Il fallait que je réagisse. Comme toujours. Je n’avais plus le temps ou le loisir d’être dans la planification ; je devais souvent me situer dans la réaction. Ce n’était pas volontaire ; j’étais un planificateur. J’aimais prévoir quelques coups d’avance. Me mettre en route avant tout le monde, pour être sur le lieu d’une bataille avant que l’adversaire ne soit même conscient qu’elle pouvait avoir lieu. Ces derniers jours, ce n’était plus du tout le cas. Je n’avais plus le loisir que de m’opposer aux directions que notre histoire prenait qui ne me convenaient guère. Essayer de la remettre sur les rails de ma réussite. C’était ça mon objectif de l’instant. Réagir. Réagir. Réagir.


Ca me hantait chaque nuit. A chaque heure qui passait. Je perdais le fil de ces heures à écrire et réécrire les plans dont l’accomplissement pouvait nous sauver -ou dans le cas d’un échec nous condamner- tout comme j’essayais d’anticiper les réactions de l’adversaire selon le mouvement que je réaliserais… Planifier, quand même, malgré toute cette avalanche de contraintes, malgré tous ces dangers qui nous menaçaient à nouveau. Je ne serais sans doute plus jamais libre, en tout cas plus durant des mois ou des années. Trop d’ennemis à combattre, et cela n’allait pas tarder à me mettre dans la position de celui qui doit se battre sans pause ni arrêt pour avoir un mince espoir de survie.


Je me sentais pris à la gorge. Etouffé dans mes aspirations. Jamais les choses ne pourraient aller mieux tant que j’aurais autant de flottes et d’armées qui menaçaient mon foyer ou les terres de ceux qui me faisaient confiance. Jamais je ne pourrais vivre en paix tant qu’un seul de mes ennemis, qui me haïssait tant, se trouvait en vie.


Je passais mes nuits aviné, entre deux mondes. Trahi par ma conscience, torturé par mes cauchemars. Toujours ce froid qui me faisait trembler, qui m’imprégnait les muscles autant que les os. Ces suées nocturnes, au moment où les mains décharnées de mes fantômes se hissaient autour de mon cou pour mieux l’enserrer. Ils m’appelaient. Ils m’appelaient encore. Et se rassemblaient pour la curée ; ils sentaient bien que ce serait bientôt leur heure. Alors, je travaillais. Je me rhabillais et je réfléchissais et écrivais des ordres, des nuits entières. Je venais de le faire pour la flotte. Priorité au châtiment. Priorité à la survie. Tout le reste devient secondaire. Puis, j’attaque les autres sujets moins urgents. Ceux où je suis bloqué par des réponses qui se font attendre.


Anticiper, vaille que vaille, alors que la tempête était bientôt sur nous.


Je file voir mes enfants. Mais ce n’est pas eux que je viens voir… Bien sûr, je veux passer du temps avec eux. Les embrasser. Les serrer. Les faire rire… Même si ce son me ferait peut être vriller pour de bon. Non, je suis venu voir l’une des personnes en qui j’ai le plus confiance. Un des rouages essentiels à la vie du couple impérial, un soutien énorme qui s’ignore. Je toque aux chariots où se trouvent les effets et les enfants de la Maison Impériale, jusqu’à tomber sur Lady Swann, au réveil. Je m’incline.


| Désolé, Dame Mina. Je ne voulais pas vous déranger, ni vous faire peur. Mais j’ai peut être le remède à vos maux aussi bien qu’à votre désir d’utilité pour la cause impériale. Puis-je entrer ? |


Je me remémmorais notre dernière rencontre… Mal à l’aise. Ce n’était pas le moment d’y repenser.


| Comment vous portez-vous, tout d’abord ? Avez-vous entendu les nouvelles qui circulent dans le camp ? |

On disait des enfants qu'ils étaient capables de ressentir les émotions, les sentiments, les souffrances de leur entourage mieux que personne d'autre. S'ils ne savaient pas encore parler, ils étaient néanmoins capables de partager avec les autres leur mal être, par des pleurs, par des cris, ou leur bonheur par leur sourire ou par leur rire. Mina était certaine d'une chose à cet instant, c'est que les jumeaux impériaux n'étaient pas réellement en sécurité ici, n'étaient plus en sécurité nul part. L'inquiétude grandissait tout autour d'eux, les menaces également, la victoire qui apparaissait si proche était à présent si loin, quelques pas faits en avant pour mieux repartir en arrière. La tension était presque palpable dans tout le campement militaire, l'espoir semblait s'enfuir à la moindre bourrasque de vent, le désespoir s'installait à chaque nouvel orage. Tout le monde attendait de savoir ce qui allait se passer à présent, quelle serait la stratégie mise en plus pour le reste de la campagne militaire ? De nombreuses questions en suspens, il faudrait bien y répondre à un moment ou un autre, ne pas attendre pour ne pas laisser encore plus de possibilités d'actions à l'ennemi, cet ennemi qui était pourtant cette famille qui l'avait vu naître et qui l'avait vu grandir, mais ce passé semblait s'éloigner de plus en plus, et elle se sentait elle aussi un peu perdu maelstrom de sentiments.

Athynéa et Aeden restaient sa principale préoccupation, sa principale occupation, elle passait de plus en plus de temps à leurs côtés, elle se sentait au moins utile avec eux, bien qu'elle imaginait néanmoins qu'elle ne manquait pas de leur donner quelque peu son énergie négative. Les nuits étaient de plus en plus courtes, de plus en plus agités et elle ne savait comment les aider au mieux à passer ces moments difficiles, là où ils auraient du découvrir le monde, au lieu de devoir se cacher de celui-ci pour pouvoir les maintenir en vie, sans oublier qu'en prenant de l'âge, les changements de leurs petits corps leurs demandaient beaucoup d'énergie, mais malgré tout, quand elle les voyait sourire et rire, cela faisait oublier tout le reste, même les pleurs au milieu de la nuit. Mina avait fini par s'endormir presque au moment des premières lueurs de l'aube, quand enfin elle avait entendu la respiration apaisée des jumeaux, comme une douce musique qui vint à l'apaiser et lui permette d'enfin s'abandonner au sommeil.

Elle sursauta en entendant les coups sur la porte du chariot et elle quitta rapidement sa couche pour pouvoir ouvrir à la personne qui venait de signaler sa présence. Elle ne fut pas surprise plus que cela de la présence de l'Empereur, qui venait tout aussi régulièrement que son épouse pour pouvoir saluer ses enfants, mais elle n'était pas pour autant dans une tenue des plus convenables pour le recevoir. « Vous ne me dérangez jamais votre Majesté, vous le savez bien … Je suis toujours à votre disposition, et encore plus si vous semblez avoir trouvé une solution pour moi. » Tout en se mettant à rougir fortement, elle s'inclina face à lui, se rendant compte alors de la tenue qu'elle avait sur elle. Elle tendit la main vers une couverture traînant dans un coin, bien que les nuits étaient fraîches, Mina avait toujours eu tendance à beaucoup bouger dans son sommeil, ce qui faisait qu'elle se découvrait un peu au fur et à mesure de la nuit, et elle ne pouvait se présenter ainsi devant l'homme. Elle la posa la couverture sur ses épaules et le laissa entrer, refermant la porte après son passage. Elle hocha la tête en le regardant dans les yeux. « Je vais bien … Ne vous en faites pas pour moi … C'est à moi de vous demander commet vous vous portez votre Majesté. » Elle souriait tristement. « En effet, j'ai entendu les nouvelles, tout est donc bien vrai ? »

Au réveil. Tout le monde se lève pour le monarque. Il en va ainsi de tous les pays du monde. Certains pays ont même une étiquette élaborée, quelque chose de ritualisé presque, mettant la monarchie et son rythme de vie au diapason des efforts et du respect de tous leurs suivants pour se conforter à leurs illustres personnes. Ce n’est pas mon cas. Mon style est même presque brouillon en comparaison d’autres cours royales. Qu’importe. Je suis là pour pousser les murs, pour les faire s’abattre s’il le faut. Je suis là pour bousculer l’ordre établi, mis en place pour que plus jamais le Nord ne subisse seul l’iniquité des ambitions de ses ennemis, qui sans cesse le mettaient en danger. La jeune femme semble en tout cas bien épuisée. Mina Swann gérait nos enfants, avec d’autres renforts, pour la durée de la campagne orageoise et bieffoise. Celle-ci touchait à sa fin et avec elle, sa mission sans doute. Je ne savais pas très bien à quoi elle voulait se vouait ensuite. Sans doute retourner à Pierheaume ? Sa ville, menacée par les bieffois autant que par les dorniens, n’avait pas encore été réellement mise en danger mais le passage d’armées adverses, parfois, engendrait de terribles dangers, des déplacements de population ou l’émergence de maladies diverses et variées qui pouvaient engendrer bien des tracas aux gens qui vivaient dans ces régions.


Sa tenue me surprend un rien et nullement gêné, car sans pudeur depuis bien des années et mon entraînement militaire qui avait aboli depuis longtemps ma retenue, je ne pouvais qu’être toutefois plongé dans un certain embarras pour la jolie blonde elle-même. Elle n’avait pas souhaité se retrouver ainsi devant moi, même malgré ses gestes un tant soit peu ambigus de notre dernière rencontre. Peut être n’avait(elle pas eu le temps de se vêtir du fait des turpitudes vécues par les jumeaux, de leurs contrariétés nocturnes ? Je les savais fragiles, et ils pouvaient peut être se remplumer avec le temps et devenir plus solides, mais être trimballés de chariot en chariot n’aidait sans doute pas ni au confort, ni à leur croissance.


Elle rougit en ouvrant la porte et se couvre, je lui laisse l’intimité nécessaire quelques instants avant de regarder à nouveau vers elle. Belle et séduisante, comme toujours. Une beauté froide, meurtrie par un veuvage jeune et une santé fragile.


| Vous êtes gentille, Dame Mina. Mais je suis désolé quand même de vous avoir surprise. |


Elle était l’une des rares à croire vraiment en ce que nous faisions, autour de moi. Avec Rhaenys, Argella et Mahée, et quelques officiers supérieurs. Mais je savais que les voix dissonantes ne manqueraient pas de s’élever à nouveau. Elle semble gênée alors je choisis de me conduire normalement, même si c’est tout de même compliqué de la regarder sans la détailler du regard… Son sourire triste ne rencontre aucun écho, chez moi. Mais j’entre… Avant de me raviser en voyant les petits dormir. Je dois murmurer, alors.


| Allons dans le wagon de fournitures, plutôt. Rejoignez moi quand vous serez prête. |


J’avais envie de les prendre et de les serrer contre moi, car ils étaient un sacré remède à ma solitude, comme kl’avaient été mes premiers nés. Dans les deux cas, je ne les avais pas vus souvent et j’en avais profité à chaque fois. Mais le temps et la distance avaient poussé nos liens à se distendre, et maintenant je n’avais plus qu’une bonne dose de mépris et de rancœur.


Le poids restait lourd, sur mes épaules. Le devoir m’écrasait depuis toujours, et menaçait de m’engloutir.


| Tout est vrai. L’Ouest et le Val nous attaquent dans le dos. Nous allons redéployer nos forces, de ce fait, pour affronter et vaincre cette nouvelle menace. Je vais avoir besoin de vous, mais plusieurs choix s’offrent à vous. Et j’ai besoin aussi, de savoir ce à quoi vous vous aspirez, Dame. Réellement. Si c’est de retrouver votre foyer dont il s’agit vous n’avez qu’un mot à dire. Un nouvel époux pour votre protection et celle de vos enfants, de même. Et ainsi de suite. Vous avez mérité de l’Empire, qui saura se montrer reconnaissant. |

Mina était quelque peu confuse de se retrouver ainsi sous le regard de l'empereur. Il était certain qu'avec la courte nuit qu'elle avait eu, mouvementée avec les deux jumeaux qui s'étaient relayés en cris et en pleurs et qui ne s'étaient endormis véritablement que tardivement, elle n'était pas des plus réveillées et des plus présentables non plus pour accueillir Torrhen Braenaryon dans les meilleures conditions dans le chariot où se trouvaient les jumeaux impériaux. Elle avait rapidement attiré à elle la couverture qui se trouvait sur sa couche à quelques centimètres de là. Elle l'avait donc posé sur ses épaules pour pouvoir être un peu moins gênée en présence de l'homme face à elle et surtout pour avoir l'esprit un peu moins bloqué sur sa tenue et sur la bienséance, et ainsi pouvoir être pleinement disponible pour entendre les paroles importantes que l'Empereur semblait vouloir échanger avec elle. Cependant, le rouge qu'elle avait aux joues, ne disparaissait pas et elle restait embarrasser juste sous son regard, assez perturbant, elle devait bien l'avouer. « Ne vous en faites pas, votre Majesté, vous êtes dans votre bon droit. Les deux petits ont été quelques peu agités cette nuit, et bien que j'ai l'habitude de me réveiller au son de l'animation ambiante au tour du chariot. Pour autant, ce matin le sommeil était lourd et je me suis en effet, laissée surprendre. » Il n'avait pas à s'excuser, après tout, un souverain avait tous les droits non ? Elle s'était décalée pour pouvoir le laisser entrer dans le chariot et pouvoir discuter à l'abri des regards et des oreilles indiscrets. Les jumeaux dormaient du sommeil du juste, et leur père n'avait visiblement pas envie de les réveiller, et pour cela, Mina en était sincèrement reconnaissante. « Je n'en aurai que pour quelques minutes pour pouvoir me préparer. » Elle referma la porte du chariot après le départ de l'Empereur et elle passa un peu d'eau fraîche sur le visage, elle se coiffa et s'habilla rapidement avant de quitter le chariot et rejoindre le wagon de fournitures comme Torrhen le lui avait demandé.

Elle se présenta devant lui, s'inclinant alors face à l'Empereur. « Encore désolé pour ce que vous avez vu … Cela ne se reproduira plus, je vous le promets votre Majesté. » Mina continuait à sourire doucement, le rouge aux joues s'était atténuée pour un rose délicat mais pour autant bien présent. La jeune femme avait entendu de nombreuses conversations dans le camp militaire, et il était difficile de ne pas y faire attention. Pour autant, elle n'était pas une spécialiste des enjeux militaires, et elle voulait être certaine que l'inquiétude qui était en train de monter dans sa tête et dans son cœur n'était que dû à la rumeur et pas à une menace bien réelle contre l'Empire, contre eux, contre tous ceux qui se battaient pour pouvoir défendre cette idée de paix dans Westeros. « Vous savez parfaitement que vous pouvez toujours compter sur moi, tant que vous aurez besoin de moi, je répondrai présente. » Son engagement était vrai et profond pour l'Empire, et ce n'est pas alors que ce dernier semblait être attaqué de toute part, qu'elle allait changer d'avis et qu'elle allait voir les choses autrement envers son implication. « Ce à quoi j'aspire ? J'avoue ne jamais y avoir songé réellement. La dernière année a été un véritable tourbillon d'événements, de sensations, d'émotions … Pour le moment, je ne compte pas retourner à Pierheaume. Mon beau-frère Edmund Swann est parfait pour gérer les terres en mon absence. Quant à un nouveau mari … Je n'ai nullement pensé à la chose. Sans parler du fait, que le dernier qui m'a fait la cour et qui m'a parlé potentiellement d'un tel engagement, vient de mourir face aux armées Hoare. Si je devais, vraiment, demander quelque chose, c'est de pouvoir retrouver mes enfants. Ils me manquent terriblement. »

La guerre n'avançait pas comme l'armée l'aurait voulu, comme l'Empereur l'aurait sans doute voulu. Mina avait beau avoir la confiance de la Reine de l'Orage ou du couple impérial, il était pour autant certain qu'elle n'avait pas les connaissances, ni le rôle politique pour pouvoir parlementer de la suite des opérations avec qui que ce soit. Et elle pouvait l'appeler sans détour, elle n'en avait aucune envie. Elle était prête à être une oreille attentive pour quiconque avait la volonté et l'envie de se confier à elle, car pour cela, elle était assez douée, mais elle savait rester à sa place également, et elle n'oubliait en aucun cas, celle qu'elle occupait encore à Pierheaume, il y a un an à peine, alors que Béric disparaissait sur le champ de bataille. Elle était consciente que les combats faisaient de plus en plus de morts, et même si elle n'était pas directement sur le front, elle ne voulait pas être faites prisonnière par le camp adverse, où elle n'avait clairement pas peur de mourir de faim, ou même de vivre dans la crasse, mais elle ne pourrait supporter qu'on abuse d'elle, dans l'idée d'humilier les vaincus et d'offrir une récompense aux soldats qui étaient tout comme ceux de l'Empire, sur le terrain des opérations depuis bien trop longtemps déjà et seraient bien plus satisfaits avec une noble dame à la peau douce, plutôt qu'une des nombreuses catins qui suivaient les armées pour pouvoir gagner un peu d'argent et devenaient de véritables filles à soldats. Pour autant, elle ne savait pas ce que son destin lui réservait, elle ne savait pas ce qu'elle allait devenir, et où elle serait dans quelques semaines. Elle suivrait les décisions des uns et des autres, et elle aviserait ensuite pour pouvoir prendre les dispositions nécessaires que ce soit pour sa cité, pour ses enfants ou pour elle. En attendant, Torrhen Braenryon était venu la voir elle, et pas seulement pour rendre visite à ses jumeaux, bien qu'il restait toujours plus longtemps quand il passait pour pouvoir discuter avec elle. Elle était sincèrement touchée qu'il prenne un peu de temps pour s'enquérir de ses états d'âme, alors qu'il avait bien tant d'autres choses à faire de plus importants.

Mina fit le brin de toilette nécessaire pour ensuite se présenter plus convenablement devant l'homme, qui semblait un peu plus fatigué physiquement et moralement à chacune de leur rencontre, bien qu'elle était consciente que tant que les combats feraient rages et que d'autres étaient en préparation, il n'arriverait pas à trouver la paix et pouvoir se reposer, se reposer réellement. Mina se mit à rire sans détour devant lui et lui fit un sourire sincère. « Vous allez arrêter de vous dénigrer ainsi devant moi. J'ai été l'épouse du général des armées de l'Orage, il n'avait pas un corps sans cicatrice. Il avait vécu de nombreuses choses qui lui donnaient une force supplémentaire, même si parfois le corps était plus fatigué. Mais l'homme qu'il était à l'intérieur, était fantastique. Et vous êtes un homme fantastique votre Majesté. Non, s'il y a vraiment quelque chose qui pourrait déranger, c'est que vous êtes mariés, je ne voudrais pas avoir des problèmes avec l'Impératrice … Et finir en pâture pour Meraxes. » Elle continuait à sourire, essayant de rendre la conversation bien moins chargée qu'elle ne l'était pour le moment. Il avait déjà assez de sujets et de personnes avec qui se prendre la tête, ils n'allaient pas s'excuser l'un et l'autre toute la journée pour s'être retrouvé face à face alors qu'elle était dans une tenue plus légère. Elle expliqua alors tout naturellement ce qu'elle voulait le plus au monde, elle voulait pouvoir prendre ses enfants dans ses bras, pouvoir les serrer, pouvoir les embrasser. Car elle était avant toute chose une mère et que ses enfants lui manquaient, mais elle avait décidé de vouer sa vie à l'Orage, et à l'Empire aussi, et elle ne voulait pas être mise de côté pour cette raison. Elle écouta sa réponse et serra sa main dans la sienne avec un peu plus de force, un doux sourire aux lèvres, alors que les larmes lui montaient aux yeux. « Vos mots me touchent votre Majesté, sincèrement. Ce que j'ai fais, je le ferai sans hésiter … Et … Si je peux … Je voudrais avoir la possibilité de rester à leur côté et de pouvoir m'en occuper, tout en m'occupant de mes propres enfants. Harlan n'a que très peu d'écart avec Aeden et Athynéa, il ferait un bon compagnon de jeu pour eux, si vous le désirez … Je ne veux pas que mes envies de mère, me séparent d'eux. Je suis profondément attachée à vos enfants, comme je le suis envers vous. »

Vivre parmi les soldats avait été une expérience enrichissante pour la jeune lady, mais tout aussi compliqué pour cette femme qui avait une certaine sensibilité et qui avouait sans détour qu'elle était une dame de cour et non une dame faite pour la marche militaire, pour l'attente à l'arrière de la fin des combats, pour la vision cauchemardesque des corps mutilés après les assauts, de ceux qui resteraient marqués à vie et surtout de ceux qui ne reviendraient jamais chez eux. Elle avait appris de nombreuses choses ici, elle avait compris également beaucoup d'autres. Compris pourquoi Béric, de son vivant, se donner sincèrement pour la cause, pour l'armée, pour cet esprit de camaraderie, et cette dévotion pleine et entière à une cause, à un souverain. Cela ne calmait guère la douleur de la perte, ni celle de l'absence de son époux. Une année complète était passé depuis le décès de ce dernier, et d'une façon, elle n'avait jamais eu l'impression d'être aussi proche de lui par la pensée que depuis qu'elle était aux côtés des forces impériales, marchant avec eux et partageant une partie de leurs maux avec ces derniers. Pour autant, aujourd'hui, elle ne pouvait que reconnaître que ce combat n'était pas le sien, que sa place n'était pas là et que le manque de ses enfants était de plus en plus grand. Un manque que même la présence des jumeaux impériaux, auprès desquels elle passait des jours et des nuits entières parfois, n'arrivait plus à combler l'affection maternelle qu'elle avait besoin de transmettre à Lenora et Harlan. Alors quand l'Empereur lui avait demandé ce qu'elle désirait le plus au monde, et qu'il viendrait à répondre à sa demande si celle-ci était réalisable, elle avait répondu sans une once d'hésitation qu'elle voulait les revoir, qu'elle voulait les prendre dans ses bras et pouvoir les embrasser. Retourner à Pierheaume ne changerait rien, Edmund servait parfaitement la cause de la maison Swann et défendait les terres ainsi que les hommes et les femmes qui y avaient trouvé refuge. Il avait beau être en froid avec sa belle-sœur, elle savait qu'il ne viendrait jamais à mettre à mal la réputation et l'honneur de sa famille. De plus, ses enfants étaient à Fort-Darion et non là-bas, elle préférait donc rejoindre la capitale de l'Empire, et continuer à servir son royaume une fois là-bas, tout en retrouvant les siens.

Cependant, à chaque nouvelle rencontre, à chaque nouvelle discussion avec Torrhen Braenaryon, elle se rendait bien compte combien l'homme était affaibli, dans son corps mais surtout dans son esprit. Elle avait appris les nouvelles terribles qui venaient un peu plus accablé l'homme et même si elle venait à être toujours présente pour lui, et lui faire preuve autant que possible de son soutien et de sa loyauté, elle savait parfaitement que cela ne changerait rien à la situation, ce n'était pas de sa part dont il avait besoin de la confiance, mais des siens et il fallait constater que malheureusement sa famille, sa fille, lui avait tourné le dos, lui avait déclaré la guerre et il devait donc prendre en compte ce revirement de situation, ce qui n'était pas une chose simple. Elle finit par détourner le regard au compliment de Torrhen sur la femme qu'elle était, et elle haussa les épaules, regardant un instant au loin. « Le bonheur je le prends là où je le puis … Je suis heureuse avec bien peu de choses, je suis certes de la noblesse, mais d'une petite noblesse. Alors je ne suis pas aussi difficile que cela ne puisse paraître, bien que j'ai principalement grandi à la Cour de Hautjardin. » Elle ferma les yeux au contact de sa main venant à effacer ses larmes naissantes, avant de le fixer à nouveau, une fois que sa voix porta à nouveau. « Oui, je veux aussi rendre service à la cause du royaume de l'Orage … Mais si vraiment vous avez besoin de moi pour eux, vous savez que vous pouvez compter sur moi votre Majesté. Et je ne peux que vous remerciez de me laisser les voir même une fois que je ne serai plus à votre service directement. Je suis attachée à eux, tout comme à vous. » Son contact de sa main sur sa joue, de sa peau contre la sienne, elle se sentit frémir quelque peu. Si elle avait écouté son cœur à cet instant, elle se serait sans aucun doute permise un baiser envers l'Empereur mais elle n'en fit rien et elle le regarda s'éloigner, le cœur lourd, alors qu'elle aurait aimé le retenir. Mais la conversation était close et sûrement, sans appel. Elle poussa un profond soupir avant de retourner s'occuper des jumeaux impériaux, l'esprit encombré par des pensées bien incorrectes.