Ils sont arrivés par la Mer. Des dizaines d’abord, et puis des centaines. Des navires arborant pavillon du dragon rouge sur fond noir, du dragon noir sur fond rouge. Des multitudes de cogues à bannière du Loup, de la Sirène, de l’Ours enchaîné, de l’Ecorché, et des galères arborant pavillon de la Torture ou de l’écartelé lune et soleil. Ils sont venus par milliers, transportés à l’intérieur de centaines de cogues de chêne et d’hêtres massifs, de sapin.

L’armée de l’Empire arrivait enfin dans l’Orage. Coup du sort, elle avait été ralentie par les combats sur le Trident, par l’élimination –puis le ralliement- de la menace valoise. Plus que tout, l’Empereur avait été gêné dans ses préparatifs par des orages et tempêtes presque quotidiennes, qui avaient poussé Lord Velaryon à la plus grande des prudences. La consigne générale avait été respectée ; au moindre risque, au moindre grain à l’horizon, tout le monde était rapatrié dans le port le plus proche, ou à même la grève. Quelques navires avaient tout de même vécu des avaries mineures, mais l’essentiel de la flotte était resté sous contrôle, au prix d’une vitesse famélique et d’une navigation dangereuse. L’organisation par petites escadres avait permis à la flotte de continuer de progresser et de se trouver des abris à taille raisonnable pour chacun des fragments de la flotte, même si à bord, personne n’avait fait la traversée de la façon la plus assurée qui soit.

Le Royaume Fédéré de l’Orage n’avait pas eu tout ce temps. Alors que l’Empereur et l’Impératrice se débattaient contre chevaliers du Bief et du Val sur le Trident, le sort des Durrandon se jouait à Malefosse, à Val Maurand, à Wensington ou encore à La Griffonnière, à Nids de Corbeaux. Autant de défaites impériales, qui avaient précipité la Reine Argella, enceinte, à la ruine. Son peuple était pour partie occupé, ses ports sous blocus. L’essentiel de son armée avait été détruit ou s’était rendu avec elle, à bout de vivres. C’est dans un pays qui tenait encore à peine débout, seulement défendu par des conscrits, des survivants d’une division nordienne et des mercenaires, quelques centaines tout au plus, devant des dizaines de milliers d’envahisseurs.

Dans la plaine des Bronzes, des milliers d’hommes établissaient un camp gigantesque. Des navires s’amarraient pour décharger leur cargaison, tonnes de vivres et de fourrages, roulantes et forges, pour appuyer le déploiement d’une dizaine de cohortes impériales, renforcées de troupes de Peyredragon. Des compagnies d’infanterie lourde, plastron d’acier et casque sallet couvrant les yeux jusqu’à la nuque. Des bannières qui claquent au vent par centaines. L’Empire faisait étalage de sa puissance, avec un défi très clair lancé aux osts royaux du Bief, à quelques jours de marche au sud.

Une fois leur cargaison débarquée, l’armée déployée, les navires se laissèrent hâler par la marée montante, pour reprendre le large. Voiles gonflées de vent, fanions arborent les emblèmes de centaines d’unités et d’allégeances, et par-dessus l’immense clameur parcourant la troupe au passage de l’Empereur, poing dressé en direction d’Accalmie, une immense ombre noire survolée l’armée. Suivie d’une autre, plus petite. Leurs chevaucheurs poussant leur monture rugissante vers le sud-est.

L’armée Braenaryon et la flotte rassemblée de l’Empire, étaient peut être arrivées trop tard… Pour sauver l’Orage. Il restait encore à le venger.