Le jeune homme n’avait point beaucoup dormi cette nuit. Il y a peu, il avait familiarisé avec des chasseurs au détour d’un godet. Il s’était plutôt bien entendu avec eux, l’alcool avait aidé si on peut dire à délier les langues et à oublier la « frontière sociale » qui pouvait en rebuter plus d’un de converser. Garlan, lui, avait été très raisonnable dans sa consommation de boisson, comme à son habitude, contrairement à ses camarades de soirée qui avaient bu plus d’une choppe pour oublier le froid polaire qui les saisissait. Il n’était pas non plus du genre à ne côtoyer que des gens de son rang, non la plupart de ses amis était des roturiers et il ne changeait en rien sa façon d’être avec eux, il s’agissait de gens comme les autres, les nobles dédaignaient juste se mélanger à eux et apprendre à les connaître, contrairement à lui.

Le chevalier savait chasser, ce n’était certes pas un grand chasseur, mais il en savait suffisamment pour se dégoter de quoi manger et survivre. Il y vit une occasion de se perfectionner dans ce domaine. Étonner de sa demande, les chasseurs acceptèrent lorsque Garlan leur paya un nouveau verre. Bien sûr, ils n’allèrent pas commencer sa « formation » ce soir là, car sinon il ne fallait même pas oser imaginer ce qui aurait pu se passer. Un accident de chasse est si vite arrivé lorsqu’un individu armé a bu plus que de raison. Il les avait rejoins la nuit suivante, du moins deux-trois heures à peine avant le lever du soleil il aurait été surement préférable de commencer en plein jour, cependant ses formateurs ne comptaient pas lui rendre la tâche facile. C’est dans la difficulté et en donnant de sa personne qu’il progresserait.

Une chasse nocturne, quelle idée saugrenue, mais à cette heure, certains animaux se seraient surement levés, d’autres chassaient également principalement la nuit et ils avaient plus de chance de les croiser. Même s’ils revinrent bredouilles de leur expédition, ce qui ne l’étonna guère à vrai dire, les chasseurs lui donnèrent de précieux conseils. Notamment sur le pistage pour relever les traces d’animaux ou d’activité humaine, que ce soit le passage d’un cheval ou d’un homme. Certes en une soirée, il était certain qu’il n’avait vu qu’une infime partie de tout ce qu’il pouvait apprendre. Cependant, le jeune homme était motivé, il continuerait à aller chasser avec ses nouveaux camarades pour en apprendre davantage et pratiquerait de son côté pour s’exercer.

Poser des pièges, se camoufler dans le terrain naturel, suivre une trace, posséder de bonnes techniques de survie. Il savait qu’il en aurait besoin un jour ou l’autre et c’est pour cela qu’il souhaitait s’améliorer dans ce domaine. Revenant dans la matinée, il n’était plus question d’aller dormir à cette heure, il alla se décrasser un peu et surtout changer de tenue pour aller ensuite s’entraîner. Sur le chemin qui menait au terrain d’entrainement, il aida un couple de vieilles personnes à bouger une charrette. Ils n’avaient plus forcément la force de leurs vingt ans, de plus la neige n’aidait en rien. Il les assista jusqu’à ce qu’ils n’avaient plus besoin d’aide. Bon samaritain, il refusa toute compensation suite à son service, bien que le couple insista pour le remercier. Garlan les aiderait de nouveau volontiers à l’avenir, il était normal de prêter assistance à des personnes dans le besoin, comme il était naturel d’aider les anciens qui avaient donnés énormément pour assurer un avenir à la nouvelle génération.

Arrivé au terrain d’entrainement, il s’entraîna quelque peu à l’épée avec les personnes présentes, des gens qu’il n’avait jamais croisés auparavant, mais qui avaient acceptés sans rechigner croiser le fer avec lui. Après un bon bout de temps à manier l’arme blanche, il délaissa quelque peu sur cette pratique pour s’exercer au tir. Ce que l’on pouvait affirmer sur Garlan, c’est qu’il était loin d’être un bon archer, comme la plupart des chevaliers, dédaignant les armes à distance. Mais son enseignement auprès des chasseurs le poussait à progresser dans sa maîtrise au tir également, de une pour avoir une chance de toucher sa cible à la chasse, mais parce que ça ne pourrait pas le desservir à l’avenir. Il s’était donc dis de s’entraîner un peu tous les jours pour pouvoir d’entraîner. Enchaînant les tirs, les uns après les autres, la cible en paille fut tout de même de nombreuses fois épargnée. C’était différent pour lui, lorsqu’il avait une épée en main, cette arme était comme l’extension de son bras, c’était devenu naturel, facile. Avec un arc, il avait l’impression de tenir un objet « quasi-inconnu » en main.

Se concentrant sur chacun de ses gestes, sur la posture à adopter, un mécanisme qui se roderait au fil du temps, mais comme tout, ça demanderait de l’entrainement et surtout, beaucoup de patience. Bandant de nouveau son arc,  il vit une silhouette apparu dans l’extrémité du champ de vision, il détendit la corde en attrapant la flèche pour toiser l’inconnu qui s’était approché. Pas si inconnu que ça, il reconnu tout de suite le jeune Sacha, il s’avança à sa rencontre, sourire bienveillant aux lèvres :  «Bonjour Sacha. Je n’ai pas eu le temps de venir prendre de tes nouvelles, j’ai été…fort occupé ces derniers temps, j'espère que tu m'excuseras. Es-tu totalement remis de tes blessures ? » Bien qu’il savait que c’était surement le cas, sinon il ne serait pas là, de plus la personne qui lui avait administrée les soins était la personne la plus compétente dans son domaine d’activité qu’il ne connaisse. Il fut entre de bonnes mains.

Posant le bout de la branche de l’arc au sol, une question lui brulait les lèvres et il finit par assouvir sa curiosité en lui demandant : «Es-tu venu sur le terrain d’entrainement pour t’exercer avec l’un de tes frères ? Avec Lucas peut-être ? Ou bien est-ce une autre raison qui t’amène aujourd’hui ?  » La réponse à la proposition qu’il lui a faite à leur dernière rencontre peut-être…

L’adolescent ne manque pas d’ironie pour qualifier sa relation avec son père. Après tout ce qu’il avait pu voir et entendu sur ce dernier, Garlan comprenait toute la haine que Sacha devait lui porter. Son propre géniteur n’avait jamais non plus possédé une haute place dans son estime, disons le franchement, il était même dans le bas du classement des personnes qu’il n’aimait guère. Dire qu’à l’époque, pendant un bout de temps, il avait cherché à le rendre fier, à chercher son approbation afin de montrer de quoi il était capable. Quel idiot avait-il pu être ! Second fils, son père ne l’avait jamais estimé et avait fais en sorte de l’éloigner loin des siens à la première faute d’ampleur commise. Malgré cela, le jeune homme devrait le remercier. En effet, sans cela, il n’aurait pas vécu tous les événements auxquels il avait été confronté depuis son « départ » de La Treille, il n’aurait pas eu cette vie et ne serait certainement pas ici aujourd’hui.

La vie est étrange. Parfois un événement des plus regrettables pouvait vous conduire dans des chemins bien plus lumineux. Impossible à maîtriser. Impossible de le prédire. L’avenir était inconnu de tous, cependant les actions de chaque individu pouvaient le modifier de bien des manières. Mais Sacha avait raison, il aurait rajouté de l’huile sur le feu en rendant au chevet du garçon pour prendre de ses nouvelles. Il avait déjà rencontré un de ses frères et ce dernier s’était montré plutôt sympathique. Là n’était pas le problème, non, il aurait risqué davantage de soucis avec son père vu comment ça c’était passé la dernière fois. Il fallait mieux que leurs chemins ne se recroisent pas pendant quelques temps pour apaiser la situation.

Il le rassura sur son état de santé, du repos il n’y a rien de tel pour se remettre de ses blessures. Il ricana légèrement avant d’ajouter : « Soit. J’espère que tu te ménageras quelque peu pour reprendre l’entrainement alors. Je ne voudrais pas que tes plaies se rouvrent. Je pense que Lady Forel serait fort mécontente si c’était le cas, et j’en prendrai certainement également pour mon grade pour y avoir contribué. » La guérisseuse savait se montrer très douce, mais également autoritaire, surtout quand ça concernait son travail. Il fallait alors mieux écouter ses directives et ne pas chercher à la contredire. Après tout, elle possédait un savoir incommensurable dans son domaine, Garlan lui faisait entièrement confiance dans tout ce qu’elle faisait. Il n’y avait plus qu’à espérer que Sacha reste prudent et y aille en douceur pour commencer, afin que ses blessures ne le fassent pas souffrir.

Ses frères avaient parfaitement de vouloir le préserver qu’il soit entièrement mis remis sur pieds. En agissant comme il le faisait, Sacha ralentissait sa guérison, il devait certainement le savoir, il était assez grand pour cela après tout. Il semblait assez têtu comme garçon, le chevalier devinait donc que tout ce qu’il pourrait dire ne le ferait pas changer d’avis. Pour avoir été plusieurs fois alité pour se remettre de blessures assez graves, Garlan savait très bien que le temps pouvait être très long, c’était pénible, il fallait prendre son mal en patience, c’était pour un bien. Mais c’était souvent plus facile à dire qu’à faire. Le jeune homme n’avait pas forcément habitude qu’on le complimente, mais modeste, il n’allait pas s’en vanter, mais ne releva pas pour autant. « Ce n’est pas qu’une question de courage, Sacha. Il s’agit de faire ce qui est juste et de défendre ses valeurs en tout temps, à n’importe quel moment. »

Ils vinrent à parler d’entrainement, Sacha le questionnant sur son exercice au tir à l’arc. Quelque peu gêné, il se gratta l’arrière de la tête, il ne devait pas du tout faire bonne figure. Il s’éclaircit la voix et désigna la cible du bout de la branche de son arc : « Je n’arriverais pas à le dire, j’ai commencé un peu après la nouvelle du jour. J’ai toujours trouvé que le temps défile à toute vitesse lorsque l’on s’entraîne. Mais comme tu peux le voir…J’ai encore bien des progrès à faire en tant qu’archer ! ha ha » Se rendant au râtelier non loin d’eux pour déposer son arc et reprendre son équipement, dont son épée et deux de ses couteaux.  Il revint vers l’adolescent, se voulant plus sérieux, il le questionna sur la proposition qu’il lui avait fait à leur dernière rencontre : « Sacha, la dernière fois je t’ai proposé de te prendre comme écuyer, à condition que tu obtenais l’accord de ta famille. Je voudrais savoir si tu as pu prendre le temps de méditer sur ma proposition ou s’il te fallait encore quelques jours pour décider.  »

Garlan rit de bon cœur aux propos du jeune homme. Il y allait tout de même un peu fort lorsqu’il affirmait qu’en son for intérieur se trouver une créature puissante, un dragon. Peut-être était-ce sa proximité avec le couple impérial qui avait engendré cela.  Il s’éclaircit la voix, se permettant dans la volée de corriger les propos du jeune Racin, sur un ton amusé pour montrer qu’il ne le réprimandait pas pour autant. « Je n’aurai pas été jusqu’à dire cela, mais disons qu’elle peut se montrer autoritaire sur certains sujets, notamment lorsqu’elle juge que quelqu’un pourrait se mettre en danger et lorsqu’elle donne des consignes pour des soins. Mieux vaut qu’elle ne te voit pas t’entraîner avant un certain temps, mais sois tranquille, elle doit avoir fort à faire auprès de sa Majesté Impériale, l’impératrice.» Son caractère pouvait se révéler être parfois bien trempée et elle ne se laissait pas marcher sur les pieds. C’était un des éléments qui l’avait charmé parmi d’autres chez elle.

Sacha avait tout de même fini dans un sale état lorsque son père l’avait puni en public avec la complicité de ses hommes d’arme la dernière fois. Il avait failli tourner de l’œil, Garlan avait pu le pressentir par son manque d’énergie vers la fin avant qu’il le dépose au dispensaire pour qu’il se fasse soigner. Il était certain qu’il aurait pu en baver encore davantage si personne ne s’était interposé pour lui prêter assistance. C’était un fait. Le chevalier n’ose pas imaginer comment il aurait fini. Indéniablement, il aurait été marqué à vie par les blessures subies et aurait dû apprendre à vivre avec cela. Si jeune, il ne méritait pas cela. S’il ne serait pas intervenu, il avait l’impression qu’aucune personne, dans la foule du moins, n’aurait levé le petit doigt pour prendre la défense du jeune homme. Les gens du Peuple n’osaient pas se révolter contre un élément de la noblesse, pas pour prendre le parti d’un adolescent qu’il ne connaissait même pas.

« Le principal, maintenant, c’est que cela ne recommence plus.»C’était si facile à dire et tant que l’adolescent resterait dans la sphère d’influence de son géniteur, il serait alors victime de ses violences corporelles. C’est également pour cela que Garlan voulait prendre le jeune homme comme écuyer. En plus d’être courageux, il arriverait à l’extirper de l’aura paternel. Car même si l’esprit de Sacha semblait solide, il finirait par craquer face à toute cette violence, car chaque être vivant a ses limites, il y a toujours un point où tout s’effondre, quelque soit la volonté qui nous arme à ce moment-là. L’éloigner de son père, le guider vers sa destinée, lui donner les éléments pour qu’il devienne celui qu’il souhaitait ; c’était l’objectif du chevalier.

Le jeune Racin remit en avant le courage dont il avait fais preuve en l’assistant et en faisant face à son père. Le danger, il l’avait mesuré et rapidement, mais quel autre avait-il alors lorsqu’il aperçut la scène ? Il avait été hors de question de ne pas agir. Le Goldwyne répondit donc simplement. « Parfois entre le courage et l’inconscience, il n’y a qu’une fine frontière. On peut appeler cela de l’intrépidité. Faire ce que l’on juge nécessaire, peu importe les risques. Il ne s’agit pas de foncer bêtement tête baisée et il convient de toujours analyser un minimum la situation dans laquelle on va s’engager. La plupart du temps, il n’y aucun retour en arrière possible et il faut alors être prêt à assumer les conséquences.» Comme lors de son départ de l’armée royale, son cerveau avait brièvement analysé la situation, sa loyauté envers Kevan avait rapidement pris le dessus sur les risques encourus s’il faisait prendre. Plutôt vivre sans regrets que trahir le serment qu’il avait fais à son ami à l’époque.

Il lui restait à convaincre son père, une affaire qui serait très compliquée et dans laquelle le chevalier ne pouvait pas intervenir sous peine que le débat se tende immédiatement à son apparition. Vu comment cela avait commencé, il y avait peu de chance que Lord Racin accepte. Il ignorait encore comment aller s’y prendre Sacha et quel serait son argumentaire. Il n’avait plus qu’à lui souhaiter bonne chance et voir ce que ça donnerait, à ce niveau, il ne pouvait que faire ça malheureusement. « Malheureusement, je ne peux t’aider dans cette tâche. Vu notre précédent et unique échange, il ne vaut mieux pas que mon chemin croise celui de ton père de sitôt. Sous peine de quoi, ta demande n’aura aucune chance d’aboutir. Il n’y a plus qu’à te souhaiter bonne chance, tu risques d’en avoir besoin…» Il se fit quelque peu penaud à la fin de ses paroles, vraiment désolé de ne pas pouvoir aider davantage Sacha, mais c’était mieux comme ça dans cette situation.

Il désigna le terrain d’entrainement d’un hochement de tête et demanda à l’adolescent : « Si tu te sens d’aplomb, nous pourrions nous entraîner ensemble pour échanger quelques coups et voir de quoi nous sommes capables. » Un bon moyen pour lui de connaître son niveau véritable, une épée à la main.

Il n’y a rien de pire de culpabilité, lorsque celle-ci ronge votre esprit, qu’elle ronge votre âme. C’est à ce moment précis où vous vous remettez totalement en question. En tant qu’individu, tout ce que vous avez pu réaliser dans le passé, ce qui vous avez amené là où vous êtes, ce qui faisait de vous la personne que vous êtes. C’est ce que ressentait Garlan actuellement, rongé de ne rien pouvoir faire de plus pour aider l’adolescent. S’il n’était pas tenu pour son code de l’honneur et de la bonne conduite, il emmènerait Sacha avec lui, loin de l’influence de son père et de la violence dont il faisait preuve. Cela parait si simple à dire et à faire, il était presque sûr que le garçon accepterait en plus.

Cependant, il savait que les conséquences de cette action étaient hors de contrôle, on le jugerait pour avoir enlevé un « enfant » à ses parents, car on considérerait que Sacha était trop jeune pour pouvoir prendre des décisions réfléchies. Quel que soit les raisons qui auraient poussées l’action de Garlan, et il était certain qu’elles seraient bonnes, on ne verrait que ce qu’il a fais, sans pour autant prendre en compte le « pourquoi ». Il devait donc s’en tenir à son rôle, ne souhaitant pas aller plus loin, ne pouvant pas, sans se mettre davantage dans une situation compliquée, il avait déjà assez de problèmes comme cela, en rajouter lui vaudrait le billot s’il continue ainsi. Il l’avait déjà aidé en s’interposant, cependant il ne pouvait en faire davantage pour le moment. Cela sera à lui, et à lui seul, de convaincre les siens d’accepter qu’il devienne l’écuyer d’un chevalier du Bief.

Si c’était le cas, le jeune homme était persuadé qu’il pourrait l’aider de bien des manières, en lui fournissant les outils pour s’éloigner de son père et le guidait vers sa propre destinée, afin qu’il se forge son propre avenir. Il espérait que le garçon aurait assez d’arguments pour s’imposer aux yeux de son père, cela risquait de ne pas être évident. Sacha lui assura que les mauvais traitements continueraient et que personne ne pourra rien y faire, le chevalier se contenta de se pincer les lèvres, les poings fermés, énervé d’être si impuissant face à cette injustice, il ne pouvait rien faire. Du moins, si, mais les conséquences étaient bien sombres pour sa personne. Garlan écouta attentivement son interlocuteur, ce dernier lui parla du roi, ce dernier aurait-il des vues sur Sacha pour le faire devenir son écuyer.

Il n’était pas au courant de cela et parut surpris de cette annonce. « Je ne pense pas que ton père aurait l’audace de refuser une telle offre, Sacha. C’est un grand honneur, que ce soit pour le jeune homme et aussi bien pour la maison à laquelle il appartient, de servir d’écuyer au roi, car c’était un moyen pour cette famille de se faire voir auprès des plus grands, tout en assistant le roi dans ses multiples tâches. On ne peut qu’accepter une proposition de ce genre si elle est formulée. » Garlan le vit se détendre légèrement et accepter avec joie sa proposition de s’entraîner ensemble. Le chevalier était satisfait qu’il accepte et laissa transparaître un fin sourire. Sacha lui demanda de retenir ses coups pour ne pas qu’il ait à souffrir trop de ses plaies. De tout de façon il ne comptait pas user de tout son potentiel contre lui, ce n’était pas son intérêt de finir au plus vite le combat, il souhaitait que cela dur.

Il rit de bon cœur en écoutant le jeune Racin et finit par lui répondre après avoir bien rigolé. « C’est moi qui aurait des problèmes si tes plaies se rouvrent et si elle apprend que j’en suis le responsable, pas toi, Sacha. » Imitant l’adolescent, il alla s’équiper d’une épée en mouchée, il était prêt à se munir également d’un bouclier, c’était son habitude lorsqu’il ne connaissait pas la force de son adversaire. Cependant, il préféra mener le combat à arme égale et puis il avait dis à Sacha qu’il y irait doucement. Les deux individus se firent face, il ne semblait vraiment pas décidé à engager le combat en premier. Après tout, c’était lui l’aîné, c’était à lui de faire le premier pas et peut-être que l’adolescent lui garderait quelques surprises dans sa botte dans le but de tenter de prendre le dessus. Malgré la différence de niveau et d’expérience, il devait se montrer prudent, il ne devait en aucun cas le sous-estimer, c’était le premier pas vers une défaite assurée.

Il vit tournoyer la lame dans sa main experte, comme si ce n’était qu’un jouet, fixant Sacha dans les yeux, il se mit en marche, décrivant un mouvement d’arc de cercle autour de l’adolescent, comme un prédateur qui scrutait sa proie, cherchant à déceler un point faible, une faille dans laquelle s’engouffrer. Il fondit alors sur son adversaire, menant tout d’abord un coup vertical de haut en bas, avant d’enchaîner par plusieurs coups de taille pour tester sa défense et se faire une idée de son style de combat. On sentait qu’il retenait sa force dans ses coups, comme convenuIl se désengagea ensuite pour se mettre hors d’atteinte en adoptant une garde médiane. « Tu te débrouilles bien pour le moment, Sacha. Tu t’es toujours entraîné seul ou un maître d’arme t’a initié au maniement des armes ? »

Lorsque leurs épées se rencontrèrent pour la première fois, ses sens se mirent immédiatement en alerte. Ce n’était pas parce qu’il s’agissait d’un entrainement qu’il devait prendre cela à la légère, qu’il devait considérer que ce n’était qu’un simple jeu, comme s’il était confronté à des enfants. Non ce n’était pas un jeu. C’est bel et bien de vraies armes qu’ils avaient en main, ils ne pouvaient pas faire semblant. Sacha n’était pas un enfant et il semblait être plus que familier avec les armes blanches. Ils n’avaient certainement pas le même niveau de maîtrise avec les années d’expérience dans ce domaine, on ne pouvait pas juger qu’ils étaient sur le même pied d’égalité pour le coup. Cependant, cela ne voulait certainement pas dire que Garlan sous-estimait son adversaire, au contraire, il restait très prudent lors de son approche et dans ses coups.

Souhaitant juger de quoi son adversaire était réellement capable, il était encore convalescent suite aux blessures infligées par son bourreau de père, mais il possédait peut-être quelques cartes à jouer dans sa manche. Des bottes secrètes ou des surprises qu’il lui dévoilerait pendant leur passe d’arme. Sur le qui-vive, le chevalier analysait chacun des mouvements de son adversaire, notant dans son esprit toutes ses habitudes, ses positions, ses coups, sa posture de défense. Il ne rebondirait pas sur chacun de ces éléments, il ne les utiliserait pas à son avantage. Pas dans l’immédiat du moins, il lui fallait recueillir un maximum d’éléments, les étudier avant d’opter pour la posture à adopter. Le jeune Racin répondit à sa question sur les personnes l’ayant initié à la maîtrise d’armes blanches. Un peu tout le monde à voir, il prenait plaisir à s’entraîner avec toute personne jugée digne d’intérêt et surtout s’il en ressentait l’envie, pas par obligation.

Sacha lui faisait beaucoup penser à sa propre personne lorsqu’il avait son âge. Maître d’arme, des gens du peuple, des amis, des gardes, il ne refusait à croiser le fer avec personne, tant que ces derniers le souhaitaient, cela avait été très formateur de pouvoir se confronter à des individus de tous les niveaux, ça l’avait très bien desservi ! Il espérait que Sacha progresserait aussi très rapidement, mais il n’avait aucune crainte à ce sujet. « Tu me fais penser énormément penser à moi, lorsque j’avais ton âge. Ne rechignant pas à m’entraîner avec n’importe qui, des inconnus à mes yeux à l’origine, je ne peux que t’encourager dans cette voie. C’est en procédant de cette manière que j’ai pu faire de très belles rencontres, des personnes qui demeurent encore des amis à mes yeux aujourd’hui…» Mais peut-être pas aux leurs, suite à sa désertion, il avait fort à parier qu’ils avaient perdu toute estime de sa personne, et que leur amitié n’appartenait qu’au passé à présent.

Il devait vivre avec ses choix, et surtout accepter les conséquences de ses actes. C’est au tour de Sacha d’attaquer, Garlan épie chacun de ses mouvements alors qu’il pare ses attaques avec son épée, ne contre-attaquant pas pour le moment, préférant se concentrer sur les mouvements de son adversaire. Un élément a attiré son attention au début de l’échange, l’individu a changé de main sa lame, pour ensuite le refaire un peu plus tard. Etait-ce une simple tentative afin de le déstabiliser ou était-il réellement ambidextre ? Il le déterminerait en continuant à épier ses mouvements, il tenterait de le mener là où il le souhaitait. Le chevalier fait tournoyer la poignée de son arme dans sa main comme s’il ne s’agissait d’un jouet et assaillit la défense adverse de multiples coups. Sa lame fendit l’air de façon oblique, allant chercher la défense de son adversaire sur les côtés, par le haut. Dosant toujours sa force et sa vitesse d’exécution comme l’adolescent lui avait demandé.

Le Bieffois n’attendit que la bonne opportunité pour l’exploiter et celle-ci se présenta, comme il l’avait attendu. Lorsque Sacha changea de nouveau de main et qu’il devait réadapter en fonction, Garlan en profita pour fondre son adversaire, il glissa la pointe de son épée dans la garde l’épée du riverain et tira d’un coup sec dessus pour lui arracher son épée des mains. L’adolescent avança brusquement en avant, le chevalier le retint des ses mains pour ne pas qu’il se retrouve face contre terre. Il l’aida à retrouver son équilibre et une fois ceci fait, il complimenta le garçon : « Jolies parades, Sacha, je te trouve relativement doué pour quelqu’un de ton âge, bravo !» Il enchaîna sur ce qu’il avait pu constater : « Tu souhaitais juste me déstabiliser ou tu es réellement ambidextre ? Je peux que te conseiller de ne pas dévoiler cet atout en début d’affrontement. Il serait plus sage de fatiguer davantage ton adversaire, lui faire perdre un minima ses capacités d’analyse pour ensuite le surprendre en changeant de main, ainsi il te sera aisé de percer sa défense et de de mettre à bas l’autre combattant. Du moins, c’est ma vision de la chose, ce n’est qu’un conseil.»

Sacha s’était très bien défendu, son niveau lui semblait supérieur aux autres individus de son âge. On en arrivait pas là sans s’être longuement exercé, surement s’adonnait-il à des exercices quotidiens pour pouvoir progresser le plus rapidement possible. Ils se rassemblaient bels et bien sur bon nombre de points, Garlan se voyait en ce garçon, lorsqu’il avait son âge, lui aussi avait soif de progresser aussi vite qu’il le pouvait à cet âge-là et il ne lésinait pas sur les moyens pour cela. C’est en partie pour cela que le chevalier espérait de tout cœur qu’il pourrait faire de lui son écuyer, il serait si fier si cela arrivait. Cependant, cela ne dépendait plus de lui désormais. Les cartes étaient entre les mains de Sacha et il s’en retrouvait désolé de ne pas en faire davantage pour lui à son niveau.

Il lui répondit en affirmant qu’il était bel et bien ambidextre. Une caractéristique qui était rare, le chevalier n’en connaissait pas beaucoup à vrai dire. Pour en avoir déjà affronté, ces derniers essayaient de maintenir toujours le plus longtemps possible cet « atout » de côté pour l’utiliser quand leur adversaire était déjà bien éreinté dans le combat. On pouvait se faire très facilement surprendre si on n’était pas assez prudent. En tout temps, il fallait se méfier de son opposant, ne jamais rien prendre pour acquis. C’est en le sous-estimant que l’on pouvait commettre de grosses erreurs. Suite à cela, après ce court entrainement, ils rangèrent les épées d’entrainement au râtelier prévu à cet effet pour échanger sur plusieurs points. Ils discutèrent longuement sur le Bief et sur Kevan, Sacha avait énormément de questions et c’était un plaisir pour lui que d’y répondre.

Après avoir bien conversé, ils se séparèrent, Garlan espérait vivement qu’il réussirait à convaincre un membre de sa maison d’accepter la proposition qui lui a été faite. Plus tard, dans la semaine, il décida d’aller s’occuper un peu de la monture qu’on lui avait fournie. Le Bieffois l’avait d’abord un peu sorti afin qu’elle puisse se défouler, le temps devait être incroyablement long pour les chevaux alors qu’ils étaient enfermés dans ces box. Certains cavaliers ne sortaient presque jamais leur destrier dans ces conditions climatiques, ils craignaient trop qu’il se blesse, avec une couche de neige au sol, on ne pouvait guère deviner où le cheval posait son sabot, ni dans quoi. Après lui avoir fais faire un petit tour, il le guida dans l’écurie pour prendre soin de lui après cette courte sortie et s’assurait qu’il ne manquait de rien.

Il croise Sacha, il l’interpella alors, sourire jovial aux lèvres, ce sourire qui ne le quittait presque jamais. « Bonjour, Sacha. Comment te portes-tu ? » Sourire qui disparut lorsqu’il constata la mine sombre qu’arborait l’adolescent. Plissant les yeux, il posa une main consolatrice sur son épaule et chercha à savoir ce qui était à l’origine de cet état. « Apparemment mal… Qu’est-ce qui ne va pas, Sacha ? »

Garlan s’occuperait de sa monture plus tard, pour l’instant ce qui le préoccupait, c’était Sacha. Ce dernier était également en train de prendre soin d’équidés, probablement ceux qui appartenaient à sa maison, peut-être celui de son père et ceux de ses frères. Le jeune garçon semblait si mal considéré par les siens, qu’il n’avait peut-être même pas sa propre monture. Condamné à prendre soin de celle des autres sans pour autant avoir l’occasion de choyer la sienne. Le Racin semble fuir son regard, le chevalier est vraiment inquiet pour lui, car il ne semble pas au top de sa forme. Il confronta enfin son regard, le bieffois se concentra, fixant son attention vers son interlocuteur. Le jeune garçon l’informa que son père avait refusé sa proposition, sur le fait de prendre Sacha comme écuyer, de l’enseigner tout ce qu’il savait. Cela l’étonnait à moitié, après leur « altercation », il était peu probable que Lord Racin accepte, pas après qu’il l’ait confronté en public.

Ce qu’il entendit par la suite réussit à lui faire perdre légèrement sa convenance, rares étaient les fois où cela arrivait, mais des individus cruels comme le seigneur cité y arrivaient plus que quiconque à vrai dire. « Maudit soit cet homme ! » pesta-t-il le poing serré, lorsque Sacha l’informa du fait que son père avait menacé ses amis, les gens du peuple avec qui il avait fraternisé, si jamais il osait outrepasser sa décision en cherchant à suivre l’enseignement du bieffois. Sacha n’avait donc pas le choix, il ne pouvait pas mettre en danger ses amis, Garlan le comprenait, il aurait fais la même chose à sa place. Cependant le bieffois n’était pas mécontent d’apprendre certaines choses, finalement il allait tout de même devenir l’écuyer de quelqu’un et de ne pas n’importe qui. Du Roi Lyham Tully, oui, lui-même ! Sourire triste aux lèvres, il tenta de le rassurer :  « J’ai pu rencontrer sa Majesté, le roi Lyham Tully, sans pour autant faire sa connaissance, cependant il m’a paru pour un homme de bien, avec des valeurs. Je pense que cet homme pourra t’apprendre énormément et t’amener à devenir un bon chevalier à l’avenir.»

Triste, il l’était bien entendu, il aurait tant souhaité l’avoir comme écuyer. Lui transmettre son savoir, le guider, lui donner des valeurs et des bases pour qu’il devienne l’homme qu’il souhaitait devenir. Mais ce n’était pas possible, au moins le roi du Conflans Libre arriverait à l’éloigner de son père, et ça, c’était une excellente chose !  Il constata qu’il semblait encore affecté par ses blessures infligées il y a quelques jours, il faudrait encore du temps pour qu’il ne ressente plus de douleur de ce côté. Il le questionna sur son état : « Tes plaies se sont-elles bien résorbées ? Si tu le souhaites, je peux t’accompagner au dispensaire pour que quelqu’un s’occupe de toi ?»