-Assez lambiné ! Au travail !

Nous étions en train de cuire sur place tandis que le contremaitre donnait de la voix. Mon petit panier en main, je venais tenir fermement celui-ci tout en tachant de sourire à mon confrère qui venait y déposer les minerais de cuivre. Cela faisait maintenant deux ans que j’étais dans cette mine. Tandis que je remontais le panier à la surface, je me remémorais mon achat sur le marché d’Astapor. Mon ancien maitre s’était retrouvé  emporté par l'âge et son fils avait fini par vendre une bonne partie de ses esclaves pour éponger ses dettes. Ma situation avait de ce fait, considérablement chutée. Il faut le vivre pour le croire car la condition de mineur est l’une des pires pour un esclave. Tandis que la cloche annonçant  la fin de journée se faisait entendre, moi et mes confrères, nous nous rassemblions tous à l’entrée de la mine pour manger. Malheureusement, pour nous, le contremaitre décida que la journée avait été peu productive pour mériter un repas.

-Bande de feignants ! C’est pas compliqué ce que l’on vous demande pourtant ! Vous pouvez vous asseoir sur votre gamelle !

Cela faisait quatre jours qu’il nous interdisait de manger… Et pourtant, le contremaitre, tout comme  ceux avec des responsabilités ici, étaient également des esclaves. Comment peut ont être aussi cruel avec ses confrères. Ce fut à ce moment là qu’une pierre vola pour aller se fracasser sur son visage. Les regards de tous se posèrent alors sur moi et je compris de suite que je venais de lancer le projectile. Encore aujourd’hui, je ne me souviens pas avoir fait une telle chose. Toujours est il que le contremaitre, saignant du front, laissa son faciès se déformer par la colère et la douleur. Il se dirigea alors vers moi, armé de la verge avec laquelle il nous corrigeait, moi et les autres, et se mit à hurler tout en la brandissant.

-Espèce de vaurien !

On pourrait croire que je le fais exprès mais là encore, je ne me souviens que partiellement des faits. Je sais juste qu’il y eut une impulsion et que l’homme tomba à terre avant de gesticuler sur place tout en émettant quelques gargouillis. Cet étrange goût dans la bouche fut la dernière chose que je ressentis avant que tout ne devienne noir.
A l’Ouest de la Baie des Serfs, une histoire émergea entre les esclaves des plantations et des concessions minières. Celle-ci voyagea au gré des échanges et des transactions. Cette histoire, c’est celle de cet enfant qui se leva contre l’autorité et qui, à la force de ses dents,  l’a rendit bancale  pour au moins une journée. D’après les dires de certains confrères, j’y suis pour quelque chose mais j’y crois pas vraiment… Ou à moitié. Toujours est il que les  années passèrent et  que cette histoire disparue avec le passage du temps. Quant à moi, je ne fus pas executé étant donné que je n’avais pas, à proprement parler, tué un maitre. Toutefois, on m’apposa au fer rouge le visage d’un démon sur la joue en guise de sentence avant d’être vendu à nouveau. Mon nouveau maitre fut bon avec moi. C’était un marchand qui faisait la navette entre la Baie des Serfs et les cités libres pour vendre ses marchandises. C’est durant cette période que j’appris tout de la vie de marin, de la navigation en passant par l’entretien d’un vaisseau. Mon maitre me permit même d’apprendre à manier une arme pour que je sois à même de participer à la défense du navire contre les pirates lysiens. Cependant toutes les bonnes choses ont une fin. Cela faisait bientôt six mois que je venais d’avoir dix-sept ans quand nous furent attaqués par des pirates. Oh je n’en veux guère aujourd’hui à ces « bons hommes de fortunes » car dans le fond, mis à part la traite d’êtres humains, nous ne sommes pas si différents. Cela étant dit, une fois notre défaite totale, je fus à nouveau vendu pour finir, finalement,  dans une plantation non loin de Lys. Lorsque l’on a gouté à un semblant de liberté, il est difficile de revenir à une vie entièrement servile. Je fis le nécessaire pour ne pas attirer l’attention durant ma captivité mais la marque sur ma joue ne trompait guère. Plusieurs superviseurs m’avaient à l’œil et à juste titre, puisque malgré tout, j’incitais, sans jamais être incriminé, les esclaves à la révolte. Il me fallut environ deux ans pour trouver des individus dignes de confiance et pour semer les graines de la discorde parmi le reste. Le prétexte de la révolte fut tout trouvé. Le bon maitre des lieux, ainsi que ses fils, avaient une trop forte tendance à piocher parmi les femmes de la plantation, lesquelles s’étaient amourachés de plusieurs gaillards.
Lorsque le grand soir fut décidé, moi ainsi que mes «bons hommes » allumions quelques feu avant de pousser les esclaves à l’émeute.

« Mes frères ! Mes sœurs ! Vous êtes pour certains esclaves depuis quelques mois ou alors, tout comme moi, vous êtes nés avec un collier autour du cou ! Si la chance est avec nous, qu’à cela ne tienne et nous pouvons espérer un maitre bienveillant à notre égard. Mais si le malheur nous emporte et bien nous ne pouvons guère espérer mieux qu’un de ces vauriens en guise de maitre ! Un maitre qui viole femmes et enfants pour son bon plaisir ! Mais pourquoi devrions nous subir entre l’un ou l’autre ? Moi je cris, je hurle, je réclame ! Ma seule maitresse est la Liberté ! Ensemble, nous sommes fort ! Ensemble, nous sommes fort ! Ensemble, nous sommes fort ! »

Levant le poing pour enhardir la foule qui scandait avec moi ce refrain si magnifique pour mes oreilles, je finis par prendre la tête de cette foule en colère pour mettre à sac la plantation. Nul besoin de décrire cette si belle nuit car elle n’a plus d’importance. Ce qui importe c’est ce que l’on fit après. Dérobant une cogue dans une escale non loin de là, je pris la mer accompagné d’une partie des anciens esclaves.

A partir de ce moment là, la majeure partie de mon temps, je le passais à bord de la Vierge Pleureuse, à grossir mon équipage pour mener bon nombre de pillages et d’abordage. Que voulez vous, quoi de mieux pour un ancien esclave que de menait la vie de « bons hommes de fortunes » . A la seule différence de mes confrères, je ne pratique pas la traite d’êtres humains. Mon emblème est celui du crane chapeauté, en souvenir de tous ces bons hommes qui ont fini sur la potence en raison de leur choix de vie.

Aujourd’hui, mon regard se pose de plus en plus vers l’Ouest. Théâtre de guerres intestines entre les puissants. On parle même d’une cité emplie de richesse, Fort-Darion. Nul doute que des opportunités sont à saisir là bas. Qui plus est, les cités libres d’Essos se sont trouvées chamboulées avec la mort du Tigre de Volantis et le commerce va pouvoir reprendre dans le Détroit. Les esclaves que j’ai affranchi depuis que j’ai mon navire seront heureux de mourir en ramant pour moi.

Cette mer est la mienne, cette histoire est la mienne ! Celle du capitaine Arstan et de son équipage de bons hommes de fortunes à bord de la plus magnifique des cogues : La Vierge Pleureuse.