L’Hiver continue de plonger la cité dans le froid. Il ne laisse que peu de répit et arbore des couleurs bien mornes.  Gardener frotte ses mains l’une contre l’autre pour conserver la chaleur à l’extrémité de ses membres. Il convient de réfléchir aux prochains jours, aux prochaines semaines, aux prochains mois. Le bieffois doit assumer ses décisions et ses responsabilités. Pour certains, il doit être animé d’une fierté mal placée. Pour d’autres, il doit s’agir d’un caprice d’un enfant issu d’une lignée royale. Pour lui, il s’agit de défendre les intérêts du Bief au-delà de ce que les bieffois eux-mêmes peuvent percevoir. Alors, personne ne détient malheureusement la vérité absolue. Elle n’existe pas parce que les souverains demeurent des hommes et des femmes animés d’émotions, de perceptions.   Kevan nourrit une rancœur à l’égard de ses semblables, à l’égard des Hightower et de toutes les maisons bieffoises qui suivent Manfred. Enfin, il s’en veut aussi d’avoir agi de la sorte quelques mois plus tôt. Si il n’était pas parti dans l’Orage, tout cela ne serait probablement jamais arrivé. Le fautif, le déclencheur, c’est lui. Boire ne résoudra rien. Enchaîner les conquêtes féminines non plus. Alors, il va falloir reprendre son destin en main.

Un chien continue d’aboyer devant ses yeux dans la cour du château pendant qu’il se perd dans ses pensées. Il tourne en rond jusqu’à ce qu’un jeune écuyer se mette à jouer avec lui en balançant une branche à une dizaine de mètres que le canidé s’évertue à lui ramener à chaque fois pour que le jeu perdure. Le jeune souverain aperçoit ensuite Dame Tully s’approcher de l’entrée du château. Le Roi hésite un moment puis se lance finalement pour simplement échanger avec elle. Il a bien compris après sa discussion avec le Roi Lyham en privé, et après le collège impérial, que sa proposition allait être refusée. Néanmoins, il est toujours en mesure d’échanger avec elle dans un cadre un peu plus privé que la dernière fois…lors de la naissance des enfants Braenaryon. « Dame Tully » Le bieffois s’incline avec courtoisie devant Lysara et effectue un baise-main poliment. « Le froid est perturbant mais a finalement ses vertus. Pourrions-nous échanger quelques mots un instant ? » Cette rencontre doit demeurer fortuite et brève pour que l’on ne l’accuse pas de persévérer inutilement. Il ne s’attend d’ailleurs à rien maintenant que le sujet est clos pour lui.  

Dame Lysara semble favorable à une discussion malgré les réticences de sa suivante. C’est plutôt une bonne chose aux yeux du Bieffois même si cette discussion ne revêt plus un intérêt stratégique. Gardener s’est heurté aux freins de ses homologues de l’Empire alors il doit se résigner.  «Vous êtes libre de décider de la présence ou non de votre suivante. Pour ma part, je n’ai rien à dire à ce sujet. C’est votre décision et je la respecte. » Kevan hausse faiblement des épaules. Cela n’a pas d’importance. Son idée est déjà enterrée dans le froid de l’Hiver.

« Parfois, il m’est important de prendre l’air quand bien même il est froid. Les murs du château peuvent être par ailleurs longés par des oreilles indiscrètes. » Tant de souverains, de chevaliers sont présents dans la capitale de l’Empire. Les informateurs ne sont donc pas loin, peu importe leur provenance, originaires des terres de l’Empire ou non. Le bieffois entreprend quelques pas à faible allure. Discuter lors d’une marche paraît bien plus naturel et moins suspect qu’une discussion menée, les pieds plantés dans la neige, à proximité des murs du château. Cela permet aussi de prendre son temps.

«J’ai vu votre frère, le Roi Lyham. » Un simple constat factuel, rien de plus. Il ne se perd pas à dire ce qu’il a pensé de cet entretien. Cela est bien inutile et Lysara n’aurait probablement que faire de l’opinion d’un déserteur en exil. « Nous avons échangé et nous nous sommes présentés. Nous avons aussi discuté de vous…et de mes intentions à votre égard. Mais, les circonstances font que…ceci a bien peu d’intérêt au final. Votre frère vous aime. Il se soucie de vous et vous aurez l’occasion de choisir un bon parti. Vous avez la chance d’avoir un frère prêt à vous écouter. C’est une bonne chose.» La discussion s’était terminée de façon abrupte. Kevan reconnaît pourtant les qualités chez cet homme lorsqu’il s’agit de penser au bien de sa sœur. Le reste n’est que du domaine de la politique après tout.  

Le Bieffois n’en dit pas plus. Les missives échangées avec Dame Lysara devaient avoir une issue. Maintenant que celle-ci vient d’être prononcée, la discussion peut se développer avec plus de légèreté. Il réalise alors que la jeune sœur du Roi Lyham ne manque pas de charme en plus de se montrer intéressante dans ses écrits. Nul doute que de nombreux hommes seront intéressés à l’idée de la prendre pour épouse.

Cette nouvelle charge pesant sur ses épaules revient sans cesse rappeler sa présence. Il le constate à chaque regard et à chaque mot qui lui est destiné. Son éducation ne l’a pas tout à fait préparé à connaître cette situation. Sa participation à la bataille contre son frère rend cette prise de conscience encore plus difficile. «J’apprécie votre sens de la bienséance, Princesse. » Le Roi fédéré répond en restant mesuré. Il garde la tête haute tandis que la curiosité de Lysara se lit sur son visage. « Ai-je vraiment besoin de vous faire part de mes intentions ? Pour les circonstances, vous n’êtes pas sans savoir que j’ai un royaume à reprendre et le moins que je puisse dire…c’est que mon passé ne plaide pas pour moi. » Son départ précipité pour l’Orage, son désistement à propos de son mariage avec Eren Hoare, sa bataille contre son frère font qu’il est désormais un homme qui inspire la méfiance. « En ces temps troublés, la fratrie est un bien précieux. » Auquel il ne peut plus prétendre. Cela lui saute aux yeux maintenant qu’il se retrouve esseulé. Il s’efforce de ne pas se livrer personnellement et de s’exprimer avec un peu de distance sur ce sujet. Gardener perçoit de la joie sur le visage de la Princesse et lui répond avec un sourire plus timide.

« C’est un sujet délicat. Cela vous intrigue. Cela a intrigué votre frère. Je suppose que vous avez compris que nous parlions de votre main. Votre présence à mes côtés…serait un moyen supplémentaire d’apporter davantage d’équilibre aussi bien pour l’Empire que pour le Bief. Et puis…J’ai l’intuition que mon frère a été dépassé par les intrigues de la cour. Vous, vous seriez extérieure à tout cela…vous n’auriez pas à répondre à une quelconque allégeance face à ces luttes internes. » Il sait pourtant que cette proposition n’a que peu de chances d’être retenue. Il ne sert à rien de persister pour le moment et il convient d’attendre. Gardener vient de s’exprimer sans manifester la moindre émotion. Il continue alors tout en évitant de s’exprimer avec un ton empreint de résignation. « Mais, nous n'avons pas toujours ce que nous voulons. Ce qui importe est de savoir où se trouve son devoir. » Résigné non pas au sujet du choix de l’épouse, qui apportera des avantages et des inconvénients quel qu’il soit. Non. Plutôt résigné de ne rien maîtriser. Kevan retrouve ensuite davantage de contenance pour s’exprimer avec aisance. Son regard se tourne vers la Princesse aux cheveux roux avec malice. « Vous êtes charmante, ma Dame. Je suppose que je n’ai pas été le seul à avoir sollicité votre frère pour vous. J’espère que vous serez heureuse. » Un choix sera fait à un moment pour Lysara et avec un tel choix, il y a toujours une part d’inconnu. Son sourire s’assombrit ensuite et Gardener reprend un air plus sérieux. « Et que vous serez forte. » Le Conflans traverse une situation difficile avec un nouveau souverain en train d’asseoir sa légitimité. Des difficultés que Kevan ne peut que comprendre avant de pouvoir les partager.

Gardener s’accoutume progressivement à ce que son nouveau statut implique. Mais, un Prince ou un Roi en exil…qu’est-ce que cela change au fond ? On demeure encore plus vulnérable dans bien des situations qui n’impliquent pas obligatoirement une opposition armée. Kevan hoche la tête pour montrer son approbation aux propos de Lysara. De toute manière, il était obligé, il devait assumer son statut au risque de ne pas être pris au sérieux.

La Princesse se montre ensuite plus bienveillante que bien d’autres à l’égard du Roi bieffois. Gardener inspire profondément tout en haussant des épaules. C’est une nouvelle fois sa façon de montrer qu’il doit accepter la situation plutôt que de souhaiter entendre la vision de Lysara un peu plus souvent. «Nous sommes toujours jugés à mon humble avis. Sur le passé, sur le présent, sur ce que nous pourrions faire plus tard. Il en est ainsi. » Mais, parce que lui est Roi, il entend vaincre pour ensuite rétablir l’autorité et la légitimité des Gardener. Ceux qui l’auront blâmé pour sa traîtrise figureront parmi les premiers jugés.

Si ce que l’on peut dire sur lui pèse de moins en moins sur les épaules du Gardener, son épouse devra faire preuve d’autant de courage.  « Ce sera aussi à elle de se faire sa place si vous me permettez. Il en est de même pour moi, ainsi que pour tous les souverains et les nobles dignitaires. » Rien n’est préparé à l’avance. Chaque règne dispose de ses particularités. Kevan n’est pas Mern bien que les deux frères s’entendaient très bien. Le pacifisme de l’un tranche avec l’esprit un peu plus belliqueux et rigide du cadet. En cela, Kevan ressemble davantage à son père. Contrairement à son frère ainé, Kevan se fie moins à ses conseillers et est prêt à exercer un pouvoir plus autoritaire. Le destin de Mern et du Bief a montré que le Roi qui porte sur lui cette Main Verte doit avoir une certaine poigne. « Au sujet du devoir, la réponse que je peux vous apporter est moins équivoque. Obéir à son devoir peut amener à prendre différentes décisions…Mais, cette décision, celle que vous aurez choisi, est légitime parce que c’est la vôtre. »

La discussion s’adoucit un peu lorsqu’elle avoue ne pas avoir toutes les cartes en main concernant son futur époux. Kevan reconnaît que le Roi Lyham doit avoir plus de détails mais lui poser une telle question serait…déplacé. «Je suppose aussi qu’il est le mieux placé pour connaître tous ceux qui souhaitent votre main. » Ils continuent de marcher alors que quelques flocons se perdent dans leurs cheveux roux et châtains. « Je vous remercie de votre attention concernant mon prochain mariage. » Elle a raison aux yeux du Bieffois. Ils n’ont pas le choix si ils veulent survivre en ces terres. Il faut aller de l’avant et être guidé par cette force intérieure, sereine mais inextinguible. Puis Lysara évoque l’entretien que Kevan a pu avoir avec Lyham. « Dans une certaine mesure oui, j’ai discuté convenablement des sujets que je souhaitais évoquer avec lui. » Gardener a pu prendre la température et obtenir des éléments de réponse. L’issue n’a pas été celle escomptée mais ce n’est guère important au final. Les jeunes souverains ont pu voir ainsi qui est amené à régner de l’autre côté de la frontière. Cependant, en lui répondant par la négative, il ne faut pas forcément s’attendre plus tard à obtenir l’aval du Gardener aisément. La vie est ainsi. Lorsque l’on ferme une porte à un homme, il garde ça en mémoire. L’Empire prône l’équilibre et la paix pour tous mais si les discours ne sont pas suivis par des actes, cela ne demeure qu’une promesse.

Elle sourit et vu la question qui franchit ses lèvres, Kevan comprend qu’elle s’aventure sur un terrain glissant. Il sourit à son tour, un peu pris par la gêne mais aussi par la résignation. « Parfois, on ne peut se permettre de prendre le temps de la réflexion. Parfois, nous devons agir dans l’action parce que ne rien faire dans ces moments serait pire que tout. La seule chose que je peux dire c’est que ce n’est pas si simple et que de toute manière...tout le monde a déjà un avis sur la question. » Il ne s’en formalise pas. Argella a été un élément de poids dans cette décision. Mais il n’y a pas que ça…il y a des zones d’ombre qui demeurent floues, particulièrement sur ce qui s’est passé avant qu’il fasse l’objet d’une chasse à l’homme. A lui d’ajouter ensuite. « Il est hors de question que je passe ma vie à me justifier. Ce serait…une aubaine pour mes plus fidèles détracteurs. » Gardener montre que derrière le joli cœur, il y a une fermeté à laquelle il ne compte pas déroger.

On écouterait Lysara volontiers et on lui prêterait les meilleures intentions du monde. Sa maturité et sa sagesse s’opposent à une vision pragmatique.  Kevan ne croit pas un seul instant en la possibilité de donner tort à ses détracteurs si ceux-ci sentent qu’ils peuvent l’atteindre par ce biais. Il conserve son bouclier dressé en tout lieu. Ils peuvent le contester, prétexter qu’il ne détient plus aucun titre, grogner contre le fait qu’il a été déclaré indigne devant les Sept. « C’est une opinion intéressante, j’en conviens, mais rechercher à donner tort aux autres ne reviendrait-il pas à faire tout ce qu’ils veulent ? Ce n’est pas ce que je souhaite. » Il redresse la tête vers elle, libéré de tous les espoirs qu’il avait pu nourrir. Au moins, elle semble touchée par la compréhension qu’il manifeste à son sujet. « Je suis heureux de savoir que mes mots font sens auprès de vous. » La réponse du Gardener est simple. Il ne se mêle pas aux affaires des autres et n’a pas les yeux rivés vers ces hommes qui font tout pour obtenir ce qu’ils désirent malgré la volonté de celles qui seront leur épouse. Ce n’est pas son problème et même si cela l’indispose, il n’est pas en mesure de faire quoi que ce soit.

Les échanges reprennent sur les bruits, les  mots qui se disent à son sujet. Gardener se ferme à mesure qu’elle creuse le sujet. A quoi bon rechercher la convaincre alors que son frère ou d’autres lui murmurent d’autres choses à son sujet ? Kevan garde la tête haute sans manifester le moindre agacement. Il a bien vu que la dame du Conflans venait de poser la question avec précaution vu que ce terrain s’avère particulièrement escarpé. « Alors, laissez les bruits circuler. Que je veuille ou que je désire vous épouser, je vais vous confier que je sais que cette éventualité est maintenant très improbable. Il faut aller de l’avant et ma façon d’aller de l’avant est de ne pas de répondre à ceux qui perdent leur temps à parler de moi. C’est tout ce que je peux dire. » Cette petite marche détend le bieffois. Il savait dés le début de cette discussion qu’il n’y aurait pas de projet commun avec Lysara. Cela simplifie grandement les choses pour lui. « La guerre reprendra bientôt. » lance-il pour changer de sujet avec un fait qu’il ne commente pas.

Gardener esquisse un sourire lorsque Lysara souffle qu’elle ne partage pas sa position. Il y a un contexte à prendre en compte. Il a entendu parler des difficultés de Lyham Tully sur ses propres terres. Kevan reconnaît quelques similitudes avec la situation du souverain du Conflans lorsque l’on met de côté son départ précipité du Bief et sa réputation particulière. « Je respecte votre avis, vous savez. Le passé demeure et il faut en tenir compte mais..Je ne suis pas là pour faire parler de moi mais pour défendre ma maison, représenter mon royaume et l’intégrer du mieux possible au sein de l’Empire pour un avenir commun. » Il laisse planer un silence avant d’ajouter. « Nous avons les mêmes ennemis. Si on veut que l’Empire progresse, il faut développer le sens du compromis et le dialogue mais ce n’est que mon avis, dame Lysara. Je n'oblige personne à le partager. » C’est tout ce qu’il souhaite au fond. Gardener ne veut pas gain de cause pour sa fierté personnelle. Il ne veut pas non plus céder sur tous les sujets qui concernent son avenir à long terme. Il souhaite que l’on puisse trouver des accords satisfaisants pour que la confiance se développe. Maintenant, si cela n’est pas possible, il fera au mieux mais qu’en tirera t’il hormis des regrets ? Il ne nourrira pas une haine inutile mais comment rassembler si on reste divisé parce que personne ne veut aller un peu vers l’autre ? Il a été prêt à un faire un pas et il l'est toujours. Il est peut-être un mauvais parti aujourd’hui, il représente peut-être bien peu militairement aussi, mais Gardener a du potentiel pour nuire à la légitimité du plus grand ennemi de l’Empire à l’heure actuelle et pour empêcher une guerre fratricide des maisons nobles du Bief ensuite. Il ne veut pas non plus être vu comme un lâche qui se cache. A défaut de lui trouver une épouse, on aurait pu lui confier un commandement par exemple ? Le soldat en lui veut prendre les choses en main. « Vous ne me déplaisez pas, je ne tiens pas  rigueur aussi facilement. »

La guerre est à leurs portes et cette évocation rend la discussion plus sérieuse. Les visages se tendent un peu. Il réfléchit un instant sur la réponse à donner à la dame du Conflans. Le jeune homme est résolu à aller jusqu’au bout, à tout tenter pour reprendre ce qui lui appartient. Il n’a pas d’autre raison de vivre. « Oui. Je prendrai le trône du Bief ou je mourrai…Je n’ai plus rien à perdre. » La situation est claire dans sa tête. Il ne manifeste pas une crainte du trépas qu’il espère malgré tout éviter. Bien des hommes tomberont encore, c’est une certitude. Au sein de chaque camp. Naturellement, Lysara veut savoir si le Roi Lyham accompagnera Kevan. Le bieffois secoue la tête aussitôt. Le visage penché sur le côté, il voit que la Princesse du Conflans le fixe. Il répond alors avec une certaine mesure. «  Soyez rassurée, je ne pense pas que votre frère ait prévu de m’accompagner. Pour le reste, je ne sais pas…j’aimerais vous donner de bonnes nouvelles à ce sujet mais je me garde bien de me prononcer pour éviter que vous espériez en vain sur notre avenir à tous. » Le regard du jeune homme se reporte sur cette neige qui tombe, le regard dressé vers le ciel. Il a alors une pensée pour tous ceux qu’il a vu tomber à ses côtés et les innombrables aventures de sa vie. « Il y a quelques années…je savais me contenter d’une vie que je trouvais malgré tout belle. Maintenant, je m’efforce de tenir bon dans la tempête et de garder la tête haute parce que je le dois. » Ses yeux se baissent pour observer Lysara dans les yeux avec un mince sourire. «Je ne vivrai pas dans la peur, ni dans la haine et j’ai l’intuition que votre frère en fera autant. Je ne recherche pas la gloire non plus mais je vendrai chèrement ma peau. » Il a été élevé en tant que Prince et en tant qu’homme d’armes avec sa conception du devoir qui peut ne pas être partagée. Le chef ne doit pas renoncer jusqu’à ce qu’il soit parvenu au bout de sa propre existence.

La situation est assez simple pour Gardener malgré le poids de cette lignée et de cet héritage qui pèse sur ses épaules. Le visage de la dame du Conflans paraît de plus en plus fermé à mesure qu’il s’exprime. « Encore une fois, je ne peux pas répondre à vos questions. Je ne suis pas le mieux placé pour connaître les détails de la prochaine campagne. » Gardener et ses quelques chevaliers ne pèsent rien. Le hasard pourrait éventuellement l’amener à combattre aux côtés de Lyham que ce soit dans le Conflans ou ailleurs. Il dresse ce constat à la dame du Conflans. « Par ailleurs, vu l’état de nos forces respectives, ce serait plutôt à moi de l’accompagner que l’inverse. » La tâche qui attend l’homme de Hautjardin est complexe mais il se doit de l’accepter et de vivre avec. Le Roi Lyham est dans une situation bien plus favorable aussi bien au sein de l’Empire qu’au sein de ses propres terres. « Pourquoi ne pas lui parler du mal qui vous ronge ? ou alors lui demander qui va combattre à ses côtés lorsqu’il sera sur le départ ? » Ce serait sans doute une démarche qui parviendrait peut-être à la rassurer un peu plus. La nervosité la gagne certainement alors que lui n’y voit que l’évidence, le caractère nécessaire de la chose. Tully doit assumer ce qu’il est aujourd’hui.

Il ne connaît pas suffisamment le Roi Lyham pour estimer la réaction du souverain du Conflans. Pour le bieffois, leur dernière discussion laisse penser que c’est un homme qui paraît plutôt précautionneux au premier abord. Gardener se fait silencieux lorsqu’elle évoque les craintes des dames qui connaissent ces deux souverains. Que peut-il réellement dire sur le sujet ? Il se referme. Kevan replie ses doigts à plusieurs reprises pour lutter contre l’engourdissement dû à ce froid pesant. « Peut-être devrions nous rejoindre le château ? De toute manière, il est trop tôt pour envisager quoi que ce soit même si des surprises peuvent toujours survenir. » Quelques flocons chutent sur sa nuque et sur son nez pour lui rappeler avec insistance la présence de l’Hiver. Gardener l’invite à revenir sur ses pas, toujours sur un pas tranquille. Les murs de la forteresse les placeront à l’abri de ce vent glacial et la chaleur relative dégagée par ces quelques torches sera tout de suite perceptible après ce bol d’air frais.