+ The Last Goodbye
Les boucles sauvages de l’enfant volètent tout autour d’elle tandis que ses pas foulent le sol en courant. Une chaude journée d’été s’est levée sur le Bief et à peine ses yeux se sont-ils ouverts à l’aube qu’elle était partie à l’aventure. Du haut de ses quatre années, la brune est d’une témérité et d’une insouciance qui impressionnent et inquiètent sa famille. Ses prunelles aussi claires que de l’eau de roche parcourent la nature qui se trouve autour d’elle, ses pas se perdent dans les hautes herbes et son rire s’envole dans le vent.
« Mayelle ! » s’écrie une voix que l’enfant reconnaît clairement. « Mayelle, reviens immédiatement ! »
A cette injonction, le seul désir de la capricieuse enfant est de prendre son envol encore plus loin, d’aller explorer toujours davantage et d’approcher de l’horizon ; mais quelque chose dans l’intonation de sa grand-mère lui indique qu’il faut qu’elle revienne. Faisant fi de sa robe, elle s’élance à la rencontre de sa vieille dame sans relever ses jupons qui soulève prestement l’enfant dans ses bras afin de s’assurer qu’elle ne puisse pas repartir ailleurs comme il était d’accoutumé. La brune se met à babiller dans un langage qu’elle seule peut comprendre, se lançant dans le palpitant récit de toutes les créatures étranges qui peuplent son imagination. La grand-mère n’écoute que d’une oreille distraite, bien plus préoccupée par le retour à leur chaumière ; et ce n'est que quand elles passent le seuil de la porte, que Mayelle se décide à taire son monologue.
Ici, l’atmosphère qui plane est autrement différente. Si le soleil brille au-dehors, il paraît qu’il s’est éteint à l’intérieur de la chaumière. Les visages sont graves, les mines baissées. Quand les pieds de l’enfant retouchent le sol, Mayelle contourne son oncle et sa tante, pour parvenir au chevet de sa mère ; corps au teint diaphane étendu sur le lit comme s’il s’agissait de sa dernière demeure. Longuement, la petite se plonge dans l’intense contemplation de ses lèvres transparentes, des cernes qui bordent ses yeux et de l’agonie qui voile ses prunelles opalines. Elle amorce un pas pour s’approcher plus près, mais c’est là qu’elle fait cas de l’homme qui se trouve agenouillé au pied du lit. Sa carrure imposante et sa mâchoire carrée forcent l’admiration et la crainte de la petite fille. D’aucun prétende qu’il s’agit de son père, mais les absences régulières de ce dernier la font douter de cette vérité. Ses yeux repèrent leurs mains entrelacées. Leurs regards s’épousent avec intensité jusqu’à ce que les yeux de la mère soient voilés par la mort. Dans le silence sinistre qui plane dans la chaumière, un léger sanglot ébranle la montagne qui se tient toujours prostrée aux côtés de la morte. Néanmoins, ses pleurs sont rapidement réprimés. Il se lève brusquement, ce qui fait reculer l’enfant d’un pas. Ses prunelles d’azurs s’attardent sur le chagrin qui assombrit les traits du guerrier où une épée ceint à sa ceinture. Très vite, son attention se reporte sur sa mère dont elle ne comprend pas l’immobilité. Elle s’approche avec un peu plus d’assurance, secoue sa main inerte avant de réaliser qu’elle est aussi glacée que les neiges.
« Vous ne pouvez pas partir ainsi, votre altesse ! s’interpose la grand-mère, ce qui ramène l’attention de Mayelle vers le groupe d’adultes.
- Que souhaitez-vous de plus ? Elle est morte, lâche sombrement l'homme.
- Et l’enfant ? C’est la vôtre. »
Un long silence s’installe durant lequel tous se défient du regard. La tension est palpable, même pour Mayelle qui ne comprend pas que son sort dépend de l’issue de cette conversation. Un bref instant, celui qui est son père la regarde avant de baisser les yeux, lui au front si volontaire.
« Sa place est ici. Avec sa famille, annonce-t-il.
- Elle ne peut rester. Personne ne pourra s’en occuper. Mes jours à vivre sont aussi comptés que ceux de l'enfant si elle reste ici, renchérit la vieille femme.
- Et nous ne pouvons la prendre avec nous, mon prince. » surenchérie la tante. « Nous avons bien trop de bouches à nourrir. Il s’agit de votre fille. »
L’homme secoue la tête, indécis. Son regard se porte sur chaque personne qui réside dans cette pièce. Finalement, un soupir désolé s’échappe d’entre ses lèvres.
« Elle ne sera rien de plus qu’une bâtarde.
- Être la bâtarde d’un prince vaudra bien plus qu’être considérée comme l’orpheline de la traînée du village. »
Une fois encore, c’est un silence qui répond à la sentence irrévocable de la grand-mère. Personne ne veut de l'enfant, et pourtant, il faudra bien que l’un d’eux cède. Au terme d’une longue réflexion, le roi se tourne vers l’enfant qui paraît comprendre l’enjeu de la situation. Il s’avance vers elle, et avant même qu’elle n’ait pu réagir, la soulève dans ses bras.
« Mama ? » lance-t-elle à l’adresse de sa grand-mère dont le visage reste impassible. Elle réitère son appel tandis que l’homme l’amène dehors, mais personne ne réagit « Mama ! »
+ I saw the light fade from the sky, on the wind I heard a sigh
Les semaines de cheval ont mis ses membres à rude épreuve, mais l’enfant se refuse à montrer le moindre signe de faiblesse ou même à pleurer ce départ qu’elle ne comprend pas. Pourquoi l’avoir laissée partir avec un étranger ? Pourquoi se retrouvait-elle aussi loin de sa famille ? L’homme qui se dit être son père lui adresse à peine la parole. Bien qu’il ait tenu à la prendre avec lui sur sa monture, il la délaisse rapidement à son second sitôt qu’il pose le pied à terre pour la nuit. A mesure de leur périple, le paysage change et la mer apparaît à la proximité de Hautjardin. Mayelle s’est assoupie dans les bras du guerrier quand de l’agitation la réveille. Immédiatement, tous ses sens sont en éveil dans ce territoire qu’elle ne connaît pas. Si autrefois, elle ne rêvait que de toucher l’horizon du bout des doigts, l’inconnue l’insécurise. Ils ont passé le pont-levis et les voilà dans l’enceinte du château. Autour d’elle, tout n’est qu’opulence et richesse. L’arrivée des guerriers et du prince est acclamée, ce qui incite l’enfant à se cramponner plus fermement au bras de son père qui la rapproche de lui. Même si l’affection n’est pas décelable, il la protège néanmoins. Bientôt, le pied du guerrier touche à terre et il fait descendre Mayelle par la même occasion. Fortement intimidée, cette dernière s’accroche à sa ceinture tandis qu’elle trottine derrière lui. Elle voit le petit groupe qui se forme de deux jeunes hommes, d’une femme d’âge mûr et d’une petite fille aux cheveux aussi blonds que les blés. A peine les yeux de la dame se sont-ils posés sur Mayelle que ses traits se chargent de contrariété. En les voyant tous ici rassemblé, d’une si belle apparence et richement habillés, elle sent que son apparence jure avec le reste. Le souverain accorde mille tendresses à ses enfants, avant de chercher à entraîner sa famille à l’intérieur pour une sérieuse discussion. La brune s’apprête à le suivre, mais la blonde a pour charge de s’occuper d’elle. Mayelle effectue un mouvement de recul quand les doigts de la princesse viennent entrelacer les siens. Son regard se fait méfiant, contrastant avec le sourire éclatant et confiant de la blonde.
« Viens, je vais te montrer les jardins ! »
+ As the snowflakes cover my fallen brothers
Onze longues années avaient passé. Longeant la côte, Mayelle saute de rocher en rocher. Les vagues écumantes viennent s’écraser sur les récifs de Hautjardin, éclaboussant le bas de sa robe. Un instant, elle s’immobilise et ses yeux se ferment. Ses bras s’écartent et elle respire les embruns de la mer, laisse le vent s’engouffrer dans ses mèches rebelles et le sel marin caresser doucement son visage. Un sourire satisfait étire ses lèvres alors qu’elle sent un sentiment de liberté l’envahir. Bonheur fugace qu’elle tente de renouveler autant de fois qu’elle le peut. Régulièrement, elle s’échappe des cuisines et s’offre de longues escapades. Durant ces heures-là, personne n’est là pour lui donner d’ordres, elle n’a pas à s’inquiéter de la propreté du château ou du moindre désir de la noblesse. Ce ne sont des instants qu’à elle où elle a la liberté de rêver sa vie comme elle aurait souhaité qu’elle soit ; affranchie de toute contrainte et une aventurière qui parcoure le territoire de Westeros pour en découvrir tous les secrets.
Quand ses prunelles caressent de nouveau le paysage, c’est pour se poser sur l’horizon. Du bout des doigts, elle tente de le frôler, de s’en emparer, mais il lui semble encore si loin… Puis au terme de sa rêverie solitaire, elle réalise que le soleil amorce déjà sa descente derrière les récifs. Le dîner ! Elle pouvait bien songer à sa liberté, elle ne lui était pas encore acquise. Elle relève précipitamment ses jupons et regagne la place. Elle n’attend pas une seconde de plus pour s’élancer dans une course effrénée afin d’atteindre le château avant que son absence ne se fasse remarquer, d’autant que la chef de cuisine était constamment sur son dos. Dans sa course, elle attrape quelques herbes sans prêter attention à leur nature. Le ciel est déjà d’ambre quand elle s’engouffre par la porte du personnel. La jeune fille tente de se faire aussi petite que possible, mais une main l’agrippe par la taille. Elle n’a pas le temps de se défaire qu’elle est plaquée contre mur et tente de se défaire, reconnaissant parfaitement la personne qui était à l’origine de sa captivité.
« Jhonas, va-t-en ! » le sermonne-t-elle, ce qui provoque l’hilarité chez lui. Son visage se crispe.
- Tu es encore en retard la bâtarde. Tu crois que cette grosse truie ne l’aura pas remarqué ? Elle hurle dans les cuisines depuis des heures. Crois-moi, tu ferais mieux de t’enfuir. » lâche-t-il sur un ton moqueur, ce qui fait lever les yeux au ciel de Mayelle. Elle tente de se dégager mais sa poigne est trop forte, ce qui fait bouillir la servante de rage. Il se met à désigner l’herbe qui se trouve enserrée entre ses doigts. « Tu crois que tu vas arriver à te faire pardonner avec un bouquet ? »
Une nouvelle fois, un large sourire étend ses lèvres. Ce garçon, Mayelle ne l’aimait pas et elle ne l’avait jamais porté dans son cœur. Il prenait toujours un malin plaisir à la brimer ou à se moquer d’elle. Avec l’âge, la relation n’en devenait qu’un peu plus perverse. Toutefois, il en fallait plus pour qu’elle se démonte. Elle s’apprête à répliquer, mais une mince silhouette arrive près du duo.
« Ah Mayelle ! Je te trouve enfin » , s’égaye la sauveuse qui n’est nul autre que la princesse. Le soulagement traverse les traits de la brune que Jhonas relâche. Immédiatement, elle va rejoindre son amie et confidente. « Tu as trouvé ce que je te demandais ? »
Pour toute réponse, la bâtarde lève son bras et agite sa possession avec fierté. C’était bien à dessein qu’elle avait attrapé ces herbes au passage. Néanmoins… elle aurait sans doute pu être plus prudente, étant donné qu’il ne s’agissait là que de vulgaires fougères. La princesse et la servante se dévisagent quelques instants, se retenant de rire par la même occasion.
« Merci Mayelle pour… cette fougère. J’en avais grandement besoin.
- Je suis à votre service princesse. » répond-elle avec une révérence, fonçant directement dans les cuisines.
Certes, Mayelle était une bâtarde et peu était de ses amis, mais elle pouvait au moins compter sur une alliée ici : Aylena.
+ I will say this last goodbye
Dans le calme qui règne sur les lieux, un léger froissement de robe se fait entendre et des pas légers sur la pierre, ébranlant à peine la quiétude de l'aube. Le château est encore endormi mais il est déjà l'heure pour Mayelle de s'atteler à la tâche. Pressée dans ses occupations, elle prend un soin tout particulier à rassembler toutes les affaires qui offriront à la princesse un réveil agréable. Voilà quelques années que la servante avait quitté le vacarme des cuisines pour devenir la suivante d'Aylena et répondre au moindre de ses désirs, à la demande de cette dernière. Une décision qui n'avait guère enchanté le souverain et son épouse, mais par chance, leur affection envers leur unique fille avait suffi à avoir raison de leur réticence. Mayelle avait donc troqué l'odeur prenante des épices pour les fragrances de parfum, la rudesse du travail culinaire pour le maniement de la brosse à cheveux et les hurlements sauvages de la cuisinière pour les douces paroles de la princesse. Une liberté entière et complète lui était enfin accordée grâce à cette nouvelle place, même si elle ne négligeait en rien tous ces devoirs. Mayelle ne prenait pas soin d'une princesse, elle prenait soin de son amie.
Bifurquant dans un couloir pour parvenir aux chambres, ses bras chargés de linges fraîchement lavés et séchés, elle ne tarde pas à faite cas de la présence de Jhonas. Que faisait-il dans cette aile du château ? Elle l'ignorait, mais la servante comptait bien se priver d'une altercation avec son tortionnaire occasionnel qui prenait toujours un malin plaisir à la tourmenter quand leurs chemins venaient à se croiser. Par chance, la nature de Mayelle était suffisamment forte pour ne pas se laisser démonter par de quelconques brimades. Elle tourne lestement des talons, s'engagent dans un autre couloir avant que Jhonas ne la voit. La voie libre, elle n'a qu'à faire un détour pour parvenir à la chambre de la princesse. Rien qui ne semble au-dessus de ses forces. Néanmoins, elle accélère le pas, si bien qu'elle heurte un homme de plein fouet. Une partie de son linge tombe à terre. Se confondant en excuses, elle se baisse pour récupérer ses possessions ; mais elle eut tôt fait de stopper son geste en réalisant qui elle venait d'ébranler.
« Votre altesse... » salue-t-elle respectueusement en s'inclinant bien bas.
Le sentiment est toujours le même. En face de son prince, elle ne sent plus à sa place. Chaque brève rencontre avec lui, lui rappelle qu'elle n'est qu'une bâtarde et que ce n'est qu'ainsi qu'elle sera reconnue. Un frisson la parcourt tandis qu'elle sent le regard de son souverain la scruter. Elle ose tout juste relever le regard, et c'est d'un air empli de douleur et de réprobation qu'il l'observe. Sa seconde fille. Sa chair et son sang. Sa bâtarde et son erreur. Elle sent sa poitrine s'opprimer, comme sous l'effet d'un sortilège. Emprisonnée par l'intensité de son regard, elle baisse ses claires prunelles au sol, bien piteusement. Ce n'est qu'au terme d'un temps qui semble être une éternité pour Mayelle qu'il paraît émerger de ses sombres songes ; et, aussi silencieusement qu'il était arrivé, il repart. La servante ne s'accorde le droit de respirer que lorsqu'elle est certaine qu'il est suffisamment loin. Reprenant l'usage de ses jambes, elle s'élance jusqu'à la chambre d'Aylena où elle s'engouffre sans plus de cérémonie. Dans la pénombre, elle repère la chaise où elle dispose les vêtements de la princesse. Du linge, elle tire un bouquet de lavande qu'elle a cueilli lors de son escapade matinale et qu'elle dispose dans un vase, sur sa coiffeuse.
« Debout Aylena ! Il te faut te lever maintenant ! » la secoue la bâtarde en s'approchant des fenêtres pour en tirer les rideaux. La princesse grogne, mais la servante n'en a que faire. « Sais-tu que j'ai dû faire un énorme détour dans les couloirs afin d'éviter Jhonas ? Parfois, je ne peux m'empêcher de penser qu'il me suit. Imagines-tu ? Cet homme aura ma perte ! » raconte-t-elle sans guère de frayeur dans la voix. Elle vient retirer fort peu délicatement le drap qui recouvre le corps de l'endormie. « Allons, tu ne penses tout de même pas tenir le lit toute la journée ? Tu dois te préparer. Aujourd'hui, des hommes viennent pour te rencontrer. »
Des grommellements parviennent d'Aylena dont elle sait que le projet de mariage n'enchante guère. Son monde semble si doux et utopique que la servante en vient à l'envier parfois, mais la réalité se confronte toujours à elle d'une manière ou d'une autre.
« Je n'ai aucun désir de me marier. Où est l'amour dans tout cela ? »
Un léger soupir s'échappe des lèvres de la bâtarde. Ni excédée, ni peinée, juste fataliste. Tandis que la princesse est assise au bord de son lit, Mayelle s'agenouille devant elle, prenant ses doigts délicats entre les siens.
« Qu'importe l'amour, Aylena... Il finira par se forger avec le temps. » lui confesse-t-elle d'une voix qu'elle enveloppe de douceur. « Ce qu'il te faut, c'est un mari juste et loyal, un homme qui ne te fera pas de mal et qui te traitera bien. Il te faut un homme avec des valeurs. » argumente-t-elle. Ses prunelles se plantent dans les siennes. « Ne crains jamais l'avenir, car je serai constamment là pour te protéger. Ne crains jamais ton époux, car je serai toujours là pour l'empêcher de te nuire. Ne crains jamais d'être seule, car je serai toujours là près de toi, même quand les temps te sembleront les plus sombres. Nous avons débuté cette aventure ensemble, nous la finirons ensemble. »