Il n’était pas rare que l’on me considère encore bien trop jeune pour prendre des décisions ou pour saisir toutes les intrigues qui se nouaient et se dénouaient autour de moi. Parfaitement conscient de mon inexpérience et de mon jeune âge, l’attitude à adopter me paraissait des plus clairs, soit me taire et profiter de l’inconscience de mes sujets pour les connaitre intimement et découvrir leur véritable nature et intention au détour de quelques discussions d’apparences anodines. Je ne parlais que rarement, et uniquement lorsque la situation me semblait propice. Une « inertie » qui s’était retourné contre mon Royaume en cette journée.

Le Conseil du Faucon était revenu sur un accord, et avait fait coalition commune dans cette « folie ». Je n’avais pas eu droit à la parole et, même si je l’aurais prise je doutais fortement que les esprits se seraient calmés ou que les décisions seraient reconsidérées. J’étais Roi, mais de nom uniquement. En l’état, je n’avais pas encore fait mes preuves suffisamment pour inspirer respect et autorité, comme jadis père, ou encore comme mère. Si je comprenais en partie cette nouvelle demande, je devais convenir avec la partie opposée qu’elle a été formulée à un mauvais temps et en mauvais lieu.

Malheureusement, je ne pouvais pas dénoncer les torts de chacun publiquement, car cela signifierait que je donne raison aux étrangers en humiliant les nobles alliés à ma maison. J’étais jeune, à n’en point douter, et inexpérimenté assurément, mais je n’étais pas inconscient ou stupide. Par contre, laisser partir cet homme et cette femme, qui auraient du devenir des alliés, sur une note aussi amère serait bien un acte idiot. J’avais le sentiment qu’il m’incombait, en tant que Roi, d’aplanir la situation et de réparer au mieux les erreurs de mes gens sans pour autant trainer dans la boue leur nom et leur honneur.

Que comptais-je faire ? Et comment allais-je accomplir ce projet ? J’avais longuement réfléchi à la question, en considérant que les Souverains insultés avaient chacun vu et surmonté des obstacles de taille. L’un avait survécu à de multiples batailles et venait du Nord, alors que l’autre avait subi de considérables pertes au sein de sa famille et avait grandi à Peyredragon. Si j’avais encore bien des difficultés à savoir comment me présenter à la Dame, j’avais plus aisément trouver une idée pour le Roi. Le voyage au Nord de ma mère et de Jonos avait aidé à n’en point douter : leurs témoignages et descriptions de leur séjour m’avaient offert une image fébrile du caractère des Nordiens.

Je ne tarde pas dans cette pièce ou les discussions s’enlisaient : Le mal était fait, et il était impossible de revenir sur les décisions prises ou les paroles reniées. Dès que je me retrouve dans le couloir, mon pas est aussitôt emboité par deux gardes et un domestique, soit une compagnie qui se rapprochait de ce que je pouvais nommer comme « intime ». Celle-ci était bien plus nombreuse, lorsqu’il est question d’accueillir des personnes ou de déambuler hors de ces couloirs. Trois personnes qui ne me quitteraient pas, quoi que je fasse ou quoi que je dise – ou alors, ils se plieront mais pour tout aussitôt reporter mes directives à la Reine mère ou alors à mon oncle.

C’est le pas rapide que je me dirige tout droit vers les appartements de Torrhen. Je refusais de m’encombrer d’un messager pour une seule et unique raison. Il m’a été reporté que l’homme était habitué au longue campagne, sous-entendu qu’il n’était pas de ces personnes qui tergiverseraient longtemps à quitter un lit confortable pour l’inconfort des routes ou qui auraient besoin d’un temps considérable pour rassembler ses affaires.

- Je vous prie d’annoncer à sa Majesté Torrhen Stark, le Roi du Nord, que je souhaite m’entretenir avec lui et en privé. Cependant, ce ne sera pas dans ses appartements ou dans les siens. Je l’invite à me suivre, s’il est évidemment disposé et volontaire, annonçais-je à ceux qui gardaient la porte.

J’étais furieux. Rhaenys aussi. Il nous avait fallu du temps pour nous calmer, pour commencer à redescendre. Ce n’était pas anodin du tout, ce qu’il venait de se passer. La politique, la stratégie, la guerre… Tant de choses qui venaient d’être changées pour longtemps par une décision inique, une mascarade politique et diplomatique. Des guerres avaient eu lieu pour moins que ça… Je restais coi de la fourberie de la Reine du Val, que je pensais si bien connaître pour avoir un temps partagé sa couche, et je le croyais, ses pensées. Je m’étais fourvoyé sur toute la ligne. Elle était revenue sur tous nos accords, galvaudant son si précieux honneur pour conditionner une parole qui avait pourtant déjà été préalablement donnée. Impossible dans ces circonstances d’accorder la plus petite confiance à la maison qui nous recevait, ni à tout ce conseil qui venait de nous prendre en embuscade. Je venais de faire une série de promesses à Rhaenys, et marchant à la vitesse et la fougue d’une tempête humaine, j’étais allé prier les Anciens Dieux près de l’arbre cœur de la citadelle pour mon fils, Jon, dont la sécurité était largement compromise par la décision à l’emporte pièce que venait de provoquer le Val.


Comment une alliance certes neuve mais en apparence aussi solide avait pu vaciller aussi vite ? C’était tout bonnement incompréhensible, et il n’était pas question de pouvoir se rendre compte de sitôt des responsabilités des uns et des autres tant je suspectais qu’il y avait quantité de forces différentes à l’œuvre dans cette cour « plus haute que la montagne ». Je pouvais comprendre la méfiance vis-à-vis de Peyredragon, après tout je n’avais pas moi-même adhéré très rapidement aux propositions de la dragonne.


Les baisers avec Rhaenys sont brutaux, presque violents. Ils ne témoignent que d’une impatience et d’une rage guerrière qui ne peut plus s’étancher que dans la fureur des combats contre nos véritables ennemis. Puisque nous n’avons plus aucun allié, le Nord perdant le Val et Peyredragon doutant déjà de la sincérité dornienne, alors il nous faudra nous reposer plus encore l’un sur l’autre. Exercice difficile, bien que mené à cœur ouvert avec Rhaenys. Je lui avais fait une proposition pour l’avenir, et un serment. Je comptais bien aller au bout de ma parole, comme toujours. Plus haut que l’honneur peut être, au Val, mais jamais la parole d’un Stark ne fléchissait en aucune manière. Je resterais ferme sur mes engagements…


En rentrant dans les appartements qui m’avaient été dévolus pour mon séjour, même si celui-ci s’avérerait bientôt largement écourté, j’eus la surprise de voir un de mes Gardes-Loups toquer et entrer, pour me demander audience au nom du Roi du Val. Le petit Ronnel Arryn, qui venait me rendre visite après le camouflet reçu au conseil ? J’hésite, me demandant ce que ce roitelet soumis à sa mère et à son conseil aurait à me dire. Trop tard de toute manière pour réparer nos relations, entâchées par la félonie de tout un groupe qui dirigeait réellement ce pays. Engoncé dans ma tenue de voyage, cuirs et lainages, je sortais en soupirant, avant de passer la porte et de m’incliner poliment mais un peu raide… Inutile de trop en faire.


| Bonsoir, Sire. Je suis surpris de votre visite, je vous l’avoue. Je peux vous suivre, si ce n’est pas pour me jouer un autre vilain tour comme plus tôt dans la journée ; ma patience et mon humeur n’y survivraient pas, je le crains. |

Lorsque le Roi du Nord se présenta, je me félicitais d’avoir agi aussi rapidement. L’homme était déjà en tenue de voyage, et sa colère encore bien vive. Un état que je pouvais difficilement critiquer au vu de la séance qui venait de se dérouler. Les hostilités étaient en partie lancées par le Loup, mais loin d’être intimidé ou de faire preuve de susceptibilité, je restais calme, le dos bien droit et le regard confiant. Je répondis d’abord à sa révérence, avant de parler d’un ton posé.

- Je comprends votre surprise ainsi que vos suspicions. A mon grand regret, je ne puis vous assurer que je ne réserve pas de mauvaises surprises. Je ne sais pas si mes paroles seront interprétées d’une bonne ou d’une mauvaise façon suite à la réunion qui s’est déroulée, débutais-je, conscient qu’il y avait sûrement de meilleures promesses à formuler.

Malheureusement, le mal était fait à l’instant, et je ne pouvais pas aggraver davantage la situation avec de nouvelles – et de fausses – promesses. J’optais pour la franchise, à mes risques et à mes périls. Le Mestre m’avait appris qu’il existait différentes cultures au sein du Westeros comme d’Essos, et ces premières années en tant que Roi m’avait enseigné qu’il existait plusieurs façons de parler. Pour certains, j’étais un docile jeune homme, incapable de gouverner. Pour d’autres, j’étais un jeune homme intelligent qui savait écouter et apprendre, prêt à devenir ce « Faucon ». A mon sens, j’étais entre deux. La Couronne avait été mise trop tôt sur ma tête et mes premières années de règne avaient été placé sous celles de la régence. Or, c’était précisément les premières années qu’un Roi pouvait inspirer – ou non – le respect à ses sujets. Ma situation était délicate, et cette journée l’avait – encore – mise en valeur. Je me refusais d’ignorer ou de baisser les armes. Au contraire, c’est cette volonté de devenir ce fameux et grand Roi qui avait guidé mes pas jusqu’ici et qui me faisait dire tous ces mots.

- Je souhaite vous souligner que nous n’avons jamais échangé ou parlementé directement. Mère ou le Conseil ont toujours été des intermédiaires, voire bien plus comme nous avons pu le voir à cet instant. Je pense que vous connaissez même mon jeune frère, Jonos, bien mieux que moi étant donné qu'il a accompagné Mère durant son séjour au Nord, soulignais-je. En effet, je n'avais jamais quitté le Val et j'avais toujours été représenté à l'étranger. Si j'en comprenais la nécessité et la logique, je commençais également à en voir les limites. Pourriez-vous retarder votre jugement à mon égard, et me donner l’opportunité de me présenter plus convenablement ? Je souhaite vous parler, de Roi à Roi, à la Tour du Roi. Comme son nom l’indique, elle m’est attribuée et je m’en sers pour une retraite lorsque je désire être seul, loin des affaires de l’Etat.

Je sous-entendais par là que nous serons en paix autant que nous le souhaiterons. Je ne pourrais rien dire des Rois passés, mais je pouvais assurer que pour ma génération, hormis Mère, Jonos et mon Oncle, personne n’avait mis les pieds – pas même ce domestique attribué à mon service. De plus, c’était l’une des premières tours construites des Eyrié et par conséquent, son architecture était à la fois très solide et très ancienne. Les escaliers étaient étroits, et en colimaçons et seuls deux gardes pouvaient se positionner devant la porte – et souvent, épaules contre épaules. Si je n’avais pas compris l’utilité d’une telle étroitesse de prime abord, à force de m’y rendre, j’avais saisi les besoins des Rois passés. Un lieu où domestiques et gardes peineraient à monter, sauf si une affaire très urgente nécessitait l’attention du Roi. En somme, les portes ne s’ouvraient que si je le désirais et pour nulle autre raison. J’étais le seul et l’unique Maître des lieux.

- Le premier désagrément que nous allons rencontrer, si vous voulez bien me suivre, sont quelques marches étroites et en colimaçon, annonçais-je, comme preuve de bonne foi et une touche de légèreté, si c’était encore possible.

La question était de savoir maintenant si le Nordien allait me suivre.

Circonspect et furieux. C’est ainsi que je me trouvais, sans pouvoir réagir autrement que par la force. Comme toujours, je restais engoncé dans mes sentiments, dans ma rigidité presque de naissance. Comme si je ne savais tout simplement pas réagir autrement qu’en restant formalisé et en restant ferme sur mes principes et sur ma façon de réagir. Je n’aimais pas que l’on conditionne sa parole. Cela me paraissait être outrageusement opposé à tout ce que je connaissais, et surtout aux principes de chevalerie que mes alliés d’hier promettaient pourtant de respecter… J’étais déçu. Mais je ne pouvais pas être surpris. Combien de fois l’histoire avait-elle montré que nous n’étions jamais considérés, nous autres nordiens, que comme les idiots utiles et le bouclier bien agréable contre les ennemis des Hoare ou bien des autres horreurs venues d’au-delà du Mur… Allez savoir, peut être s’étaient ils dits que nous allions simplement obtempérer et nous plier à leurs quatre volontés ? Je ne savais pas ce qui était le plus insultant. Qu’eux se considèrent malgré leurs duperies et leurs mensonges comme « plus hauts que la montagne » ou qu’ils nous considèrent, nous autres Stark et Targaryen, comme les paillassons de leur honneur.


Je plissais les yeux quand le jeune Roi me disait qu’à son grand regret il ne pouvait pas me promettre ne pas me réserver de mauvaises surprises. Alors quoi, les affronts et les insultes, voire les menaces, allaient elles continuer ? Cela ne pouvait pas être vrai… Même venant de sa part je refusais de le croire.


| Je n’interprète pas grand-chose, Sire, une fois que je suis en position de pouvoir me confronter, ainsi que mes idées, aux personnes que je rencontre. Dans ce cas je constate. |


Ce n’était pas sans froideur que je répondais au jeune roi. Surtout, je ne pouvais que me demander pourquoi j’étais venu ou plutôt, pourquoi ces gens nous avaient fait venir. A quel moment avaient-ils cru que leur plan, ou plutôt leur entourloupe, pourrait fonctionner ? Ce n’était pas le lien que je partageais avec la Reine de la Montagne qui allait m’inciter à rogner sur mes principes, je ne le ferais ni pour ses beaux yeux ni pour ses tendres caresses. En amour comme à la guerre, je tâchais le plus possible de garder la tête froide. Faire autrement serait prendre bien trop de risques pour moi comme pour le Royaume que je servais depuis ma naissance, tout monarque que j’étais. Le jeune homme se tient donc face à moi et commence à me parler d’intermédiaires, et je fais la moue sans trop en montrer quand il dit que je connais mieux sa famille que lui. Je ne souffle mot quand il me demande de retarder mon jugement et je fais donc signe que je suis prêt à le suivre.


Sans jugement, j’énonce pourtant un fait.


| Des intermédiaires qui sont votre voix en public, Sire. Qui parle en votre nom. Dame ma future épouse a subi un affront sous mes yeux tout au même moment que la duplicité de votre conseil s’est faite jour. Vous regrettez peut être la tournure, Roi Ronnel, mais vous n’avez rien dit, ni rien fait, qui aille dans le sens de votre allié. C’est un fait. En réalité je ne connais pas votre jeune frère. Je pensais mieux connaître votre mère, mais elle m’a aujourd’hui plus surpris que ce que j’aurais pu estimer. Je me suis laissé prendre en défaut, mais une fois n’est pas coutume. Cela ne se reproduira jamais. Mais je suis prêt à écouter ce que vous avez à me dire… |


J’avais dit tout cela d’un ton neutre. Encore une fois, sans effect. Je ne voulais pas juger. C’était trop tard, de toute manière. Je le suis alors en silence, notant comme toujours les passages, portes et couloirs pour pouvoir me repérer en cas de souci en cours de route. Nous marchons un temps en silence, jusqu’à monter des escaliers en colimaçons et que le jeune homme ne me guide dans ses appartements privés.


Je le toise alors, en silence comme toujours. Si j’étais le Roi du Nord, j’avais gagné le surnom de Glace lorsque j’étais venu à Goeville, quelques mois plus tôt. A un temps où je pensais encore pouvoir sauver la paix.


| Je vous écoute, Sire. |

Chacun sentait que la régence touchait petit à petit à sa fin. La Reine Régente allait devenir bientôt la Reine Mère. Elle ne perdra pas son pouvoir entièrement, au contraire ! Son influence sera intacte un temps – si je faisais un travail convenable et compétent pour garder mon trône et ma Couronne –, et elle aura encore une Cour fidèle et favorable à sa personne. La seule différence, et la plus grande en vérité, serait que je prendrai les décisions. Si certains étaient galvanisés par l’idée, j’appréhendais considérablement cette situation. Père ou Mère n’avaient jamais hérité du Royaume à un si jeune âge, et les Rois aussi jeunes que moi n’ont pas eu un règne bien long. Aujourd’hui, je me sentais encore plus jeune, face à cet homme que beaucoup surnommaient comme la Glace. J’essayais d’être l’égal, en gardant cette même posture droite et ce regard fixe. Il parlait, et j’écoutais en silence.

- Je pense que vous n’êtes pas le seul à avoir été pris à défaut, répondis-je honnêtement.

La situation avait échappé au contrôle de tous et, effectivement, Mère n’avait pas réagi. Cette inertie avait été une opportunité à ses opposants – ou à ceux avides de pouvoir – de prendre l’ascendant au Conseil du Faucon et traîner dans la boue l’honneur du Royaume, et ainsi que celle de la Maison Arryn. Dès l’instant où la Reine Régente ne protégeait pas elle-même l’accord promis, si j’étais venu à m’élever personnellement contre cette affaire, j’aurais tout simplement davantage miné une autorité qui, pourtant, tenait le Royaume uni actuellement.

Nous sommes arrivés dans la tour en question qui, étonnamment, était assez simplement décoré. Il y avait quelques tapis pour tenir chaud, deux chaises en bois confortablement garnies avec des coussins, une grande cheminée et enfin une rangée d’étagères où était disposée tantôt du vin, tantôt des gobelets, tantôt des livres … il n’y avait rien de plus, rien de moins. Pendant que je laisse au Roi du Nord de décider du siège à choisir – les deux étant similaires, en tout point –, je m’occupais de jeter les bûches dans la cheminée et de commencer à allumer mon propre feu. Certes, il y avait des serviteurs pour ce genre de tâches mais, sur ma décision, personne ne mettrait pied ici et me ruinerait avec ses bavardages ou ne rapporterait chacun de mes faits, gestes ou inactions. C’était mon havre de paix … jusqu’à aujourd’hui. J’apportais une partie des ennuis du Royaume ici même, mais je ne voyais nulle autre solution.

- C’est l’une des plus anciennes tours de cette Forteresse, et a toujours servi à accueillir les différents Rois. Les pierres sont très épaisses, et le seul accès est bien l’escalier que nous empruntons. La tour n’est reliée à aucune autre. Elle est isolée. D’abord, lieu de vie, puis d’étude, c’est maintenant davantage une retraite. Depuis que j’en ai hérité, à la mort de mon Père le Roi Jehan, je refuse que quiconque y rentre, si ce n’est pour quelques menus tâches comme dépoussiérer et sous la supervision de la garde évidemment, indiquais-je, signalant par la même occasion qu’il pourrait éventuellement se détendre, que le lieu était sûr pour tout échange et surtout que le vin que j’offrais dans une coupe n’était pas empoisonnée ou que sais-je. Avant que nous discutions, je vous invite à prendre une place. Je vais nous servir un peu de vin. Nous en aurons besoin, le temps que la pièce tiédisse puis soit chaude.

Le feu ne tarde pas à prendre, et la fumée s’échappe allègrement par le conduit. Nous serions au chaud bien assez vite au vu de la taille démesurée de ce foyer, comparée à la pièce. Il faut dire que pour pouvoir se réchauffer dans une telle tour, si haute et si isolée, et y travailler de longues heures, il était effectivement nécessaire de se doter d’un bon feu. Du moins, je supposais que c’était pour cette raison que mes ancêtres s’étaient dotés d’un tel colosse architectural. Je profite pour aller chercher la coupe, et déverser dans deux gobelets propres. Je ne tarde pas à tendre l’un au guerrier aguerri.

- Les paroles sont dites, les fautes commises et le mal fait. Je n'irais pas jeter la faute à un autre, ou à me dédouaner en disant que ce Conseil n'est pas ma voix. Ces gens me représentent et je suis, ou je serais, responsable de leurs actes et de leurs paroles, bon gré, mal gré. Quoi que je puisse dire serait bien vain, et aucune des promesses que je souhaiterais formuler ne peuvent se réaliser sans aller à l'encontre de ces gens qui gardent le Royaume uni ... Du moins, aujourd’hui. Je suis sûrement Roi, mais je serais celui que l’on écoute qu’un peu plus tard, indiquais-je, optant pour une franchise que j’exprimais à de trop rare occasion et surtout pas face à des personnalités royales. Un mauvais mot pourrait tout gâcher mais, en l’état et avec Torrhen Stark, il n’y avait plus rien à perdre car le Conseil s’en était chargé avant moi. J'espère pourtant qu'il comprendra, à travers mes mots, que je désapprouve considérablement tous les événements qui viennent d'avoir lieu, Sire, Roi Torrhen, en vérité, je souhaite vous écouter d’abord. Serait-ce imprudent et déplacé de ma part, si je vous demandais de m’accorder de votre temps et me décrire le début de votre règne.


Cette mésaventure a mis à mal l'alliance promise, mais elle a révélé la véritable nature de certaines personnes. Je me promettais de les évincer tôt ou tard de ce même Conseil car, aujourd'hui, ils avaient prouvé leur duplicité ou stupidité et surtout avait osé prendre une décision sans faire preuve de patiente vis-à-vis d'une décision plus réfléchie et plus mûrie de la maison Arryn. De telles personnes plongeraient, tôt ou tard, le Royaume dans le chaos et le rendrait faible.

Je fulminais, mais intérieurement. Le genre de colère froide bien connue de mes gens du Nord, et notamment de mon encadrement d’officiers. Je n’étais que rarement le genre à exploser de fureur, à montrer mes sentiments et à en faire l’étalage. Mais cette fois j’avais sans doute été trop pris par surprise pour tolérer bien longtemps tout ce capharnaüm provoqué par les errements de la diplomatie valoise. Il n’y avait pas tellement de surprise, finalement, à ce que le Nord soit encore considéré comme le dindon de la farce, et susceptible de se retrouver encore dans la position avancée du Royaume isolé droit sur le passage des armées du Noir. Bien sûr, le Val avait jadis souffert des prédations de son ténébreux voisin… Mais il n’en restait pas moins que les choses auraient pu être bien différentes s’ils avaient fait le pari de la confiance, et pas celui de la défiance. Le jeune homme à mes côtés n’était pas encore le Roi. Il n’était pas même vraiment un homme. Pas encore. Pour le moment, il ne dominait son conseil qu’en titre et en ascendant de naissance, mais certainement par la puissance de sa voix et du poids de ses idées.


Ce qu’il me dit me le confirme. Être pris en défaut par son propre conseil. Que devais-je y comprendre, alors ? Que lui aurait souhaité le maintient de cette alliance sans le camouflet qui nous avait été infligé ? Ou simplement que ses conseillers avaient eu la langue bien plus pendue que nécessaire ? Je ne répondais rien. Un roi qui ne savait pas guider son conseil ne saurait pas mener ses troupes à sa bataille, et ce simple doute aurait déjà simplement suffi à remettre en question toute notre alliance. Je garde le silence. Je m’assieds donc, calmement. Toujours prêt à me battre, sur le champ des mots ou celui des prés, qu’importe au fond. Tant que j’accomplis mon devoir, et que j’arrive à faire avancer la cause du Nord… Ce serait sans doute bien là l’essentiel.


Je regarde mon environnement. Le toise, le jauge, alors que le jeune homme avive le feu de la cheminée. L’endroit est tranquille. Je me demande, compte tenu des faits de la journée, si cette impression pouvait perdurer d’une façon ou d’une autre. Le jeune Roi du Val m’explique l’ancienneté de la tour, et son isolement bien commode pour profiter d’un moment de tranquillité. Le souverain paraît mature, mais c’est toujours difficile à cerner chez les jeunes gens de notre temps et plus encore quand ils portaient si tôt, comme moi jadis, une couronne ajoutée au poids des responsabilités qui déjà les écraserait.


| Il en sera selon votre bon vouloir, Sire. C’est vous le maître des lieux, et moi votre invité. |


J’avais déjà dit que j’étais curieux, ou plutôt je l’avais fait comprendre. Je ne parlais qu’assez peu pour ne rien dire, plus encore quand la situation était tendue et que ma promise avait été insultée sous mes yeux, affront terrible qui m’éclaboussait autant et à travers moi, le Nord tout entier. Dans tous les cas, je prends le godet. Et j’y trempe les lèvres sans vraiment aller beaucoup plus loin. Je dévisage le jeune souverain. Je comprends au travers de ses mots le difficile équilibre atteint par son royaume. Alors je me tais et j’écoute. J’estime la valeur de ce que j’entends. Je le jauge d’un regard intense, qui ne cille pas, à aucun moment.


| Etes-vous en train de me dire que ce camouflet subi aujourd’hui n’était en rien désiré par votre Majesté, et que si le loisir vous en étiez laissé vous accompliriez l’objectif de cette alliance en marchant avec la Reine Rhaenys et moi-même sur Harrenhal pour soulager nos frontières du péril commun ? |


Je ne savais pas encore à quel point son acquiescement pouvait changer les choses. Je doute même que ce soit possible. Mais j’avais besoin de savoir à quel point je devais le blâmer lui, sa mère, ou sa noblesse. Distribuer torts et rancœurs pouvait au moins aider à faire le tri dans le livre des rancunes… Et puis, qui pouvait se targuer de savoir de quoi l’avenir serait fait ? Je laisse couler un silence, alors que Ronnel Arryn me demande le début de mon règne. Je reprends une lampée de vin, et laisse perdre mon regard dans les flammes qui courent sur les bûches.


| Je suis monté sur le trône à quinze ans, à la mort de mon père. De maladie. Il était plus jeune que je ne le suis aujourd’hui. Ma mère n’a pas survécu au chagrin, il n’y a pas eu de régence. J’étais entouré d’une fratrie de jeunes loups bagarreurs et impétueux, mais loyaux. J’ai dû prendre femme la même année, et j’ai passé les six ans qui ont suivi à sillonner mon pays pour m’y faire connaître, bien que mes combats menés dès l’âge de treize ans m’avaient fait accepter de nombre de maisons. Je n’étais pas forcément prêt à être Roi mais ce métier au Nord n’a pas la même signification qu’au sud ; je suis essentiellement un chef de guerre, plus qu’un juge et un maître de lois. |

le jeune garçon me presse déjà de questions. Il a soif de savoir. Hâte de découvrir des choses. D’apprendre. Pourtant, il est déjà trop tard pour qu’il apprenne son rôle. Il devrait déjà être prêt, du fait de l’éducation que lui a donnée son père, ou de celle par sa mère. Quoiqu’il en soit, s’il n’est pas sûr de lui très rapidement c’était tout son royaume qui finirait par pâtir de ses décisions… Bien sûr, il ne fallait pas attendre d’un jeune souverain qu’il ai des certitudes absolues chevillées au corps. Ca n’arriverait sans doute tout simplement pas. Mais d’un autre côté, il fallait un peu d’assurance, et de la suite dans les idées. Je ne pouvais pas me targuer des idéaux de ce garçon à la tête d’un royaume, mais je m’interrogeais en tout cas sur sa capacité à gérer tout le pays s’il ne savait déjà pas tenir sa cour. Bien sûr, je n’étais pas naïf au point de croire que je n’étais pas moi-même soumis aux aléas politiques d’une vie de cour. Mais je n’y étais que contraint, pas sous son emprise. Ce qui nous différenciait totalement. Au Nord, quand je commandais, tout le monde se taisait. Et quand je ne commandais pas, tout le monde se tournait vers moi dans l’attente de mon jugement.


Même ceux qui auraient préféré me planter un poignard entre les omoplates…


Surtout eux, en fait. Mais il savait avant de les distinguer, faire en sorte de pouvoir les museler quelle que soit la direction que prendra le vent. Dans tous les cas, ne pas leur laisser de marge de manœuvre, ou alors seulement des culs de sac dans lesquels ils pourront se fourvoyer corps et âme. Ronnel Arryn avait encore du temps. Mais pas tant que ça. Bientôt les choses finiront sans doute par partir totalement en vrille, et le Faucon serait la proie de volatiles plus gros. Je me demandais à quel point l’ombre projetée par ce grand château était celle de son Roi, de sa Reine, ou de la cour qui les suivait. J’opine lentement du chef.


| Jusqu’à leur mort, l’un de mes frères. Autrement mes plus proches conseillers, pour le compte de mon fils et héritier. Il a son mot à dire. Ma fille, aussi, mais pas sur les mêmes champs d’action. |


Je balaie les excuses du jeune Roi, alors que la tension reste bien présente. Le jeune garçon confond tout… Et pense que la parole n’est que personnelle. Qu’elle n’est pas partagée. Pourtant c’est faux. L’honneur, dans la conception nordienne du terme, est une notion d’un coup bien plus englobante.


| Belles paroles, Sire. Que je ne remets pas en question. Pourtant, la parole de votre mère a été donnée pour votre maison et tout votre pays. Dans ma culture, revenir dessus vous entâche tous du sceau de l’infamie ; ce n’est pas la faute du Nord si vous n’êtes pas unis. Mais nous allons pourtant en payer le prix. S’il arrive quelque chose à mon fils qui marche seul sur les Jumeaux sans la diversion attendue, il me faut l’honnêteté de vous avouer que je vais réagir en loup plutôt qu’en homme. |


J’ai le goût de la bile dans la gorge, quand le jeune Roi ne se considère même pas comme engagé par l’accord passé avec Sharra. J’ai commis l’erreur de croire qu’elle parlait encore au nom du Val, en tant que régente comme elle l’était. Mais non. Le jeune Roi lui déniait visiblement son pouvoir de prise de décision et son conseil n’en faisait pas grand cas non plus. Quelque part, il valait sans doute mieux que les choses ne soient pas allées au bout avec un allié aussi branlant.


| Non, je ne comprends pas votre sentiment. Votre mère est la Reine Régente. Elle a pris des engagements, avec moi, avec ma promise par mon intermédiaire. Elle a certes négocié en votre nom mais n’a jamais laissé entendre que sa parole était conditionnée, ou à de nouveaux gestes de notre part, ou à un quelconque bout de papier. Ce qu’il s’est passé tout à l’heure aurait pu être obtenu alors, en négociations fermées, à huis clos. Mais devant toute votre cour, il ne s’agissait ni plus ni moins d’un passage en force et d’une humiliation, comme si nous allions changer d’avis par pression de votre entourage. Le Nord n’a qu’une parole. Peyredragon aussi. Le Val ne peut pas en dire autant. Mais il n’appartient qu’à vous de le changer, Majesté. |

Je suis assez agacé par la tournure des événements, mais ce sentiment devient bien plus lourd et plus sinistre lorsque ce vieux Roi ne tarde pas à me prédire, à demi-mot, de potentielles et désastreuses conséquences suite à l’inconstance du Val. J’avais toujours eu foi en Mère, et ses décisions, et j’aime croire qu’elle s’est tue pour de bonnes raisons. Pourtant, le doute me ronge soudainement vis-à-vis de la situation. Aurait-elle aveuglé par quelques sentiments propres aux femmes, dans cette affaire ? Si je n’étais pas dans la confidence de chacune de ses actions, les murmures me venaient malgré tout aux oreilles et je savais qu’on attribuait une relation entre le Roi Torrhen Stark et la Reine Régente Sharra Arryn. Si je pensais cette idylle sans grande influence sur certaines décisions de cette dernière, je commençais à en douter sincèrement.

Et voilà, quoi répondre maintenant à un Père qui s’inquiète naturellement pour son Fils, et son Héritier ? Je ne pouvais pas engager des Forces sans m’assurer de quelques garantis. Or, le Conseil du Faucon et la Reine Régente semblaient se ranger visiblement derrière une décision précise, et cette dernière désavantageait le Val dans des ententes futures. Je ne désirais pas non plus dire « Bon vent » comme un être dénué d’un semblant de cœur, d’humanité et de sentiment. Promettre, en sachant pertinemment que je n’aurais aucun résultat dans le délai imparti ou, à contrecœur, avouer ce qui a été décidé il y a peu ?

- Je ne vais pas vous promettre ce que je ne peux pas vous garantir, finis-je par avouer, le ton aussi assuré que je le pouvais au vu de la délicate conversation. Nous savons que le Conseil du Faucon ne changera pas sa position, ni que vous ne changerez vos manœuvres. Cette journée a été une dure et amère leçon tant pour vous que pour moi. Par contre, ce que je peux promettre est que le Conseil du Faucon ainsi que la Reine Régente ne prendront pas part à ce conflit aux côtés du Roi Harren Hoare. Ils ont réfuté un titre à votre promise, ils ne l’attribueront pas à une autre personne. Je sais que cette promesse est moindre par rapport à l’objet de votre visite initiale, mais c’est bien la seule garantie que je peux vous offrir.  

Moi-même je ne saurais quoi dire d’autres à un homme qui a l’esprit déjà bien préoccupé. A quoi bon le retenir quand des affaires plus urgentes l’appelaient ailleurs ? Le Val avait pris position, et j’avais à suivre cette position, qu’importe mon jugement propre. Un Roi ne s’appartenait pas, disait-on, mais il appartenait à son Royaume.

- Je vous retiens, alors que vous êtes appelés à des affaires plus urgentes. J’ai moi-même besoin de m’affairer à quelques tâches, dis-je, en quittant mon fauteuil. Si nous ne partageons pas les mêmes croyances, veuillez croire en mes bons sentiments lorsque je vous dis que les Sept vous accompagnent et vous aident.

Quant à moi, j’avais à me rendre auprès de Mère pour comprendre les tenants et aboutissants de ce silence. Elle devait être libérée à cet instant-ci. Je me lève, j’appelle le domestique qui attend toujours de l’autre côté de la porte et je glisse à l’oreille de prévenir la Reine Régente que son fils souhaite s’entretenir avec elle, urgemment et sans la présence de quiconque.

PS : J'espère ne pas m'être trompée dans tout ce que j'ai raconté lol. Je pense que nous pouvons petit à petit clôturer, car j'ai un peu du mal à voir ce qui peut être dit de plus, alors que les événements ont été décidé déjà.