Genèse
«
L'abîme de l'éternité nous hante. Ainsi, s'interroge-t-on : nos actes retentiront-ils à travers les siècles ? Des inconnus entendront-ils notre nom bien après notre mort et se demanderont-ils qui l'on était, si l'on bataillait avec bravoure, et si l'on aimait avec fougue ? »
Être conscient que sa propre existence sur ces terres n'est qu'éphémère et quoi que l'on choisisse de faire, de dire ou de devenir, ce que nous appelons communément "destin" sera le dernier maître de nos traces. Cette philosophie marqua l'esprit d'un jeune enfant, encore inconscient de ces notions, alors qu'il n'était qu'au berceau, une nuit au ciel particulièrement dégagé, à l'endroit même où l'on peut le mieux apprécier les constellations qui peignent les cieux,
les Météores. Loin des soucis des simples mortels, il grandit en prêtant une oreille attentive aux histoires d'Hommes chevauchant des dragons de la taille d'îles, de dieux plongeant leurs fidèles dans des eaux déchaînées pour en extraire leur innocence, ainsi que des récits sur d'extraordinaires bêtes, des demi-dieux ayant pris la forme de géants aux croc acérés, aux griffes aiguisées et aux bois semblables aux branches d'un chêne millénaire. Bien que l'instruction ne fût jamais son fort, l'attrait de l'inconnu, les aventures de ses héros préférés, qu'il pensait pour la plupart mythiques, le fascinaient bien plus que les leçons de bien-séance. D'un jeune bambin en sorti un petit garçon frêle, chétif, dont l'audace et l'égo faisaient à eux seuls tripler sa petite taille. On surprenait habituellement les septas courant après lui, telles des lièvres en quête de leur gibier. Sous les yeux accusateurs de ses frères, le regard tendre de sa mère et l'indifférence de son père, il jouissait d'une liberté outrancière pour un noble natif.
Au bout de quelques années, il avait cessé de se présenter à ses cours pour explorer un peu plus les horizons du fief familial, courant à chaque nouvelle occasion davantage de risques. Il apprit bien vite que les terres où il pouvait pérenniser connaissaient leurs limites, d'autant plus lorsqu'on est au courant de la situation géographique des Météores. Il s'imposa donc ses propres frontières, il savait que s'il s’enfonçait plus à l'Ouest dans les montagnes, il tomberait sur les garnisons des "soldats à la Fleur d'Or", s'il poursuivait au Nord il se risquerait aux bêtes sauvages gardant leurs tanières et au Sud il ne pourrait aller bien loin, sauf s'il parvenait à marcher sur l'eau. Il ne lui restait que les plaines ensablées de l'Est pour s'échapper le temps d'une aventure, avant qu'il ne soit rattrapé par une compagnie montée dans le petit bordel, anecdotiquement fréquenté par son paternel.
Espiègle, ses farces et tours de passe passe n'amusèrent pas longtemps ses aînés, bien qu'
Enguerrand, le second fils, portait toujours un regard attendri sur son petit frère, à l'inverse de
Barristan, l'héritier, qui devint de plus en plus sévère au fil des âges. Le benjamin n'en avait que faire, il décida très tôt d'imposer sa façon d'être, qu'ils l'aiment ou qu'ils le détestent, cela ne l’empêcherait pas de faire ses nuits. Il devint connu des maisons qui venaient séjourner dans la demeure des Dayne pour être le mouton noir de la fratrie, le récalcitrant. Ce titre lui donnait le droit d'embarrasser ses parents, en passant outre les réprimandes qu'il pouvait bien recevoir. Mais il y a un âge pour chaque chose et le dénommé Robert ne ferait pas exception.
Le temps du devoir
D'apparence, on pouvait le distinguer comme étant le moins bien bâti des trois fils, pourtant, il était celui qui avait le plus de mal à canaliser son énergie débordante, passant un temps fou à grimper, sauter, courir, se battre, épée en bois à la main ou poings contre poings. Ce tempérament vigoureux ne devait s'exprimer qu'à travers une seule chose, son habilité au combat. Son père commença à lui porter de l'attention lorsque ce dernier remarqua la dextérité de sa progéniture, ce fût le premier à le souligner, l’œil affûté d'un vétéran et l'esprit stratégique d'un politicien. Pour polir cette pierre brute qu'il tenait sous la main, et dompter la bête qui en produisait le minerai, il fallait un catalyseur adapté, une force que même les ombres n'oseraient défier. C'est pour nourrir ce projet que son aîné, accompagné d'une garde rapprochée, le mena à
Lanchélion, la cité des seigneurs des sables. Sensible à la beauté de l'art, il fût immédiatement frappé par l'architecture, le spectacle que la capitale lui offrait, de plus, il voyait en elle un nouveau terrain de jeu, de nouvelles potentielles victimes de ses puérils méfaits.
Comme l'on pouvait espérer ou craindre, l'évolution d'une telle boule de nerfs ne tenait qu'a la liberté. Avec les années, les sources d'amusement évoluèrent, et les loisirs du jeune adolescent ne firent exception. Les femmes, les breuvages enivrants, la harpe, les courses de chevaux mais essentiellement les bagarres générales occupaient la majeure partie de son temps, en compagnie de ses camarades de beuverie, aux titres davantage plus nobles que le sien. Parmi cette troupe de joyeux lurons, il était particulièrement proche d'un dénommé
Roward. Seulement, lorsque l'on contribue à la perversion d'un descendant de la famille régente, on ne peut s'attendre qu'à des représailles de même échelle, surtout qu'il renouvela l'expérience des années plus tard avec
Anders. Il subit des limites bien plus définies, des sanctions plus sévères, des tâches plus pénibles, histoire de lui mettre du plomb dans la cervelle. Que nenni que ceci, des peines à tirer qui ennuyaient de moins en moins le sot. Les jeunes filles le trouvaient amusant, enviaient sa liberté de pensée et de se mouvoir, les jeunes femmes aimaient sa fougue, son insolence et son corps de mieux en mieux bâti, les femmes aguerries étaient attirées par son charme de jeune homme en sueur, vigoureux et à l’œil aguicheur, elles étaient flattées que quelqu'un de beau et jeune les trouve encore désirables à leurs âges.
Au sein de ce milieu féminin, s'en distinguait une qui l’intriguait plus que les autres, une qui possédait le même esprit félin, lui qui se croyait unique, la procréation de la liberté et de la spiritualité vivante, se trouva fort dépourvu lorsque ses yeux espiègles se posèrent sur la jeune et jolie
Deria Martell. Il cherchait à comprendre ce qui motivait ses actions. Si au début il comprenait mal son comportement et n'appréciait guère sa compagnie, pensant qu'elle essayait de lui faire de l'ombre, il apprécia au fil du temps d'avoir trouvé son alter ego de l'autre genre. L'enfant aimera sans comprendre, sans connaître et sans réserve, c'est pourquoi on oublie rarement notre premier pincement au cœur. Avec Deria, il ne comprit pas trop pourquoi et comment ils se sont rapproché, lui qui l'avait toujours considéré comme son ami, et non comme son amie. L'âge nourrit les pulsions, et les deux corps finirent par s'entremêler irrémédiablement bien des années après, depuis leur première rencontre il était écrit que cela allait arriver. En tant que seigneur, il aime attribuer cela à la fatalité.
Le devoir d'héritier exige de donner naissance à des alliances, en commençant par des mariages pour ensuite expliciter ce devoir en donnant la vie, c'était l'une des première leçons qu'il avait reçu lorsqu'il fût en âge de comprendre les obligations qu'exigeait la noblesse. Se forcer à se marier à une femme pour que des familles s'entendent, se lier pour la vie à une personne qui ne nous attire ni physiquement, ni cérébralement, c'était un phénomène que Robert avait du mal à comprendre et qu'il n'a jamais accepté dans le cas de sa propre personne, si les gens souhaitent le faire soit, grand mal leur fasse, je ne mange pas de ce pain là. C'était par respect, par obligation mais également pour profiter des plaisirs des fêtes qu'il assista coup sur coup aux mariages de ses deux aînés. Barristan, la tête toujours aussi dure lors de ses noces, Enguerrand qui était plus marqué par le temps que son grand frère, les deux étaient à présent adulés, respectés et considérés comme des hommes, des seigneurs, pas juste par titre, mais par honneur. L'on tournait ensuite son regard vers Robb le petit, d'un air dédaigneux, qui est il finalement ? A quoi sert il ? Que cherche-t-il ? Des questions qu'ils pouvaient entendre au loin, auxquelles il ne souhaitait donner de réponse autrement qu'en affichant un large sourire coupable. Durant ces évènements, il eu l'occasion de rencontrer sa sœur qui l'invita à passer un moment dans sa demeure quand il pourrait, Rowenna Durrandon, si tentée qu'elle le soit réellement puisqu'il n'a absolument aucun souvenir de cette personne avant cela. Il l'accueillit comme un parent éloigné, avec de la gène, de l'incompréhension et finalement de l'indifférence.
L'adolescent laisse place au jeune homme, la maturité physique, loin de celle intellectuelle. Désormais, il est beau, la lueur de la jeunesse brille de mille éclats dans ses yeux, il n'est pas immense mais solide, les muscles développés, sa fine barbe naissante lui donne l'air d'un parfait petit seigneur. Ses superviseurs autrefois ennuyés sont désormais avides de ses talents lame à la main, une lame courte qu'il manie avec rapidité, dextérité, il la préfère à la longue épée de chevalier, qu'il manie tout aussi bien. Viennent les songes, l'esprit infantile qu'il abrite toujours liste les actions qu'il pourrait mener pour embêter le plus possible le nouveau seigneur de la maison,
Barristan, avec qui les relations ne se sont pas arrangés avec l'âge. Ayant aisément soupçonné les ambitions de ce dernier, il décide d'aller réclamer, avec ses maîtres d'armes et ses courtisans, le titre le plus honorifique de sa famille, l'Epée du Matin, détenteur d'Aube, l'épée en acier valyrien. Il ne pourrait décrire la sensation de satisfaction qu'il eut lorsqu'il arracha poliment la relique aux mains de son souverain, lui adressant son plus beau sourire. En réalité, il préfère le titre que l'arme qui va avec, ne saisissant pas bien l'importance que l'on pouvait attacher à un tel objet fait de la main de l'homme.
A cette époque, l'homme qu'était devenu avec l'âge Robert était de plus en plus méprisable, centré sur sa personne sans le vouloir, inconscient et impétueux, mais dissimulant un cœur dévoué accompagnée d'une philosophie que bien rares pouvaient constater. C'est dans la douleur que l'on apprend.
Le temps des guerres
Il y a plusieurs façon pour un garçon de devenir un homme, ceux qui ont conscience du devoir le deviennent naturellement, ils s'imposent comme des hommes dans leurs choix, leurs actions. Certains apprennent à le devenir à travers leurs propres expériences, ainsi qu'avec l'appui de leurs pairs et les conseils avisés de leurs prédécesseurs. D'autres vivent assez longtemps dans l'insouciance pour qu'ils soient contraints à grandir de la façon la plus violente, la plus douloureuse qui soit. Apprendre que l'on a donné la vie à un enfant que l'on ne pourra jamais reconnaître comme étant le sien, combattre et voir ses frères d'armes mourir l'arme à la main, essuyer des défaites lourdes de conséquences.
Quelle meilleure façon de débuter une vie de guerrier qu'en commençant par massacrer des Fer-nés ? Lorsque l'on devient Épée du Matin, on doit s'attendre à devoir participer à de nombreuses batailles, soit, Robert est avide d'entendre les chansons en son nom. L'assaut mené par les natifs des îles les plus infâmes du continent était le moment approprié pour faire le saut dans le grand bain. La suite ne marquera pas les esprits des bardes présents ce jour là, sa participation avortée par un débordement des troupes ennemis qui entrainera la perte de ses hommes. La perte d'autrui fît prendre conscience, pour la première fois à Robert le petit, qu'il ne combattait pas seul.
Son retour aux Météores fût marqué par les plus hauts honneurs que l'on puisse espérer, il les accueillit tête baissée, le regard plongé sur la crinière de sa monture, démontrant les premiers signes d'une humilité que l'on croyait perdue. Lorsqu'il se confronta à son frère, son discours et son ton avaient changé, il exigea de suivre l'entrainement militaire aux côtés des hommes qui étaient sous leurs commandements. Les batailles sur sa route seront nombreuses, les personnes qui le suivraient devaient être au courant, elles devaient savoir pour qui et pourquoi elles s'engageaient. La désillusion qu'il vécu à Lanchélion l'avait marqué, il fallait qu'elle marque aussi les siens.
Une guerre en entraînant une autre, les tensions s'accentuèrent et un conflit ouvert éclata entre Dorne et ceux qu'il appelait dans sa jeunesse, les "soldats à la Fleur d'Or", premier rempart contre ces derniers,
les Météores. Le théâtre d'une boucherie, un massacre auxquels nuls des Sudiens n'étaient préparé, pas même l’Épée du Matin. L'issue de cet affrontement est connu de tous, la reddition des
Météores, le suicide d'Enguerrand. Tous sauf Robert, inconscient lors de ces évènements, victime d'une blessure aggravée à la tête. La disparition de son frère le marqua profondément, le seul membre vivant de sa famille qui ne l'avait jamais vraiment jugé, qui avait toujours essayé de le comprendre, même quand il ne le pouvait pas, celui qui était plus sage qu'il ne le serait jamais. Il garda une grande rancœur envers le Bief, souhaitant directement reprendre les armes pour venger la disparition d'
Enguerrand, son dernier frère restant vint à bout de sa colère, sa démesure et son esprit vengeur. Finalement, le redoutable guerrier n'aura essuyé que de revers, malgré ses prouesses, qui n'auront de cesse de renforcer sa volonté de laisser un héritage historique, une marque de son passage pour les siècles à venir, à l'image des héros de son enfance. Les quelques hommes qui survécurent au massacre se rappelle toutefois des paroles de celui qui se tint devant eux, quelques instants avant que les lames des bieffois ne transpercent leurs chairs.
"Je suis là, avec vous, et je ne suis plus votre seigneur
Nous sommes frères, nous avons le même père qu'est la guerre
Nous avons la même mère qu'est notre patrie
Je ne vous promet pas une existence bien longue, et si nous survivons, rentrez chez vous faire l'amour à vos femmes, car vous n'en aurez peut être plus l'occasion
Et quand vos enfants, et les enfants de vos enfants prononceront votre nom
Alors la terre tremblera et le monde saura
Il n'osera plus le prononcer par peur de subir votre courroux
Partout où nous irons, notre nom fera office d'une présage funeste
Tenez vous à mes côtés et je vous promets que
Les récits de nos exploits traverseront les villes et les âges
Et résonneront jusqu'aux latrines des Dieux
Tenez vous à mes côtés, furies des Météores."