“ Asseyez-vous à ma droite Lin, asseyez-vous et faites moi le plaisir de me parler de Yi Ti et de vos voyages. Même moi qui suis savant je sais si peu de choses sur ce royaume. “

Lin hocha la tête avec obéissance avant de prendre place auprès du mestre. Ses paupières se fermèrent tandis que ses lèvres se déliairent, alors la jeune femme laissa les souvenirs lointains de l’outre orient la submerger. Un lieu si lointain de Westeros que le nombre d’hommes de l’ouest à l’avoir vu peut se compter sur deux mains. Il semblait à présent bien lointain pour la jeune dame aussi. Pourtant, les souvenirs de ce lieu restaient gravés dans la mémoire de Yin, des richesses gardées près de son cœur avec caution, les seules richesses que nul n’ai jamais pu lui voler.

“ J’ai ouvert les yeux au sein du palais impérial de l’empereur-dieu...”

Oui, Lin se souvenait. Elle se souvenait du palais impérial de sa tendre enfance, de ce lieu plus grand que toutes les villes où elle ait par la suite jamais posé ses pieds, de la lumière semblant toujours porter le reflet de l’or que l’on retrouvait à chaque tournant. Un lieu plus beau, plus immense que même le plus imaginatif des artistes de Westeros ne pourrait l’imaginer. Même si elle pouvait ne peindre ne serait-ce qu’une poussière de la beauté de l’empire, des palais qu’elle a connus comme des montagnes se perdant dans les nuages,  Lin doutait que la moindre personne la croit. Elle se souvenait de son père, de cet homme habillé d’une robe d’or et des perles vertes que seul l’empereur-dieu peut porter, habillé de la gloire et de la puissance qui incombe à l’homme régnant sur un peuple aussi immense que celui de l’empire unifié. Un homme au regard ferme et à la poigne plus dure encore. Qu’un tel homme soit son père avait toujours empli la jeune enfant d’une immense fierté. Elle était la fille de l’empereur et de sa concubine aimée tendrement.

Son éducation et la richesse de ses habits étaient presque semblables à ceux des enfants de l’impératrice, si proches même que cela en était contre les règles. Lin enfant, elle avait commencé les bases de son éducation. La poésie, la religion, les travaux d’aiguilles, les bases d’une éducation d’une femme bien faite.  La naissance de son frère cadet Jie avait fini par asseoir la puissance de leur statut. Ils étaient plus que de simples enfants de concubines et chaque cadeau de l’empereur-dieu venait le rappeler, à eux et à tous les autres résidents de la cour impériale. Pourtant, l’enfant qu’elle avait été ne s’était jamais montrée arrogante. Lin était au contraire une enfant tranquille et solitaire, trop douce aux yeux des membres de la cour impériale mais pas de sa mère. Mei-Zhang lui avait un jour offert une broche en forme de chrysanthème, comme un ordre de toujours suivre le caractère de la fleur. La seule fleur capable de survivre à travers les temps dures de l’hiver et sans la compagnie des autres plantes. Yin se souvenait surtout des espoirs de cette époque, des promesses de sa mère d’être bientôt enfants impériaux, voir son frère un jour régner et elle épouser l’un des hommes les plus puissants du royaume.

“ Leng reste dans ma mémoire accrochée à l’odeur étouffante des femmes.”

L’odeur des femmes et leurs toilettes, les huiles couvrants leurs cheveux comme la sueur perlant leurs front après les heures de danse, du sang coulant de leurs doigts et de leurs pieds. Lin se souvenait de cette île où il lui semblait avoir versé tant de larmes que le niveau de la mer les entourant s’était élevé. Elle avait passé les premiers mois à pleurer, pleurer le corps sans vie de sa mère qu’elle avait vu au loin se balancer, pleurer son frère disparu sans qu’elle ne sache où exactement, pleurer la vie qui avait été la sienne et pleurer ses lèvres… Par les manigances pourtant bien intentionnées de sa mère, ils avaient tout perdu. Mais de toutes les choses dont Lin s’était vu soudainement privé, sa liberté était celle qui lui manquerait le plus. Jadis fille de l’empereur-dieu, elle n’était à présent plus qu’une esclave.

Puis les larmes s’étaient séchées. La force du temps et la force surtout des coups de la maîtresse de maison de plaisirs avaient fini par les faire taire. L'entraînement ne lui avait plus laissé de temps à elle pour le deuil. Il n’y avait plus eu que le travail de l’art, la danse, le chant et la musique. Une vie de travail et de sacrifice tombé si soudainement sur l’enfant qu’elle était encore en entrant en ce lieu. Mais Lin avait résisté à travers ce dur temps d’hiver. Résister aux coups et aux blessures, résister à la concurrence des autres filles. Un milieu à la concurrence parfois rude entre les filles cherchant chacune à finir la meilleure, Lin avait choisi la discrétion de ne jamais se montrer trop talentueuse et de ne pas se mêler aux conflits. Simplement survivre. Comme le chrysanthème. Alors Lin avait survécu, elle avait vu des filles autour d’elle abandonner, être jetées dehors dans la rue  mais elle avait survécu et grandit, jamais la meilleure mais assez bien classée pour être achetée par un homme d’une bonne famille. La jeune femme avait même fini par accepter avec le coeur paisible la vie qui serait la sienne, espérant simplement que son maitre soit doux avec elle et la maison confortable; Mais ensuite… Ensuite...

“ Et ensuite? Ne vous arrêtez pas maintenant enfin, vos récits m'intéressent."

Lin secoua la tête et baissa les yeux.

“ Une prochaine fois mestre…”

Alors Lin salua l’homme avant de se retirer. Elle garderait pour elle les souvenirs de ce qui s'était ensuite déroulé et de la vie qui avait été la sienne après avoir été achetée par cet homme étranger. Elle avait cru les premiers jours partir vivre à Westeros, y être là bas l’artiste d’un grand marchand faisant sa fierté par des danses inconnues à ces sauvages de l’ouest mais elle ne fut finalement qu’amenée jusqu’aux côtes ouest d’Essos, ne traversant jamais l’océan entre les deux continents. Elle n'entreprendrai ce voyage avant bien des années.

Les années de sévices subis par ce monstre et par les commerçants traitant en soin comptoire avaient laissé de nombreuses et profondes cicatrices, tant sur son corps que sur son esprit. Il avait, avec le tempérament des enfants cruels, arraché toutes les pétales de la chrysanthème. Pourtant Lin avait tenu bon. Même dans les moments les plus cruels où la mort lui aurait semblé une douce délivrance, Lin avait tenu bon, ne lui cédant même pas une larme. Un espoir profond, un espoir lui semblant parfois terrible à la forcer à vivre dans de telles conditions mais toujours l’espoir. Elle était née fille de l’empereur-dieu de Yi-ti et ne comptait pas mourir ainsi, dans des conditions aussi terribles que déshonorantes. Elle tenta plusieurs fois aux cours des deux premières années de s'enfuir, quitter cet horrible comptoir de commerce qui était sa prison et se cacher dans un bateau mais chaque fois elle échoua, rattrapée par cette homme à l’influence trop large. Chaque fois la punition était plus sévère. L’envie de s’enfuir prit fin. Ainsi, Lin survécut aux sévices des hommes et leurs mains sales sur son corps, à leurs mauvais traitements, à la solitude, elle survécut son fils, enfant perdu en couche.

La survie ne fut qu’à peine plus simple au sein de la maison de plaisir de Lys. Il faut croire qu’elle n’était plus assez fraîche au goût de son premier propriétaire et encore assez au goût des hommes fréquentant les bordels. Assez exotique au moins. Les passages des hommes n’étaient pas moins nombreux, pas vraiment plus agréables sur le moment. Mais au moins, la dame de la maison prenait plus attention à ce que la marchandise ne soit pas encouragée que son dernier maître. La nourriture était meilleure aussi. Alors malgré la tristesse des jours de solitude et le deuil surtout de sa fille qui ne vivra que quelques jours. Elle survécut. Puis le printemps arriva.

Lin n’y avait pas initialement cru. Se tenant à la proue du bateau, elle avait observé à l’horizon se dessiner la figure de Westeros. Une terre ayant tout d’étrangé pour cette dame née à l’autre bout du monde. Elle n’avait ressenti ni joie ni hâte à l’idée de quitter son ancien maître, après tout, il lui semblait que tous les hommes étaient les mêmes et que quelque soit le lieu elle subirait leurs sévices.

Cependant, c’est une dame qui l'accueillera à Lancehélion, une dame portant deux immenses cadeaux dans ses bras. Le premier est la liberté. Le second est un véritable travail auprès de la dame en tant qu'interprète des accords commerciaux menés par Arianne Martell. Cependant, il fut bien vite clair que les capacités de Lin en Haut Valyrien et dans la langue commune de Westeros devait être travaillé auprès d’un Mestre. Si la vie dans un lieu aussi différent que ceux qu’elle avait connu et le travail de l’esprit poussé étaient deux choses bien nouvelles pour la dame d’Essos, cependant ce fut de sa vie le changement qu’elle accueillit avec le plus d’enthousiasme. Et quand celle qui était plus son amie que sa maîtresse fut prise en otage par le roi Yeren Hoare, Lin accepta sans problème de rester étudier en attendant son retour. En attendant le printemps.

Elle si étrangère au coutume de ce continent se retrouva soudainement perdue au milieu d’une guerre qui n’était pas la sienne. De Lancehélion, elle observa la défaite de Dorne face aux attaques du Bief, l’arrivée des confédérations du grand septon dans la ville, les différentes révoltes internes… Elle native de Yin Ti peinait à comprendre que de tels conflits puissent ruiner de si petits états, minuscules face à l’empire unique qu’elle avait jadis connue. Lin ne se sentait pas d’intérêt particulier pour le conflit de ces hommes si différents d’elles. Trop de guerre dans ce bas-monde pour qu’elle se soucie de ceux ne l’atteignant pas. Il n’y avait que l’influence du Bief et du septon à Dorne qui finissait par l’emmerder. Les dorniens étaient assez acceptant de sa différence mais ce n’était pas le cas de tous. Alors Lin accepta, le printemps serait bientôt là. Un printemps qui finit par arriver sous forme d’une lettre. Arianne Martell était de retour et Lin comptait travailler à ses côtés.