Bénédiction en temps de guerre

Terres de l’Ouest, La Dent D’Or
An 2 Mois 6 Semaine 1

La guerre nous fait oublier bien des choses, pour ne nous laisser que l’essentiel : la simplicité, les souvenirs et le coeur des hommes. Les problèmes de la vie quotidienne sont abandonnés au profit des vies à protéger. L’approche des combats nous rend nostalgique de notre vie passée. Et il est bien plus facile, impératif d’ouvrir son coeur pour ne point avoir de regret. Le mariage de ma soeur en a été le parfait exemple. Point de date sur le calendrier pour les divers festins gargantuesques, point de noble bourré comme spectacle, seulement la simplicité de l’instant et la beauté de leur amour.

Je ne m’attendais pas à voir Alys débarquer hier et m’affirmer qu’elle allait épouser Lord Potter dans l’immédiat. J’ai d’abord pensé qu’elle était atteinte de folie avant de comprendre son empressement. Quelques mois plus tôt, j’ai fait la demande d’annuler mon mariage, puisque les combats m’ont appris que le temps était important, que je ne devais guère le laisser couler. Ce serait du pur gachi. Nous n’avons qu’une vie, et nous devons l’honorer. Lorsque j’ai reçu la réponse positive du Grand Septon la semaine passée, un poids s’est libéré de mes épaules. Méritais-je cette seconde chance accordée par les Sept ? Je l’ignore, mais je ne la gaspillerais pas.

J’ai également aperçu lors de l’union expresse d’Alys et de William, la pureté de leur cœur et leurs sentiments véritables. Si j’étais encore sceptique quant à leur relation que je pensais dirigée par Gareth quelques mois plus tôt, il n’en est plus rien aujourd’hui. Ils s’aiment, et je suis heureux que ma benjamine ait trouvé un mari qu’elle affectionne. La cérémonie fut simple, mais leur amour grand. Après les avoir félicités, nous nous sommes esquivés avec Gareth afin de les laisser tranquille. La nuit est passée et un nouveau jour est naquit.

C’est aux alentours de midi qu’une réunion stratégique se termine avec d’autres commandants, les nouvelles de la frontière encore calme, apaisent quelques esprits, mais nous savons que tout peut voler en éclat à n’importe quel instant. Je m’empresse donc de rejoindre les murailles du Fort dans le but de retrouver Alys, l’ayant enjoint la veille à m’y retrouver en milieu de journée. Je l’y retrouve, le regard perdu sur les montagnes de l’Ouest, j’esquisse un sourire fier, elle semble quelque peu apaisée, bien que la guerre ne soit guère loin dans nos esprits. Je m’approche et m’annonce :

- Lady Potter. Ce nom te sied bien, ma soeur.  La complimenté-je avant qu’elle ne se tourne vers moi, son regard brillant m’attendrissant. Je ne puis attendre davantage et vint la prendre dans mes bras, je pose un baiser dans ses cheveux avant de lui avouer : Je peine à y croire, Alys. Le temps passe si vite, et tu es déjà une femme. Je me rends compte que je n’ai pas beaucoup passé de temps avec toi, et je le regrette. Je m’écarte un peu, dé-serrant ma poigne autour d’elle afin de la regarder. Mais tu sais que tu seras toujours la bienvenue à Kayce, quoi qu’il arrive.  

Bénédiction en temps de guerre

Je profite de cette étreinte puisque cette entrevue pourrait très bien être la dernière, en tout cas avant un moment. J’ignore encore combien de temps va durer le conflit, mais il tend à s’éterniser. Notre ennemi d’aujourd’hui n’étant guère de petite envergure. J’ignore même si je reviendrais en un seul morceau à Kayce, ou entre quatres planches. J’évite d’y penser, mais cette éventualité n’est pas à omettre. Alors je profite de chaque instant supplémentaire qui m’est donné, puisque la vie peut se montrer bien cruelle. Pendant de longues années je n’ai point été proche d’elle, pour la simple et bonne raison que notre différence d’âge limitait nos interactions autant que mes responsabilités grandissaient. Mais mon attachement pour elle a toujours été présent. Il s’est même renforcé suite à l’épidémie ravageant nos terres. Où j’aurais certainement perdu la face sans son aide. Les liens se renforcent indéniablement en cas de complications.

Admirant son doux visage en me reculant légèrement, je grave son expression dans mon esprit. Son sourire m’est contagieux puisque mes pommettes se relèvent à la force de mon sourire attendri. A ses paroles, je croirais voir des étoiles pétiller dans ses yeux, sa jovialité m’avait manqué. A sa question, je hoche doucement la tête. Je n’ai point ressenti cela lors de mon mariage, en raison qu’il n’était point un mariage d’amour à l’origine. J’étais charmé par la beauté et l’élégance d’Adélaïde, mais mes sentiments n’ont naquit que par la suite. Mais ils furent bien brefs … Comparé à l’amour que j’ai ressenti avec Ranya. Le temps s’écoulait à une vitesse ahurissante lorsque j’étais avec elle, et mes sens semblaient décuplés à son contact. Je me sens comme nostalgique et un brin triste d’y repenser alors que je réponds à ma benjamine :

- Tu as eu l’impression d’être hors du temps, que ton esprit n’était pas totalement rattaché à ton corps ? Comme dans un rêve ? Je comprends ce que tu veux dire. Je pense que cela arrive lorsque nos émotions nous dépassent, mais tout est bien réel.

Je lui accorde un clin d’oeil complice pour terminer mes propos. Comme pour lui dire qu’elle n’a pas rêvé son mariage et qu’elle est bien Lady Potter depuis moins de 24h. Elle me remercie ensuite de l’avoir encouragé la veille. Je me souviens alors de son air affolé, qui ne le serait pas pour un tel évènement avec un être cher ? J’ai été nerveux pour mon mariage, mais cela n’aurait rien eut à voir si je l’avais partagé avec Ranya.

- C’est normal .. Même si à l’avenir ce sera à William de prendre soin de toi, je serai toujours là si tu as besoin de moi.

Lui admis-je sincèrement, comme je serais toujours là pour n’importe quel membre de ma famille. Oui, cela incluait Gareth. Même si mon attachement pour lui était moindre que pour le reste de notre fratrie, je dois l’avouer. Il gardera toujours une place auprès de nous. Alys me rapporte finalement en baissant les yeux, qu’elle a la sensation que les parents étaient là. Parler d’eux me rend nostalgique, voire même légèrement sensible. Je m’écarte légèrement d’elle, et mon regard se fond vers l’horizon, sur les terres de l’Ouest.

- D’une certaine manière, ils seront toujours là Alys.. Commençais-je d’une voix emprunte de mélancolie, mes doigts caressant ma chevalière, bijou que j’ai hérité de mon père et qui ne me quitte jamais.  Dans nos coeurs et nos esprits, ils le seront. Ils ont en partie fait ce que nous sommes aujourd’hui. Leurs paroles nous habitent et leurs présences nous bénissent. J’hésite un instant à continuer, n’ayant pas pour habitude de m’épancher sur ce que je ressens, mais j’en ressens le besoin en un sens. Lorsque je prends une décision, j’ai toujours cette sensation qu’ils sont derrière moi, m’apportant leur soutien. Nul doute qu’ils étaient présents hier soir, afin de voir leur fille s’épanouir en devenant femme.

Avais-je ajouté en tournant mon regard empli de fierté vers Alys, un léger sourire aux lèvres. Je pense que c’est le moment parfait pour lui offrir quelque chose. Plongeant ma main dans ma sacoche, j’attrape un petit sachet en tissu. M’approchant d’elle à nouveau, je m’empare de sa main, paume au ciel et y dépose le sachet aux multiples soleils peints.

- Mère aurait souhaité que je t’offre ceci … Ce sont des jonquilles, ses fleurs préférées. Elle en a offert à Alysanne et Gareth lors de leur départ de Kayce. C’est une façon de dire, que partout où que tu sois, les tiens seront toujours avec toi.

Pour amour envers notre mère, notre père avait fait planter une multitude de jonquilles dans les jardins de Kayce. Dès lors que je m’y rend, le souvenir d’eux est intact, comme si les fleurs semblaient immortaliser leur présence. Un lieu emplit de joie, d’amour et d’espoir qui ne laisserait quiconque de marbre.

Bénédiction en temps de guerre

Voir une personne familière en dehors des soldats et de mon frère, me permet de m’évader un instant. De ne plus penser à ce qui nous pend au nez depuis de nombreuses semaines, mois.  Un peu de légèreté apportait une bulle de réconfort dont nous avons besoin, nul doute que les hommes à la fête d’hier soir se sont ressourcer l’esprit. Rien à voir avec nos habituelles soirées beuveries où nous nous racontons des histoires d’un air maussade. L’air rêveur de ma sœur témoignait qu’elle aussi en avait eu grandement besoin. Certainement que le temps d’attente fut trop long pour l’impatiente femme qu’elle était.

- Ça pour être une folie … Commençais-je d’une voix amusée, l’air léger. Tu es venue malgré les tensions qui nous poursuivent. J’ai crû halluciner lorsque tu es apparue devant moi, et bien plus encore quand tu m’as annoncé que tu allais te marier dans l’immédiat. D’un ton plus sérieux et sincère, il ajouta : Rien n’a été préparé, votre union a été spontanée, véritable, c’est louable. Bien entendu, lorsque les conflits cesseront, j'organiserai une grande soirée en votre honneur, à Kayce, où toute notre famille sera réunie pour que l’on festoie dignement votre mariage. Ou peut-être que Lord Potter préférera suivre les traditions et faire cela dans sa demeure … Nous avons encore le temps de le prévoir.

Allais-je trop vite en besogne ? J’ai en vérité grande hâte de retrouver ma famille au complet. Comme quoi, il n’y a qu’en étant très éloignés d’eux, que je ressens la valeur qu’ils ont à mes yeux. Autrefois, j’étais surtout concentré sur les affaires, à développer le commerce de Kayce avec Robert. Ce n’est qu’à la mort de nos parents que je me suis fixé au domaine. Et plus encore récemment, que j’ai ressenti le manque des miens après des mois loin de chez nous.

Alors que je lui demandais de prendre soin d’elle, elle me demande implicitement de prendre soin de son époux. Elle s’inquiète pour lui, ce qui normal, au delà de leur relation, William avait été blessé récemment, suite aux nombreuses confrontations près de Vivesaigues.

- Lord Potter fait aujourd’hui partie de notre famille, et j’en protègerais toujours les membres. Je veillerais sur lui du mieux que je peux.

Je ne le jure pas devant les dieux, puisque je ne suis point un surhomme et que nous ne dirigeons pas les mêmes troupes. Cependant, je ferais tout ce qui serait en mon pouvoir pour le ramener. Mais nous espérons tous, qu’un bain de sang ne nous attende pas à nouveau dans les semaines à venir.

- Bien sûr qu’ils approuveraient. Voir leur petite dernière devenir une femme accomplie et heureuse, ne peut que les soulager et les rendre fiers. Lui confirmais-je alors qu’elle se souciait de ce que pouvaient penser les parents d’où ils nous observaient.

Lui tendant les graines de jonquille, je remarquais rapidement les émotions envahirent Alys, ce qui m'émeut. Ils nous manquent tant, à chacun de leurs enfants. C’étaient des parents modèles, justes, aimants et très concernés par le bien-être des villageois dont ils s’occupaient. Leur fin a été des plus éprouvante, surtout pour eux, alors que la maladie les terrassait, ils savaient que Kayce aurait du mal à se relever d’une telle chute. Cela a été le cas pour les survivants, dont tous subissait la perte amer de leur seigneur. La reprise du flambeau fut compliquée à tenir, mais je n’ai pas eu bien le choix. Epaulé par les nôtres, nous avons tous remonté la pente petit à petit, et fait notre deuil à notre manière. Le mien fut dans la reconstruction de Kayce.

La tristesse et la nostalgie d’Alys me font écho, je déglutis, leur perte nous fait toujours autant souffrir. Cela me fait alors penser, que nous l’avons appris ensemble, que c’est elle qui m’a relevé alors que je ne trouvais pas la force de rejoindre le mestre, tétanisé par la maladie et la tristesse. Je lui laisse le temps de se remettre de ses émotions. Jusqu’à ce qu’elle me demande comment je vais. Je ne saurais trop le décrire en vérité, je suis lasse de me battre, d’autant plus que les dernières nouvelles ne sont pas bonnes. Ils ont dû sonner la retraite pour venir ici. Je soupire doucement, et vint appuyer mon dos contre la pierre du rempart.

- Le moral des troupes est assez bas, pessimiste dernièrement. Quant à moi, je ne suis pas plus optimiste. Même si nous avons gagné du territoire, la victoire n’est pas certaine. Elle me semble même trop lointaine.

Je ne veux pas rentrer dans les détails, je ne veux pas inquiéter bien plus ma benjamine. Mais je ne peux pas mentir, la situation est bancale. N’importe qui pourra le lui dire. Hormis cela, j’ai bien une nouvelle que je peux lui annoncer. Retournant mon regard sur elle, j’esquisse un petit sourire avant de reprendre d’une voix nuancée, à la fois affligée et pleine d’espoir :

- J’ignore si je t’avais mis au courant, mais j’y ai grandement réfléchi dernièrement avec les affrontements. La vie peut s’arrêter en tout instant, et je ne veux rien regretter dans celle-ci, je veux croire en l’avenir. J’ai donc fait une demande d’annulation de mariage au Grand Septon. Elle a été acceptée.

Bénédiction en temps de guerre

Alys semblait heureuse de ma proposition, je remarquais ses yeux briller à la perspective d’une soirée avec notre famille au grand complet. Le fait qu’elle propose à son tour de faire l’une et l’autre me faisait doucement rire. Pourtant je ne devrais point être surpris, elle a toujours aimé ce genre de rassemblement. Quand j’y repense, sa position auprès de la Reine Lannister lui sied bien. J’espère qu’elle saura s’épanouir à Godric’s Hall. Bien sûr qu’elle y arrivera, partout où qu’elle aille elle amènera la joie qui l’accompagne. Je ne me fais pas plus de soucis pour elle en réalité, elle sait mener sa barque intelligemment. Et elle sait que quoi qu’il advienne, elle pourra compter sur les Kennings.

- Nous ferons comme ce qui te plaira !

Lui accordais-je souriant alors qu’elle s’emballait autant que moi. Espérons qu’à ce moment là, nous serons encore tous chanceux d’être en vie. Lorsqu’elle souligne que la famille lui manque, je ne peux que ressentir la même chose. Je n’aurais jamais pensé que cela soit aussi vif, que cela ne quitte point mes pensées. Etait-ce puisque j’avais terriblement peur de les laisser ? Probablement. Regardant au loin, mes mains dans le dos, je soupire avant de souffler à mon tour quelques paroles venant du cœur.

- Pendant longtemps j’ai été bercé par les batailles de nos ancêtres, je m’imaginais prendre la suite et ramener l’honneur à notre maison en triomphant des champs de bataille. Maintenant, tout cela me semble .. superflue. J’étais immature de penser ainsi, et je me rends compte de ce qu’il y a de plus importants dans la vie. Je retourne mon regard fier vers ma benjamine, un bref sourire nostalgique sur les lèvres avant d’ajouter chaleureusement :  Notre famille.

J’acquiesce par la suite quand elle soulève le fait de s’écrire, de se voir. Bientôt espérons le, espérons que cette guerre s’achèvera vite et sans trop de sang sur nos terres épargnées jusqu’à lors. Lorsque j’entends des rumeurs concernant l’Orage, je suis mal à l’aise, imaginant l’Ouest dans un tel état me remuait sans cesse les tripes.

Alys me met en garde à propos de son époux, un de mes sourcils se soulève et je souris amusé. C’est drôle de la voir aussi inquiète, leur lien était de toute évidence indéfectible. Je n’ai pas de doute sur la réussite de leur relation, mais encore fallait-il survivre à ce qui se préparait.

- Vous partagez ce trait en commun petite soeur. La taquinais-je d’un ton léger. Je ferai mon possible, je te le promet.

Je ne rapportais pas que rien n’arriverait à Lord Potter, je ne suis après tout pas un surhomme, et nous écoutons tous les ordres du dessus. Mais si je l’estime en danger, je ne manquerais pas de lui venir en aide.

Lorsqu’elle mentionne notre frère, je déglutis discrètement. Je le vois bien qu’il fait tout ce qu’il peut pour que les choses ici s’arrangent au mieux. J’ai juste un peu de mal à l’idée de me faire commander par lui.. Risible n’est-ce pas ? Mais je ne peux m’empêcher de ressentir cette amertume concernant sa réussite. L’important restait en effet que nous revenions tous, en vie. D’autant que ce conflit me semblait hors norme, il n’aurait jamais dû avoir lieu.

Abordant un sujet bien fâcheux, je remarque le changement d’attitude d’Alys, et je le comprends. Je sais qu’elle avait une certaine tendresse envers mon ex-épouse. Et c’était réciproque, Adélaïde ne cessait d’ailleurs de me rassurer concernant ma sœur, alors qu’elle s’éloignait de Kayce. Malgré tout, Adélaïde fut un fort soutien pour moi, et c’est pour cela que je l'a respecte particulièrement. Bien qu’elle m’en ait voulu longtemps, elle a toujours fait la part des choses. Alys me questionne à son propos, sur comment les choses vont se faire.

- Lorsque l’on nous a accordé une permission, où nous nous sommes rencontrés à Castral Roc, j’en ai profité pour rejoindre Kayce. Je prends mon temps pour m’expliquer, je me sens en quelque sorte toujours autant fautif dans l’affaire, mais j’ai besoin d’avancer. J’en ai discuté avec elle. Je ne coupe pas tout lien avec elle, si elle a besoin d’aide, je serais assurément là pour elle. Pour ce qui est de Léandre, la gouvernante et ses précepteurs s’occuperont majoritairement de lui. Maryssa et Robert prendront le relais lorsqu’ils auront du temps.

Je prends un temps de pause et Alys prend l’initiative de continuer, me soulignant que Adélaide aura certainement besoin de soutien. Je le pense aussi, mais je me dis que la mienne n’aurait plus sa place. J’ai des regrets la concernant, beaucoup, et je sais que ça n’a pas été facile pendant de nombreuses années entre nous.

- Je lui ai laissé tout le temps qu’il lui fallait pour retourner dans son fief familial, de ce que je sais, elle doit déjà être en route.

Ajoutais-je, une boule s’immisçant dans ma gorge. Je l’ignorais, m’obligeant à garder un visage neutre. Je n’avais pas le droit de flancher alors que son malheur était de mon fait. J’aurais peut-être dû la libérer bien plus tôt, au moment où je l’avais le plus déçu … Mais je ne peux revenir en arrière, les choses sont ainsi faites.

Je regarde Alys à sa question, pourquoi ai-je pris une telle décision ? Certainement pas pour le plaisir. Mais pour le devoir. Je sens depuis un moment cette sensation d’échec m’étreindre. L’un des premiers rôles d’un héritier est d’engendrer et de former la future génération. Mais mon seul fils à l’heure actuelle n’est pas légitime … Le nommer héritier serait une insulte autant pour son origine que pour la noblesse. Il en souffrirait bien trop. La lourdeur de mon rôle se penche à mes épaules, je m’approche alors des remparts, offrant momentanément mon dos à ma soeur. Je me sens honteux en effet … D’une voix emprunte d’affliction, je lui réponds enfin :

- Je vais avoir 33 ans. Mon seul héritier à l’heure actuelle est Robert. S’il m’arrive malheur, je sais qu’il ne sera pas heureux dans le rôle de Seigneur de Kayce. Il aime bien trop sa liberté de commerçant. D’autant que j’ignore s’il pourra un jour refaire sa vie. Il est essentiel que je me remarie afin de perpétuer notre nom. Me comprends-tu, Alys ?

Demandais-je en me retournant à moitié vers elle, le cœur battant, le regard incertain, prêt au jugement. A l’avenir, je n’aurais pas droit aux mêmes erreurs du passé. Pour nos parents, pour notre famille, pour Kayce, je me devais d’être à la hauteur cette fois-ci.

Bénédiction en temps de guerre

La déception d’Alys me touche particulièrement. Elle s’était attachée à Adélaïde, je me sens alors quelque peu honteux de provoquer de tels émois autour de moi. Mais je pense que ce malheur était inévitable. Plus rien n’allait avec mon ancienne épouse. Les dernières pages de notre histoire furent emplies de douleurs, de doutes et d’incompréhension. Il fallait mettre un point final à notre relation avant qu’elle n’impacte bien plus notre maison. Jusqu’à lors, nous avions toujours été très pudiques par rapport aux autres, nos disputes ne quittaient jamais notre chambre à coucher. Seulement, le mal-être d’Adélaïde pourrait s'aggraver avec le temps, atteindre sa santé autant mentale que physique. Si cela était arrivé, je n’aurais pu me pardonner une telle chose. 

Si ma chère sœur trouve ma décision bien précipitée, je la trouve trop tardive. Cela faisait douze années que nous étions mariés. Le début fut beau entre nous, l’affection était là, mais jamais nous n’eurent le résultat de notre devoir. Cela avait déjà empiété notre confiance en nous, puisque la pression sur nos épaules ne faisait qu’augmenter. Puis est arrivée ma grande erreur, mon pêché assumé, le fruit d’un amour interdit. Les Septs me l’ont fait gravement payer. De la perte de mon aimé, ainsi que de la confiance de mon épouse. J’aurais dû savoir à ce moment-là, que le fossé entre nous était déjà grand. Sept ans durant lesquels nous nous sommes déchirés l’un l’autre, dans l’ombre de notre famille. Un échec que je n’arrivais pas à assumer, je n’ai donc rien fait pour l’atténuer, jusqu’à il y a quelques mois. Où j’ai pris la décision de demander l’annulation du mariage au Grand Septon. 

Mes actes ont des conséquences, comme certainement le jugement de mes frères et soeurs. Si certains sont compréhensifs, d’autres pourraient avoir du mal. Chose que j’accepte. Malgré tout, cela fait mal d’entendre qu’Alys ne comprend pas ma décision. J’accuse le coup, déglutissant alors que je détournais le regard vers l’horizon, me perdant dans la verdure des collines. Qu’allait-elle me dire de plus ? Du coin de l’oeil, je la sens à mes côtés, ses mains comme les miennes sur le rempart. Alors que le vent souffle, bousculant nos boucles châtaines, la voix douce de ma benjamine me parvient. Je tourne donc le visage vers elle, surprit malgré tout qu’elle puisse me soutenir. Un poid semble se défaire de mon coeur, je me sens alors plus léger en écoutant la suite. 

Elle me rappelle que nous sommes une famille, que nous pouvons trouver une solution ensemble, que cela ne doit pas que reposer sur moi. Pourtant les seules autres solutions envisageables que je vois ne sont guère affriolantes. Faire de Léandre mon Héritier serait un scandale pour la noblesse. La réputation des Kennings est en jeu. D’autant que Léandre serait sans cesse sous-estimé et jugé. Pour ce qui est de Robert, je ne souhaite pas le placer dans cette situation. Je sais qu’il ne serait pas fait pour cela. Bien qu’il gère correctement les affaires familiales en mon absence, je sais qu’il aime sa liberté et son rôle de responsable commercial. D’autant que le presser de se remarier ne le rendrait guère heureux. Je me dois de le protéger de cette tâche qui m’incombe. 

- Je sais que vous êtes là, et je suis heureux d’avoir une famille aussi belle et soudée que la nôtre. Commençais-je, d’une voix attendrie, un léger rictus sur les lèvres. Avant de reprendre plus exigeant envers moi-même, les sourcils froncés. Mais j’ai des devoirs, envers vous et envers nos parents. Je me dois de vous préserver du devoir qui m’incombe. Père m’a éduqué dans cette optique, d’assumer les responsabilités et de vous porter vers votre avenir. J’ai failli à de trop nombreuses reprises, il m’est impensable que vous souffriez d’un nouveau manquement. 

Alys reprend à son tour, évoquant mon bonheur. Et le fait qu’elle ait toujours besoin de son frère. A ces mots, je me tourne légèrement vers elle et pose ma main sur son épaule, me voulant rassurant. Je soupire malgré tout, en répondant en partie mélancolique : 

- Le bonheur ..? Nous ne l’avions plus ensemble depuis un moment … Depuis que la confiance entre nous s’est envolée … Mon écart l’a sans cesse hanté. 

Son mal-être, sa paranoïa et sa méfiance étaient de ma faute. Je l’avais rendu ainsi. Je prends un petit instant pour chercher mes mots. J’ai toujours eu bien du mal à évoquer mes erreurs, surtout celle-ci. C’est comme si je rendais l’échec bien plus réel. Mais en même temps, cela me permet de mettre des mots sur une situation compliquée qui m’a encombré l’esprit durant des années. 

- Ces dernières années ont été chaotiques entre nous. Si elle avait fini par accepter et aimer Léandre, ce qui nous liait a été à tout jamais brisé. Par ma décision, je l’ai libéré de cette relation qui n’était plus saine. 

Je ne cherche pas à me dédouaner pour mes actes. C’est puisque j’ai agi ainsi que tout ceci est indispensable, pour son bien et celui des Kennings. Finalement, je me décide à changer de sujet, voulant m’enquérir des projets à venir d’Alys. 

- Sais-tu quand tu dois repartir ? Rentres-tu à Castral Roc ?