Sharra avait quitté la salle du Conseil du Faucon avec autant de grâce, de prestance et toujours ce même port altier que tout le monde lui connaissait. La reine du Val avait toujours su donner le change quand les choses n'allaient pas et même si elle ne maîtrisait pas la situation, elle avait fait en sorte de toujours prouver le contraire aux différents observateurs qui pouvaient être présents. Heureusement, aujourd'hui, pour elle, il n'y avait eu que les quelques hommes triés sur le volet et qui étaient les plus proches conseillers du jeune souverain pour voir l'ampleur de la chose. Alors que Ronnel se morfondait depuis plusieurs mois déjà après la mort de son épouse, qu'il en manquait pas de prendre des opiacés pour pouvoir atténuer son chagrin, voilà qu'il avait refait surface dans un grand fracas au sein du Conseil du Faucon. Si cela ne pouvait que ravir sa mère qu'il décide enfin de sortir de sa chambre et également de son désespoir qui semblait l'avoir englouti corps et âme, elle avait très rapidement déchanté en entendant ses paroles. Sharra avait dû gérer les affaires de l'état pendant son absence, elle avait dû régler un coup d'état contre la maison Arryn par les croisés de lord Rougefort qui ne comprenait pas que la couronne puisse ne pas répondre aux attentes du Grand Septon pour aller lutter contre les hérétiques, d'abord dans le royaume, puis en allant attaquer les royaumes voisins, comme le Nord. Le Val qui prônait les Sept partout avec quelques rares exceptions concernant les Anciens Dieux qui trouvaient encore des partisans, ne se voyant pas déclarer une guerre ouverte à l'Empire qui jouxtait les frontières terrestres et maritimes du royaume. Et elle devait également composer entre les partisans d'un rapprochement avec l'Empire, ceux qui au contraire préféraient les puissances centrales et enfin les partisans de la neutralité. Il y avait autant de forces dans chaque faction et il serait dans tous les cas improbables de contenter tout le monde.

Sans parler de Mereth Baelish qui avait parlé ouvertement devant elle d'intentions plus favorables pour la principauté de Dorne que le royaume du Val et qui en tant que Grand Argentier, lui avait fait des propositions qui allaient sans aucun doute conduire le Val à la ruine. Et alors qu'elle était en train de faire comprendre à lord Baelish qu'elle le remerciait pour ses services, Ronnel était là-dessus rentré, faisant son grand seigneur sans prendre en compte les tenants et les aboutissants, n'ayant aucune idée de ce qui avait pu se passer avant puisqu'il refusait de converser avec sa mère et avait donc pris la décision de partir faire un grand pèlerinage dans tout le Val, en compagnie de ce Baelish qui avait été nommé nouveau maître des lois, Sharra avait manqué de s'étouffer, et n'avait plus dit un moment de tout le Conseil du Faucon. Préférant bouillir de colère de son côté, elle s'était à peine inclinée devant son fils avant de sortir de la pièce, n'avait pas accordé un mot à Adrian Froideseaux, le Connétable des Armées du Val, ni même à son frère et aussi capitaine de la garde royale, lord Smaug Corbray, qui connaissait sa sœur sur le bout des doigts et avait compris son agacement. Elle s'était enfermée dans ses appartements et elle avait refusé de voir quiconque venait à se présenter à sa porte. Sharra avait donc passé la nuit à ruminer sa colère et à tenter comme elle le pouvait de ravaler celle-ci mais elle devait bien avouer que cela ne s'était pas fait et qu'elle n'était toujours pas calmée au matin. Elle avait donc demandé à ce qu'on la prépare avec la plus grande prestance qui pouvait être, Sharra savait également être redoutable quand elle le désirait, et si elle aimait profondément son fils et son roi, il était hors de question qu'il vienne à la traiter avec autant de suffisance après tout ce qu'elle avait pu sacrifier pour lui. Elle avait remis à mal des accords et avait perdu l'homme qu'elle aimait pour qu'il puisse garder la couronne sur sa tête et voilà tout ce qu'elle récoltait comme remerciement. Elle avait quitté ses appartements, Smaug sur ses talons. « Sharra, ne fais pas de bêtises ... » Lui avait-il murmuré à l'oreille. Un simple regard de sa sœur pour le réduire au silence alors qu'elle rejoignait les appartements de son fils, se faisant annoncer avant d'être autorisée à pénétrer dans les lieux. Elle s'inclina doucement avant de fixer son fils droit dans les yeux. « Votre Majesté, je vous remercie de m'accorder une audience … Vu que le fils ne semble pas vouloir parler avec sa mère, voilà que l'humble sujet de votre royaume que je suis, est heureuse de pouvoir converser avec mon souverain ... » Sa voix était pleine d'amertume à son égard.

La colère était ce qui faisait vibrer tout son corps à cet instant, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir cette émotion, même si elle avait tout fait pour pouvoir la repousser aussi loin que possible. Mais il était indéniable, Sharra avait donné vie à son fils, elle avait sacrifié sa propre vie, ses propres valeurs parfois pour pouvoir défendre corps et âme la charge du pouvoir royal pour son époux, puis pour son fils ; elle s'était retrouvée démunie face à la disparition tragique et inattendue de sa belle-fille, et face à un fils qui ne semblait plus avoir la force de vivre. Elle avait tout fait au cour des derniers mois pour pouvoir rassurer les nobles, alors que le fils de Rougefort, qui avait péri contre les montagnards, décidait de suivre les bonnes paroles du Grand Septon, et de se lancer dans une croisade contre les hérétiques du royaume. La guerre civile avait été évité de justesse et pour cela, Sharra avait été obligé de pendre le jeune lord Rougeford en haut des remparts de la forteresse, ainsi que d'autres hommes qui avaient répondu à son appel. Ronnel n'avait rien eu à gérer pendant toute cette crise, elle avait fait en sorte de le préserver au maximum, alors qu'elle revenait tout juste de son voyage dans l'Ouest pour pouvoir rendre aux Lannister, le corps de leur défunte fille. Si Sharra n'était pas née reine, elle l'était devenue, dans tous les sens du terme, dans tous ce qu'il y a de compliquer à assumer vis-à-vis de cette tâche qui était la sienne et elle n'avait jamais failli, elle n'avait jamais montré une quelconque faiblesse, et même si elle avait connu des revers politiques, elle avait fait en sorte de rétablir la situation aux mieux de ces possibilités. Elle ne pouvait se permettre de s'effondrer, comme Ronnel l'avait fait, et de tout abandonner parce que la souffrance et les larmes semblaient plus fortes que tout le reste.

Son fils était un jeune roi, il n'avait guère d'expérience dans ce domaine, et il se devait de se ressaisir. Elle avait espéré pendant des jours, puis des semaines, qui s'étaient finalement transformées en plusieurs mois, pour qu'il reprenne conscience de la fonction qui était la sienne, mais pas aux détriments de sa mère. Comme s'il la répudiait tout simplement, après tout ce qu'elle avait fait pour lui. Cette ingratitude la rendait folle, et si elle savait qu'elle ne mettrait pas à mal le nom des Arryn et la stabilité du roi sur le royaume du Val en prenant la décision de quitter au plus vite les Eyrié pour pouvoir rejoindre au plus vite les terres de la maison Corbray dont elle était l'héritière, tant que son frère ne prenait pas épouse et ne viendrait pas lui-même à avoir un fils. Cela ne la dérangeait pas qu'il soit venu à la réunion, mais il avait mis à mal sa parole, sans prendre le temps de la consulter avant. Elle l'avait invité à venir, mais elle n'avait trouvé que porte close quand elle lui avait annoncé, et il ne lui avait jamais répondu sur sa participation ou non. Et elle avait été rabrouée comme si elle était novice et qu'elle ne comprenait rien des enjeux politiques qui se jouaient dans le Val. Alors elle était venue s'expliquer avec son fils, lui expliquer sa façon de penser et qu'elle n'avait pas à être traitée ainsi comme un simple laquet, et ensuite elle claquerait la porte de sa chambre. S'il venait à mener son royaume à la ruine, elle ne serait pas responsable de ses échecs.

Elle s'était inclinée, avant de se redresser, droite et sèche comme jamais elle ne l'avait été avec son fils. « Chère mère ? Voilà bien trop de considération après l'attitude que vous avez eu envers moi pendant cette séance du Conseil. Vous voulez parler du royaume, il fallait en parler il y a trois semaines, quand je vous ai annoncé que je réunissais le Conseil et que je désirai votre présence. Là, nous aurions pu parler ensemble du royaume, j'aurai pu vous dire les choses dont vous n'avez pas eu connaissance, ni conscience, mais vous avez préféré en écouter d'autres sans avoir toutes les cartes en main. Vos décisions sont les vôtres et je ne reviendrai pas là-dessus, puis qu’après tout, vous m'avez bien fait comprendre que je n'avais plus votre soutien, et que vous pouviez vous dispensez de moi après des mois à errer comme une loque dans vos appartements. J'ai tout supporté pour vous, depuis la douleur de votre naissance, jusqu'à votre chagrin sans fond après la disparition de Nymeria. Mais que vous m'insultiez comme vous venez de le faire, devant l'ensemble du conseil royal, alors ça je ne l'accepterai pas. »

Il n'était pas chose aisée de devenir reine, il l'était sans doute encore moins de le rester durablement. Le destin de Sharra Corbray aurait pu être tout autre. Le mestre qui était là pour soigner la maladie incurable de sa propre mère, avait profité de la jeune fille qu'elle était et elle avait été longtemps abusé, le soir venu, dans le secret de ses appartements. Son frère avait fini par découvrir les violences que subissaient sa sœur aînée et avait immédiatement averti son père des agissements plus que répugnants du mestre. Mais le mal était malheureusement déjà fait, et si, par chance, il n'y avait pas eu de bâtard issu de cette relation, Sharra y avait veillé jour après jour pour que cela n'arrive jamais. Mais elle était souillée, son honneur bafoué, sa famille compromise par quelque chose qu'elle n'avait jamais désiré. Pour autant, Jehan, bien qu'au courant de ce qu'elle avait traversé, avait accepté de l'épouser, il lui avait été impossible de résister aux charmes de la jeune femme et alors ils avaient su former un couple fort, avant que tout ne se délite petit à petit. Le décès de son mari n'était pas un soulagement, mais cependant, cela lui avait permis de s'accomplir en tant que souveraine, alors que son fils était encore trop jeune pour pouvoir régner seul. Elle avait tout donné pour pouvoir faire de Ronnel un homme, de faire de lui un bon seigneur, et encore plus de faire de lui un bon roi. Elle en avait sans doute oublié un peu son second fils, Jonos, pour pouvoir s'assurer que l'aîné serait l'avenir radieux du Val comme elle l'avait longtemps imaginé. Le mariage avec Nymeria devait être l'accomplissement d'un projet important, celui de lier l'Ouest et le Val, tout en rendant son fils heureux de pouvoir avoir à ses côtés, une femme qu'il aimait. Cela devait être une force pour Ronnel et au final, cela ne s'était révélé que comme la pire des faiblesses. Si bien sûr, il n'avait pas été un jour envisagé que Nymeria ne vienne à perdre la vie aussi soudainement que cela s'était produit. Mais si cela était arrivé à une autre personne que la jeune femme dont son fils était épris, il ne se serait pas perdu pendant plusieurs lunes dans le plus profond des désespoirs. Et aujourd'hui, elle venait à douter elle-même de la possibilité de voir son fils gouverner le Val correctement.

Si elle ne pouvait se résoudre à trahir, ni même à abandonner complètement son fils, il n'en restait pas moins qu'aujourd'hui il avait fait une erreur auprès d'elle, et qu'elle n'oubliait jamais les offenses qu'on pouvait lui faire. Il était souvent bien plus confortable pour la personne d'avoir Sharra Arryn de son côté, plutôt qu'opposer à lui. Elle continuait de plisser les yeux, un air courroucé dans le regard, dans l'attitude, elle était sur la défensive et prête à mordre à la moindre nouvelle erreur de langage de son fils à son encontre. « Mais si votre décision est mauvaise, si votre conseiller est déloyal, tout cela vous sera reproché votre Majesté. On dit que l'on apprend de nos erreurs, mais vous êtes roi, par votre père, et un roi n'a pas le droit à l'erreur. Le royaume est divisé entre ceux qui sont pour l'indépendance, et ceux qui veulent que nous rentrions en guerre, entre les partisans de l'Empire et ceux qui veulent que nous prenions parti pour les puissances centrales. Nous avons évité de justesse que les choses dérapent quand le fils Rougefort a voulu suivre les paroles du Grand Septon contre les hérétiques. L'erreur ne nous ait pas permise, car sinon, ce sera notre tête qu'ils nous couperont ! » La situation était bien trop complexe à ce jour pour qu'il prenne ça à la légère. Pour autant, il ne semblait pas prendre la mesure de tout ce qui était en jeu à cet instant.

Sharra le regarda avancer dans sa direction, il aurait été trop simple qu'elle lui tende les mains à ce moment précis, il aurait été alors en position de force face à elle et elle devait jouer l'art subtil du corps, pour montrer sa désapprobation sans pour autant se montrer pleinement offensante. Lui tourner le dos aurait été une faute grave, alors ce n'est pas ce qu'elle fit, préférant croiser les bras et se mettant à soupirer. « Je ne sais si vous aurez le temps de vous faire votre propre idée du royaume avant que l'on ne décide à nous renverser … D'autres que nous peuvent prétendre au trône du Val … Quant à m'offrir une existence paisible, puis-je savoir où voulez-vous m'envoyer votre Majesté ? Dois-je faire mes valises et retourner sur les terres de mes ancêtres, attendant des visites de mes fils et passant mes journées à broder comme ces nobles dames de la Cour ? Voilà donc ce que je mérite après tout ce que j'ai donné pour le Val et pour les Arryn ?! »

Et bien voilà que Ronnel avait pour la première fois depuis longtemps des paroles à peu près censées, celles d'un roi, un rôle qu'il n'avait jamais véritablement endossé. La régence s'était terminée plus ou moins au moment du mariage du jeune homme et il n'avait pas longtemps tenu la couronne sur sa tête, jusqu'au moment où sa femme avait disparu de façon tragique et inattendu. Pour autant, la Reine-Mère ne pouvait avoir que des inquiétudes à propos de cette idée qu'il pouvait avoir de ne pas prendre garde à sa propre sécurité. Voulait-il donc rejoindre son épouse dans la mort ? Montrer que la mort ne pouvait pas l'effrayer et que si cela venait à se faire, s'était la volonté des Sept et qu'on ne pouvait aller contre cette dernière. Il n'était pas question de l'enfermer à double tour aux Eyrié et de continuer à le protéger de tout et de tout le monde jusqu'à la nuit des temps, mais on pouvait peut-être éviter de s'abandonner totalement au destin et sans un minimum de protection. Il ne servait à rien de polémiquer sur le sujet, Ronnel avait décidé et bien tant mieux, il assumerait cette tâche, ce voyage ou pèlerinage, quelque soit le nom qu'il avait envie de lui donner, à lui de prendre les dispositions en cas de problème. Pour ce qui était de Jonos, l'idée de son second fils lui vrillait quelque peu le cœur et l'âme. Elle savait qu'elle n'avait pas été à la hauteur en tant que mère pour lui. Il était encore jeune quand son père était décédé, et même avant cela, Jehan ne s'impliquait pas autant que cela dans l'éducation de leurs deux fils et elle avait fait au mieux pour pouvoir aider Ronnel à devenir le futur roi du Val. Jonos avait été sacrifié sur l'autel de la politique et du royaume, elle s'en voulait bien évidemment, mais il n'avait pas été possible de faire totalement autrement. Mais elle ne doutait pas que le garçon avait des qualités mais aussi des défauts. Il ressemblait tellement à Jehan, cela en était perturbant et elle avait même peur de ce que cela pouvait donner, de ce que cela pouvait faire. Il avait de l'ambition et elle ne savait pas jusqu'à quel point il avait le désir d'aller. Elle avait eu le désir de se rapprocher de Jonos après le mariage de Ronnel, il y avait après tout une autre femme pour s'occuper de son fils. Mais la mort de Nymeria l'avait poussé à reprendre la gestion du royaume et cela l'avait éloigné à nouveau de son second né. « Vous êtes en train de dire que je vous manipule, comme d'autres membres de votre conseil ? Concernant votre frère, il est de fait votre héritier, tant que vous ne serez pas remarier, tant que vous n'aurez pas de fils, il sera votre héritier et je ne doute pas un instant qu'il est prêt à assumer ce rôle. »

Pour autant, elle ne s'attendait pas au coup d'après. Sharra porta une main à son cœur, profondément choquée par les paroles de son fils. Elle ouvit la bouche puis elle la referma, prenant un grand silence alors pour pouvoir calmer ses nerfs. Elle fit quelques pas dans la chambre, tournant tout simplement le dos à son royal fils. La blessure était grande, mais la colère l'était encore plus. Ce n'était même plus de la colère, mais une rage profonde qui ne semblait pas être possible de s'arrêter sur l'instant. Elle avait la gorge plus que serrée, et si elle n'était pas réputée pour être un roc, elle aurait sans doute pleuré sur l'instant de l'outrage qu'il venait de lui faire. « Alors voilà … Après tout ce que j'ai donné au Royaume, à votre Père et à vous … Vous me congédiez loin des Eyrié pour mon bonheur ? » Elle se retourna et le fusilla du regard. « Que savez-vous de ce que peut être mon bonheur ?! Mon bonheur se résume à mes enfants, j'ai donné ma vie pour vous et vous, vous venez à me piétiner sans aucune douceur. Vous voulez ma bénédiction ? Vous n'en avez pas besoin, vous êtes le Roi et vous venez parfaitement de me le faire comprendre. Je vous annonce donc que je quitterai les Eyrié à votre retour de voyage, puisque vous n'avez plus besoin de moi ici à vos côtés. » Sharra n'avait jamais été autant furieuse de toute sa vie, même quand son époux venait à lui mettre ses maîtresses sous son nez, même quand elle avait été violenté dans les nuits noires dans la demeure des Corbray. Elle s'était soignée avec l'amour de ses enfants, elle avait guéri en étant une mère, et finalement Jonos était plus respectueux envers elle que ne l'était Ronnel. Il était injuste avec elle et il venait de lui briser le cœur. « Votre Majesté a-t-elle encore des choses à me dire ou puis-je me retirer dans mes appartements pour prendre les premières dispositions pour mon départ prochain ? »

Ronnel Arryn

Ronnel Arryn est encore très marqué par la mort de son épouse la jeune reine Nymeria, née Lannister. Malgré tout, il a su commencer à se reprendre allant jusqu’à participer au dernier conseil du Faucon. Depuis son début de retour sur la scène politique du royaume, il est parfois en désaccord avec sa mère qui a tenu les rênes du pouvoir pendant sa convalescence. Le jeune roi a décidé après le conseil de faire un pèlerinage dans le Val et cela inquiète beaucoup sa mère qui sait très bien que par endroit, les valois ne sont pas si prompte à reconnaître l’autorité des Arryn.

Je devais admettre que la situation dérapait d’une façon que je n’avais pas imaginé. Je me rendais compte, honteusement, que cette retraite que je m’étais imposé m’avait rendu impotent dans des domaines essentiels à la gestion et à la gouvernance d’un Royaume. Au Conseil du Faucon, j’avais vu les regards surpris ou critiques ou brillants d’intérêt des uns et des autres mais, dès que j’avais parlé, la lueur s’était éteinte. Et, ici-même, je faisais fasse à un regard maternel que je n’avais jamais vu, qui me toucha bien plus que je ne le pensais.

A quel instant est-ce que cet étrange et terrible fossé s’était-il creusé entre les « gens » et moi ?  J’essayais de remonter le fil de la conversation, puis de la journée et enfin des dernières années. Tour à tour, je me rappelais des personnes essentielles de mon existence : Mère, Père, Jono, ma défunte épouse, des amis et même cette prostituée qui avait tenté de rendre cette expérience aussi douce et délicieuse que possible – mais en vain, en réalité. Puis, je repensais à aujourd’hui : où était donc passé toutes ces personnes ? La seule qui était restée s’éloignait à cet instant même, me promettant de quitter les Eyrié dès que j’y remettrai pied.

J’inspire profondément. Je n’avais qu’une seule issue.

- Vous avez raison. J’ai fait preuve d’une grande bêtise. J’aurais dû savoir que votre bonheur n’est pas « ici », mais auprès de vos enfants. Ou plutôt, de votre enfant.

Je me souviens, subitement, de cette once de joie que j’avais ressenti lorsque Nymeria avait annoncé sa grossesse. Ce soir même, je n’avais guère dormi, pensant déjà aux prénoms que je pourrais donner selon le sexe de l’enfant, m’interrogeant sur ce dernier point, imaginant les traits de mère lorsqu’elle apprendra qu’elle allait devenir une jeune grand-mère … Si l’enfant avait pu naître, la joie aurait plus grande assurément. Comment avais-je pu oublier ce sentiment naissant ?

- Et j’ai promis que je travaillerai pour ce bonheur. Restez donc, pour Jono. Car moi, je ne suis plus qu’un Roi, il semblerait, jusqu’à ce que votre cœur veut bien pardonner le fils.  

Je n’étais plus un fils, un ami, un père ou un époux. J’étais devenu le représentant d’une figure hypothétique et imagée, qui doit constamment travailler pour l’intérêt du Royaume. Père avait prouvé que l’on ne pouvait pas être un Roi et un Père ou un Roi et un Epoux : père absent, époux infidèle … je m’étais juré d’être différent. Une promesse que je brisais, rendant malheureux ceux qui méritaient le bonheur, et décevant les attentes de mes plus loyaux sujets. Un choix était à faire. Il n’était pas question de mélodrame ou de jouer un rôle de victime. Non, il était question de voir la vérité en face et de réfléchir à ce que je désirais accomplir durant ce court de temps qui s’offrait à moi.

- Ce voyage n’a pas pour but de me couper des affaires du Royaume. Au contraire. Nous correspondrons régulièrement. Vous serez la seule avec qui je communiquerais, vous laissant ainsi la même liberté et latitude pour prendre des décisions appropriées durant mon absence.

Quoi que je dise à cet instant ne pourrait pas réparer l’erreur que j’avais commis. Je n’avais plus qu’un espoir, que le temps et cette correspondance cicatriseraient la blessure faite – et des plus visibles. Finalement, ce voyage n’avait pas été une mauvaise idée : par cette distance, j’éviterai de donner raison à des ennemis qui pourraient colporter que la Reine régente et le Roi seraient en mauvais terme. Je n’étais pas naif : Le Conseil du Faucon avait été témoin de nos avis divergents, et les gardes avaient sûrement dû entendre – ou verront clairement la rage de la Reine mère.

Pourquoi restais-je si calme, alors que mère fulminait - et était blessée ? Je m'en étonnais. Je pense que je suis las d'être en colère contre le monde et contre les "gens", ou de ressentir à nouveau des émotions trop fortes et trop destructrice. Je me devais de me concentrer sur une tâche, et reconstruire petit à petit mon monde sur des bases saines, solides et indépendantes.

Sharra ne doutait pas un seul instant que la discussion plutôt enflammée qu'elle avait actuellement avec son fils devait sûrement s'entendre en dehors des portes qui fermaient les appartements qui étaient réservés pour le roi du Val. Pour autant, elle avait également croisé son frère juste avant sa venue pour affronter son fils droit dans les yeux, car à présent, il était question d'affrontement. Elle n'était certainement pas la meilleure mère qui pouvait exister dans tout Westeros, mais elle n'était certainement pas la pire non plus, cela n'avait pas à être remis en question par qui que ce soit. Elle avait toujours éprouvé beaucoup d'amour pour ses fils, un amour sans borne, il était certain qu'elle pourrait donner sa vie s'il le fallait pour pouvoir sauver Ronnel ou Jonos. Ils étaient sa raison de vivre et elle avait accepté beaucoup de choses pour pouvoir assurer une belle vie à ses enfants, malgré les titres, le nom, la charge du pouvoir, un père absent et qui n'était pas là pour elle ou pour eux. Elle avait même fait en sorte que son fils trouve le bonheur auprès d'une jeune femme qu'il aimait tout en répondant à ses responsabilités futur de souverain. Et c'était ainsi qu'elle était remerciée, en lui indiquant tout simplement qu'elle était mise au placard, et qu'elle n'était plus bonne à rien, qu'elle pouvait gentiment tenir compagnie à Jonos, ne représentant visiblement même plus une mère pour son fils aîné. Sharra viendrait à pleurer plus tard, quand elle serait seule dans ses appartements, elle ne voudrait alors voir personne, même pas écouter les paroles de Smaug, tentant sans doute de la calmer, mais rien ne pourrait réussir à apaiser ce sentiment de trahison, encore plus grand et plus violent que ce qu'elle n'avait eu à subir comme humiliation lors du Conseil du Faucon. Elle devait serrer ses mains pour ne pas laisser apparaître les tremblements de rage qui venaient à parcourir son corps. Elle plissa les yeux à ses répliques, alors que son ventre se contractait de plus en plus. « Mais voilà que vous êtes bien trop clément avec moi mon bon seigneur, me laisser vivre dans ma demeure auprès de mes fils … Je ne pensais pas devoir un jour presque supplier le garçon que j'ai mis au monde pour pouvoir rester chez moi. Mon cœur n'est pas prêt au pardon, vous venez de le briser en mille morceaux et je ne sais pas si je saurai passer outre votre comportement avec moi, et vos mots blessants à mon égard. Si vous n'étiez pas mon souverain, je vous aurai sur l'heure mis une gifle monumentale. »

Comment on pouvait ainsi la traiter, il n'avait plus aucune considération pour elle. Après des mois à s'enfermer dans ses appartements, alors qu'elle avait tenu aussi bon qu'elle pouvait face à l'adversité de plus en plus présente contre la maison Arryn au sein du Val, il venait à la rabrouer comme une enfant, ou une chose trop ancienne pour pouvoir encore être utile pour le royaume mais surtout pour lui. Cependant, le jeune petit souverain avait oublié une chose, c'est qu'il devait la conservation de son trône à sa mère et qu'il venait de perdre un soutien pour cette cause. Elle ne pouvait pas dire si cela était temporaire au définitif, Sharra restait une mère avant tout, mais elle savait une chose, c'est qu'elle venait toujours à faire ce qu'elle disait, comme quand elle avait pendu haut et court lord Rougefort aux remparts de sa forteresse. Alors quoi qu'il puisse se passer, elle partirait comme convenu quand il serait de retour aux Eyrié. Il y avait un moment où à force de jouer avec le feu, on finissait par se brûler. Elle se redressa un peu plus pour le regarder et lui répondre. « Comme je viens de vous le dire votre Majesté, je suis à votre disposition. Je resterai donc dans votre demeure jusqu'à votre retour et occuperai la charge que vous me confirez. Quand vous reviendrez de votre voyage au cœur de votre royaume, je prendrai quelques jours pour vous faire la passation de la situation intérieure et extérieure du Val. Puis je prendrai congés de vous, je pense que mon frère, lord Smaug Corbray, ne sera pas contre de me laisser regagner les terres de Corbray, terres de mes parents et de mes ancêtres pour pouvoir entamer ma retraite. Je vous demande la possibilité que le prince Jonos Arryn vienne à m'accompagner, à moins qu'il ne préfère ou que vous ne souhaitiez que celui-ci demeure à vos côtés aux Eyrié. Bien évidemment, comme toute lady qui se doit, je serai plus que ravie de recevoir votre Majesté sur les terres de ma naissance, vous serez accueilli avec les hommages dus à votre rang. Quant à moi, je ferai alors pénitence, avec je l'espère la bénédiction des Sept, pour avoir été une mauvaise souveraine et une mauvaise mère ... » Elle fit alors une révérence, restant à terre jusqu'à ce que son roi lui dise de se relever.

C'était le feu qui était en train de brûler la moindre parcelle du corps de Sharra Arryn, elle avait l'impression que son sang était en train de bouillir et surtout, cela lui paraissait faire une éternité qu'elle ne s'était pas mise ainsi dans une si grande colère, une colère destructrice qui pouvait tout ravager sur son passage. Et cela la rendait profondément malade, malade de ne pouvoir se contenir, de ne pas parvenir à faire retomber cette bouffée de rage qui ne manquait pas de l'étouffer. Car depuis bien longtemps également, la Reine-Mère du Val avait parfaitement conscience qu'elle ne faisait pas honneur à la devise de la maison de son époux. Elle faisait son devoir depuis ce qui lui semblait être une éternité à présent, et si elle était loin d'être parfaite, ses agissements, ses prises de position n'avaient jamais été pleinement remises en considération. Et aujourd'hui, c'était son propre sang qui venait à l'humilier, publiquement d'abord pendant le Conseil du Faucon et à présent d'en l'intimité et elle ne pouvait plus cacher toute la peine que cela pouvait provoquer chez elle.

Elle luttait avec elle-même pour ne pas sombrer devant lui, pour ne pas se rendre un peu plus pitoyable qu'à cet instant. Elle se détestait et elle le détestait tout autant, si ce n'est plus. Et elle ne pouvait pas lui laisser une autre carte. Mais elle était lasse, elle était si lasse. Elle ferma les yeux un instant, et elle repensa à cette dernière soirée qu'elle avait passé en compagnie de Torrhen à Winterfell. Il en aimait une autre à présent, mais à l'époque elle avait eu l'espoir qu'elle pourrait éternellement compter sur lui dans leur lutte, qu'il serait toujours un soutien pour elle. Elle avait tout abandonné par honneur, par fierté et par amour pour son enfant. Elle s'était perdue ensuite dans les bras de lord Rougefort, dans l'espoir de noyer un chagrin trop lourd, mais finalement cela n'y avait rien changé et bien vite son amant avait perdu la vie contre les montagnards, avant que son fils ne se décide à se révolter directement contre la couronne au nom de la croisade organisée par le Grand Septon.

Elle n'avait plus rien, plus rien à part ses deux fils. Elle avait aussi souffert de la disparition de Nymeria, de la mort de l'héritier du Val et de la descente dans le gouffre de Ronnel. Et maintenant qu'avait-elle encore ? Elle continuait à le fixer avec intensité. « Vous avez raison votre Majesté, il est en âge à présent de savoir quelle décision il doit prendre ou non pour son avenir. » Elle s'était alors redressée en disant cela. Elle hocha la tête. « Je dois avouer que vous avez raison Sire, la discussion est à présent close. Nous nous sommes tout dis, sur bien des sujets, et je pense que votre intervention était nécessaire pour me permettre de savoir quoi faire de mon avenir. » Elle inclina la tête et sans un mot, elle fit tourner sa robe et quitta la tête haute les appartements du roi.  Comme elle s'y attendait, Smaug était devant la porte, les soldats dévoués à la protection du jeune souverain avaient été volontairement éloignés pour que le bruit des conversations ne soit pas perçu facilement. Le capitaine de la garde avait le visage grave mais ne dit rien au passage de sa sœur. Elle vit la question dans son regard de savoir s'il devait ou non la suivre, mais elle lui fit comprendre discrètement qu'elle avait le désir de rester seul jusqu'à nouvel ordre.