APPRENDS A VIVRE, ET LEVES-TOI

Le monde ne se résume pas à toi, moi, la terre qu’on foule, l’air qu’on bouffe. Non, le monde, il est juste entre mes mains. Mais la variable irrésistible, c’est que tu as beau faire ton possible pour le modeler, cette petite terre entre tes mains, elle ne t’obéira pas, jamais. Non jamais. Mais tu continues, p’tit gars, parce que tu sais pas quoi faire d’autre. Moi, tu vois, j’y ai pris goût. Ferme ta gueule, ravale tes larmes, et marche vers Lui.

Des entrailles, comme je t’ai dis, tu vas en bouffer. Moi, l’avant première, c’est une boite crânienne explosée sur des rochers. J’avais quoi, cinq, six ans… Le seigneur mon père m’avait toujours dit que ma mère, malgré ses qualités indéniables au pieu et sa beauté, avait toujours eu une santé mentale fragile. En plus, cette gourde avait laissé rentrer un prêtre rouge chez nous… Du coup, elle est tombée sur les rochers, simplement. Depuis son balcon. Non, pardon, elle s’est jetée. Suicide. Suicide.

Mais pourquoi il a fallut que ça soit moi qui la trouve ? Qui trouve son corps ballotté par les flots, les poissons et autres habitants de la mer mangeant ce qui constituait son corps ? Aujourd’hui, je pense que ce fut là ma première rencontre avec le Dieu Noyé.

Là où je l’ai vraiment vu, vraiment, c’est quand on m’a offert à lui, le jour de mes douze ans. Où j’ai laissé le gamin hanté par le sang et les larmes, pour embrasser mon destin. Le prêtre avait enfoncé mon visage sous l’eau, lentement, et j’avais gardé les yeux ouverts jusqu’à ce que l’étincelle s’échappe de mes yeux pour rejoindre la houle.

Et je l’ai entendu. Celui qui dort dans les Abysses, qui attend son heure. Qui jouit par la destruction et englouti navires et galères pour son bon plaisir. Le jour de mes douze ans, je l’ai embrasé, et j’ai juré de devenir son champion. Et de lui donner ceux qui bafouerait Sa Voie, l’Antique Voie, qu’ils soient grands ou petits, gueux et rois.

Les dix années suivantes ont été des plus instructives. J’avais déjà été mousse, mais là, mes compères commencèrent à vraiment me considérer. Je servis longtemps sur le vaisseau de mon père, le Triste Sire ; jamais il n’avait vu un gamin avec la hargne, la rage de s’élever, de briller. C’est l’année d’après que je trucidais mon premier Ouestrien, et que je prenais ma première femme sel, d’ailleurs. Ah, quelle belle jeunesse, je la retrouve encore en ces p’tits gars qui manœuvrent pour moi maintenant. Brûle de t’élever, c’est bien cette connerie qui fait marrer Harren et sa marmaille ? Par le sang et les larmes, je remettrai au goût du jour la légende de Vline.

- Alors, ça te plaît de bouffer ma dague petit con ? Tu vas le dire, maintenant, ou je dois te sortir une autre dent ?

Le petit seigneur suffoqua et me cracha une gerbe de sang au visage. Avec un sourire satisfait, je lui décochai un coup de pommeau qui lui fracassa les incisives ; son hurlement, lui, me parut presque inapproprié. Quelle femmelette, ces Ouestriens, même ma petite sœur a plus de couilles que ces bouffons… C’était elle qui gérait l’intendance et le budget pour l’entretien des vaisseau, et elle avait montré qu’il fallait pas faire chier celui qui gère la bouffe et la picole. On devait s’approvisionner dans cette bourgade des Roches, mais ce petit con de fils de seigneur en charge de la défense avait prit le devant, et avait proprement incendié ses greniers. Pauvre con. Il devait avoir une réserve quelque part, sinon on apprenait vraiment rien à ces culs oints.

- Ecoute, mon gars. J’ai pas toute la journée. Dis moi que t’a pas été assez con, que t’as juste pas cédé à la panique, que t’as pas mis le feu à toutes ces putains de réserves, que t’as envoyé une caravane vers ton nord chéri. Ton roi, là, il peut rien pour toi. C’est pas lui, le grand méchant loup, ici.

Des pleurs inarticulés. N’empêche, c’était artistique, son dentier, des canines, quelques molaires en moins, ça lui donnait un certain charme. Un charisme pathétique.

Dégoûté, je relâchai ma prise sur ses cheveux couvert de sang et de sueur pour balancer ma botte dans ses couilles. Avec un cri, il se plia en deux, avant de s’évanouir de douleur. Je me laissai aller à un rire tandis que mes gars commençaient à se rassembler avec moi au septuaire dans lequel ce petit con avait tenté de trouver refuge. Mon équipage, tout comme moi, se riait de ses idoles mal fagotées, mais n’y portait pas la même haine que moi.  Un soupir détourna mon attention des traits d’une d’elle.

- Putain Vline, la Garce va pas être contente, on avait dit juste de la bouffe, on fait pas un massacre, ou du moins, pas un massacre comme ça…

Inara, ma si chère petite sœur, me jetai un regard résigné depuis l’embrasure d’une porte, un parchemin à la main.

- Faut encore vider la tour, les appartements, trouver les caches, que tes gars aient fini leur affaire avec madame… Tu t’amuseras quand on aura finit.

Oh qu’elle me faisait rire, avec ses yeux gris pétillants de malice, ses manières hautaines et ses lèvres, oh ses lèvres… Marchant sur le corps inanimé du petit seigneur, je m’approchai d’elle et saisit son beau visage entre mes mains couvertes de sang séché. Lentement, je déposai un baiser sur sa bouche, lui témoignant mon amour, ma dévotion, ma fierté de la voir elle, femme respectée dans un univers d’homme, et qui en tire tous les plaisirs.

Brusquement, je me retournai vers mes gars qui commençaient à vouloir réveiller l’autre empaffé.

- Vous avez entendu la Dame, fidèle équipage de la Bête Ecorchée ? Foutez moi le feu à ces idoles pourries, et après, on se bouge de ramasser le butin ? Faut pas faire attendre cette garce de Hoare.

Des rires. Le sien aussi. Oh ils m’aimaient, mes gars. Avec moi, ils étaient libres, ces rebus, ces changes-peaux que mes leurs frères du Sel et du Roc redoutaient, craignaient et méprisaient. Ils se sentaient, pour la première fois, vivant, et prenaient ce qu’ils désiraient. Je leur souri, avant d’ajouter en lançant sa propre dague dans la main recroquevillée du petit seigneur.

- Et clouez le moi à l’intérieur, qu’il rejoigne ses dieux si il les aime tant.

PARS, ET RAMENE MOI UNE ETOILE

Il s’en est passé, des années, depuis qu’on s’est fait exilé de ces sept foutues couronnes, par la garce et sa clique. Pendre son capitaine par les tripes, ça inspire la crainte, pour sûr, mais dans la finesse on aura vu mieux. Les gars avec le mal du pays sont rentrés depuis un bail, on en a pris d’autres avec nous, des gars d’un peu partout. Sur la Bête, maintenant, on a anciens esclaves, des natifs des îles d’étés, des velus d’Ibben, bref, tout ce que ce monde peut nous offrir. J’ai avec moi mon fils aussi, onze ans. Ca a été un peu compliqué vu que j’ai du attaché sa mère dans la cale après l’avoir prise à Asshaï, mais bon, il m’aime, et je l’aime, Dagmar, c’est un bon gars.

Apparemment, notre pays, c’est devenu un sacré bordel. Un Empire, pour commencer, ce bon vieux Harren qui est allé rejoindre les Abysses, Eren mariée à un Hightower, elle fera plus chier personne et aura oublier les saloperies que je lui ai mise dans la gueule, maintenant qu'elle a un homme pour le faire, Yoren Roi… Il est temps de revenir sentir la bonne odeur de la merde et de voir ce qu’on peut construire dessus. Ils oseront pas me renvoyer à la mer, j'aurais bien trop de choses à raconter ; quand on revient soit même de l'exil, il faut savoir poser ses couilles sur une table, devant tout le monde Mais avant, j’ai entendu parler de cette femme, au bout du monde, qui parviens à attraper les fils du destin pour te les apprendre ; et te les donner.

On a jeté l’ancre devant sa bicoque, j’ai parcouru à la nage la centaine de mètre pour y entrer. Pas besoin d’escorte non ; entre l’enseignement des différents cultures et mon passif, j’avais acquis un savoir faire des plus mortels avec n’importe quelle lame. Ou plutôt, rare étaient les hommes qui, depuis cinq ou six ans, avaient réussi à me blesser sérieusement. De toute façon, on est resté tranquille : on a pillé quelques vaisseaux isolés, à chaque fois d'un camp différent avant de les couler, pas de traces ; on s'est fait un ou deux villages de primitifs en cachant la Bête et en frappant à pied comme de simples bandits... on a simplement vu du pays, et des culs d'indigènes sans cesse remplacé.

Contre du vin, des épices, de quoi manger et les histoires que j’avais vécu, elle me dit trois choses, que jamais je n’oublierai.

« Tu deviendras si grand qu’une lumière jaillira de toi ».
« On t’aimera comme on te maudira, mais cela te permettra de voler de tes propres ailes ».
« Par le sang et les larmes, tu leur feras déposer les armes »

Maintenant Seigneur de Lumière Isolée, Lord Vline Vendeloyn accoste dans le Conflans pour retrouver son Roi ; il n’a pas besoin de son équipage, il possède déjà des marins talentueux ; il n’a pas besoin de sa matière grise, comme en témoigne ses nombreuses victoires ; il a besoin d’une bête qui exécute ce qui l’ordonne… Et ceux qui l’ordonne. On va voir si tu mérites ton titre, car si c’est le cas, on ira loin, tous les deux, mon gars.

Foutre un coup de pied dans le cul de mon seigneur de père pour prendre le pouvoir, c’était une chose, convaincre les gars, une autre, mais tout c’est bien passé, les indigènes étaient comme des fous, de voir les sept couronnes et leur dragon. Qui irait refuser la primauté au seul et unique héritier de son père, revenu d'entre les morts, qui a le soutient de Dame sa Soeur, qui revient d’un voyage aux confins du monde, qui a bravé dieux et mers pour revenir plus fort, et plus dur à la peine ?

Certainement pas toi, ô mon Roi.