Si les Sept acceptent, il – ou elle – aura une excellente santé et des frères et des sœurs. Cette joyeuse fratrie remplira ces murs de rires, de pleurs, de caprices et de jeux. Bon nombre de garçons de mon âge ne rêvent pas d’une telle situation préférant courir les plus belles donzelles du Royaume. J’aurais pu en faire partie, si je n’avais pas rencontré Nymeria ou si je n’avais épousé une très chère amie, si la première épouse ne m’avait pas fait miroiter toutes les beautés du rôle d’un père et si la seconde épouse ne m’avait pas rappelé ces rêveries hier. Je ne peux plus courir l’inconnue et les fantaisies, quand j’ai déjà tout à portée de la main.

C’est à moi de les saisir, ni plus, ni moins.

- Non, je me suis suffisamment reposé. Je dirais même que je n’ai jamais autant dormi que ce matin sur ces derniers mois, répondis-je en m’étirant longuement et pleinement, soupirant d’aise. Et je tiens à te montrer quelque chose, avant que toutes les armées ne se réunissent et que toi et moi sommes appelés à de nouvelles obligations.

C’est maintenant, ou jamais.

Je me relève, mets la main sur cet ensemble confortable et chaud posé non loin et à portée de main. Je me déshabille et me rhabille assez rapidement étant donné que la tenue n’est nullement protocolaire, et qu’il n’est pas question d’une rencontre diplomatique ou royale. Alors, je me retourne vers mon épouse, lui saisis délicatement le bras pour le poser sur le mien.

- Allons-y, ma très chère Reine, soufflais-je.

Le cheval est prêt, chargé de quelques victuailles et de couvertures. Mon Oncle lance un regard assez critique, et mécontent, mais je n’en fais pas fie. Je ne serais pas accompagné par quiconque, hormis mon épouse et ces deux lynx surexcités à la simple idée de se balader dans cette forêt luxuriante. Nullement besoin de monter à cheval, je guide ce chemin en marchant tranquillement, d’un pas presque nonchalant.

- Comme tu sais, la Maison Arryn alterne son séjour entre les Eyrié et la Porte Sanglante au fil des saisons et des conditions de la météo. Si j’apprécie grandement la demeure des Eyrié, j’ai toujours détesté la Porte Sanglante pour son austérité et, surtout, pour ce qu’Elle représente. Suite à la mort de mon père, les leçons du Mestre ou de ma Mère se sont multipliées. Si je les supportais aux Eyrié, j’ai tout bonnement détesté au cœur de cette Forteresse. Alors, j’ai fui et j’ai disparu toute une journée. Personne ne m’a retrouvé, malgré qu’on ait retourné chaque caillou, expliquais-je, brisant le silence après une quinzaine longues minutes de marche. Je m’étais caché dans une cachette, un lieu secret que mon père m’avait révélé lors de son vivant. Il voulait que j’ai un endroit où réfléchir tranquillement lorsque je serais Roi et que la charge serait trop importante, et insoutenable, avouais-je.

Nous ne tardons pas à arriver à destination. Le lieu avait droit à une pente extrêmement raide d’une part, et une belle roche pleine de lianes d’autres parts. Je promène ma main sur celle-ci, m’arrêtant à un point. Là, j’enfonce mes doigts sous un panneau en bois dissimulé par la végétation – et à moitié grignoté. Je révèle un chemin assez sombre, invitant la belle brunette à y entrer. Pendant ce temps, j’attache le cheval à un arbre à proximité, et récupère les différents paniers.

- Au bout du chemin, nous aurons droit à une vue merveilleuse, ajoutais-je, la rassurant sur le chemin à emprunter.

Ysilia se rendait finalement compte qu'ils n'avaient pas réellement pris le temps de discuter de ce qui s'étaient racontés pendant le conciliabule avec les représentants de l'Empire qui avaient fait le trajet jusqu'à la Porte Sanglante. Il y avait trop de sentiments et d'émotions diverses et variés qui s'étaient mélangés pour que les deux jeunes époux n'aient pas réellement réussi à discuter, et à parler d'une certaine façon des choses les plus importantes. En dehors du fait, bien évidemment, qu'elle venait tout juste de lui annoncer sa grossesse, ce qui avait provoqué d'autres réactions, plus ou moins positives. Il avait besoin de se reposer, de dormir, mais il était essentiel que la conversation revienne, qu'ils en discutent avant de devoir se présenter à la capitale impériale, Fort-Darion, et qu'ils se retrouvent face à tous les autres membres des Royaumes Fédérés, de se retrouver face à des visages curieux, à des visages qui ne manqueraient pas de les scruter à chaque instant, à chaque parole, à chaque geste et sans aucun doute à des visages bien peu accueillants. Voir même, face à des personnes qui se montreraient hostiles envers eux, parce que la guerre était encore trop fraîche, parce qu'ils avaient perdu des êtres chers ou juste parce que le principe d'une paix pleine et entière sur Westeros ne convenaient finalement pas à tout le monde. Il était plus que primordial pour le Roi et la Reine du Val et de la Montagne de se serrer les coudes, et de montrer à l'ensemble de la communauté qu'ils avaient rejoins, qu'ils étaient peut-être un jeune couple, mais qu'ensemble ils étaient bien plus forts et qu'ils n'allaient pas laisser les autres éternellement dictés ce qu'ils devaient. Ils ne devaient pas passer à côté de ça, et se laisser encore une fois submergée par les sentiments.

La jeune Reine était bien plus prompte à la discussion ce matin, bien moins fermée à passer un temps en tête à tête avec son époux. Tout était tellement plus simple quand ils n'avaient pas ce statut, ce rôle l'un envers l'autre. De toute son existence, Ysilia se rendait compte que c'était la première fois qu'elle avait exprimé de la colère envers Ronnel. Peut-être que sa grossesse avait un effet sur son tempérament, ou juste, se rendait-elle compte qu'à présent il formait un tout et qu'elle ne voulait pas qu'il tombe à nouveau. Il se devait de jouer son rôle jusqu'au bout, car c'était là le destin que les Dieux avaient décidé pour lui. Elle hocha la tête quand il se releva, et elle alla prendre les derniers éléments de sa tenue pour être certaine d'avoir chaud en dehors de la Porte Sanglante. Ils se rapprochèrent, et pour la première fois depuis longtemps, elle eut l'impression de retrouver son ami d'enfance, et des jeux bien moins oppressants qu'aujourd'hui. Elle ne manqua pas de regarder le paysage qui s'était mis à défiler sous ses yeux une fois qu'ils s'étaient mis en route, et alors que le silence s'éternisait entre eux.

« Nous pouvons changer cet état de fait, nous pouvons donner à la Porte Sanglante un nouveau souffle. On ne pourra jamais effacer la perte de ton père à cet endroit, mais bientôt, ce lieu sera un passage pour relier le Val au reste de l'Empire. Il pourrait devenir un terrain commercial important pour notre royaume. » Elle resta silencieuse quelques instants quand il lui parla de la cachette que son père lui avait présenté pour les occasions où la tension, la pression serait trop grande. « Donc, il faut que j'envisage de venir te chercher jusqu'ici, le jour où on viendra à jouer avec les limites de ta patience morale ou physique ? » Demanda-t-elle dans un petit sourire qui se voulait taquin envers son époux. Pour autant, quand il stoppa le cheval, elle se questionnait réellement sur le chemin qu'il désirait lui faire suivre. Ronnel ne viendrait pas à risquer leur vie, mais il fallait dire que c'était atypique. Elle récupéra les couvertures, pour ne pas le laisser tout porter et elle s'engagea à sa suite. « Il fallait me dire si tu voulais te débarrasser de moi. » Dit-elle en rigolant, bien qu'elle n'était pas totalement sereine, faisant attention de ne pas tomber avec sa robe.

- Le temps venu, et si une belle occasion se présente, nous la renommerons convenablement et nous pourrions envisager un meilleur aménagement, répondis-je, cédant aux propositions de mon épouse.

Elle est dorénavant la Reine du Val et de la Montagne, et elle a autant de voix que moi vis-à-vis de nos lieux de résidence. Là où un Roi est souvent appelé à guerroyer aux frontières ou sur les territoires ennemis, ou à défendre des territoires alliés, la Reine quitte rarement la Capitale de son Royaume. Mon confort est donc assez secondaire, en comparaison de celui d’Ysilia. Elle doit être à son aise et je dois l’aider autant que je le peux. A défaut d’être un époux amoureux, je dois être un soutien sans faille.

- Je doute que mon Oncle autorise que la Reine se balade seule aux alentours de la Porte Sanglante. Et je te saurais gré de ne pas révéler mon sanctuaire à quiconque, lui répondis-je avec un ton faussement autoritaire, avec des notes d’amusement. Je suis encore étonné qu’il a cédé aussi aisément aujourd’hui. Je pense que la présence de l’armée, ou celle des Lynx, l’ont rassuré, lui glissais-je en haussant inconsciemment les épaules.

A chaque pas, le poids de la Couronne s’allège. Je peux me permettre de redevenir ce gamin qui rêve encore de dragons, d’amours et de grandeurs. Lorsque nous nous engageons dans cette cachette, je referme la porte de fortune derrière nous, nous plongeons dans une pénombre. Quoique je laisse une petite ouverture pour que les Lynx décident d’entrer et sortir à leur guise. Aussitôt après, je me place devant Ysilia, préférant anticiper tout incident sur le chemin. Si je doute qu’une petite chute mette à mal sa grossesse, la prudence reste de mise. L’inquiétude disparaît subitement.

Un sourire amusé s’étire sur mes lèvres aux dernières paroles de la brunette. Je me retourne vers elle, étends mes bras chargés en signe d’impuissance et offre un air désolé. Je ne réponds pas volontairement, préférant tout bonnement lui laisser tout le loisir de découvrir ce qu’il se cache à la fin de ce couloir arc-bouté difficilement éclairé, froid et humide. Quelques minutes plus tard, une lumière vive annonce que nous arrivons au bout de notre périple. Nous débouchons sur une vue à couper le souffle, tout bonnement – presque aussi belle que celle du haut de la plus haute tour des Eyrié.

Le château en marbre blanc est visible, non loin. Il y a également les pointes des autres montagnes mais également leurs parois tantôt droites, tantôt mouchetées de cavités, tantôt couvertes de verdures. Un arbuste de fortune a poussé non loin, accueillant le nid de rossignols chantonnant. Contrairement aux Eyrié, nous entendons la nature dans toute sa splendeur. Les forts vents n’emportent pas le chant des oiseaux ou les appels des loups, et les parois de cet abri empêchent l’air glacé d’écourter toute visite ou observation.

Je ne fais rien, je ne dis rien, préférant simplement sonder l’humeur de ma Reine.

- Nous resterons jusqu’au soir. La nuit apporte un tout autre charme à cet endroit, indiquais-je d’un murmure. Si tu le veux bien, évidemment, ajoutais-je précipitamment, quoique en lui offrant un regard exagérément implorant.

Il se peut que cette journée passée ensemble, et loin du poids du pouvoir, sera la dernière avant de nombreux mois – voire années. La guerre contre les anciens alliés, la naissance d’un prince ou d’une princesse … tant d’événements vont chambouler nos vies pour de nombreux mois, voire années ! Je ne suis pas un goujat pour quitter l’épouse sur un désaccord, ou une dispute. Aujourd’hui, elle est l’une de mes rares soutiens et je ne souhaite pas m’en priver. J’ai déjà commis cette erreur avec ma mère, je ne vais pas la répéter avec Ysilia.

J’abandonne cette observation pour commencer à installer le tout : étendre la couverture, poser le panier de victuailles – étonnamment lourd ! – et commencer à farfouiller les environs à la recherche de vieux bois. Lors de ma dernière visite, j’en avais mis un bon petit stock dans un coin, et surtout au sec. Je ne tarde pas à dénicher le tout, de petits blocs serrés solidement, couverts, avec un peu de fourrage. Je me saisis du tout, commence à rassembler le tout là où des traces de feux anciens sont visibles et tente de faire quelques étincelles.

Je maugrée, je jure, je grommelle à chaque tentative infructueuse. Finalement, quelques flammes apparaissent, m’arrachant un sourire satisfait.

- Je pense que nous sommes bien installés, qu’en dis-tu ? , demandais-je. Je dois admettre que je n’ai jamais amené une dame dans ce lieu, et je ne sais pas exactement ce dont elle peut avoir besoin. Pour ma part, un feu et une épée me suffisent amplement. Je doute fortement qu’il en soit de même pour Ysilia…

La Porte Sanglante n'était pas forcément le lieu qui la faisait le plus rêvée, comme d'ailleurs les hautes montagnes, qui formaient certes une barrière naturelle qui venait à protéger le royaume, mais qui jouait aussi le rôle d'enclaver un peu plus le Val, rendant bien souvent la mer comme étant le seul moyen de s'échapper de là. Ysilia appréciait tout particulièrement la vue qu'elle avait du château des Royce à Roche-aux-Runes, sur l'eau qui se déployait presque à perte de vu sous son regard. Là-bas, elle se sentait vivante, ici en passant entre le col si serré, elle se sentait un peu à l'étroit. Donc si elle pouvait réussir à amener un peu de vie dans ce lieu, et lui conférer à cet endroit un aspect moins militaire. Malgré le ralliement du royaume à la cause de l'Empire, il fallait garder cette obligation sécuritaire, on ne savait jamais réellement où l'ennemi pouvait se trouver, même quand on s'appelait l'un et l'autre par le terme d'allié. Mais on pouvait néanmoins espérer voir émerger une vie nouvelle pour ce lieu, plus ouverte vers un avenir commun avec les autres royaumes fédérés. « Ce n'est pas la plus grande des priorités, mais je pense que nous pouvons y réfléchir, ou tout du moins que je peux commencer à étudier la question pour ensuite te faire des propositions quand tu reviendras de la guerre. Et je t'interdis un seul instant de me répondre, si je reviens. » Souffla-t-elle avec amusement dans les yeux, et sérieux à la fois dans le ton de sa voix. Son regard se fit un peu plus malicieux à l'évocation de l'oncle de Ronnel. « Je ne crois pas que ton oncle me laissera faire quoi que ce soit qui pourrait me mettre en danger. Encore plus quand il apprendra que je suis enceinte et que tu lui auras donné tout un flot d'indications pour que je ne me fasse pas la moindre entorse, ou même que je vienne à attraper un rhume ... » Elle finit par hausser les épaules. « Où tout simplement, il sait combien le moment peut être délicat pour toi et il a tout simplement eu le désir de te laisser respirer un peu. » Et pour le coup, elle était parfaitement consciente du fait que Smaug avait pu jouer le rôle de père après le décès de Jehan, et qu'il avait toujours été présent pour veiller sur ses deux neveux.

Ysilia continuait à avancer en suivant Ronnel, en se demandant jusqu'où ce dernier allait se rendre. Ce n'était pas le plus simple que d'avancer en étant en rob, même si elle n'était pas aussi volumineuse que pour les cérémonies officielles, elle ne manquait pas d'être peu pratique pour que la balade dure éternellement. Son époux ne manqua pas de lui faire un sourire désolé alors qu'il avançait également les bras chargés, ne pouvant l'aider outre mesure. Quand enfin la vue se dégagea, elle s'arrêta un long moment, sans dire un mot, à juste profiter du paysage qui s'étendait sous ses yeux. Finalement, cela valait sans doute le coup d'avoir ainsi grimpé dans la montagne pour finir par déboucher à cet endroit. Le chant des oiseaux était agréable, et pendant une fraction de secondes, elle ferma les yeux, se laissant juste bercer par le moment présent avant de rouvrir les yeux pour se tourner vers Ronnel. « Cela me ferait très plaisir en effet de rester ici avec toi, jusqu'à ce soir, mais es-tu certain que je puis le faire dans mon état ? Mon époux a dit qu'il me fallait veiller à ma santé à chaque instant du jour et de la nuit. » Elle n'avait pas fini de le taquiner à ce propos. Elle le laissa faire, venant à s'installer sur les couvertures étendues, en dépliant une pour la poser sur ses genoux pendant que Ronnel venait à faire du feu. « Je dirais que oui … Et puis c'est fort agréable de sortir un peu de tout le cérémoniel obligatoire, bien que nous y retournerons dans quelques heures. » Elle tapota la place à côté d'elle. « Surtout, ça fait plaisir de revoir le petit garçon joyeux que j'ai connu autrefois. »

La montagne recèle bien des beautés cachées.

Il y a ces richesses derrière lesquelles tous les hommes courent furieusement, comme les mines de fer ou de pierres précieuses. Nous éventrons et nous pillons ces rocs installés confortablement au sein du Val depuis de longs millénaires pour simplement nous vautrer dans une belle vanité, ou pour séduire la belle. Je ne suis pas une exception, ou un cynique qui se contente de critiquer. Mon regard se pose sur le coup ou sur les doigts d’Ysilia, me demandant s’il ne serait pas bon ton de lui offrir un présent. Dans ce cas-ci, que puis-je bien choisir ?

Hormis le fer et les pierres, il y a la Nature. Il y a une abondance de plantes vertueuses ou empoisonnées et de nobles bêtes, comme les lynx de fumées. Les montagnes d’une part, la mer d’autre part, nous bénéficions de climats variés. Nous avons le luxe de faire pousser ce que nous désirons. La fertilité de mes terres m’a, également, motivé à capituler. Est-ce qu’un Souverain gorgerait ces sols de sang et les réduirait en cendre pour un seul idéal ? C’est assurément noble, mais cette noblesse ne nourrit pas les bouches de millions sous ma responsabilité.

Et puis, il y a les montagnes mêmes. Elles s’imposent à l’homme majestueusement. Si on les observe attentivement, ou que nous écoutons ces courants d’air, nous avons l’impression de voir et entendre des géants de pierre endormis profondément, à peine gênés par nos guerres, par nos drames, par nos joies ou par nos pillages. A chaque fois que je pose mon regard sur ce spectacle, ou que je tends l’oreille à ce concert, le calme me gagne. Je retourne à mes jeunes années aux Eyrié ou les vents violents sont monnaie courante, devenant même une berceuse agréable. Je dors mal lorsque tout est silencieux.

Comme à la Porte Sanglante. Ayant déjà eu grand mal à supporter nos séjours là, elles m’ont vite insupporté après la mort de Père. Heureusement, j’ai quelques lieux secrets ou je me plais à me rendre et à passer du temps. Aujourd’hui est différent, pourtant. Je suis accompagné.

- Il semble que j’ai développé un caractère excessivement prudent. Il faut m’en guérir, ma Reine, avant que je ne t’étouffe avec. Que me préconises-tu ? , lui répondis-je avec un faux sérieux. Le feu allumé, je peux enfin me retourner et me glisser jusqu’à elle. Si les couvertures et le feu ne suffisent pas à te garder au chaud, j’ai bien une autre idée, ajoutais-je, en la gratifiant d’un regard avec suffisamment de sous-entendu.

Je ne dis rien, laissant le silence s’installer entre nous quelques instants. Finalement, je reprends la parole. Je me mets bien droit pour l’occasion, et la fixe.

- Je souhaite m’excuser pour mon attitude, Ysilia. Quoique j’ai pu vivre dans le passé ne justifie pas que je gâche notre présent. Je sais que je peux être un meilleur Roi avec toi à mes côtés. Je sais aussi que je serais un bon père grâce à tes conseils. Sauf que je veux également être un époux à la hauteur, commençais-je. Ces derniers mois passés à tes cotés ont simplement souligné à quel point j’ai été seul, m’isolant de tous et de toutes, oublieux de leurs sentiments. Il n’y a pas que toi qui en souffre, qui en a souffert ou qui en souffrira, avouais-je. J’aimerais dire que je ne recommencerais plus, mais c’est une utopie. Je ne peux pas changer du jour au lendemain. Je pourrais ignorer ce défaut, me cacher derrière le passé et être insupportable à quelques occasions. Malheureusement, ce n’est pas avec cette attitude que je peux redorer le blason de ma Maison et du Val, réparer mes erreurs et, surtout, construire et offrir quelque chose de beaux aux futurs Valois et, surtout, à nos enfants.

J’inspire et expire profondément, ne sachant ou je vais ou ce que je dis exactement. Je déverse simplement ces idées muries secrètement et inconsciemment depuis de longs mois.

- J’ai besoin d’alliés, d’amis, de famille et surtout d’une amie, finis-je par dire, la fixant qu’avec plus d’intensité. Il y a plus entre un époux et une épouse qu’un devoir conjugal. Lorsque tout va mal, que nos nerfs sont à fleur de peau ou que nous nous froissons, comment faire pour nous pardonner, nous soutenir et nous aimer encore ? , demandais-je. Je sais que je t’ai blessé, ce matin. Je l’ai vu. Qu’allons-nous faire ? Nous taire et ne jamais en parler ? Rouvrir la plaie et jouer avec ? A moins qu’il y a autre chose que nous pouvons faire ? Nous avons toujours été amis, mais jamais amants. Je comprends que c’est deux choses différentes. Il faut trouver une nouvelle entente entre toi et moi.

Je ne tarde pas à entremêler nos doigts, attendant sa réponse. Je ne veux plus quitter quiconque qui m’importe dans de mauvais termes. Ces derniers mois m’ont rappelé avec cruauté à quel point la vie est ténue et que tout peut changer du jour au lendemain.

Ysilia n'était pas malheureuse d'être enfin arrivée jusqu'à leur destination. Car c'était une chose de s'habiller en conséquence pour ne pas avoir froid, cela en était une autre de s'habiller pour aller grimper dans la montagne pour un moment champêtre avec son mari. Le site était tout simplement magnifique, et pour la première fois depuis bien longtemps, malgré la fraîcheur qui venait à accompagner la promenade du fait de la hauteur à laquelle il se trouvait, elle appréciait sincèrement d'être aussi haut pour avoir une vue plongeante sur tout ce qui les entourait. Il fallait dire que la brume qui s'accrochait parfois autour des Eyrié lui avait toujours causé un sentiment déplaisant, comme si elle n'était pas en mesure de voir la tempête qui se préparait à déferler sur eux. Une angoisse qui s'était volatilisée maintenant qu'elle était ici, bien loin du cérémonial de la Cour, bien loin des soldats qui étaient fatigués, démoralisés ou blessés, juste en compagnie de son époux et ami, ou plutôt son ami qui était devenu son époux. Cela faisait combien d'années qu'ils n'avaient pas eu une telle occasion d'être en tête à tête comme ça ? Pendant leurs jeux d'enfants, il suffisait qu'ils se cachent tous les deux dans un coin du château et ils venaient ainsi à parler ou à jouer pendant de longues heures sans se soucier du reste du monde ou presque. Puis ils avaient grandi, et même si le cœur de Ronnel battait déjà si fort pour Nymeria qu'il n'aurait pas pu regarder une autre jeune fille, il n'était plus possible pour les deux d'être vu sans chaperon, et qu'on puisse imaginer que le tout jeune souverain avait pu attenter à la virginité de la damoiselle en question. Ils étaient restés proches mais ils ne pouvaient plus autant rire ou sourire qu'avant. Et ensuite il avait eu sa vie, et elle avait continué de son côté. Ils s'étaient retrouvés lier plus ou moins après un tragique coup du sort et en un claquement de doigt, ils étaient passés du statut de fiancés à jeunes mariés. Avec l'obligation de respecter le deuil du souverain, ils s'étaient mariés à peine un mois après la fin du délai.

Mais la guerre amenait son lot d'obligation et ils s'étaient tous les deux retrouvés devant le fait accompli. Bien qu'ils avaient réussi à passer assez de temps pour pouvoir concevoir un enfant, ils n'avaient guère eu le temps pour tout le reste et c'était triste. Elle se mit à sourire à sa question et haussa les épaules, presque avec innocence. « Je dirais une bonne paire de claques, mais cela à titre indicatif seulement. » Elle tapota la place juste à côté de lui, le regardant attentivement, un petit sourire aux lèvres. « Mon bon Roi, est-ce une proposition indécente que j'entends là ? » Elle se rapprocha un peu de lui, posant sa tête sur son épaule. « Je ne dis pas non à un peu plus de chaleur, il fait un froid certain dans ta forteresse de solitude … Mais dit moi, suis-je assez belle pour te donner envie de faire ce que tu sous-entends ? » Faire son devoir et ressentir du désir pour son épouse était deux choses différentes, et elle savait que l'autre n'était jamais si loin dans l'esprit de Ronnel pour ne pas venir jouer sur les nerfs de l'un ou de l'autre. Elle se redressa quand elle le vit en faire de même, reprenant son sérieux, fixant son regard du sien, elle ne chercha pas à l'interrompre un seul instant. « Je te remercie pour tes excuses. Je dois dire que je n'ai pas été très agréable non plus de mon côté … Ce n'est pas que je ne comprenais pas ta douleur, ta peine, ta déception ou ta colère … Je voulais juste te prouver que la vie pouvait encore te réserver de bonne surprise. » Elle posa ses deux mains sur son ventre encore plat. « Il est là, je le sais, je le sens. Ne va pas me demander comment, mais … C'est merveilleux. Et c'est une part de toi, c'est une part de moi. C'est sans doute la meilleure de nous deux. Cet enfant, je ne l'ai pas fait seule, mais je refuse de l'élever seul parce que le monde n'aura pas forcément tourner comme tu le voulais. Tu pourrais être Roi ou simple fermier, tu sais que tu auras toujours mon soutien, et mon affection. Je sais que la tempête n'a pas totalement disparu, mais je serai là, si tu veux de moi, si tu me laisses la place pour être à tes côtés, et pas seulement être un titre ou être une mère pour tes enfants. »

Il vint à chercher sa main et elle regarda un long moment leurs doigts enlacés dans un silence presque religieux. « On s'est déjà brouillé par le passé et on a su se réconcilier. Nos problèmes étaient plus petits à l'époque qu'aujourd'hui, donc nos disputes étaient plus légères également. Mais nous sommes amis depuis l'enfance, je ne vois pas ce qui pourrait tout renverser. Oui, j'ai été blessé ce matin, parce que j'espérais que t'annoncer que j'attendais un bébé sera une véritable joie pour toi. Et cela n'a été qu'une source d'inquiétude. » Elle posa sa main sur le cœur de Ronnel, alors que son sourire était là, mais les larmes venaient également dans ses yeux. « Je sais le poids que tu portes ici, je sais les doutes qui t'assaillent aussi par rapport à la paternité. Je ne peux pas faire disparaître Nymeria, ni votre enfant, je ne veux nullement la remplacer ou remplacer l'enfant qu'elle attendait par le mien, par le notre. Cette femme t'a rendu meilleur, et tu t'es senti pousser des ailes avec elle. Je sais que je ne peux prétendre à un amour immédiat de ta part, et si cela venait à arriver, ça serait un amour différent de celui que tu as connu avec elle. » Elle baissa la tête honteuse, essayant d'effacer les larmes qui coulaient sur ses joues. « Je sais que tu y as pensé le soir de notre nuit de noces, et je vis dans l'angoisse de n'être qu'une remplaçante, qu'une pâle copie. Et de ne pas réussir à trouver ma place dans ta vie, comme si même la place que j'avais eu auparavant n'existait plus véritablement. C'est tellement confus dans ma tête et dans mon cœur … » Soupira-t-elle. « J'ai besoin que tu me sers dans tes bras, j'ai besoin que tu me prennes parfois la main, j'ai besoin de voir dans ton regard que tu te sens bien à mes côtés, j'ai besoin que … » Elle se rapprocha alors venant à attirer Ronnel à elle, le poussant à la suivre alors qu'elle était en train de s'allonger avec, ses lèvres contre les siennes dans un mélange de désir et de désespoir à la fois. « Ce n'est pas simple pour moi non plus, car je dois trouver ma place en tant que femme dans une société d'hommes, en tant que Reine d'un époux qui va s'en aller en guerre, en tant qu'épouse d'un homme qui ne m'aimera peut-être jamais comme je suis prête à l'aimer, et en tant que futur mère d'un potentiel héritier à la couronne, que je vais devoir prendre en compte pour toute décision me concernant au cours des prochains mois. Je sais quel cataclysme cela serait pour toi comme pour moi, si je n'allais pas au bout de cette grossesse. Je ne le montre pas, mais tout ça me fait terriblement peur. »

- Nous sommes mariés. Je ne vois nulle indécence , glissais-je avec une fausse nonchalance à sa remarque taquine.

Nous aurions pu nous adonner à ce jeu bien plus longtemps, jusqu’à ce que nous cédions à quelques plaisirs charnels. Or, je m’y refuse pour le moment. Si nous ne sommes pas francs entre nous, notre entente ne se résumera qu’à un devoir conjugal dénué de complicité sincère et d’une prétendue entente aux yeux de nos sujets. Une telle union est dangereuse, laissant trop d’opportunités et d’ouvertures à ceux qui veulent semer discorde et désordre par opportunisme ou par oisiveté. Par une impulsion inattendue, j’ai décidé de remuer tous ces non-dits qui règnent entre nous depuis le début de ce mariage. Je ne souhaite pas avoir une épouse docile, silencieuse et obéissante, mais rongée de frustration, de colère ou de tristesse. J’ai besoin d’une partenaire, une personne qui saura me distribution autant de caresses, de bons conseils que de claques et de vérités crues lorsqu’il est nécessaire. Je veux un égal, et non une amie, une concurrente ou une simple alliée.

Je l’écoute, je la laisse prendre ma main ou frôler mes lèvres. Je ne la suis pas immédiatement, réfléchissant à la démarche à suivre. Je pourrais tout clore d’un baiser, mais cela reviendrait à remettre cette discussion à plus tard. Or, aurions-nous cet instant – et le temps, surtout ? Je finis par m’allonger à ses cotés, mais ne donnant pas trop vite suite à son désir, non pas par manque ou impuissance mais par crainte de m’emporter et de ne pas me contrôler. Malgré tout, je me retourne vers elle et plonge mon regard dans le sien, tout en me saisissant de sa main.

- Tu as toujours eu une vision plus positive du monde que moi, Ysi. Durant notre enfance, dans la défaite ou dans la victoire, tu ne retirais que les avantages ou les apprentissages précieux. Tu étais rarement boudeuse, ou mauvaise perdante. Aujourd’hui, face à cette capitulation, tu fais à nouveau preuve d’optimisme, voyant alliance, commerce et paix , reconnais-je, ne sachant si c’est une qualité ou un défaut. Les événements ont assombri ma vision du monde. Je ne pourrais pas te dire si c’est définitif, ou temporaire. Là, à cet instant, j’ai l’impression de voir les pièces d’un puzzle se constituer lentement mais sûrement. Toutes ces pertes, tous ces projets mis à mal nous ont conduit à cet instant-ci, où nos deux visions très opposées se complètent et s’équilibrent. Tu as déjà une  place précieuse mon monde. Nous nous inquiétons uniquement pour les êtres chers, au final.

Mon autre main se pose doucement sur le ventre de ma Reine. Je sais qu’il est trop tôt pour espérer entendre ou sentir quoi que ce soit, mais ce n’est pas le but. J’ai besoin de pleinement prendre conscience d’un réalité grandissante à portée de ma main.

- J’ai aimé Nymeria, je l’aime encore mais je ne l’aimerai plus dans le futur. C’est un amour d’un autre temps, celui d’un enfant qui s’efface et qui disparaît. Ce fantôme ne peut pas s’accrocher à l’adulte que je deviens, à cet homme que j’aspire être. Je vais avoir besoin d’une partenaire, je vais en vouloir une, sache le. Qui d’autre que toi, Ysi, peut prétendre à ce rôle ? Mais, il faut que tu te détaches aussi, de ce fantôme, Ysilia. A lui donner autant d’importance, tu vas empoisonner ta vie, voire nos vies , lui dis-je, tentant de lui faire comprendre tout ce qu’il se passe dans mon cœur et dans mon esprit.

L’amour a été profond, vif, violent, mais épuisant, ébranlant, terrible. Il m’a brisé en mille morceaux. Je me reconstruis, petit à petit, en me découpant, en m’écorchant, en me blessant. Le processus est long et douloureux mais il est enclenché. Tôt ou tard, Nymeria sera un passé révolu, auquel je n’y penserais plus que lorsque je serais vieux, à compter mes derniers souffles – ou lorsque je rendrais l’âme sur un champ de bataille. Entre temps, j’aspirerai à une complicité plus grande, sincère, intime et surtout durable.

- Je veux connaître notre enfant, ardemment, Ysilia. Qu’importe que j’ai un Prince Héritier ou une Princesse, je veux gâter des mille merveilles du Val, voire de Westeros, entendre ces rires résonner dans les couloirs des Eyrié, festoyer son anniversaire chaque année à grandes pompes, embrasser son front et ses joues jusqu’à qu’il ou elle se sente trop grande pour de telles attentions d’un père … Cet enfant ne sera jamais l’égal, l’inférieur ou le supérieur de celui que j’ai perdu et que je ne connaîtrais jamais. Aucun n’est remplaçable, aucun ne peut être oublié. Ne jamais avoir l’opportunité de connaître son enfant, voilà un sentiment terrible, Ysi. Un sentiment indélébile, qui marque ton âme au fer rouge. Je ne la souhaite à personne, incluant à mes propres ennemis. Cette douleur-ci ne disparaîtra jamais, ma Reine. Malheureusement, tu vas devoir t’accommoder de vivre avec , dis-je en toute sincérité.

J’ai été touché en tant que père, je n’ose pas imaginer ce qu’une mère peut ressentir.
Je ferme les yeux et inspire profondément. Je les rouvre, et fixe à nouveau mon épouse.

- Je ne crois pas aux règles pour une meilleure entente entre un époux et une épouse. Nous allons avoir nos hauts, nos bas, nos joies et nos disputes. Par contre, je crois à la sincérité. Nous devons nous souder, et non nous éloigner. Aussi dur soit le sujet, il faut échanger et non se taire. Ne te restreins pas avec moi pour protéger mes sentiments ou choyer mon orgueil. Quand nous sommes seuls, crie, exige, refuse si tu le souhaites. J’en ferais de même, je te répondrais, je te ferais comprendre si je peux ou je ne peux pas répondre à tes besoins, si j’ai moi-même des exigences et si tu acceptes d’y céder ou non. Trouvons nos compromis, proposais-je.

Je me colle davantage à elle, pose mon front sur le sien, attendant une réponse ou une réaction de sa part.

« Nous sommes mariés en effet, mais de ce point de vue là, nous sommes d'une certaine façon, encore des inconnus qui cherchent à s'apprivoiser ... » Et puis, ne disait-on pas que l'une fois que la femme venait à porter un enfant, le regard du mari sur elle venait à changer et que tout le reste disparaissait également. Même si les moments charnels avec son époux lui avait permis d'apprendre et d'apprécier de nouvelles choses, qu'une jeune fille de bonne famille comme elle, n'aurait jamais pu envisager un seul instant avant qu'elle ne vienne à affronter sa nuit de noces puis à retrouver son mari, soir après soir pour pouvoir concevoir cet héritier que tout un royaume attendait après l'échec de la dernière grossesse et de la disparition tragique de la jeune femme qui le portait. Vu la réaction qui avait été celle de son époux, la veille au soir, quand elle lui avait fait son annonce, elle se demandait si elle n'allait pas bientôt finir par être envoyée aux Eyrié, telle une condamnée, emprisonnée dans une cage dorée pour les neuf prochains mois. Bien qu'il était tout simplement impossible de deviner si elle allait mettre au monde un garçon ou une fille, bien qu'il lui avait certifié qu'il se moquait bien que ce soit l'un ou l'autre et qu'elle le croyait, elle n'en oubliait pas l'importance impérieuse de mener à bien cette grossesse jusqu'au bout, juste pour prouver qu'elle était assez forte pour faire une telle chose, pour être capable d'accomplir le devoir le plus essentiel d'une épouse. Pour autant, si elle était surprise par la remarque de son époux, elle ne pouvait qu'être heureuse qu'il puisse sous-entendre que le rapprochement physiquement n'était pas définitivement mis de côté jusqu'à temps qu'elle vienne à donner naissance à leur premier enfant. Déjà que l'ombre de la guerre venait à poser sur eux, et que d'autres choses venaient à perturber le jeune couple qu'ils essayaient de former. Ce qui se révélait être une tâche encore beaucoup plus difficile quand il y avait le poids d'une couronne à porter sur sa tête.

Et dans ce grand moment de doute qui était en train de la gagner alors qu'ils se parlaient pour la première fois à cœur ouvert depuis ce qui ressemblait à une éternité, elle avait besoin d'être en contact avec Ronnel, de le toucher, de lier ses doigts aux siens, de pouvoir essayer de sentir une véritable jonction entre les deux, comme il l'avait dit, au-delà de la simple obligation conjugale ou politique. Mais elle sentait bien qu'il y répondait avec un peu moins d'empressement qu'elle ne venait à lui réclamer. Et elle se sentit rougir à force que son désappointement n'avait de cesse d'augmenter. Heureusement qu'ils étaient seuls tous les deux. Il finit néamoins par lui donner sa main et elle la serra doucement, bien qu'elle aurait voulu s'y accrocher alors qu'elle avait l'impression d'avancer vers un dangereux équilibre entre eux deux. « Il faut bien que l'un de nous deux soit optimiste, non ? Ce n'est pas toujours évident, mais si on ne l'est pas un peu, on peut parfois passer à côté des choses qui pourraient nous amener du bonheur car on estime que c'est impossible ou alors que l'on n'en est pas digne. Nous ne pouvons pas nous permettre de tergiverser maintenant que tu as pris la décision d'allier le Val au reste de l'Empire, il faut au contraire profiter des avantages qu'ils peuvent nous amener au plus vite. Nous avons un royaume à relancer, et cela va représenter un défi énorme dans de nombreux domaines. » C'était peut-être naïf, mais elle refusait tout simplement de baisser les bras actuellement. Pas maintenant que la vie lui offrait le plus beau des cadeaux. Quant à la dernière phrase de Ronnel, il fallait bien avouer qu'elle ne s'y était pas attendue un seul instant et elle ne sut trouver les mots sur l'instant pour lui répondre, mais elle était sincèrement touchée.

Ysilia regarda la seconde main de son époux se poser sur son ventre encore plat et elle resta silencieuse, laissant à ce dernier le soin de dire tout ce qu'il avait en tête, tout ce qu'il avait sur son cœur, tout ce qui venait à peser pour lui. « Je ne veux nullement emprisonner ta vie, la mienne, ou celle que nous aurons dans le futur avec le souvenir de Nymeria. Je veux sincèrement croire que nous pouvons créer quelque chose qui ne ressemblera qu'à nous, qui sera notre histoire et qui sera notre famille à nous. » Envers et contre tous avait-elle envie d'ajouter d'ailleurs. « Je suis prête à vivre avec et c'est aussi pour ça que je me mets tant de pression avec chaque petit élément. Je peux être optimiste et souriante face à la vie, mais je me montre bien souvent intransigeante avec moi même. Je ne veux pas faillir face à cette tâche que tu as décidé de me confier, face à ses tâches, et même si je sais que c'est une question bien plus politique qui m'a amené jusque-là et à unir nos destins l'un à l'autre, je ne veux pas que ça se résume juste à ça. » Elle passa doucement ses bras autour du coup du jeune homme, restant front, contre front, elle resta silencieuse de longues minutes, profitant du calme extérieur pour pouvoir apaiser la tempête qui grondait en elle. « Les compromis viendront avec le temps que nous passerons ensemble, face aux moments de tranquillité, face aux morceaux de bonheur, face aux occasions de plaisir, face aux instants de doute, face aux heures sombres qui viendront à notre rencontre. Mais je veux partager tout ça avec toi avec sincérité. »

A cœur ouvert, nous nous parlons et nous nous disons mille et une vérités. Cet échange est unique, détonnant grandement avec nos interactions passées. Il n’est pas question de jeux enfantins et sans conséquence, ou d’un acte charnel emprunt davantage de respect que d’amour. Nous avons soif de complicité, nous avons besoin de soutien et nous voulons l’accomplir ensemble, mais nous sommes encore bien maladroits dans nos rôles respectifs – ou dans ces tâches qu’on tente d’accomplir. Nous avons bien du chemin à accomplir avant d’arriver à ce but que nous nous fixons aujourd’hui même, consciemment ou inconsciemment.

L’optimisme d’Ysilia me désarçonne encore mais je ne pipe pas un mot. Je comprends que cette vision est importante pour elle, surtout au vu de sa condition et des circonstances. Elle doit s’attacher à cet espoir d’un monde meilleur pour elle, pour son enfant, pour nous. Je n’ai pas le cœur à briser le tout avec la cruelle vérité. Quoi que je fasse dorénavant, quoi que je dise, quoi que je sacrifie, je ne serais ni plus, ni moins, qu’un félon à sa parole – l’alliance ratée avec Peyredragon et le Nord ou cette capitulation –, qu’un hérétique à sa Foi – le pèlerinage raté au sein du Val, le courroux du Grand Septon, la Loi sur la Tolérance – et surtout un gamin incapable de gérer son royaume, un clown en somme. Le seul avantage lorsque votre honneur et votre réputation prennent un coup terrible, vos héritiers ne peuvent qu’être meilleur. Jamais pire.

- Faisons au mieux pour l’avenir du Val, et surtout pour celui de nos enfants à venir, me contentais-je de dire. Ce vœu est bien la seule promesse que je peux énoncer en toute sincérité et qui va dans le sens d’Ysilia.

Le silence tombe, à nouveau. Je n’ai pas le cœur à le briser par quelques bêtises ou nouvelles philosophies.

- Merci, Ysilia, murmurais-je, sans la quitter des yeux.

Je repense à toutes ces paroles, je cherche des réponses dans son regard, je vois ces joues rougies. Alors, je la serre dans mes bras et je lui offre un regard mêlant autant reconnaissance que désir. Plus les secondes défilent, et plus une légèreté s’empare de mon cœur. Malgré moi, un sourire malicieux s’étire sur mes lèvres et un doigt se glisse sur sa joue droite.

- J’aimerai que tes joues soient écarlates pour une tout autre raison, soufflais-je avant de m’emparer de ses lèvres avec douceur.

Je ne me précipite pas dans cet échange, appréciant chaque instant. Ce baiser me plait davantage que les précédents. Il n’y a pas qu’un désir brut et simple, il y a plus. A cet instant-ci, je veux davantage que de lèvres tremblantes, qu’un corps chaud ou un regard plein d’incertitude. Je désire une femme rassurée, assurée et assumée, une partenaire en laquelle je pourrais m’appuyer de jour et de nuit et malgré les distances à venir. Malgré moi, une main se glisse sur une de ses fesses et s’en empare avec possessivité, pour la coller que davantage contre moi.

- As-tu toujours froid ?, lui demandais-je, rengaine ressortie de notre première nuit, ou son audace m’a poussé à certaines retranchements et brisés tabous et pudeurs.

Parler à cœur ouvert quand on était enfant, était une chose appréciable, on se confiait des secrets qui nous semblaient énormes et qui pourraient être impardonnables aux yeux des adultes ou bien indécents pour leurs esprits mais qui en réalité n'étaient que des broutilles de gosses qui faisaient d'agréables souvenirs quand on venait à grandir. Une fois adulte, on s'empêchait bien souvent d'aller au bout des choses, car il y avait le protocole, l'étiquette, la bienséance, des enjeux stratégiques et politiques qui se mêlaient à tout ça quand on faisait partie du haut du panier, et alors cela devenait tellement problématique, qu'on pouvait facilement vous condamner pour un pas de travers, pour un mot qui était mal interprété, pour un regard hostile, pour un sourire moqueur et on passait son temps à jouer à un jeu pour éviter de se faire démasquer, sans plus jamais véritablement être honnête. De son côté, son père lui avait conseillé d'utiliser son côté naïf pour en faire une force, qu'on ne vienne pas à la redouter et que finalement, elle prenne les gens par surprise et qu'elle révèle à certaines occasions celle qu'elle pouvait être. Ysilia avait estimé que son paternel était peut-être un peu trop optimiste sur ses capacités mais faisait en sorte de retenir la leçon malgré tout. Pour autant, elle n'osait plus s'exprimer franchement et librement, même avec Ronnel, avait qui elle s'était pourtant jurée de toujours être sincère avec ce dernier. Ils étaient cousins, mais ils étaient surtout amis depuis l'enfance et c'était un détail qui voulait dire beaucoup pour elle.

Cependant, depuis Ronnel était passé du statut d'ami à celui d'époux, et avec les événements pas si lointain que cela, ils s'étaient éloignés malgré tout, ils s'étaient éloignés malgré eux. Elle voulait que leur relation soit basée sur la sincérité et uniquement sur cette dernière, mais elle avait peur que ses mots, que ses gestes soient mal interprétés et que cela déclenche un nouveau mal être chez ce dernier et elle refusait tout simplement que le début de leur mariage ne vienne à être gâché d'une façon ou d'une autre. Mais quoi qu'il puisse se passer, elle ne viendrait jamais à le trahir, car elle gardait dans son cœur, un amour éternel pour ce petit garçon aux yeux rieurs qui partageaient ses jeux d'enfants. Et à l'époque, il semblait qu'ils étaient réellement les Rois du Monde. Ysilia hocha doucement la tête à ses paroles, les joues légèrement moins roses qu'auparavant, alors qu'elle reprenait un peu le contrôle de ses émotions qui l'avaient submergées. « Faisons au mieux pour le royaume, pour nos enfants quand nous les auront, et peut-être aussi un peu pour nous. Une fois que toute cette guerre sera derrière nous, je crois que nous l'aurons mérité également. » Elle lui fit un large sourire, en effet, elle était une jeune femme avec un certain optimisme. Elle pencha doucement la tête sur le côté, venant à froncer un peu les sourcils. « Pourquoi merci ? Je n'ai rien fait de particulier. » A part l'épouser peut-être, et encore, ce n'était pas elle qui avait été à l'origine de cette décision et sans doute, lui non plus. Pour autant, alors que le silence se faisait plus long, mais surtout bien plus apaisant, Ronnel se prêta à nouveau à un jeu auquel pour autant il avait renoncé quelques minutes auparavant. Elle dut se retenir de rire alors qu'il lui reposait la même question qu'au moment de leur nuit de noces. Elle finit par redresser un peu son visage, dessinant un sourire, qui n'était plus aussi penaud ou innocent qu'auparavant, sur ses lèvres et répondit alors avec une pointe de malice bien plus grande. « Je dirais que la situation est en train de se réchauffer ... » Murmura-t-elle du bout des lèvres. Une de ses mains remonta doucement dans ses cheveux, jouant avec ces derniers à la base de sa nuque, alors qu'elle se mit à jouer avec les vêtements du jeune souverain. « Mais je crois que je vais avoir besoin de toi malgré tout ... »

La mort de père à la Porte Sanglante, la régence, la déconfiture de l’alliance avec le Nord et Peyredragon, la mort de Nyméria, le retour de la régence, les faux pas sur le plan spirituel et cette récente capitulation ont mis considérablement à mal mon autorité sur mes propres terres. La moitié du Royaume scande encore le nom Arryn, pendant que l’autre moitié crache dessus. J’ai à être extrêmement prudent avec les premiers, pour ne pas perdre leur soutien. J’ai à user de la force, si nécessaire, pour que les seconds ne débordent pas – ou ne divaguent pas. Le Roi n’est plus écouté solennellement.

Au sein de ma propre Maison, les relations ont été bien tendues, impactées une à une par les affaires politiques. Par ma bêtise, la mission de Mère a tourné à la débâcle et elle est quelque part, surement pourchassée par nos ennemis. En raison du poids de la Couronne, un gouffre s’est creusé au fil des années avec mon propre frère au point ou il semble exprimer que rancœur et amertume à chaque échange. La Maison Royce est proche de la Maison Arryn mais l’alliance n’a pas été conclue par bonté de cœur, mais par intérêt. Lord Asher est un candidat quasi évident, si on exclut sa croyance pour les Anciens Dieux, au trône s’il arrivait malheur aux deux Arryn – ou que le Val veut se soulever contre ces derniers. Ysilia a, en prime, à gérer ce fantôme que je tente de chasser au quotidien – mais le temps sera plus efficace, assurément. Il y a trop d’éléments, à en avoir la migraine. Cet instant me plait car je peux enfin m’exprimer librement sans toutes ces bêtises du protocole ou cette retenue politique. J’en ai grand besoin, et cet échange me l’a rappelé qu’avec plus de force.

- J’ai ouïe dire que deux corps nus se réchauffent plus facilement, lorsque le temps est glacial au sommet des montagnes, répondis-je, faux ingénu.

J’apporte ma propre aide pour me dévêtir. Ensuite, je m’attelle à faire de même avec ma Reine. Je m’assure que nous ne quittons pas la protection de ces couvertures chaudes, et l’écoute attentivement pour m’assurer que le sol ne maltraite pas son corps. Je commence à le connaitre, mais je n’en suis pas encore un maitre ou expert. Il doit y avoir encore d’autres secrets cachés, invisible à l’œil nu et impossible à déterrer si elle ne les partage pas de quelques commentaires ou gémissements. J’ai bien un ami qui m’a conseillé quelques caresses ou gestes, mais je n’ose pas m’y atteler immédiatement ou précipitamment. J’ai toujours cette folle crainte de blesser ou faire mal, pris par quelques passions trop égoïstes. Et puis, je me souviens à nouveau de ses demandes de tout à l’heure. Alors, lorsque la lucidité gagne mon esprit, je remonte jusqu’à ses lèvres, je l’embrasse, et puis je lui offre quelques mots doux, yeux dans les yeux. Cette langueur dure autant que nous pouvons supporter respectivement, avant que l’impatience ne nous gagne, que mes gestes ne s’accélèrent à nouveau et que mes traits se tordent d’un soubresaut de plaisir. Rouge, suant, essoufflé, je ne la quitte pas immédiatement. J’attends que nous reprenions nos souffles respectifs, avant de reprendre encore. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai l’esprit tranquille pour quelques heures ou que j’ai pu pleinement dormir ou que cette discussion m’a été bénéfique, mais j’ai faim d’elle, de complicité et d’intimité. Ce n’est que lorsque mes muscles avouent défaites, que j’arrête d’harceler la brune, me couche à ses cotés et la rapproche pour ne pas briser ce contact. Je ne dis rien pendant longtemps. Je ne veux rien gâcher à cet instant. Nous parlerons de la suite plus tard, lorsque la magie de cet instant se brisera.

***

Le jour décline petit à petit. Je ne doute pas un seul instant que mon oncle et la garde vont nous chercher Je soupire, frotte mon nez contre celui d’Ysilia.

- Nous devons y retourner, marmonnais-je, ton bougon et agacé. Malgré moi, je l’attire davantage contre moi, appréciant ces derniers instants. J’aurais bien aimé passer cette nuit ici mais je ne sais plus si nous avions prévenu qui que ce soit. Or, nous sommes des Souverains et, malgré ce titre, nous ne sommes pas si libres de nos gestes et de nos déplacements. Il y a tout un protocole ou des règles à respecter. Mon regard s’égare sur les provisions à peine touchées. Aussitôt, et malgré moi, je repense à un ventre un brin affamé. J’aurais aimé rester plus longtemps avec toi, plutot que partir …, soupirais-je. Je me tais presque aussitôt, ayant oublié que je ne lui avais rien dit encore de cette capitulation. Je ne pipe plus un mot, attendant la suite.

Qui aurait pu dire que le mariage finirait par prendre une telle tournure ? Tout n'était pas encore gagné, loin de là, il y aurait d'autres jours où l'orage serait bien plus proche de s'abattre sur eux, que le soleil en train de briller au plus haut dans le ciel car il y aurait toujours des problématiques qui les dépasseraient et les sentiments privés, les espoirs et les désillusions ne seraient pas toujours simples à aborder. Même s'ils s'étaient promis de travailler main dans la main et de tout se dire, dans une sincérité essentielle pour le maintien de leur couple à flot, elle doutait que parfois encore, il serait plus aisé pour l'un comme pour l'autre, de garder ses souffrances pour soi, pour ne pas blesser l'autre, ou tout simplement, parce que des fois, on était trop fatigué pour se laisser aller à la confidence et venir à s'ouvrir à l'autre, car le débat pouvait se révéler plus lourd encore. Mais pour le moment, elle avait l'impression qu'ils étaient tous les deux en train de reprendre les choses en main. Même si la capitulation datait seulement d'hier, et qu'il y avait encore de nombreux éléments à régler, entre eux, en tout cas, leur ancienne complicité reprenait place doucement mais sûrement, et il y avait ce petit quelque chose en plus qui était en train de se créer, car ils n'étaient plus juste des cousins, ils n'étaient plus juste des amis d'enfance qui jouaient à un nouveau jeu, ils étaient à présent des époux et plus encore, ils étaient devenus des amants et cela changeait beaucoup de choses. Pas juste le fait de rechercher le plaisir charnel ou le réconfort dans les bras de l'autre, mais cela venait à donner une autre dimension à leur histoire, et des enjeux différents aussi qui pouvaient être bénéfiques comme néfastes.

Mais à cet instant, ils semblaient qu'ils avaient tout simplement trouvé un compromis qui leur permettrait d'avancer ensemble, main dans la main, même si ce n'était qu'une façon de penser puisqu'ils allaient bien vite se retrouver éloigner l'un de l'autre. Alors, laissant les mots s'envoler bien haut, emportés par le vent qui balayait doucement la montagne, elle préféra garder le silence pendant qu'ils se redécouvraient à nouveau à cet instant. Ses mains se faisaient plus agiles et plus confiantes qu'auparavant pour pouvoir dénouer les vêtements de son époux, avant de découvrir cette peau qu'elle appréciait aujourd'hui d'une façon bien différente, mais bien plus puissante également. Elle se perdit en regard, en baiser et en caresse, alors que Ronnel se faisait plus tendre avec elle, et bientôt elle ferma les yeux pour ne profiter que de l'instant présent, où le chant des oiseaux qui se faisait entendre, accompagnait les gémissements d'une jeune épouse comblée. Et une larme coula sur sa joue, une larme de plaisir pur, de bonheur absolu alors qu'il prit le soin de lui dire quelques mots tendres puis de l'embrasser, comme si à cet instant bien précis, il n'y avait finalement plus qu'elle qui comptait dans ce monde. Elle fut vaincue par deux fois de la plus belle des façons et elle laissa son esprit vagabonder tout en se serrant contre son époux, presque prête à s'endormir sur place, dans les bras de son homme.

Gardant les yeux clos, elle avait laissé le calme s'insinuer tout autour d'elle, alors que son visage était toujours posé sur la poitrine de Ronnel, écoutant avec tendresse le son délicieux des battements de son cœur. Elle eut un petit rire alors qu'il frottait son nez au sien, et avec une certaine tristesse, elle s'accorda d'ouvrir à nouveau les yeux pour l'observer. « Et si je dis non … Tu fais quoi ... » Souffla-t-elle du bout des lèvres avec un brin de malice. Elle n'avait pas envie de retourner à la réalité, pas encore. Elle redressa un peu la tête, venant à caresser le visage de Ronnel avec douceur. « On peut rester passer la nuit ici, tel un couple perdu dans la nature, s’enivrant l'un de l'autre, jusqu'au bout de la nuit … Mais il paraît que nous sommes Roi et Reine ... » Elle baissa à nouveau la tête, venant à déposer un baiser dans le creux de son cou. « On n'a même pas discuté de la rencontre avec Torrhen Braenaryon ... » Mais avait-il seulement envie d'en parler pour le moment ?

- Si nous ne retournons pas à la Porte d’ici quelques heures, nous allons être débusqué par notre propre armée. Je me fiche que les hommes me voient nu comme un vers, mais je ne désire nullement qu’ils découvrent les secrets cachés de mon épouse, soufflais-je, déposant également un baiser sur son cou puis sur un mamelon à portée de mes lèvres. Cependant, rien ne nous empêche de nous enivrer une dernière fois ici, ou de nous y adonner jusqu’à que tu m’épuises dans notre lit, ajoutais-je. Nous sommes Rois et Reines, nous pouvons exiger la paix pour une nuit à notre garde.

Je me raidis, malgré moi, lorsque le nom du Vieux Loup glisse des lèvres d’Ysilia. La vision de l’homme barbu est tout sauf plaisant dans un tel contexte. Il y a de quoi refroidir toutes les ardeurs !

- Pour parler d’un autre homme alors que tu n’as rien sur toi, je vais exiger bien des attentions de ta part tout au long de la soirée, commentais-je, quoique le ton nerveux.

Je détourne mon regard, fixe le plafond et soupire profondément.

- Vrai. Nous avions à discuter de la capitulation, marmonnais-je.

Je retrouve une mémoire un tantinet mis à mal par quelques heures de sommeil réparateurs et ce face-à-face, devenu corps-à-corps, avec la Reine. Je ne réponds pas immédiatement, réfléchissant à bien des éléments.

- En plus de la signature de la Constitution Impériale, j’ai eu à faire des compromis supplémentaires. Cessions des terres. Les Trois Sœurs au Nord, les domaines de Lord Cirley et son voisin, à l’Empire, commençais-je, le ton plein d’amertume.

Je perds de fidèles vassaux par bêtise et incompétence de ma part et par traitrise et couardise de la part de l’Ouest. J’ai également vendu des terres sur lesquelles j’ai fait de grands investissements, comme l’agrandissement du port ou de la ville. Sortonne, pauvre ville jadis, est devenue enfin vivante, flamboyante et puissante … Le Nord en profitera. Quelle horreur ! Quelle misère ! Je ravale ma rage, ma frustration et ma colère au mieux.

- Jonos doit épouser une dame de Peyredragon. Mon oncle Smaug et ton petit frère Donnel doivent épouser des demoiselles de l’Empire et de l’Orage, annoncais-je. Donnel est encore jeune, je le sais, mais c’est peut être un avantage. Si nous lui trouvons une demoiselle de son âge et qu’ils grandissent ensemble, ils seront amis et époux. Il pourrait avoir un mariage heureux.

Je devine que cette nouvelle-ci va plaire que très peu à Ysilia. Elle aime ce frère plus que tout. Pour autant, je trouve qu’il y a bien pire demande. L’Empire aurait pu exiger l’annulation de mon propre mariage et placer une nouvelle reine sur le trône valois, insister pour la présence d’une intendance impériale gérant quasi tous les aspects de la politique interne ou demander des otages – les héritiers ou les filles de grandes maisons vassales à la Maison Arryn. Là, si les royaumes sont imposés, le choix des épouses est encore une possibilité.

- J’engage immédiatement toute mon armée et toute ma flotte pour abattre les Puissances Centrales, conclus-je. Nous avons à défaire nos vieux alliés avant qu’ils ne réussissent la prouesse d’abattre l’Empire. Dans le cas d’un tel scénario, le Val et la Montagne est définitivement condamné.

Je laisse passer quelques minutes pour qu’elle assimile ces informations.

- Dans quelques jours, nous allons nous rendre à Fort-Darion pour signer la Constitution. Puis, je vais rejoindre l’armée et défendre le Conflans des forces bieffoises qui m’ont aidé, jadis, et les forces ouestriennes qui ne sont qu’une bande de salauds, crachais-je, ne cachant plus rien de ma colère et haine à l’égard des lions.

Si cette campagne ne m’a fait ni chaud, ni froid, au moment de son annonce, je comprends subitement davantage toutes les implications. Je vais laisser une Reine, enceinte, au cœur d’un Royaume défait et qui pourrait être sujet à des troubles internes. Et, si par miracle, il n’y a pas de problèmes, elle va devoir affronter toutes les étapes de la grossesse et la pression de la cour bien seule. Je revis encore tous ces regards vrillés sur le ventre de Nymeria, toutes ces rumeurs sur la possibilité ou non d’un garçon ou d’une fille, ces recettes qu’on la force à manger pour assurer un héritier au Trône …

Enfin, cette guerre dure depuis deux ans. Quand vais-je entrer ? Est-ce que je vais, un jour, pouvoir tenir mon propre enfant dans mes bras ? Je cache toutes ces funestes pensées. Ce n’est ni le temps. Ni le moment.

- C’est acté, nous ne pouvons plus rien changer. Nous allons nous acquitter de ces conditions le plus rapidement. Aujourd’hui, le Val doit reconstruire son honneur et réinspirer la confiance. Mon nom et mon propre honneur ont été mis à mal, Ysi. Mais pas les tiens. Je compte sur toi, pour m’aider. A bien des reprises, toi et ton père seront les porte-paroles et les représentants de la Maison des Faucons. Il y a bien mon frère … mais il est jeune, encore. Et il doit se prouver pour être écouté par quiconque.

Je ne dis plus rien, attendant ses réactions.

- Tu dois me soutenir Ysi. Si tu ne le fais pas, personne ne le fera. J’ai besoin de toi plus que jamais.

Si cela n'avait concernée qu'elle, si elle n'avait pas été la nouvelle souveraine du Royaume du Val et de la Montagne, elle n'aurait pas manqué de supplier son époux de rester un peu plus longtemps ici, voir toute la nuit entière s'ils l'avaient pu. Car cela faisait clairement une éternité, qu'elle ne s'était pas sentie autant en raccord avec quelqu'un d'autre, sans que ce soit quelque chose de forcer. A cet instant, leur relation était à nouveau celle qu'elle avait eu la chance de connaître par le passé, avec un certain plus qui était bien loin d'être désagréable. Elle ne voulait pas qu'en retournant à la Porte Sanglante, au moment où ils seraient obligés d'endosser à nouveau leur rôle de souverains, la distance ne vienne à se creuser à nouveau entre eux. C'était une chose d'être éloignés physiquement, ce qui viendrait forcément à se produire puisque la guerre n'était pas terminée, mais cela en était une autre de voir deux âmes se séparer pour ne pas réussir à se retrouver ensuite. Elle frissonna et ferma les yeux quand il vint à poser ses lèvres sur sa poitrine. Elle poussa un soupir léger quand il s'éloigna à nouveau. « Ce genre de secrets n'appartienne qu'à toi mon cher et tendre époux, mais je n'ai nullement envie que tes hommes puissent te voir nu comme un ver, et encore moins les possibles femmes qui pourraient être sur le camp. Je ne désire pas te partager un seul instant ... » Finit-elle par dire tout en caressant doucement le torse de Ronnel du bout des doigts. « Je ne comptais pas te laisser m'échapper aussi vite … J'apprécie nos moments en tête à tête et je considère que cela me fait parti de mon droit d'épouse d'en profiter, jusqu'à ce que tu viennes à me repousser à bout de force. » Elle vint à lui sourire doucement, même si en quelques secondes ce dernier vint à s'évanouir alors que l'obligation du devoir venait à reprendre sa place.

Pour autant, à sa petite remarque sur le fait de parler d'un autre homme nu, elle ne put s'empêcher de rire légèrement, plongeant son regard dans le sien. « Il n'a nullement ton charme, sans parler du fait qu'il est bien trop vieux pour moi, et partager mon lit avec un homme qui a l'âge d'être mon père ne vienne nullement à attiser un quelconque feu de désir en moi … Mais si tu le demandes vraiment, je saurai me faire pardonner, je te le promets. » Elle hocha doucement la tête avant de venir glisser son visage dans la nuque de Ronnel, cherchant à se blottir un peu plus contre son corps alors qu'elle savait parfaitement que les prochaines minutes ne seraient clairement pas les plus agréables qu'ils avaient pu passer ensemble ces derniers temps. La perte des terres était une conséquence possible dans une telle situation, et l'annexion aurait sans doute pu être bien plus grande, mais cela ne servait à rien de prononcer de tels mots alors que ces derniers ne pourraient pas apaiser un peu les maux dont  souffraient son époux. Les Trois Soeurs avaient en plus une place toute particulière pour le souverain et elle savait l'investissement qui avait été le sien là-haut. Tout cela pour finir par bénéficier finalement au Nord. Et bien qu'elle avait été ennemi avec ce royaume, elle ne pouvait pleinement le détester, encore plus maintenant qu'ils se retrouvaient dans le même camp. Elle hocha la tête, pour faire comprendre qu'elle était toujours là à l'écouter. Les mariages étaient un moyen de sceller les nouvelles alliances, mais pour autant, elle cacha une grimace en entendant l'annonce d'une union entre Jonos et d'une peyredragonienne. Cela n'allait sans doute pas réussir à plaire à ce dernier.

Cependant, si elle se moquait d'une certaine façon de l'union prochaine de Jonos, et de Smaug, estimant qu'elle pourrait conseiller son époux là-dessus mais qu'elle n'avait pas son mot à dire, un long frisson vint à la parcourir quand il parla du destin de Donnel. Elle avait plusieurs années d'écart avec son jeune frère, et elle avait bien souvent joué le rôle de second mère pour ce dernier, plus que celui de sœur, elle sentit son cœur se fendre et elle dut se retenir pour ne pas verser quelques larmes à cette annonce. Il était si jeune … On ne pouvait pas déjà le condamner à une telle chose. Et c'est là qu'elle se rendit compte un peu plus de l'horreur de la situation. Maintenant qu'elle était Reine, les enfants qu'elle allait mettre au monde, deviendraient inévitablement des monnaies d'échange politique et elle se sentit prise d'un malaise soudain. Heureusement qu'elle n'était pas debout, sinon elle se serait sans doute effondrée juste devant lui. « J'espère sincèrement que c'est ce qu'il se passera pour lui, pour eux ... » Dit-elle d'une voix pleine d'émotion. Et cela ne s'arrangea pas alors qu'il lui parlait de s'engager directement avec son armée, lui en chef de fil. Elle se redressa alors, les larmes plein les yeux, prenant dans sa main, celle de son époux. « Je serai toujours là pour toi tu le sais ... » Elle prit sa main et la posa alors sur son ventre, souriant malgré les larmes qu'elle n'avait pas su retenir. « Nous t'attendrons à la maison, tous les deux … »

La pâleur soudaine d’Ysilia n’échappe pas à mon attention. L’exaspération se dispute à la pitié. J’ai oublié qu’elle n’a pas grandi au sein d’une maison royale et, donc, n’a pas été totalement résilié à un certain destin. Depuis ma plus tendre naissance, tout mon avenir marital a été tracé tant par mes parents, que par cet entourage étranger : mon épouse sera choisie pour la qualité de son lignage et l’alliance qu’elle apportera, ni plus, ni moins. On m’a vite appris que j’aurais à faire de même avec mes propres enfants. Jadis, cet usage me semblait étrange, mais rationnel. Aujourd’hui, ayant déjà perdu un enfant et une épouse, il m’agace. Quelque part, une part de moi s’éveille, désire partager la peine de la brunette et se rebeller contre ce destin. Mais je ne le peux pas ou, du moins, pour le moment. Si l’avenir est clément, si mes actions portent des fruits bénéfiques, si mon honneur et ma réputation sont rétablies, des changements peuvent être envisagés. Jusque-là, je suis obligé de me plier aux coutumes de mes ancêtres et de mes pairs.

- Nous avons été amis, avant d’être mari et femme. Pour le moment, ni toi, ni moi n’avons de réelles raisons de nous plaindre. Je sais que ce n’est pas parfait, mais ce n’est pas désastreux, non plus. Le respect est important, plus que tout autre sentiment, Ysi. L’amour, la sympathie, l’attachement… ils se construisent avec le temps, lui soufflais-je.

Je me répète, surement. Ses parents, ou ses amies, ont dû largement lui faire cette leçon. Je ne sais pas s’il est bon ton que je rajoute une couche. Cependant, entre le silence, la morale – la politique est ainsi, accepte comme je l’ai fait – et la répétition de quelques douces paroles, cette dernière option m’a semblé plus approprié au vu des circonstances – et aussi plus en ligne avec les émotions de l’instant.

- Oui, mais je vais faire au mieux pour arriver avant sa naissance. Je veux accueillir notre enfant au sein des Eyriés et non le contraire, lui soufflais-je, d’une voix qui se veut réconfortante.

J’en profite pour l’attirer vers moi, l’envelopper de mes bras, poser ma tête sur la sienne et profiter de l’inadvertance de mon épouse pour poser mon regard vers l’horizon. J’ai la terrible sensation d’avoir perdu bien plus que quelques terres et l’honneur, en capitulant. Et j’ai cette certitude qu’il ne me reste plus qu’une femme, cette vie qui grandit en elle et ces deux lynx. Tout le reste, comme les seigneurs, la Couronne, la flotte, la famille, sont changeants, friables et illusoires.

- Il faut donc réfléchir à un prénom.

J’enclenche un nouveau sujet, pour éloigner tous ces nuages noirs menaçants au-dessus de nos têtes. Les semaines ou les mois à venir seront bien chargés de mauvaises nouvelles. Je fuis, surement, mais je le désire pour un seul et unique jour. Après, au lendemain, je n’aurais plus d’autre choix que de toujours avancer, d’aller au-devant du danger et de tout donner. Jusqu’à ma vie. Mais je ne peux pas la gaspiller inconsciemment. Si l’enfant à naitre est une fille, elle pourrait aussi bien être traitée convenablement, que comme un chiffon politique. Cette idée m’insurge. Et si l’enfant à naitre est à un garçon, Ysilia est tout bonnement trop jeune pour assurer une régence, il en est de même avec mon propre frère et je ne sais pas encore si je peux confier un tel titre à Asher Royce – et malgré les titres que je lui ai octroyé de mes propres mains.

L’Héritage. Quel casse-tête.

Il était encore nécessaire pour les deux nouveaux époux, pour les deux nouveaux amants de trouver leur rythme au sein de leur couple qui leur avait été imposé à chacun. Dans les paroles de la jeune reine, il n'y avait aucune déclaration d'amour pur, et elle n'avait fait que répondre aux plaisanteries de Ronnel par d'autres mots tout aussi malicieux à son tour. Pour autant, il semblait que cela n'avait pas eu la même connotation ou la même signification une fois que le jeune homme avait entendu ses paroles. Il y avait une chose avec laquelle Ysilia était bien d'accord avec son ami, c'est que pour le moment, ni l'un ni l'autre n'avait à se plaindre de cette alliance qui aurait pu être bien plus désagréable. Petit à petit, elle le sentait sombrer dans des pensées plus sombres, elle aurait aimé savoir ce qui le tracassait, ou plutôt ce qui le tracassait le plus, il y avait tant de sujets qui pouvaient le faire se renfermer sur lui-même, qu'elle se demandait d'une certaine façon, quel était celui qui était le plus douloureux, et peut-être le plus dangereux pour l'histoire qu'ils allaient créer ensemble, que ce soit une histoire d'amitié, une simple histoire de devoir et de pouvoir, ou peut-être un jour, une histoire de tendresse et d'amour, même s'il n'était pas, et qu'il ne serait sans doute jamais aussi brillant et aussi absolu que ce qu'il avait pu connaître avec Nymeria. Tout cela était bien complexe, et pendant une fraction de seconde, elle se demanda si finalement, sa tâche la plus difficile ne serait pas son mariage, plutôt que la gestion d'un royaume, bien que son rôle serait sans doute au second plan, et qu'elle ne serait là que pour appuyer son époux. Devait-elle rester muette à cette nouvelle leçon de moral ? Devait-elle lui répondre ? Choisissant la deuxième possibilité, elle se retint de pousser un soupir, regardant à nouveau son époux dans les yeux.

« Il n'y avait dans mes paroles qu'une taquinerie en réponse à celles que tu as toi même prononcé … Ne crois pas que c'était un appel de ma part pour exprimer le désir que tu m'aimes en un claquement de doigts. Cela viendra ou non, j'en suis parfaitement consciente, et le respect, ainsi que ton amitié sont tout ce qui comptent à mes yeux. Par contre, tu auras intérêt à aimer cet enfant, sinon tu auras à faire à moi mon bon seigneur ! » Elle préféra finir sur une note plus joyeuse, plus taquine, en espérant qu'il n'en prenne pas ombrage, elle avait l'impression de marcher sur des œufs, et que quand elle pensait la partie un peu gagnée, elle était rappelée à l'ordre, ce n'était pas des plus agréables, mais elle finirait par trouver le bon compromis. Mais elle aussi, elle était tendue, elle était bouleversée également, et tout ce qui se passait, venait à jouer avec ces nerfs. Elle avait peur de vivre seule cette grossesse, dans ce grand château des Eyrié, où Jonos n'avait pas arrêté de lui faire un sombre portrait de celui-ci. Elle hocha la tête, sans pouvoir rien ajouter alors qu'il lui parlait de vouloir être là pour l'accouchement, pour pouvoir accueillir leur enfant. Elle espérait sincèrement que les Dieux l'entendent, que ce soit les Sept ou les Anciens. Le fait qu'il l'attire à lui, vint à apaiser un peu sa tristesse, elle blottit son visage dans le creux de sa nuque, et elle se mit à fermer les yeux. La question d'un prénom fut alors lancée, et elle eut un mince sourire aux lèvres entre les dernières larmes qui s'échappait. « J'imagine que si c'est un fils, tu désireras sans doute rendre hommage à ton père disparu, comme cela se fait souvent ... »