Mahée Allyrion menait maintenant sa rebéllion contre la Maison Martell depuis de nombreux mois. A force de travail de diplomatie et de sang versé par ses gens, la belle ne lésinait pas sur les efforts pour rallier de nouveaux soutiens dans la Principauté. Alors que les événements sanglants s’enchaînaient autour de la Grâcedieu, son fief d’origine, et qu’elle-même était signalée quelque part dans le nord de Dorne à la tête d’une armée de libération, elle tentait d’autres coups pour prendre l’avantage.

Des navires partis de Bois-Moucheté et ralliés à la Rebéllion, partie de la flotte de guerre et de commerce de la Flotte Santagar, approchèrent de l’île de Griseffroy. L’endroit était glauque, une île désolée au milieu de la Mer de Dorne, avec une forteresse délabrée sise sur un amoncellement de rocailles battues par les tempêtes et par les puissantes vagues qu’elles soulevaient. Les Martell en avaient jadis fait un avant-poste de ravitaillement naval, mais depuis deux siècles l’endroit était devenu un bagne pour les criminels de la Principauté ; les coûts pour les y laisser pourrir étant bien moindres que de financer leur départ pour la Garde de Nuit, si loin au Nord. Des centaines d’âmes suffisamment sombres pour se voir punies par des peines d’emprisonnement et de travaux forcés pour des années, voire à vie, s’y amoncelaient depuis des lustres dans des conditions terribles. Seuls les gardes, richement payés, y étaient bien lotis.

Les six navires Santagar accostèrent en toute sécurité sur les petits quais défendus d’une unique tourelle garnies d’une patrouille d’archers qui pensait voir arriver le ravitaillement mensuel de la prison ; barils de poissons séchés, eau douce, quelques outils et matériaux, et l’on y renvoyait des cargaisons de roche taillée par les prisonniers pour la construction des forteresses du continent, extraites dans la sueur et le sang des petites carrières de l’île. Dépassés par le nombre des marins rebelles, la archers Martell se rendirent aussitôt. Plusieurs centaines de marins montaient quatre à quatre les marches menant au corps de garde de la forteresse.

Les cors d’alerte retentirent depuis les tours, et l’on tira quelques salves sur les assaillants. Mais à l’intérieur, les prisonniers qui rentraient de leur labeur s’en prirent aux lanciers qui les encadraient et les étripèrent à coups de pierre ou en les étranglant avec leurs chaînes. La fronde dura deux heures, durant lesquels les marins échangèrent des tirs avec la garnison qui devait se défendre de l’intérieur. Bientôt, des grappins, ordinairement réservés aux abordages, furent lancés et les murs en mauvais état, escaladés. La poignée de gardes, moins d’une centaine, dû bientôt se rendre avant d’être anéantie. A un contre dix, de l’intérieur et de l’extérieur… Les chances n’étaient pas de leur côté. Le capitaine Boone, qui commandait à la petite flotte, fit alors rassembler prisonniers et gardes dans la cour, bien séparés par ses marins armés de haches, de sabres et de javelots.

Boone répéta à tous le discours que Mahée Allyrion prônait pour Dorne ; son désir de faire changer les choses, d’intégrer la Principauté dans une sphère de prospérité commune avec les autres Royaumes, de chasser les Martell, dont les errements avaient ruiné la Principauté et mis le peuple à l’agonie.

Le discours ne fit pas mouche, pas même un peu. Ni gardes ni prisonniers ne se sentaient véritablement concernés. Ils se fichaient de quelle catin occupait le trône, tout ce qui les intéressait c’était… Leur liberté. Et ils passèrent un pacte avec le capitaine. Ils intégraient la flotte rebelle comme supplétifs, renforçant les équipages, les doublant. Et ils travailleraient pour la rebéllion. Mais en contrepartie, ils garderaient toute prise en mer ou sur terre qu’ils parviendraient à faire. Boone accepta, et fit encadrer ces nouveaux marins par ses équipages, plus expérimentés. Au crépuscule, ils étaient tous partis, et la forteresse, vidée, laissait les corps des émeutiers et des gardes ayant résisté aux mouettes.

La rébellion gagnait du terrain… Mais ces rufians-là n’étaient pas guidés par les mêmes idéaux que les autres rebelles fidèles à la cause Allyrion, et formeraient sans nul doute de tumultueux alliés dans les combats à venir !