J’observais toutes ces femmes que j’avais connu depuis petite s’activer avec effervescence. Mes plus belles parures ou toilettes étaient décrochées pour être rangées soigneusement, mes instruments de musique étaient confiés à deux ou trois hommes qui attendaient aux portes et qui disaient appartenir à la famille Martell et mes livres chéris étaient triés – certains finissaient à côté de mes affaires, alors que d’autres atterrissaient dans l’étagère des livres oubliés. Dès qu’un de mes ouvrages était posé dans ce maudit meuble en bois, je ressentais un petit pincement au cœur. Pourtant, je n’exprimais pas mon mécontentement. Je n’osais pas, du moins pas devant ma mère dont le visage était décomposé et le teint était aussi blanc que du linge. Elle était malheureuse, car j’allais la quitter pour une très longue durée, loin des Météores, loin de ce bordel où j’avais vu le jour et où j’avais grandi.

Je détache mon regard de ces bouts de papier, et plonge mes doigts dans sa chevelure soyeuse, écrin noir tacheté par quelques discrètes lignes argentées. Aujourd’hui, elle n’avait pas mis le khôl, afin de pouvoir mouiller autant qu’elle le souhaitait ses jolies joues avec de mignonnes fossettes. Ma main se glisse sur l’une d’elle, aussitôt enveloppée par la sienne. Voilà plusieurs jours qu’elle ne me quittait plus des yeux, qu’elle saisissait chaque occasion pour effleurer le sommet de mon crâne, pour déposer un baiser sur mes joues ou sur mes cheveux ou pour m’écouter raconte mille et une histoires ennuyantes ou intéressantes. Elle n’avait jamais été aussi attentive et aussi aimante, ce qui ne voulait pas dire qu’elle avait été une mère indigne. Loin de là ! Non, je pense que nous vivions dans cette assurance que nous ne nous quitterons jamais.

- Tu vas recevoir une splendide éducation, tu auras des frères et des sœurs et surtout tu seras toujours protégée, litanie qu'elle ne cessait de répéter depuis le jour où elle reçut l'annonce que Nymor Martell avait décidé que sa bâtarde, moi-même, devrait vivre à Lancehélion avec lui.
- Mais tu viendras ! répondis-je aussitôt.
- Oui.

« Oui », prononcé avec grande difficulté, à moitié ravalé. Je ne comprenais pas. Pourquoi tant d’émotions alors qu’elle pouvait me rejoindre à Lancehélion ? Et surtout si je pouvais revenir ? Elle était ma mère, tout de même ! Une pensée que j’avais exprimé à plusieurs reprises, mais qui n’avait guère eu de retour si ce n’est des larmes de plus de la part de ma mère. Je ne comprenais décidemment pas son sentimentalisme.

- Tout est prêt, il est temps de partir, souffla subitement une des femmes du bordel. Ma mère me prend par la main, sèche ses larmes, et m’accompagne jusqu’à l’entrée.

Elle m’enlaça à nouveau, jusqu’à ce que le souffle me manque. Et aussitôt après, j’étais hissée sur un cheval, tenue fermement par un chevalier à la carrure solide et large. Ma tristesse disparut bien vite dès les premiers galops du cheval, vivifiée par ce vent chaud, extasiée par cette vitesse que je ne pourrais jamais atteindre avec mes deux petites jambes … Un plaisir de très courte durée car le cavalier arrête sa monture devant une somptueuse demeure, que je ne connais que trop bien. C’était le lieu de résidence de la Famille Dayne, une noble famille qui dirigeait la ville même. Aussitôt mes yeux brillent : j’allais pénétrer dans « ce » lieu, moi qui n’avais connu que le bordel et quelques habitats modestes des Météores ? Une stupeur qui laissa vite place à un mélange entre gêne et excitation. Je profitais que le cavalier donne quelques ordres pour jeter un regard à ma tenue, et tenter d’arranger quelques plis, ou encore maîtriser quelques mèches rebelles de ma chevelure.

- Bien, monte dans cette voiture, petite demoiselle, indiqua le cavalier qui m'avait porté. Je lui lance un regard interrogatif. Nous faisons route vers Lancehélion, et nous ferons plutôt une halte à Denfert. Tels sont les ordres du Prince.

L’excitation de l’enfant était bien vite retombée dès le second jour. Elle était habituée à la brise maritime des Météores, ou encore aux différents jeux que les dames du bordel inventaient pour amuser leurs bâtards. L’air aride, le paysage monotone, le sérieux des soldats ou la sévérité de celle qui semblait avoir été désignée comme sa gouvernante l’étouffaient plus que de raisons. Cependant, pas une seule fois elle n’élevait la voix pour se plaindre. Elle cherchait à s’occuper par elle-même, tantôt en chantonnant quelques airs connus, tantôt en lisant l’un des rares livres qui avait survécu au grand ménage, tantôt en conversant avec l’un des soldats qui chevauchait non loin de la petite voiture où elle avait été installée.

« Ne te plains jamais. Ne restes jamais sans rien faire ». Voilà quelques conseils que sa tendre mère lui avait appris, et répété depuis que la petite Sand savait penser et retenir les leçons. Il fallait avouer que le bordel avait été une leçon de vie considérable : savoir quand se taire et quand parler, reconnaître les intentions des hommes ou des femmes à travers leurs regards, leurs gestes ou leurs expressions ou encore savoir user et abuser de ses charmes naturels dans un monde des plus impitoyables, et souvent bien superficielles pour les dames – bâtarde, ou non.

Finalement, le voyage prit fin lorsque la demeure de la noble famille dirigeante de Denfert se dessina à l’horizon. Lorsque la brunette le comprit, elle s’agita subitement, incapable de rester encore plus longtemps assise, bien trop impatience de se dégourdir les jambes, ou encore apprécier un bon bain chaud. Des espérances qui tombèrent bien vite à l’eau car à peine la belle compagnie avait-elle mis pied au sol, qu’elle était invitée à prendre place dans une salle afin d’apprécier quelques douceurs.

Son regard d’enfant se glissa sur tous ses adultes – qui la détaillaient avec un regard des plus suspicieux ou dédaigneux – pour s’arrêter finalement sur une demoiselle qui semblait avoir son âge. Aussitôt un sourire naïf s’étira sur les lèvres de la Sand, pauvre gamine qui espérait voir en cette belle petite lady une future amie de jeu ! Une espérance qui mourut bien vite, lorsque quatre mots vinrent transpercer sans aucune pitié son orgueil comme cœur d’enfant. Les joues rouges, elle tourna naturellement le regard vers la gauche, puis aussitôt à droite … mais rien. Aucun visage connu et surtout aucun visage réconfortant. Pour la première fois de son existence, Arianne Sand était seule face à ce vaste et impitoyable monde. Et elle regrettait déjà le bordel.

Mortifiée, le regard baissé à même le sol, elle se plaça aussi loin que possible dans cette file, espérant pouvoir se fondre dans ces murs le temps de la visite, et ne plus avoir à faire face à cette horripilante peste. La jeune Sand avait sûrement de quoi répondre mais sa mère lui avait appris que jamais, ô grand jamais, un homme du peuple ne pouvait avoir raison ou justice face à un noble et que le silence était le meilleur allié dans ce genre de confrontation. Un silence qu’elle s’imposait en se mordant furieusement la langue.

Malheureusement, la suite n’était guère plus clémente. L’organisation des tablées fut telle que la Sand et la Uller se retrouvèrent côte à côte. Une étrange atmosphère s’installait naturellement entre elles : pendant que les voisins riaient et se piffraient, les deux demoiselles s’imposaient un silence glacial entre elles. Et puis, subitement, Arianne eut une idée curieuse, mais qui pourrait lui permettre de se venger de l’affront de tout à l’heure avec tact et subtilité.

- Lady Uller, votre demeure est sublime ! Je vous remercie grandement pour votre accueil et votre hospitalité, commença la jeune demoiselle en s’adressant à la dame des lieux, écartant ses bras largement … pour faire tomber la coupe de sa froide voisine – en donnant des airs d’accident. Aussitôt, Arianne se retourne vers la petite lady et tente d’éponger la belle robe ruinée avec une pauvre serviette. Oh, je m’excuse, je m’excuse, je m’excuse … répéta-t-elle.

La remarque de sa voisine de table ne causa pas le trouble sûrement espéré dans l’esprit de la jeune enfant. Cette dernière était encore bien trop naïve et jeune pour se méfier de ces nobles dont l’apanage était faite d’hypocrisie et de condescendance, et interpréta cette phrase-ci comme une invitation privilégiée dans les appartements d’une adolescente qui savait s’habiller avec goût et élégance.

- C’est avec un grand plaisir que je le ferais ! Dès que le repas sera fini, j'irais chercher le voile dans mes affaires ! répondit-elle, le regard pétillant d’excitation.

Persuadée que rien n’entachera davantage sa bonne humeur retrouvée, c’est avec un appétit certain et nouveau qu’elle entame son assiette. Ce répit ne dura que le temps de deux bouchées ! Ou devrions-nous dire une bouchée et demi car voilà qu’elle s’était immobilisée avec un bout de viande à moitié mastiqué dans un coin de sa bouche, formant une protubérance assez drôle sur la joue droite. Son regard de chouette s’était tourné vers Nalia, comme à la recherche de réponses à ses multiples et vagues questions.

« Deria » était effectivement la Princesse héritière du Trône, et donc, la demi-sœur d’Arianne. Si l’idée d’être associée à une telle figure avait été flatteuse – et surtout d’avoir une sœur – de prime abord, sa mère s’était chargée de ternir bien vite ce doux rêve avec mille et une recommandations et avertissements. Aujourd’hui, la peur étreignait son petit cœur qui battait à tout rompre.

- Vous … êtes amies ? Quel honneur, souffla-t-elle.

Si la jeune Sand appréciait l’élégance de la jeune Uller et éprouvait un désir d’être son amie, elle n’en était pas moins un tantinet méfiante. Nullement une méfiance mal placée ou mesquine ! Arianne s’était persuadée que l’amitié de Nalia était difficile à obtenir, mais non impossible, et qu’elle serait sûrement une douce consolation dans le futur ! Cependant, si elle acceptait de se plier aux innombrables défis que cette adolescente lui imposait, Arianne craignait considérablement d’avoir à faire de même avec cette Princesse inconnue si méchamment décrite par sa maman.

- Je … Je me dirige bien vers Lancehélion, se contente-t-elle de répondre, s’enfermant aussitôt dans le silence, fixant uniquement son assiette et ne répondant que par monologue à toute question posée ou remarque faite.

Même lorsqu’elle avait à quitter la table, à la fin du repas, elle fit à peine du bruit, suivant la gouvernante qu’on lui avait attribuée avec des pas de souris. Et elle disparut dans cette foule-ci, accordant ses pas à ceux de cette étrangère ennuyée qui avait son éducation à charge, et qui ne cessait pas de marmonner dans sa barbe. L’enfant profita d’être dans une chambre pour déballer enfin quelques affaires, afin de mettre la main sur le fameux voile promis en présent !

Hésitante, elle était tentée de prétendre être souffrante pour ne pas avoir à quitter cette chambre – ou mieux, faire demi-tour et retrouver sa mère. Heureusement, l’esprit des enfants était comme une girouette : changeant constamment ! En quelques secondes, elle s’était armée de courage. En quelques minutes, elle s’était changée. En moins d’une heure, elle questionnait les domestiques pour savoir où elle pourrait trouver cette amie espérée. Une heure plus tard, elle se présentait à Nalia Uller, le voile soigneusement plié et protégé dans un autre tissu plus épais et plus simple.

- Ma Lady, je vous remercie encore d’accepter ce présent ! dit-elle, tendant le présent avec une insistance enfantine. C’est avec grande difficulté qu’elle réfrénait cette envie de sautiller sur place ou encore poser immédiatement la question qui lui brûlait les lèvres : ça te plaît ?

- Non, une amie à maman m’a enseigné les bases. Après, j’ai appris toute seule, dit-elle avec une fierté à peine dissimulée.

L’enfant avait un véritable don pour tout ce qui touchait de près, ou de loin, à la beauté. Les tenues élégantes, l’agencement des bijoux, les instruments de musique, la poésie ou les chants … elle s’y passionnait plus que de raison et semblait déjà tout faire pour être la plus belle et la plus douée des courtisanes des Météores. Elle aurait pu le devenir, certainement, si le Prince n’avait pas eu vent de sa bâtarde et s’il n’avait pas exigé sa présence dans la cour de Dorne.  

Même si la condition de prostituée restait encore une basse position aux yeux des nobles, elle n’était guère plus mauvaise qu’une autre au regard du peuple. En effet, l’amour était célébrée sous toutes ces formes au sein de Dorne, et bien des courtisanes se révélaient avoir plus d’influence que de nobles personnes dans divers cours. D’ailleurs c’était l’une des raisons pour lesquelles elles étaient détestées par les nobles dames trop imbus de leur personne, ou craintes par les hommes qui connaissaient parfaitement leur faiblesse face aux désirs de la chair.

Enfin, il était toujours plus préférable d’être logée et nourrie contre quelques services en nature que de mendier dans un coin de rue. Être incapable de subvenir à ses besoins, que l’on soit à Dorne ou ailleurs, était tout bonnement humiliant. La vie était déjà bien rude pour l’homme qui travaillait, pourquoi subviendrait-il au besoin d’un autre qui n’était lié à lui ni par le sang, ni par le passé ? Mendier, c’était se condamner à la mort, en somme !

Telle était la philosophie de vie qu’on lui avait apprise, une vision qui allait à contresens de celle de la cour des nobles. Elle allait l’apprendre, malgré elle, dans un futur très proche. Cependant, loin d’en être honteuse, Arianne allait cultiver cette différence et cette graine bâtarde pour en faire sa propre force et vivre comme elle entend sa vie, sans rougir, sans remord et sans gêne.

- Il m’arrivait de coudre les robes des courtisanes, ajouta-t-elle. Fatale erreur de jeunesse, perche de choix tendue à une jeune dame qui cherchait désespérément une erreur à reprocher à la gamine au sang mêlé. Je sais aussi chanter quelques poèmes, ou encore danser !

Elle était bien trop fière et trop orgueilleuse, la jeune Arianne. Un excès d’orgueil qu’elle allait grandement regretter. Telle une cigale, elle chantait encore et encore allègrement, insecte insouciant qui allait subir la morale humiliante de la fourmi qui écoutait au pas de sa porte. Tel un corbeau, Arianne croassait encore et encore en oubliant ce qu’elle pouvait tenir entre son bec, l’offrant bêtement au renard qui écoutait en bas.

Arianne fixait Nalia avec pleine d’incompréhension. L’enfant ne saisissait pas pleinement la différence entre coudre et broder, deux arts indissociables à ses petits yeux. Cependant, elle sentait qu’il ne fallait pas poser la question au risque d’essuyer une seconde brimade de la part de cette adolescente et de ruiner toute chance d’impressionner cette dernière, par la même occasion. La Bâtarde se contenta de se taire, baissant son regard, ne sachant pas vraiment où les poser sans être encore remontée vertement.

« Vous n’êtes pas née Lady », voilà une phrase qui résonnait dans son esprit. A l’image de la broderie ou de la couture, elle était à nouveau confuse. Si elle avait été mise à l’écart dans le bordel, chaque soir, elle avait toujours réussi à glaner quelques mots par-ci et par-là dont notamment des « Lady ». Les hommes appelaient bien certaines courtisanes ainsi, le regard brillant, les joues roses et sourire aux lèvres. Naïvement, elle avait pensé que toute femme était Lady si elle était belle et agréable de compagnie. Apparemment, ce n’était pas le cas. On « naissait » dans cette condition.

- Je ne sais pas si je peux remplacer de vraies musiciennes. Certains chants sont vraiment compliqués, et nécessites de très longs doigts
, dit-elle, présentant les siennes. Les doigts étaient fines comparés à ses pairs, mais ils n’en restaient pas moins ceux d’une gamine de sept ans, soit un tantinet potelet, et extrêmement lisse et doux.

Cependant, le drôle de la situation n’était pas sur les détails physiques de la gamine de sept ans, mais sur cette naïveté encore et toujours présente. Malgré les coups sournois, ou les sarcasmes de son aînée, cette innocence n’était pas prête à être ternie. Celle-ci allait s’émaillait doucement, mais sûrement, dans la Cour même. Quant à ce destin qu’elle s’était imaginée, sublime courtisane admirée et adulée, elle n’en serait guère loin. Elle allait apprendre à accepter ses origines, en user et abuser pour obtenir ce qu’elle désirait.

- Je pourrais chanter mon chant favori pour vous, si vous le désirez ! On dit que j’ai une belle voix ! disait-elle, clairement fière d’elle.

Dès son plus jeune âge, Arianne Sand avait compris qu’elle était une jolie fille et qu’elle allait devenir encore plus belle si elle prenait soin d’elle. Son narcissisme transpirait à travers quelques paroles, comme « Je chante sublimement », « Toutes les couleurs me vont sublimement, car je suis belle dans toutes ! », ou à travers des gestes, notamment des mimiques ou une démarche lascive.

Sans plus attendre, elle s’avança dans la pièce et commença son petit chant. Il était question d’un Lord qui était invité à une table par une fille du port, par une froide nuit aux Météores. Le chant alterné le registre joyeux, notamment lorsque le refrain de l’invitation était entamé, et le registre bien tragique et triste, lorsque les paroles s’apparentaient au monologue de la fille du port qui se savait qu’une ombre parmi d’autres. *

Est-ce que la jeune Arianne comprenait les paroles ? Nullement. L’enfant aimait seulement le rythme et les drôles de mots qu’il fallait dire. Quant à la voix d'Arianne, effectivement, elle était agréable, et savait véhiculer les sentiments de la gamine à son audience.

* Inspiration de la chanson d'Edith Piaf, Milord

Arianne Sand était des plus confuses. La jeune Lady ne l’avait-elle pas remonté à l’instant vis-à-vis de la couture et la broderie ? Si la distinction entre ces deux arts était déjà bien difficile à comprendre pour la gamine, la nouvelle boutade de la belle Uller eut le don de consterner et de perdre la jeune bâtarde. Que devait-elle faire, ou répondre ?

- Je suppose … ce que vous désirez. Mais, je serais ravie d’apprendre de vous. Je doute que j’ai autant de talents que vous pour confectionner des … parures pleines de broderies ! se rattrapa-t-elle aussitôt, pensant que par cette anodine et courtoise phrase, elle flatterait l’égo de cette Lady. Elle était bien à mille lieux de deviner qu’elle venait, d’une certaine façon, d’insulter Nalia Uller, future Nalia Dayne.

A nouveau, Nalia donna matière à réfléchir à Arianne. Il y avait donc une musique de Cour, et une musique « autre ». Plus les heures avancées, et plus elle se disait que les nobles étaient bien compliqués. Une vision à l’opposée de celle qu’elle avait eu, dans le bordel de sa mère, où tous les hommes de tout rang et de tout milieu social riaient à la même bêtise, dansaient au même son, chantaient les mêmes paroles et aimaient les mêmes femmes.

- A quoi ressemble une musique de Cour ? demanda-t-elle bien naïvement, cherchant encore dans sa petite caboche quelques souvenirs d’une musique ou d’une danse un peu plus particulière. Aucune ne lui venait en mémoire, fort malheureusement. Et que voulez-vous dire exactement par « connaître la vie des miens » ? Sous-entendez-vous leur santé ? Est-ce qu’un de vos proches est souffrant ?

La Bâtarde était bien sincère, et s’inquiétait subitement sur ce parfait inconnu qui pourrait être malade. L’univers d’un enfant était bien simple, où il n’est question que d’aventure et de rire, et où tout imprévu ou situation inattendue et gênante ne pouvait se résoudre qu’avec des disputes ou des larmes. Le regret, la patience et les compromis n’étaient pas encore appris, dures leçons que la vie imposait au fil des erreurs, des décisions et des obstacles à franchir.

Malheureusement, la discussion n’allait pas durer une nuit entière. Peu de temps s’écoulera entre les réponses de la jeune Uller et l’arrivée subite de la servante attribuée à Arianne, une femme qui ne portait pas la bâtarde dans son cœur. Son ton était cassant, et son regard plein de méprise à l’égard de cette dernière, mais un ton qui s’adoucissait et qui était bien respectueux quand il était question de s’adresser à la jeune Lady.

- La jeune … fille doit retourner dans ses appartements, ma Dame. Nous avons fait un long voyage et je crains qu’elle ne tombe malade. Le Prince m’a nommé, expressément, comme garante du confort et du bien-être de l’enfant. Je ne souhaite pas le décevoir.

Elle se refusait de dire « Dame » à une bâtarde, ou encore associer ce sang impur à celui de son noble et aimé Prince en désignant ce dernier comme le "Père". Elle ne le voulait pas, et fera tout pour ne pas être contrainte !