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Certains disent que mon cœur est resté froid quand on me rapporta la mort du Roi. Pauvres ignorants qui ne comprennent rien aux devoirs, qui imposent aux Reines, une forme de retenue face aux émotions. Ils ne savent rien car ils n’ont pu entendre les battements de mon cœur s’arrêtaient avant de voler en éclat comme s’il s’agissait d’un verre. Je ne sais comment mes jambes sont parvenues à me garder debout pour me permettre de regagner mes appartements. Tout comme je ne saurais dire pourquoi mes larmes n’ont pas inondé mon visage. Seul le dossier de ma chaise supporta tout mon poids ainsi que la pression de mes doigts dans son cuir, une fois arrivée dans ma chambre. J’aimais cet homme quoique l’on puisse entendre ou dire sur les déboires de notre couche. Ne m’a-t-il pas donné le plus des présents avec la naissance de notre fille Argella ? Certes il n’aura pas eu d’autres descendances mâles mais mon cœur de femme et de mère ne peut nier sa fierté de voir une autre femme s’élever au même titre qu’un homme, et cela même si nos opinions divergent.

Mais revenons à mes futurs noces avec ce Durrandon dont je ne connaissais guère plus que le nom lorsque je l’ai entendu pour la toute première fois. Il est vrai qu’à l’époque bien trop jeune, j’étais à mille lieux de me préoccuper de ses choses-là. Un sourire étire mes lèvres quand des enfantins se font l’échos de mes souvenirs. Je courais avec mes jeunes frères et quelques cousins, une joyeuse ribambelle de petits diablotins qui s’amusaient à se faire peur en se cachant. Pendant que les enfants jouaient, les adultes s’entretenaient déjà sur la destinée qu’ils envisageaient pour leurs progénitures. Chose dont nous n’avions pas conscient bien évidemment. C’est au cours de cette journée que mon futur mariage fût décidé lorsque nous serions en âge d’être mariés. Est-ce que j’étais contente de cette union ? J’ai été éduquée pour devenir la parfaite petite épouse. Rôle que je jouais à merveille puisque l’on ne me laissait pas d’autres choix. Le moment venu, l’agitation régnait durant les préparatifs. Malgré la grande destinée qui m’attendait, je m’enfonçais un brin nostalgique dans cette enfance insouciante que j’allais quitter. Des choses de ce qui se passent entre un homme et une femme dans l’intimité d’une chambre, je ne connaissais rien et ne pouvais m’en remettre qu’à mon imagination et de ce que j’avais pu apercevoir d’une saillie… Inutile de dire que cette première fois ne fût pas un souvenir impérissable cependant la seconde puis les autres suivirent au fil de nos découvertes mutuelles, je crois que mes joues s’empourprent, rien qu’en me remémorant nos épiques instants. Je crois que c’est à cette époque où je prends conscience de ce bien plaisant pouvoir que mes courbes et mon esprit bien affûté exercent sur la gente masculine. Ne dit-on pas que derrière les puissants se cache une femme… Si j’ai l’oreille du Roi, je n’ai pas forcément tout le temps sa couche, grand bien lui fasse, je ne suis pas femme à me priver de galants quand les nuits sont froides. Que le cerf porte bien haut ses bois, je m’emploie à les lui faire garder pour le bien de la couronne ou dirons-nous pour raisons politiques. Alors mes petits écarts de conduites hors nécessité, je crois qu’ils sont dérisoires à côté de nombreux coups d’épées du Roi en dehors du lit marital.

Enfant unique, notre fille reçut à la fois l’éducation qui s’impose à son rang et celle qu’aurait dû recevoir un héritier mâle. Je ne cesserai de le répéter mais je suis fière de ce qu’elle est devenue sur le fond… quant à la forme j’avoue que je ne compte plus le nombre de fois où j’ai grincé des dents. Quelques exemples ? Je dirais que l’un des plus urticants est sans doute son attirance pour l’Empire. Peut-être est-ce elle qui a raison mais mon désir de retrouver l’Orga d’antan est si fort que je me refuse d’abdiquer en mon fort intérieur. Tout comme j’espérais que cette union avec Dorne soit fructueuse. Adieu tractations et sourires policés…quoique, je compte bien ne pas m’en défaire si rapidement pour œuvrer en faveur de ma fille. Imaginez bien que je ne vais attendre d’être à ma place de suppléante au conseil de l’Empire pour agir si j’en ai l’occasion. Agir dans quel but ? Quelle drôle de question. Je pense avant toute chose à l’Orage, avant cet Empire, qui ne cesse de s’accroitre. N’y a-t-il donc pas suffisamment de terre pour contenter tout le monde ? Certes tous ne sont pas égaux en matière de richesses qu’elles soient de coffres pleins d’or ou de greniers pleins de blé. Des sols plus fertiles ici. Une flotte navale plus prospère par là. Parlons donc commerce plutôt que de brandir l’épée pour savoir qui a la plus longue. Ne pensez-vous pas que cela serait plus constructif, non ?

Un autre point sur lequel je n’étais pas en totale harmonie avec Argella, fût cette soudaine envie de rendre la liberté aux immaculés s’ils embrassaient la cause de l’Empire… une aberration à mes yeux. Les immaculés sont les remparts qui font défaut à nos frontières contre les invasions bieffoises. Si nous n’avons plus ces immaculés pour nos défenses vers qui allons-nous nous tourner ? La solution sera peut-être entre les murs de Fort Darion quand j’aurai rejoint Argella.

Si je caresse l’espoir, qu’un jour ma fille convole en noces avec ce défi qu’elle vient de lancer pour motiver de futurs prétendants, je reste toutefois soucieuse de ne pas voir notre descendance assurée. Argella est loin de rester assise derrière une tapisserie, tirer l’épée n’est pas sans risques. Remarquez de nos jours même déguster un plat ne l’est pas non plus.
Quant à moi, est-ce que je compte me remarier un jour … difficile à dire. Très honnêtement je suis très heureuse ainsi et ne vois aucune nécessité d’accrocher officiellement le bras d’un homme alors que je peux me tenir aux côtés de plusieurs autres.