Paix et prospérité étaient devenus de vains mots en Westeros. L’Ombre d’Harren le Noir s’était muée en brasier ardent, devant les guerres impériales. Les souverains du continent, devant l’aggravation de la situation dans laquelle se trouvaient des routes commerciales, sont tentés de trouver de nouvelles sources de richesses pour financer leur guerre et leur politique. De plus, l’arrivée de représentants d’un Nouvel Empire Valyrien, dragonniers de surcroît, ne pouvait se faire sans tout bouleverser.
Au bout de quelques semaines, ce furent l’Ouest et les Iles de Fer qui ouvrirent leurs ports aux vaisseaux valyriens. Et annonçaient dans la foulée une navigation sans heurts à leurs vaisseaux commerciaux en Principauté de Dorne, du moins les ports contrôlés par les Valtigar. Un pacte de non-agression, ou un accord de non-belligérance quelconque. Cette négociation apparaissait comme une main tendue de vieilles puissances Westerosies envers un Empire qui semblait être une menace moins urgente que celui des Braenaryon. Cela intervenait aussi dans le contexte tendu d’une crispation commerciale, alors que les voies maritimes vers le Val, région commerciale par excellence, étaient menacées par la flotte Braenaryon.
Les peuples des Iles de Fer et celui de l’Ouest accueillirent la nouvelle avec un certain soulagement, ne souhaitant pas vivre avec la menace constante de quatre dragons plutôt que de deux. De plus, la cause dornienne semblait bien lointaine pour ces marins de deux pays qui avaient combattu les Martell quand ils étaient alliés à Peyredragon et à l’Orage, au début de la guerre. Pour le riche armateur de Port-Lannis ou le marin fer-né qui vit d’expéditions commerciales, la nouvelle était bonne ; Lancehélion croulait de marchandises qui n’étaient plus exportées depuis de nombreuses semaines. De façon générale, les nouveaux liens qui se tissaient indifféraient ou réjouissaient plutôt les Iles de Fer, pour qui tout nouveau débouché commercial était une bonne nouvelle compte tenu de l’état des finances du Sel et du Roc après l’effondrement de la monarchie Hoare. Les perspectives de profits étaient alléchantes…
En revanche, la décision portait atteinte à un certain nombre de principes défendus par la morale et l’honneur chères à la société féodale de l’Ouest. L’aristocratie fut aussitôt vent debout contre la décision, à ses yeux incompréhensible, de se lier à un empire plus encore hégémonique que celui des Braenaryon puisqu’il commençait désormais à s’étendre sur un second continent, en plus des nombreuses histoires de bains de sang à grande échelle qui se diffusaient depuis les comptoirs commerciaux des Iles d’été ou d’Asshai, histoires rapportées par les marins de Dorne et du Bief. Pis encore, la Princesse Deria Martell, assassinée par les dragons Valtigar, était jusqu’à son meurtre une alliée du Royaume de l’Ouest. Plusieurs voix fortes de l’aristocratie terrienne de l’Ouest s’élevèrent contre l’indécence de l’accord, enterrant un allié pour s’acoquiner avec ses assassins. D’autant qu’en théorie, le Royaume restait allié des Martell depuis le traité de Boycitre. Ce coup de poignard dans le dos du Prince Roward, qui se battait contre les rebelles pro-Empire et les Valtigar, était un parjure qui choqua beaucoup à la cour. Certains nobles se sentaient trahis ; leurs enfants mourraient dans le Conflans pour que l’on cède à une puissance étrangère plus que ce qu’on refusait à des voisins ? Sans compter que nombre de jeunes aristocrates avaient suivi les forces de Croisade, contre l’Empire Braenaryon ou contre Dorne, et que les accords passés induisaient une certaine tolérance envers des Valyriens soumis à d’autres dieux que les Sept, et qui avaient déjà combattu, sous la bannière du Tigre, la flotte de l’amiral Seymon Crakehall.
C’est justement la Foi qui eut la réaction la plus virulente. Comment un Royaume ayant pu participer à deux croisades pouvait accepter de commercer avec des hérétiques prônant la liberté de culte en terre consacrée aux Sept, et dont les membres les plus éminents, d’ascendance valyrienne, sont connus depuis des siècles pour leur immoralité et leur bellicisme ? Quelle différence, entre eux et les Targaryen ? Le Grand Septon alla jusqu’à envoyer une missive sous forme de protestation officielle, transmise en mains propres par le Septon Bellevoy à la Reine-Mère Jordane, au Roi Lyman et à la Reine Jeyne, afin de leur demander de venir au plus vite au Grand Septuaire de Villevieille évoquer ces sujets pour répondre aux « vives inquiétudes de Sa Sainteté ».
L’Ouest jouait une phase dangereuse de sa partie du jeu des trônes, abandonnant les Martell et risquant de s’aliéner partie de ses soutiens, en perspective d’autres calculs faits à plus long terme. Il y avait ceux qui faisaient confiance en la Reine-Mère, qui avait toujours su préserver l’Ouest, d’autres qui soutenaient le jeune Roi dans sa politique de changement, de rupture avec le passé. Et enfin, la fronde de ses opposants, ulcérés, qui par conviction ou par desseins, remettaient en question l’honneur et la vertu de la maison souveraine. On ne signala pas de troubles, pas de révolte armée, pas de fronde aux collecteurs de taxe. Mais l’agitation régnait partout, les prêches des septons se firent plus critiques alors qu’ils étaient jusqu’alors acquis au Roi et à sa mère, les nobles moins prompts à répondre aux missives et édits promulgués par la couronne. Tous attendaient de voir et de comprendre, pourquoi le Royaume nouait ces nouveaux accords, et ce qu’ils produiraient concrètement comme effets. La richesse et la prospérité pouvaient-ils s'acheter au prix de l'honneur, ou était-ce la première pierre d'un plan plus vaste? Le monde restait suspendu aux prochaines décisions de la couronne de l'Ouest.
Pour l’instant, le Nouvel Empire Valyrien plaçait ses pions en Westeros, et avançait grâce aux talents diplomatiques de Jaenyra Valtigar qui s’illustrait dans sa capacité à mobiliser autour d’elle.