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Hrotgar ? Hrotgar, t’es où, bâtard vérolé ! |
Le capitaine Vortigern passe une mauvaise nuit. Sa patrouille sur le Mur a déjà dû repousser deux raids sauvageons. Ce n’est plus arrivé depuis deux ans, qu’il y en ai deux, le même jour. Quand ils sont repérés, comme le premier, c’est facile. Ceux qui n’ont pas eu de chance sont repérés à flanc de roche gelée, et sont impitoyablement transpercés à l’arc, à l’arbalète, au javelot. Ils en ont abattu une dizaine, le matin même. Dont une femme au moins, d’après les cris poussés à flanc de Mur. La Garce de Piqueuse a mis des heures à crever. Son groupe n’a pas essuyé de pertes, sa patrouille était intacte. Vortigern allait pouvoir ramener quelques bonnes histoires, boire un godet, et rentrer avec ses quinze hommes. Même quand ils sont tombés sur le second groupe, ils ont eu de la chance. Les sauvageons étaient déjà en haut du Mur. On s’y est étripés à coups de crochets, de javelines, de coutelas. Le sang a maculé le chemin de ronde… Mais les sauvageons, pauvres en casques, mailles et bon acier, ont été jetés dans le vide sans pitié. Inutile de risquer des maladies de ce côté-ci du Mur… Malgré la neige épisodique, c’est tout de même l’été.
Mais avec ces deux victoires, il manque deux hommes à l’appel depuis le crépuscule. Avec Anders, ça va faire trois. Plus les pertes, la patrouille sera décimée aux deux tiers.
Vortigern cherche. Et cherche encore. Il appelle son homme et lance les autres sur le chemin de ronde, en retrait, près du système de portants. Tous sont à l’affût, et cherchent leur camarade. Vortigern voit sa torche commencer à éclairer de moins en moins, sa flamme oscille énormément dans le vent. Il distingue quelque chose. Plisse les yeux, où s’accrochent quelques flocons. Une longue traînée brune… Qui disparaît. Du sang. Du sang partout. Il n’a rien entendu.
Vortigern n’entend pas non plus la mort avant qu’elle ne vienne le prendre.
Sa patrouille vit une nuit compliquée. Bien vite réduite à trois hommes qui veillent dos à dos, épée en main et tremblant de la tête aux pieds, les survivants assistent à un étrange manège. Une lumière vive. Un bruit de brasier. Renouvelé plusieurs fois dans la nuit. Le vent qui porte des hurlements de bêtes horribles, cauchemardesques. On entend le hurlement du vent, aussi, auquel se conjugue celui de monstres des abysses. Craquements sonores à en faire trembler leurs membres. Le sol tremble sans cesse, comme si le Mur était attaqué par une horde de géants. L’un des hommes souilles ses chausses. L’autre vomit. Le dernier finit par se jeter tout seul du haut du Mur.
Au petit matin, on ne distingue pas son corps dans la neige.
Les deux survivants constatent que le chemin de ronde s’affaisse. Il glisse. Un vrai ruisseau s’en écoule. La glace devient meuble. Malgré leur instinct de survie qui leur dicte de s’enfuir à toutes jambes en profitant de la lumière du soleil -qui les révèle plus seuls que jamais-, ils se rapprochent de l’endroit d’où ils ont vu les flammes monstrueuses, les bruits sinistres qui les ont hantés des heures durant.
A cet endroit, ils doivent s’arrêter.
Il manque cent pieds de hauteur au Mur, qui continue de fondre et de luire, à la lumière du soleil. Il n’est pas détruit. Mais il continue de fondre.
Le Mur est vivant, leur a dit le Lord Commandant. Le Mur est vivant, et il se défend.
Mais là, des millions de tonnes de Glace produisent des sons annonciateurs de fin de monde. La structure produit des craquements sinistres. Le Mur est touché. Le Mur est affaibli.
…..
Loin au Nord, des chamans des Peuples Libres ont senti la déflagration. Les vervoyants sont morts, écume aux lèvres, yeux révulsés. Les changes-peau se sont retrouvés transformés involontairement, hurlant dans la nuit, se jetant sur les leurs. Un peuple cruel dépose ses nouveaux-nés au milieu de pierres rituelles, au sommet d’un Cairn.
Et dans ses Profondeurs, enterré avec ses armes de jadis, un Roi des Premiers Hommes s’éveille d’un regard bleu azur sur le monde.