En temps de guerre l’on dit souvent qu’il est facile de se ruiner. Tout coûte cher et l’argent frais se fait rare ; les moissons pourrissent ou sont glanées par les troupes en campagne, le bétail emmené, le minerait, converti et changé en armes et en attirail de mort. Et puis il y a ceux qui savent profiter de la situation pour sécuriser leurs ressources, faire fructifier leurs investissements. Riches rentiers et régions agraires en bonne santé, artisans et armateurs, ceux qui équipent aussi les bandes de reîtres qui écument l'arrière-pays au service d’armées plus vastes.
Et puis, il y a la Foi. Dont on sait les énormes richesses venant de la Dîme comme des investissements divers opérés par le Saint-Siège, et par les dons comme offrandes des plus fervents dévôts du pays. Le Grand Septon était un homme avisé, qui avait depuis longtemps dû faire fructifier les réseaux de la foi pour assurer l’endoctrinement, l’équipement et l’approvisionnement des troupes croisées qu’il envoyait sans un regret sur les ennemis déclarés de l’étoile à sept branches. Pour irriguer les conquêtes sur les païens et les hérétiques du sang des féaux serviteurs de la Foi, il fallait de l’or, et en quantités. Pourtant le Saint-Siège avait toujours su rester relativement discret, décentralisant à l’échelle régionale la gestion des ressources et des dépenses.
Les rumeurs couraient depuis des lustres sur le trésor de Villevieille, logé sous le Grand Septuaire. Personne ne l’avait jamais vu, mais tous les fidèles de la Cité avaient pu voir les ors et tout le faste des offices religieux, et de ceux chargés de les exécuter.
Un convoi partit de nuit du centre-ville de la grande cité bieffoise. Des chariots tirés par des bœufs et encadrés d’hommes en armes, battant couleurs des Fils du Guerrier et des Pauvres Compagnons. Si le guet de la ville était accoutumé aux communications logistiques entre le Saint-Siège et ses milliers de dépendances de par le continent tout entier, c’était la première fois qu’un convoi de plusieurs chariots était organisé. Pis encore, ce manège s’était répété plusieurs fois par chariots individuels, au cours des semaines qui précédaient. Jamais pourtant il n’y avait eu de telles allées et venues. Le capitaine du guet de Villevieille, après un quart sur les docks vérifiant les allées et venues puis un autre poste à la Poterne Est, fut mis au courant de l’inhabituel attelage, et fit dans le doute arrêter ce convoi. L’escorte en armes refusa de se laisser inspecter, ce qui plus encore alerta le capitaine. Cela faisait des mois aussi que les relations entre Bief et Foi se tendaient à mesure que les rumeurs, alimentées de part et d’autres, évoquaient les amitiés étrangères du Saint-Siège. Les documents officiels de transport, laissez-passer et autres blancs-seings étaient pourtant à jour… Mais on aperçut des agents du Roy sortit du bureau du capitaine et demander audience au commandant de la garnison. L’imbroglio fut alimenté par la tension qui gagnait autant l’escorte que le guet, alors que le bon peuple de la ville se réveillait en admirant une demi-douzaine de chariots lourdement protégés, cargaison couverte. Les officiers des douanes arrivèrent enfin après avoir contrôlé d’autres navires et se disputèrent avec les agents de police royale et ceux du guet. L’esclandre ne prit fin que lorsque l’on menaça d’appeler Leurs Saintetés pour venir demander des explications pour toutes ces contrariétés et contretemps… Et le convoi pu finalement partir, bien en retard après avoir passé une longue journée sous le regard des badauds et sous la surveillance nerveuse de ses protecteurs à cape blanche.
Aucune épée ne fut tirée, mais l’épisode était lourd de sens des tensions qui allaient croissantes entre officiels du Bief et gens de la Foi. Par quoi étaient-elles alimentées, concrètement ? De menues vexations, des affronts involontaires, et beaucoup de mauvaise communication. L’affaire fit mauvaise presse autant aux gens d’armes de la Foi qu’au guet et aux officiels de la ville. D’un côté flambait la rumeur que le Grand Septon envoyait son or pour ses amis, quels qu’ils soient, d’autres évoquaient des projets humanistes dans l’Orage hérétique, pour en aider et faciliter la conversion des brebis égarées. Plusieurs annonces furent lâchées durant les services religieux des jours suivants; le grand Septon financerait du trésor de la Foi, de la richesse des fidèles, car le pays de l'Orage était en grand besoin. En échange de prières et de participation aux services religieux, à la solidarité organisée par les septuaires, chaque habitant de l'Orage se verrait proposer un repas distribué gratuitement par les septons et septas à la fin du septième office de la semaine. L'on fit grand cas de la prodigalité du Saint-Père, mais cela ne fit pas totalement taire les rumeurs, voire les déceptions, de savoir de si importantes sommes dépensées. D'autant que la question de la sécurité de ces approvisionnements se poserait, avec la guérilla à l'oeuvre depuis deux ans dans le pays de la biche contre les représentants de la Foi et évidemment, les soldats du Bief et des mercenaires qui y combattaient.
Le convoi fut renforcé durant son trajet par une troupe de cavaliers du Bief, Lord Tyrell ayant eu vent de l’affaire, et bien décidé à se faire bien voir de la Foi, pour protéger ce qui était transporté des déprédations qui pourraient survenir suite aux rumeurs. Le monde criminel de Villevieille restait en ébullition, imaginant tous ces chariots remplis d’or…
Qui d’autre que Tyrell surveilla où et à qui ce chargement fut envoyé ?
Il arriva à bon port, quoiqu’il en soit. Et aux yeux du Grand Septon, c’était sans doute l’essentiel.