An -21 — Un nouveau foyer

Les larmes sur les joues, le petit garçon avançait en suivant de près celui qui était venu le chercher dans cet endroit lugubre. Il sentait encore l’odeur du poisson et de la marée, caractéristique de ses origines ; lui sentait le souffre. Il regardait ses cheveux se balancer, alors qu’il posait ses pieds dans les traces que formaient ses pas : il marchait dans son ombre, tel l’enfant qu’il était. Derrière eux, deux chevaliers suivaient de près le seigneur et son fils bâtard : leurs armures étaient marqués du sceau de la maison Targaryen, le dragon aux trois têtes. L’enfant ravala sa salive alors qu’ils montaient les marches qui menaient jusqu’à la forteresse. Le bruit lourd du métal alourdissait l’atmosphère déjà pesante. Il y avait du stress, de l’angoisse. Une mondanité qu’il ne concevait pas. C’était déjà plus qu’il ne l’avait jamais connu. Et alors qu’il était perdu dans ses pensées, la voix du seigneur-dragon perça le silence, lui faisant ouvrir grand les yeux, par surprise. « Tu es mon fils. » dit-il premièrement, d’une voix dure et impénétrable. « Et en toi coule le sang des dragons. Peut-être est-ce trop tard pour me racheter auprès de toi, mais sache que c’est ton foyer ici : qu’importe ton nom, que tu sois un « Waters » ne change rien, mon fils. » enchaîna-t-il familièrement, lui offrant un maigre sourire — il avait décrypté son regard comme cela, en tout cas — et reportant ses yeux vers l’avant. À peine furent-ils arrivés devant les grandes portes — où de chaque côté, se tenaient deux imposantes statues draconiques — qu’elles s’ouvrirent en grand, et on annonça la venue du seigneur des lieux. Le garçon se crispa pendant quelques instants et il observa devant lui : la maisonnée était là, présente devant eux. Ils s’avancèrent, pénétrant dans la cour.

« Voici votre frère, il s’appelle… » Brisant la glace, ce fut Aemion qui s’apprêta à parler pour présenter son fils mais à peine eut-il prononcé quelques mots, qu’il fut coupé par une voix fuyante et timide. « Orys. » Il n’était guère nécessaire de prononcer le nom de la bâtardise, celui qu’il portait ; ils le savaient probablement déjà. Gêné, le garçon berça les yeux, sans se rendre compte du regard amusé que lui portait déjà son père, quand bien même il lui avait coupé la parole.

Quand il releva les yeux, Orys rencontra le regard de son demi-frère, qui ne semblait avoir tout au plus qu’un an de plus. Aegon semblait joueur, s’amusant de la présence de ce « demi-frère caché » et ne semblait nullement gêné par son existence. Leurs yeux ne trompaient rien : la même couleur se transmettait. La chevelure, quant à elle, était bien différente. L’héritier des Targaryen tapa l’épaule de son jeune demi-frère et d’une voix déjà puissante pour son âge, hurla presque : « Et moi c’est Aegon ! Et je te présente nos soeurs, Visenya, notre aînée et Rhaenys, notre benjamine. »

C’est vers cette dernière que les yeux d’Orys prirent le plus de temps. Il ne s’en détachait déjà pas. Pour la première fois, il se sentait appartenir à une fratrie et pendant quelques instants, il en aurait presque oublié le drame qui le touchait.

An 0, mois 10 — Une nouvelle dynastie

Son regard dessinait chacune des courbes de ce maudit papier. Ses yeux, d’un améthyste pur, aux reflets irisés, lisaient chacun des mots qui y étaient inscris. Il se pinçait la lèvre, jouer avec le pommeau de son épée attachée à sa ceinture. Debout face au bureau, sous une chaleur accablante, il avait besoin de cette solitude. Personne n’était là pour le déranger, sauf le flot incessant de ses pensées tiraillaient. Au plus profond de lui, il s’en voulait ; extérieurement, il n’en montrait rien, depuis des jours. Et là, soudainement, la colère éclata : il frappa brutalement son poing contre la table, coléreux. Tout se bouscula, trembla, sous le coup de son énervement. Il ne montrait pas le moindre signe du tracas que cela lui causait, il ne pouvait pas se le permettre : pas ici, cette contrée était étrangère, quand bien même il en était le prince consort. Il avait l’habitude de cacher ce qu’il ressentait, à ses proches, alors ici, personne ne pourrait probablement comprendre. Il se présentait comme un guerrière, un stratège, qui était là pour amener ses compétences sur un champ de bataille. Il avait voulu faire fonctionner cette alliance et au-delà même de cela, il voulait respecter les voeux qu’il avait prononcé devant les Sept, qu’il priait avec ferveur, dans l’intimité de sa tente ou de sa demeure.

Cela ne pouvait cependant plus être le cas. À son mariage, il préféra les liens de naissance, le sang du dragon. À celle qu’il avait épousé — et qui pourtant trouvait lentement une place dans son coeur, il décida de choisir celle qu’il avait toujours aimé, sa tendre petite soeur, qu’il avait de lui-même couronné reine. « Plus jamais. » se promit-il à lui-même, sans que personne ne puisse l’entendre. Il honorait ce serment qu’il avait autrefois fait, jusqu’à sa mort et s’il devait tomber en triomphant de ses ennemis, pour elle, alors il le ferait. Il lui devait tout.

Il ne lui fallut que peu de temps pour mettre cette décision en pratique. La chaleur étouffante de Dorne changea rapidement pour les climats tempétueux de l’Orage, puis pour celui pluvieux du Conflans. Son chemin, lentement, le mena jusqu’à sa soeur et alors qu’elle avait abandonné son nom, donnant naissance à la dynastie Braenaryon, il ploya le genou devant elle et lui demanda pardon.

Elle lui avait laissé le choix : soit Deria Martell et Dorne, soit elle et l’Empire. Il l’avait choisi elle. Le dragon n'avait certes plus que deux têtes, mais il en restait un, loyal à son sang.

An 1, mois 6 — Le sang du dragon

L’annonce avait été faite, c’était officiel ; il était officiellement divorcé, quand bien même cela ne plairait pas à l’arriviste qui occupait le poste de Grand Septon. Il avait partagé la couche de la princesse de Dorne, Deria Martell, il avait tenté d’honorer cette alliance — pour Peyredragon — mais cela n’avait pas été suffisant : l’Empire et Dorne n’étaient plus en bon terme. Il avait dénoncé le nom respect des termes du mariage. Les alliances se faisaient, mais elles allaient tout aussi vites à se défaire ; l’Empire était devenu la seule certitude. Une volonté d’unification qui permettrait de dépasser tous les différents : le Nord ne serait plus seul contre les sauvageons, l’Orage survivrait à sa crise dynastique et permettrait à une reine de conserver son trône, le Bief aurait pu retrouver sa lignée originelle — sans cette bévue perpétrée par le prince Gardener.  L’Empire se montrait un et indivisible ; les puissances centrales étaient unies, mais jusqu’à quand ?

Cependant, s’il croyait en cela, une pensée se dirigea vers les Sept ; il ne put s’empêcher de prier pour l’âme de son enfant mort-né. Après l’annonce de la répudiation de la Martell, la nouvelle de la mort de son enfant lui pinça le coeur. Un enfant qui n’aurait pas porté son nom, mais qui aurait été de son sang — celui du dragon. Orys perdait une nouvelle fois quelque chose et pourtant, les Sept savaient qu’il avait fort peu de possessions en ce bas monde. Heureusement, il se concentrait sur leur victoire et sur cette guerre, ne s'intéressant pas à cela.

An 1, mois 9 — La protection de l’avenir

La missive lui était parvenue le matin même. Dans sa tente, il avait tout envoyé valser, tant la colère s’était emparée de lui. Il avait l’esprit protecteur. Il n’en pouvait plus, en réalité, et ne serait sûrement pas parvenu à accuser la mort de son neveu, de sa nièce… ou des deux. Une vile tentative, voilà ce que représentait l’attaque qui avait failli coûter la vie à ceux qui étaient sa famille. Braenaryon, Targaryen ou Baratheon : il n’y avait aucune différence pour lui. Que des noms, voilà ce qu’il pensait : son rapport était le même avec les trois noms, en eux tous coulait le sang du dragon. Pour beaucoup, cela n’était qu’une idiotie. Pour lui, élevé là-dedans, il savait l’importance que cela avait. Cette tentative ne pouvait venir que des puissances centrales, ennemis de l’Empire.

Cette guerre ne serait terminée que quand ils seraient tous morts : dirigeants du Bief et du sel et du roc. Aegon, Visenya, Balerion et Vhagar avaient été vengés par la mort d'Harren Hoare et de son bâtard. Mais ces méfaits ne le seraient que par la mort des responsables.

An 1, mois 12 — La continuité de la guerre

Aubray. La bataille avait été laborieuse, compliquée et avait vu des pertes énormes pour l’empire. Tant en quantité, qu’en qualité : l’empire ne se jouait pas que sur la vie d’un seul homme, mais on ne pouvait guère oublier la vie de ceux qui avaient officié : Conrad Omble, grand ami de l’empereur et surtout général de l’Empire. Baal Forel était mort, lui aussi. Orys avait tenté la survie, avait tout donné ; ils n’étaient plus qu’une centaine, mais leur volonté en avait valu dix fois plus ! Il n’avait pu vaincre l’armée ennemie et c’était ainsi que les troupes de l’empire avaient perdu cette bataille, ainsi que de valeureux combattants.
Le lendemain, au moins, l’Empire avait pu compter sur une victoire décisive, mais amère. Ses troupes avaient été saignées, ses effectifs amoindris. Il avait participé à des batailles, à un prix terrible ; mais c’était celui qu’il était prêt à payer pour la paix que prônait sa soeur, en laquelle il croyait.

La mort de Yoren Hoare avait fait reculé le Sel et le Roc. Mais pourquoi combien de temps ? La question se posait, alors que les souverains reçurent des nouvelles des puissances neutres : l’entrée en guerre du Roc et du Val changeait tout. Face à cela, il se préparait déjà à la poursuite des hostilités.