Les choses pouvaient parfois changer en un claquement de doigts, sans vraiment qu'on puisse imaginer un seul instant que tout pouvait être remise en cause si soudainement, que personne n'avait vraiment le temps d'appréhender la suite des événements. Pour autant, l'hiver était censé assurer à Jon le temps pour lui, mais aussi et surtout pour ses hommes, d'avoir la possibilité de rentrer enfin dans le Nord et que chacun puisse retourner sur ses terres et puisse prendre les siens dans ses bras, passer un peu de temps avec ceux qu'on aimait, après avoir passé plus de dix-huit longs mois à la guerre, dans la boue, dans le sang, puis dans la neige. Le jeune roi du Nord n'avait pas arrêté de prévenir son père que ses troupes viendraient à faire à nouveau mouvement pour prendre la direction de Winterfell dès que cela serait possible. Alors quand la bataille d'Eysines avait été terminé, que le corps d'Harren Hoare venait à se trouver sans vie sur le terrain des combats, que les hommes de l'Empire avaient pu profiter de cet instant pour pouvoir savourer cette victoire majeure dans la guerre que Torrhen Braenaryon menait en réalité depuis une éternité aux yeux de son fils aîné. Le tout jeune souverain avait alors proposé à ses soldats de retourner célébrer cette victoire dans leur royaume, profitant de ce moment essentiel pour pouvoir également s'occuper d'une cérémonie de couronnement digne de ce nom, autre qu'entre deux mouvements de soldats au cours d'une campagne militaire. Sans parler de faire honneur à la nouvelle reine du Nord en la personne d'Eléanor Tully. Si les choses n'étaient pas simples avec son épouse, Jon restait néanmoins un homme d'honneur et il se devait de faire en sorte que son peuple vienne à connaître la jeune femme et qu'on vienne aussi à respecter le nouveau statut de celle-ci et le rôle qu'elle aurait à exercer à Winterfell mais aussi dans tout le Nord.

Tout devait donc être simple, revenir à Winterfell, faire les célébrations essentielles pour la continuité du pouvoir et montrer Jon comme étant le fier nouveau souverain du Nord, et ensuite laisser les seigneurs encore en vie, rentrer chez eux pour revoir leur famille et prendre un bon de repos auprès d'eux avant de devoir repartir pour la guerre. Mais si la neige continuait à tomber dans le Nord, donnait l'impression que l'épais manteau blanc ne cessait d'augmenter, centimètre après centimètre, on lui avait annoncé que dans le sud, le printemps venait déjà à pointer le bout de son nez, ravivant alors les ambitions de chacun et le besoin presque vital de reprendre l'épée pour pouvoir retrouver l'ennemi encore et encore jusqu'à ce que l'un ou l'autre ne vienne à plier de manière définitive. La guerre était repartie de plus belle, coûtant encore de nombreuses vies au sein des forces nordiennes, sans pour autant savoir si l'Empire en ressortirait gagnante ou s'ils seraient tous anéantis à la fin des combats. Jon avait pris la décision de rester dans le Nord pour pouvoir être un soutien pour son peuple mais aussi un soutien pour son épouse. La grossesse avait été une catastrophe, manquant de peu de coûter la vie  de la mère et de l'enfant et poussant ainsi le souverain à rester à Winterfell pour soutenir son épouse durant cette épreuve difficile mais également laisser une chance à son frère de faire ses preuves, pour le Nord, pour leur père mais aussi tout simplement pour lui.

La reine et l'enfant se portaient bien, même si la petite princesse était née avec quelques semaines d'avance. Le mestre l'avait assuré que tout allait bien avant qu'il ne se décide d'entreprendre son voyage. Après tout, ce n'était pas parce qu'il était loin de la guerre, qu'il ne pouvait rien faire pour se rendre utile. Jon avait donc pris la décision de visiter les châtelleries du nord de son royaume, sur la route qui allait le mener jusqu'à la Garde de Nuit et au Mur. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas vu ce dernier, et d'une certaine façon, cela ne lui manquait pas, même si la vue depuis là-haut pouvait être sincèrement impressionnant. Ce qui l'inquiétait surtout, c'est le manque de contact qu'il pouvait avoir avec le Lord-commandant de la Garde. Il réclamait des hommes, mais la guerre qui se déroulait bien plus au Sud, venait à mobiliser même les malfrats. Cependant, le jeune souverain avait besoin de savoir s'il devait s'attendre aussi à une menace venant de l'autre côté du mur ou même de la part du Lord-commandant. Après tout, c'était un Hoare et cela faisait que sa famille était donc opposée à celle de Jon, il avait besoin de savoir où était sa priorité entre la Garde ou les Hoare du Conflans. Il se fit donc annoncer à l'entrée des portes de Château-Noir et entra dans la cour avec ses hommes, descendant de son cheval, il attendit l'arrivée du Lord-commandant.

Joramun Hoare

Jon Stark s'est rendu au Mur pour pouvoir voir la Garde de Nuit et le Lord-commandant, alors que le contact entre les deux hommes est presque inexistant depuis de longs mois. Le Lord-commandant a de nombreuses fois ignoré les missives du Roi du Nord qui lui demandait ce qu'il pouvait se passer au-delà du Mur. Après l'envoi d'une petite troupe pour pouvoir récupérer plus d'informations, il a demandé des hommes pour pouvoir assurer la fonction des hommes qui ont pris le noir. Sans explication supplémentaire, Jon a décidé de se rendre directement sur place. Après tout, le Lord-commandant est un Hoare et la guerre au cœur même de Westeros, oppose de fait les deux hommes.

Dans Westeros, si grand et si puissant continent, les royaumes se font et se défont, comme l'été succède à l'hiver, avant qu'il ne se fasse succéder à son tour. Les noms restent ou changent, mais les choses ne changent pas. Peu importe l'échelon social sur lequel on se trouve, on lorgne toujours vers le prochain, celui du-dessus, même si on n'y voit que des trous du cul... Et une fois qu'on y parvient, la course, loin de s'arrêter, reprend, en nous permettant seulement de nous gargariser de voir, d'en haut, de la merde. L'appétit de l'homme pour le pouvoir n'a pas de limites. Ça, Joramun l'a compris très jeune. Lui n'a jamais voulu adhérer à cette course, pourtant peut-être encore plus prononcée dans les îles de fer qu'ailleurs sur le continent. Les Îles de fer sont d'impitoyables maîtresses, des femmes cruelles qu'on ne dompte jamais, mais qui, elles, domptent les hommes. L'homme, qui a fini par choisir de rejoindre la garde de nuit, a conservé un amour doux amer pour sa patrie de naissance, aussi belle que terrible, pouvant être calme, traître, déchaînée, hurlante... Tout et son contraire, toutes les femmes en une. S'il les a regretté ? Pas vraiment. Il aimait son frère, mais son frère était sans doute l'homme le plus consumé par les envies de grandeur qu'il eut jamais vu. Harren l'aimait, à sa façon, mais c'était une façon qui le poussait à redoubler de vigilance en sa présence, comme si le fait qu'ils soient sortis du même utérus, engendrés par la même paire de couilles ne devait jamais compter, comme si ce cadet, admiratif de son aîné, pouvait profiter de la proximité d'une demeure partagée pour lui coller une dague dans la gorge...

Pour lui qui n'a jamais connu l'oisiveté, et qui refusait de se projeter toute sa vie comme « le cadet de », le choix a été rapide, la garde de nuit semblé le chemin évident. Il n'avait pas trente ans quand il a prêté serment, pris le noir, son caractère l'ayant déjà ostracisé depuis longtemps... Joramun est un homme de principes, ces hommes se font rares, comme il a pu le constater en arrivant, avec d'autres, à Châteaunoir. Contrairement à d'autres, sa formation martiale était au point, pour ne pas dire excellente. S'il n'a eu aucun mal à faire de violeurs, voleurs et pillards ses frères d'armes (après tout, les Fer-nés le sont par essence), les choses ont été, avec lui, très claires dès le début... Ne pas lui donner de raison de douter. Joramun est un homme qui fait ce qu'il dit. Ça a été vite compris, et, le temps passant... Il a fini par devenir Lord Commandant. Pour lui, l'âge l'emporte sur le mérite. Après tout, peu des hommes arrivés avec lui au mur sont encore en vie pour raconter cette journée.

Et qui a le temps, par les temps qui courent, pour écouter une histoire ? Certainement pas lui. Le harcèlement par les sauvageons desquels le Mur fait l'objet rend la gestion du moral de ses troupes délicates. Il ne craint pas de désertion, mais que leur détermination au combat décline, entraînant les troupes sur une pente glissante de laquelle il ne saurait les sauver, seul. Du haut de la promenade dominant la cour intérieure de Châteaunoir, où ses hommes s'entraînent, Joramun reste pensif. Alors que sous ses yeux absents s'enchaînent les passes d'armes, il en vient à se dire que ce n'est pas assez. Les gardes de nuit peuvent encaisser des assauts de sauvageons à peu contre beaucoup, parce qu'ils sont mieux armés, mieux entraînés et fonctionnent en unités... Mais ce n'est pas suffisant. « Monseigneur ? Le roi du Nord est aux portes... » Joramun grogne, goûtant, d'ordinaire, peu les surprises, mais celles de ce genre encore moins. « Faîtes-le entrer. » Il ordonne, avant de prendre la direction des escaliers qui le mènent dans la cour, escaliers desquels il atteint les dernières marches à la descente de cheval royal. « Votre Majesté. » Le salut est rudimentaire, comme tout ce qui se trouve dans Châteaunoir, mais s'accompagne tout de même d'un signe de tête respectueux. « Quelle surprise ! Que nous vaut l'honneur de votre visite ? » Il demande, avant de faire signe à deux de ses gardes de nuit de prendre en charge les montures du roi et de ses hommes. La question se veut sur un ton poli, puisque Joramun n'a pas la moindre envie de se mettre le roi du Nord à dos, mais intérieurement, il est assez mal disposé. Après tout, s'il a quitté la cour de son père et de son frère, c'était pour éviter les ronds de jambe cérémonieux. Si les ronds de jambe cérémonieux viennent à lui, il ne les accueille pas à bras ouverts... Et, au demeurant, il a quand même autre chose à foutre que des courbettes aux têtes couronnées !

Jon n'avait pas prévenu directement de sa venue auprès du Lord Commandant de la Garde de Nuit, après tout, il avait tenté de communiquer avec lui, et c'était ses propres hommes, qu'il avait envoyé au Mur pour rentrer en contact avec ce dernier, et lui avaient alors répondu qu'il fallait des hommes pour venir gonfler un peu plus les rangs de la Garde de Nuit. Joramun Hoare restait bien trop sommaire dans ses réponses, quand il avait le désir de répondre bien évidemment. Mais si le jeune roi du Nord comprenait l'importance de défendre le Mur et aussi Westeros de ce qu'il se cachait derrière ce dernier, il ne pouvait pas pour autant fournir ce qu'il désirait sans avoir un peu plus d'informations. Des informations sur la ou les menaces qui pouvaient peser, sur la situation actuelle du Mur, mais aussi sur le nombre d'hommes qu'il venait à réclamer. S'il n'avait pas conscience de ce qu'il pouvait bien se passer au Nord de son royaume, il l'était pour autant parfaitement conscient de tout ce qui était en cours à Westeros et que la situation se tendait petit à petit entre les différents royaumes et les différents peuples qui vivaient les uns à côté des autres, les uns contre les autres. Il ne pouvait se permettre de laisser des ennemis, quelque soit le visage qu'ils avaient et même si ce n'était que des voyous en tout genre, traverser son royaume pour pouvoir gagner Châteaunoir et prendre l'habit noir. Cependant, alors qu'il était bloqué ici dans le Nord, après la grossesse complexe de son épouse et la naissance d'une petite princesse qui ne pouvait répondre aux exigences dynastiques, il prenait le temps de voyager à travers son royaume avant un départ prochain pour la guerre. Il avait donc parcouru la distance qui séparait Winterfell du Mur, prenant le temps sur le chemin de rencontrer les hommes qui étaient trop jeunes ou trop vieux pour pouvoir remplir les rangs de l'armée impériale et donc souvent de rencontrer les femmes toujours présentes dans les petites seigneuries alors que leurs maris, leurs pères et leurs fils étaient bien loin de chez eux à combattre l'ennemi. D'une certaine façon, prendre le temps avait quelque chose d'agréable. Cela ne lui était jamais arrivé depuis qu'il était devenu roi. Mais quand tout le monde avait quitté Winterfell pour retourner dans le Sud pour faire la guerre, il s'était retrouvé d'une certaine façon seul dans son château, sans qu'il ne lui reste beaucoup de possibilité d'action. Il était le roi, mais le théâtre des opérations était bien ailleurs que dans le Nord, même si les menaces existaient toujours, il avait fait en sorte de renforcer la sécurité. Sans savoir pour autant si cela serait suffisant.

Alors qu'Eléanor se remettait doucement de sa grossesse, alors que la petite Sigyn commençait à peine à ouvrir les yeux sur le monde qui l'entourait, Jon ne manquait pas de se souvenir que d'autres missions pouvaient l'attendre et que puisqu'il était dans le Nord, lui qui avait tant voulu revenir après la bataille d'Eysines, il se devait de le parcourir pour pouvoir voir et entendre les demandes de son peuple, et pas forcément que de son peuple. Jon passa donc les portes de la Garde de Nuit avec la centaine de cavaliers qu'il avait emmené avec lui. A peine était-il descendu de son cheval que les quelques hommes qui avaient été envoyé en amont dans le fort, vinrent à rejoindre leurs camarades de garnison, discutant alors avec une véritable joie de retrouver le compagnon de carrière et venant à saluer leur souverain. Il fallait qu'ils s'habituent au froid des lieux, et pas seulement à la température. Heureusement, même si la neige était encore présente, l'hiver était passé et même s'ils n'auraient jamais de chaleur extrême comme dans le Sud, il était sans doute plus simple d'y être maintenant en poste, qu'il y a quelques semaines auparavant. Jon s'approcha du Hoare quand il le vit se diriger vers lui, et il inclina à son tour la tête après les salutations d'usage. « Lord Commandant, cela semble faire une éternité que je ne suis pas venu ici … Mais comme toujours Châteaunoir ne change pas, cela possède un côté rassurant. » Il eut un vague sourire qui flotta quelques instants sur ses lèvres. « Vous vous doutez bien que je ne suis pas là pour parler de la pluie et du beau temps. Mes hommes m'ont rapporté que vous réclamiez de nouveaux membres pour la Garde, mais vous n'êtes pas sans savoir que Westeros est en proie à la guerre … Je viens donc directement prendre des nouvelles de la situation ici, et voir ce qu'il est possible de faire pour la Garde de Nuit, comme tous les souverains du Nord avant moi … Mais nous serons sans doute mieux ailleurs qu'ici dans la cour pour pouvoir en discuter. »

Joramun Hoare

Jon Stark s'est rendu au Mur pour pouvoir voir la Garde de Nuit et le Lord-commandant, alors que le contact entre les deux hommes est presque inexistant depuis de longs mois. Le Lord-commandant a de nombreuses fois ignoré les missives du Roi du Nord qui lui demandait ce qu'il pouvait se passer au-delà du Mur. Après l'envoi d'une petite troupe pour pouvoir récupérer plus d'informations, il a demandé des hommes pour pouvoir assurer la fonction des hommes qui ont pris le noir. Sans explication supplémentaire, Jon a décidé de se rendre directement sur place. Après tout, le Lord-commandant est un Hoare et la guerre au cœur même de Westeros, oppose de fait les deux hommes.

La jeunesse… La jeunesse, c’est bien beau, mais ça rend con. En particulier les rois. Malgré un faciès plutôt neutres, voir débarquer le roi du Nord n’est pas une bonne surprise. Voir débarquer une centaine d’hommes pour une durée indéterminée qui vont distraire de leurs entraînements et devoir les gardes de nuit, ce n’est pas une bonne surprise. Que ces hommes fassent fondre leurs réserves, ce n’est pas une bonne surprise. Joramunn a toutes les raisons du monde d’être contrarié par la venue de ce roi, qui pourtant se flatte de sa venue. Sans la relation d’amitié particulièrement assidue entre les hommes du mur et la famille Stark, leur principal soutien, le Lord Commandant se serait sans doute empressé de renvoyer le roi à grands coups de pompe dans le cul dans son château, en lui demandant de le laisser faire son travail… Le Mur et la garde de nuit sont en place depuis des siècles. Depuis des siècles, les besoins sont les mêmes. Hommes, vêtements, matériels en tous genres, nourriture. Le roi ne peut-il se douter qu’après l’hiver, même si de courte durée, et les routes jusqu’à eux entravées par la glace et le gel, ils auraient eu besoin de vivres ? Pour le Hoare, cela revient à expliquer l’évidence, et il n’a pas le temps pour ça. Il n’a pas le temps pour jouer les guides touristiques pour un jeune loup avec l’envie de faire ses preuves… Son désir de suivre la lancée de son père et dans le soutien de la garde de nuit est admirable, mais il s’y prend bien mal… Il s’y prend… Comme un jeune. Et Joramunn a déjà bien assez sur les bras avec la jeunesse, parfois exagérée, des recrues qu’on lui envoie, sans en plus devoir composer avec celle d’un roi, et l’orgueil qui l’accompagne.

Que le souverain se rassure du caractère inchangé de Chateaunoir laisse le Lord Commandant de marbre. Si Chateaunoir devait venir à changer, le Nord changerait, car cela voudrait dire que les sauvageons sont parvenus à passer la défense qu’ils forment avec le mur. Et dans ce cas… Les Dieux, anciens, nouveaux, noyés, de Lumière, puissent avoir pitié des premiers hommes et des andals… Aussi, plutôt que de se montrer désobligeant envers Jon, Joramunn se contente de garder le silence et de continuer à le dévisager. Du coin de l’œil, il ne perd rien des échanges entre les nordiens et les gardes de nuit… La distraction commence… Tenté d’interrompre le roi pour rappeler ses hommes à l’ordre, Joramunn fait plutôt revenir un regard acéré, un regard de fer-né dans toute sa splendeur, sur le jeune Loup dont le monologue fait naître en lui cette réflexion que, dusse-t-il lui-même avoir été plus jeune… Jon aurait reçu son poing dans la figure. Soit il ne s’en rend pas compte, soit c’est à dessein, mais en cherchant à disposer ainsi du temps du Lord Commandant et de ses ressources, le roi sape son autorité… Hors, s’il y a bien une chose de laquelle un Lord Commandant de la Garde de nuit ne peut permettre, c’est bien qu’on sape son autorité… Peu importe de qui ça vient. Grossièrement dit, le Lord Commandant doit toujours avoir la plus grosse, roi ou pas, parce que si les troufions sur lesquels il exerce son autorité, souvent des mâles alpha en manque de gloriole, venaient à douter de sa fermeté, il se ferait bouffer tout cru… Quelques secondes à peine suffisent à Joramunn pour déterminer que, heureusement, Jon ne fait pas ça par calcul, mais le mal est fait. Plusieurs de leurs hommes les ont entendus, et ça, le Lord Commandant ne peut absolument pas se permettre de le laisser passer.

La question se pose, donc, de comment régler la chose. Une manière serait de se montrer vindicatif, et de taper du poing sur la table. C’est sans doute ce qu’auraient fait son père et son frère aîné… Mais Joramunn est plus malin. Il a toujours été plus malin. Un peu plus fin… Evidemment, chez les fer-nés, on ne dit pas « fin ». On dit sournois. Ça colle mieux aux personnages. Son regard acéré quittant le jeune Loup, le Lord Commandant, sans prendre la peine de lui répondre à lui directement, s’adresse à l’un de ses hommes. « Va installer le roi dans mon bureau et demande à Polt de raviver le feu. Fais-lui servir un bol de brouet. » Le soldat hoche la tête en signe d’assentiment. « Je vous prie de suivre Follet jusqu’à mon bureau, Votre Majesté. Je vous rejoindrai dès que je le pourrai. » Sa voix est basse, mais inflexible, autoritaire à l’extrême. Il espère que Jon comprendra à quel point il peut être malvenu de débarquer sans s’être annoncé auparavant, et d’espérer que le Lord Commandant de la Garde de Nuit l’entretienne toute affaire cessante pour des « trivialités », qu’il se plie à sa volonté et le suive, docile comme un chien, prompt à faire le beau au moindre caprice… Joramunn n’est pas un roi reconnu dans Westeros, mais il est le roi de Chateaunoir, et doit en avoir l’autorité. En retardant l’entrevue à un moment de sa convenance, le Lord Commander reste le seul détenteur de son temps, de son autorité. Du reste, il ne laisse pas le temps à Jon d’objecter, puisque sitôt ses directives données, il se détourne du monarque après un bref salut de tête, et en revient à ses hommes, sur lesquels il tonne déjà. « Krey, Rivers ! Le bois ne va pas se couper tout seul ! Roote, Shet ! Occupez-vous de l’installation des nordiens ! » …

[…]

En tout et pour tout, Joramunn doit laisser attendre Jon trois bons quarts d’heure, peut-être une heure, avant de passer la porte de son bureau. Bien sûr, c’est calculé, une façon très directe de voir quel genre d’homme est le roi du Nord… Le Lord Commandant n’a absolument rien à cacher, mais peut-être que le jeune Loup en a pensé autrement. Le laisser aussi longtemps, seul, dans son bureau lui a donné une occasion absolument unique de fouiller dans ses documents, ses affaires, ses corbeaux… Ou pas. Homme loin d’être distrait, Joramunn ne sera peut-être pas en capacité de dire exactement tout ce qui aura fait l’objet d’une fouille, mais il remarquera sans aucun doute au moins un changement dans ses affaires. Un seul lui suffira pour conclure si, oui ou non, Jon s’est permis de fouiller dans ses documents, et donc, s’il lui fait confiance ou non… « Veuillez m’excuser pour l’attente. » Bien sûr, il n’est absolument pas désolé, et s’empresse de défaire sa lourde cape noire, qu’il accroche, avant de venir s’asseoir dans le fauteuil à haut dossier, derrière son bureau. « Je vous écoute… » Il invite, se faisant, le jeune Loup à lui parler de ce dont il a à lui parler, et il l’espère, de façon structurée…

Jon avait parfaitement compris qu'il n'était pas le bienvenue au Mur, où en tout cas, que le lord commandant avait sans doute bien mieux à faire que de s'occuper du seigneur de Winterfell. Il était pourtant clair que le jeune souverain du Nord n'avait eu aucune volonté de mal faire vis-à-vis de l'homme à la tête de la Garde de Nuit. Cela faisait plusieurs semaines, même plusieurs mois déjà que la question traînait dans l'esprit du jeune loup. Depuis que Jon avait reçu la missive provenant de Joramun Hoare, comme tous les souverains de Westeros, appelant les différents royaumes à venir en soutien à la Garde de Nuit, il espérait sincèrement que la situation au-delà du Mur ne s'était pas totalement dégradé, et qu'en plus de la guerre qui sévissait dans le Sud, il faudrait prendre en compte une menace qui viendrait directement du grand Nord. Le Stark ne pouvait que se souvenir de la dernière fois où il avait croisé la route des sauvageons, il y a presque deux ans maintenant. Le combat avait été féroce, il avait encore une fois coûté la vie à de nombreux nordiens. Il ne pouvait pas plus oublier dans quel état son père avait fini, manquant de peu de rendre son dernier soupir, et lui-même avait failli trépasser, si Bowen n'était pas intervenu au bon moment pour donner un coup d'épée fatal au sauvageon qui surplombait le prince héritier, désarmé qui imaginait vivre ses derniers instants. Les Loups de Winterfell avaient pratiquement perdus tous les hommes de la famille, ils ne restaient plus que Torrhen, ainsi que ses fils et ses neveux, plus un frère, qu'il soit du même sang ou un bâtard, était encore en vie et s'il était logique que le roi et son fils aîné soient sur le front, Walton s'était fait particulièrement rabroué pour sa présence également.

Puis la guerre, la grande guerre avait alors commencé et les sauvageons avaient disparu de l'esprit des hommes pour pouvoir voir chaque royaume s'opposer les uns aux autres. Jon avait été trahi par le Val, et avait pris de plus grand risque à traverser le Conflans pour pouvoir atteindre la cible qui avait été fixé par son père et sa toute nouvelle belle-mère pour combattre les forces des Hoare. Pendant la campagne dans le Sud, ils avaient donc été contactés par la Garde, réclamant hommes, vivres et chevaux pour pouvoir continuer leur mission. Jon avait laissé Walton s'occuper de cette tâche pour le Nord, il montrait ainsi la confiance qu'il mettait dans le rôle que son jeune frère pouvait avoir à Winterfell et dans la gestion du royaume en l'absence du souverain sur ses terres. Mais visiblement cela n'avait pas été suffisant, cela n'était jamais suffisant. Jon ne pouvait être au courant seulement de ce que le Nord et de ce que l'Empire, en tant que royaume, avait pu offrir comme soutien à la Garde de Nuit, il ne savait rien de ce que les autres souverains avaient pu donner à cette dernière, il doutait d'ailleurs même que la maison Hoare, qui était pourtant la maison d'origine du Lord commandant avait pu répondre à l'appel de ce dernier. Dans tous les cas, toute cette histoire remontait à présent à plusieurs mois, plusieurs semaines. Quand Jon était rentré à Winterfell, il avait tenté de reprendre contact avec le Mur, sans grand succès. Puis, il avait envoyé une cinquantaine d'hommes pour pouvoir obtenir plus de réponses. Et maintenant, il s'était directement rendu sur place. Il lui fallait apprendre, il lui fallait comprendre, il lui fallait voir de lui-même. Il ne pouvait apporter des promesses mais il pouvait au moins essayer quelque chose. Et surtout, s'assurer que Joramun Hoare ne viendrait pas à se retourner en compagnie des hommes de la Garde de Nuit contre le Nord, pour se venger de ce qu'il se passait au Sud.

Jon, sans un mot de plus, gardant son attitude neutre, se fit conduire jusqu'à la pièce où le Lord commandant finirait bien par le rejoindre à un moment ou un autre. Il inclina légèrement la tête à l'attention de l'homme, puis il suivit ce Follet, adressant un regard à ses hommes, deux d'entre eux se détachèrent alors pour pouvoir le suivre. Le jeune roi ne fit rien durant qu'il attendait dans le bureau, il lui aurait été sans doute facile de fouiller, mais il n'était pas question d'ouvrir directement les hostilités face au Lord commandant. Il se permit simplement de fermer les yeux quelques instants pour pouvoir se reposer du voyage qu'il avait fait. Pour autant, il était bien alerte au moment où il vint enfin à la rejoindre. « Vous êtes tout excusé, je ne doute pas un seul instant de ce que cela veut dire de gérer une telle compagnie d'hommes. Et je sais qu'il est important d'aller droit au but. » Il se redressa un peu plus. « Les dernières nouvelles que j'ai eu, était de la part de mes hommes. Nous avons pris des décisions dans le Nord, pour pouvoir venir en soutien à la Garde de Nuit. J'ai pour ma part besoin de savoir quelle est la situation au Mur ? Les mouvements de la part des sauvageons, les incidents qui se sont déroulés dernièrement. »

Joramun Hoare

Jon Stark s'est rendu au Mur pour pouvoir voir la Garde de Nuit et le Lord-commandant, alors que le contact entre les deux hommes est presque inexistant depuis de longs mois. Le Lord-commandant a de nombreuses fois ignoré les missives du Roi du Nord qui lui demandait ce qu'il pouvait se passer au-delà du Mur. Après l'envoi d'une petite troupe pour pouvoir récupérer plus d'informations, il a demandé des hommes pour pouvoir assurer la fonction des hommes qui ont pris le noir. Sans explication supplémentaire, Jon a décidé de se rendre directement sur place. Après tout, le Lord-commandant est un Hoare et la guerre au cœur même de Westeros, oppose de fait les deux hommes.

Il est agréable de constater que, dans un premier temps, rien dans son bureau ne semble avoir bougé. Aucun des papiers qui le maculent, dans un ordre que lui seul comprend, aucun des bibelots, aucun des tiroirs que Joramun referme toujours de la même façon, avec un très léger dénivelé entre le deuxième et le troisième. Paranoïaque ? Peut-être un peu. Prudent, surtout. Joramun n’oublie jamais que les hommes sous son commandement, bien qu’ayant prêté serment, sont principalement des voleurs et des violeurs, et que sans la certitude de directement perdre la vie s’ils se faisaient pincer, beaucoup d’entre eux déserteraient… Ce qui l’enrage, bien sûr, mais qu’il peut comprendre. Avoir le sens de l’honneur n’est pas donné à tout le monde. C’est une valeur difficile à défendre quand on a déjà tout, mais ça l’est encore plus quand ça semble si vain dans un environnement aussi hostile que le Nord et le Mur. Pour la majorité, les hommes en noir n’ont pas de sens de l’honneur. Si c’était le cas, ils ne se retrouveraient pas ici pour commencer. Le Noir voit très peu d’enrôlés volontaires, et la Garde de Nuit se compose principalement de criminels. Oublier ce point pourrait coûter la vie à Joramun, et le rendrait moins efficace dans son commandement. Le meilleur moyen de faire obéir un homme, c’est de trouver ses leviers. Avec le temps, il espère qu’un peu d’honneur se distille dans les rangs, en même temps qu’un esprit de camaraderie, renforcé par l’adversité… Mais le Lord Commandant n’oublie jamais qu’il a sous ses ordres une belle bande d’opportunistes.

Bande d’opportunistes qu’il devrait être en train d’entraîner, au lieu d’avoir cette entrevue. Que Jon semble ne pas avoir fouiné est un bon point pour lui, mais insuffisant pour améliorer l’humeur, intérieurement bougonne, du Lord Commandant, ça permet simplement que ses maigres réserves de patience ne se tarissent pas immédiatement. Le roi, bien aimable, excuse son retard, et assure se douter de ce que c’est que de diriger des hommes de la trempe de ceux formant les rangs de la Garde de Nuit. Le Hoare aurait-il été mieux disposé, il aurait ri. Comment un roi, qui commande à des chevaliers, pourrait se douter un seul instant de ce que ça peut être que de commander des criminels ? Des extrémités auxquelles certains le poussent, parfois ? Et de ce que ça peut être que de vivre avec ça ? A la place d’un rire, Joramun a une sorte de grognement dédaigneux. S’il n’exprime pas ouvertement son scepticisme au roi du Nord par des mots, l’idée est relativement explicite. Pour autant, le Lord Commandant laisse terminer son invité forcé… Et accuse le coup. Autant de kilomètres et une visite impromptue qui va peser sur leurs ressources pour un bilan qu’il a régulièrement ? Le Hoare accuse le coup, ne sachant quoi répondre tout de go, rien ne lui venant. Il hésite entre la bêtise et l’ennui… « Votre Majesté, si vous cherchez des voyages à entreprendre pour prendre de la distance avec votre épouse, vous pourriez aller dans des endroits plus agréables… » Il répond, à la limite de l’irrespect, mais s’étant visiblement abandonné au blase le plus absolu. Il vient se pincer l’arrête du nez, et ferme les yeux, pour se laisser le temps de réfléchir à comment être diplomate et se retenir d’envoyer bouler l’un de ses derniers soutiens. « Votre Majesté, répondez-moi honnêtement… Est-ce qu’un rapport détaillé de nos dernières rencontres avec les sauvageons conditionneront les ressources que vous nous enverrez ? » Rouvrant les yeux, Joramun dévisage le jeune homme de ses yeux au bleu perçant.

D’un mouvement de main, le Lord Commander dissuade le roi de répondre tout de suite. Il se lève, faisant racler sa chaise sur le sol, et joint ses poignets sur ses reins, en commençant à faire les cents pas. « Savez-vous ce que j’entends, moi, quand vous me demandez la situation du Mur, situation qui, à mon sens, était limpide dans mon dernier corbeau ? » Il baisse les yeux sur le jeune Loup, déjà conscient qu’il joue avec le feu, bien trop blasé, bien trop fatigué, pour faire marche arrière. « Moi j’entends que ma gestion est questionnée, la pertinence de mes décisions remise en cause… J’entends que, de là où vous êtes, vous auriez pu penser à des choses auxquelles je n’ai pas pensé, m’apprendre comment diriger mes hommes, gérer les ressources des garnisons du Mur, et repousser efficacement les sauvageons… » Joramun s’exprime de façon très calme, tout à fait posée et mesurer, tâchant de maîtriser l’agressivité de son ton pour seulement être incisif. « Votre Majesté, l’intérêt de la Garde de Nuit n’a pas changé depuis sa création. Nous devons empêcher la traversée à ceux qui viennent, ou ce qui vient, de l’autre côté… Nous essuyons des tentatives plus régulières que d’ordinaire, mais jusqu’à présent, nous parvenons à faire notre devoir, devoir qui coûte en hommes, en vêtements, en ressources. En somme, la situation est exactement la même depuis la création de la Garde de Nuit… Si un élément nouveau s’était introduit dans ce schéma récurrent, un corbeau aurait été envoyé aux rois de Westeros pour les en aviser… Alors je vous demande, votre Majesté… Que comptez-vous retirer d’un rapport de la situation ? Des mouvements des sauvageons ? Des incidents qui se sont déroulés dernièrement ? Que comptez-vous y faire, et comment ? » Alors que la synthèse lui a déjà été envoyée, et est simple, et récurrente. Ils ont besoin d’hommes, de vêtements et de ressources pour combattre les sauvageons. En quoi est-ce si compliqué ?

Jon se doutait bien que cela ne devait pas être une des choses les plus simples de vivre ici sur des terres les plus au Nord de ce dont tout Westeros pouvait avoir connaissance. Bien sûr, parfois, quelques-uns venaient à tenter le voyage au-delà du Mur mais rares étaient ceux qui en revenaient, voir aucun ou alors ils n'étaient plus réellement en état de pouvoir parler de ce qu'ils avaient découvert dans ses contrées toujours plus reculés. Dans le Nord, le Mur ne représentait nullement une légende, ni même ce qu'on pouvait trouver dans ces terres hostiles pour l'homme. Le jeune roi avait toujours été élevé dans la tradition d'un ailleurs bien plus sombre après les remparts naturels que défendaient les hommes de la Garde de Nuit. Ces histoires effrayantes que les enfants se racontaient le soir auprès du feu, lors de longues veillés où on venait à se faire peur en aggravant certains détails. Les anciens venaient également à vous murmurer des choses qui pouvaient tout simplement vous glacer le sang et vous poussez à d'horribles cauchemars, toute la nuit durant. Mais en grandissant, tout cela continuait à vous trotter dans l'esprit, et on venait à prier pour largement les Anciens Dieux pour qu'une catastrophe n'arrive jamais. Sans doute que cela venait à contribuer à l'idée qu'on se faisait du Nord, des personnes un peu plus rustres, ne priant pas les mêmes Dieux, n'ayant pas les mêmes croyances, et n'étant par la même pas aussi civilisés que les personnes qui peuplaient les terres plus au Sud. Il y avait certainement quelque chose de bien plus mystique dans le royaume dont il était le souverain, mais le Nord avait vu des choses et s'il y avait bien un élément qui n'était clairement pas une dérive de l'esprit humain, c'était les sauvageons qui venaient parfois à quitter leur sanctuaire de glace pour venir s'en prendre au territoire des Stark. La dernière fois qu'ils avaient fait une incursion chez eux, son père avait manqué de mourir. Il avait mis des semaines à se soigner ses blessures, toutes les cicatrices n'avaient pas disparu et d'une certaine façon, aujourd'hui encore Torrhen était affaibli parce qu'il s'était passé à l'époque, et cela avait été une faiblesse pour les batailles qu'il avait mené depuis. Lui-même, alors qu'il était en train de combattre ces ennemis venus du Nord, il avait manqué de peu d'être abattu sans crier gare. Un souvenir qui l'avait hanté longtemps après les combats de la Mort-Aux-Loups. Et il savait également, qu'il ne tenait sa vie qu'à Bower Glover.