Le martèlement des sabots résonnait comme le roulement du tonerre dans l'air glacial de cette morne et terne journée d'hiver. Saison que j'avais toujours honni depuis l'enfance et ses illusions doucereuses sur Pyke auprès d'Helya. Cela semblait appartenir à une autre vie désormais et durant une poignée de secondes semblable à une éternité flottant de par le monde, je me demandai ce qu'auraient ressenti le gamin frèle et hargneux que j'avais été et sa sublime et bienveillante mère en me voyant ainsi juché sur une monture de guerre inestimable et drapé d'atours royaux. Dans les iles, la mauvaise saison était relativement différente de ce qu'elle était sur le continent cependant ses affres restaient à peu près les mèmes. Des typhons, des vents mauvais et déchainés envoyés par le grand ennemi du moins c'était ce qu'avaient toujours affirmé les saints précheurs du Noyé ainsi que de la fraicheur plus apre que les tétons d'une sorcière sans ame. Je me souvins d'un chant d'Helya devant un feu crépitant avec l'ardeur d'un modeste soleil dans le bordel, feu que je n'avais pas quitté des yeux tout au long de la mélopée envoutante de son timbre. La chanson clamait la victoire future du Noyé sur le maitre des Tornades qui ne manquerait pas d'apporter la serennité à la mer dès la mort de l'Hiver. 

Cependant, le réveil du passé fut bien vite balayé par la grisante ivresse de la chevauchée matinale dans la campagne paisible du Conflans du sud. Galoper était proprement délicieux en dépit de mes blessures en cicatrisation. Un plaisir coupable qui je le savais pourrait bien m'ètre préjudiciable si les points de suture du mestre venaient à se déchirer dans un excès d'audace. Un roi plus sage aurait certainement été mesuré dans son attitude et respectueux des éceuils interminables de mestre Janos mais je n'avais pas un quart de siècle et je brulais du feu dévorant des survivants. Aussi, je communiais avec Bucéphale dans un silence immaculé uniquement brisé par la charge sauvage d'une échappée salvatrice du moins pour le corps mais certainement pour l'esprit. Les foulées du destrier étaient amples et assurées. L'étalon de jais était heureux d'ètre de nouveau libéré des barrières exaspérantes des enclos. Le tempérament de ma monture semblait bien proche du mien. Et peut ètre était cela qui expliquait si bien une entente si complète entre un pirate ayant passé plus de temps au milieu des vagues que dans les plaines et un animal fermement ancré dans la terre libre, fier et indépendant qui au contraire arbhorait les flots ? Retrouvant les mèmes sensations que chaque fois que j'avais pu le monter au cours des rares retraites permises par le Noir dans ma vie d'arme, je savourais littéralement l'exercice en dépit de la souffrance par instant atroce de mon ètre encore éloigné du rétablissement complet. 

Pourtant, malgré le vent fouettant mon visage avec aigreur et piquant les yeux de mème que la cicatrice barrant une bonne partie de mon facies rugeux je sentis un sourire simple et sincère poindre sur mes lèvres et éclairer mes traits. Helena aurait adorée cette promenade effrénée à n'en point douter qui aurait pu se finir d'une manière bien agréable si le manteau neigeux ne recouvrait pas tout ce qui nous entourait et que je ne devais le fait de ne pas me geler les harpions qu'au fait de la température de mon fidèle compagnon sous ma personne. La royale maitresse des chevaux partageait l'amour de mon neveu pour les équidés et avais grandi dans la tradition que ces magnifiques bètes étaient la plus précieuse richesse du royaume. Le garant de sa puissance comme de sa mejesté. Toute Hoare qu'elle était devenue la née Bracken restait fidèle à sa nature de cavalière émerite et ma passion pour les chevaux grandissait chaque fois qu'elle m'en parlait avec flamme. Il y avait également une autre femme qui aurait appréciée cette échappée indomptable à sa juste valeur cependant penser à mon amante à l'heure actuelle en chemin pour Castral Roc alors que je cheminais au coté de son fils me paraissait inconvenant. Mème pour quelqu'un comme moi. Transcendé par le gout puissant de la liberté et de l'indépendance offert par l'allure folle de Bucéphale je laissais un rire franc et rauque franchir mes lèvres lorsque j'entendis les cris désespérés de la Garde montée tentant par tous les moyens de nous rattraper. 

Quelques instants plus tard, le prince et son partenaire me dépassait gracieusement d'un bond habile et leste par dessus deux troncs couchés par une tempète. Je vis mon neveu rayonnant de fierté me damner le pion et galoper à bride abattue vers les collines tapissées de bois épars. Faisant à mon tour bondir ma monture au dessus de l'obstacle, je me couchais sur son encolure afin d'accompagner le mouvement d'une part et ne pas trop subir le contre coup de ce vol plané aussi bref que grisant car mes bandages déjà imbibés de sueur et plus encore les plaies qu'ils couvraient avec opiniatreté n'apprécieraient guère la secousse. Une grimace acceuillit mon passage et mes dents grincèrent quelques instants. Sans le moindre mouvement de ma part, Bucéphale redoubla d'ardeur dans la course comme s'il ne pouvait accepter pareille rebufade de la part d'un congénère plus jeune et moins imposant. La vitesse qu'il avait perdu en franchissant les troncs déracinés fut regagnée prestement et nous rattrapames Beron dans la foulée. Nous fumes cote à cote durant un moment équivalant à un battement d'aile avant que l'étalon ne pousse avec plus d'entrain. De la neige et de la terre voletait sur notre passage et dans mon sillage Beron exultait. Je pouvais sentir la présence mobile de Shine à moins d'un bras de Bucéphale. 

Je m'apprétais à traverser les bois en faisant attention aux branches basses et aux souches génant le chemin vers la plaine attenante au moment ou le cri puissant du lieutenant de Victarion, Harwyn Noirmarrés l'un des fils du seigneur fer né atteignit mes oreilles. Ce dernier hurlait l'alerte. Des loups se trouvaient dans ces bois décharnés certainement rendu audacieux par la morsure du givre et les affres de la faim. Tirant doucement mais fermement sur les rènes de mon cheval, je le ramenais au trot et tournais dans un arc de cercle avant de remarquer l'écume aux mors de Bucéphale ainsi que la sueur dégoulinant de son front. Le cheval de guerre placide face à la menace était relativement tranquille bien que sa nervosité rejoignait la mienne et que ses yeux roulaient comme fous. La présence des prédateurs déplaisait au plus haut point à mon ami et ses dents se dévoilèrent. L'étalon était bien plus nerveux qu'il ne souhaitait le laisser paraitre mais la présence de l'un de ses congénères le rassurait autant qu'elle le faisait tenir son rang de chef de file. Son hennissement me poussa à murmurer dans son oreille tout en flattant son encolure avant d'imiter Beron et de me redresser sur ma selle. 

Renaissance jaillit hors du fourreau avec la fluidité organique d'un serpent de mer étincelant. Adressant un signe de tète à mon neveu, je lui lancais. Lame au clair Beron, nous devons rejoindre les autres. Reste sur tes gardes et sois attentif. J'ai appris à ne jamais sous estimer un loup affamé. Faisant faire volte face à Bucéphale, je tenais les rènes d'une main tandis que celle d'épée dressait la lame de Renaissance droit vers le sol sur le flanc afin de couvrir ce dernier. Traversant une futaie au trop soutenu, je cherchais à nous orienter vers la localisation de la garde au moment ou des bruits de branches brisées et piétinées attirèrent notre attention. La meute avait reniflé deux proies plus aisées à manoeuvrer qu'une colonne d'hommes en armes et ces bois lui appartenait visiblement. Lieutenant Noirmarrés les haches de la garde seraient bienvenues ici ! Bucéphale avait dépassé sa peur et je sentais de la colère chez le grand cheval d'ébène. Nul doute que ses sabots feraient des os des canidés ce que les pattes de ces derniers avaient infligées aux branches et aux brindilles.

Les règnes étaient faits d'une succession d'évènements plus ou moins importants. Certains routiniers d'autres plus éclatants. Bien peu d'entre eux passant souvent à la prospérité. Les mestres et les maitres des lettres disposant de latitude discrétionnaire suffisante pour documenter la vie des royaumes et de leurs premiers serviteurs à leur guise. Il arrivait parfois que des légendes soient noircies sous les plumes ou que des monarques soient bien plus idéalisés qu'ils ne le devraient. L'interprétation revenait aux scribes qui bien plus que les gardiens de leurs temps étaient ceux des savoirs passés et de la mémoire. Ce procédé garantissait une certaine indépendance du parchemin et des récits le tapissant. Je me demandais si chaque souverain arrivait à un tournant de son existence ou il s'interrogeait sur l'empreinte qu'il laisserait. L'obsession d'Harren avait été de devenir le conquérant unificateur d'un continent déchiré non pour le bien commun mais pour sa gloire personnelle. L'histoire retiendrait qu'il était mort au milieu de ses propres terres dépassé et surclassé par meilleur que lui. Qui aurait pu imaginer que mon règne aurait pu s'achever ici au milieu de ce modeste bosquet dans le sang sous les crocs d'une meute affamée ?


Le mal né comme on ne devait certainement pas manquer de me surnommer sous les capes bien pensantes des pieux et hautains riverains aurait pu incarner l'un des règnes les plus courts de l'histoire. Un rire intérieur me permit de faire redescendre la pression de cette prise de conscience vertigineuse. Rien que de l'humour fer né vis à vis de la douce faucheuse. Vieux réflexe de loup de mer. Je ne quitterais pas ce monde ainsi, pas si facilement ni avant d'avoir rendu à l'empire le centuple de ce qu'il avait fait à ma maison, mon royaume et mon sang. Si telle était la volonté du Noyé. Cet incident avait au moins eu le mérite de prendre le pouls de l'efficacité de la garde royale. Certes, les ennemis n'étaient pas des hommes mais la réactivité comme la rigueur avaient triomphés avec maestria de la surprise et la férocité. Nous n'avions aucune victime à déplorer si ce n'était quelques chevaux. Ce qui constituait bien une perte mais également tristement une ressource par un hiver aussi rude. Ce noble animal méritait mieux cependant la faim ayant poussé ces loups était également le lot des hommes. En observant attentivement mon héritier présomptif, je ne pus m'empêcher de me demander si Beron mesurait pleinement la portée de cette lutte à mort et son importance pour le royaume.


Le garçon était encore jeune et vert. Il avait tant à apprendre et surement bien trop peu de temps pour le faire. A son âge, je naviguais sur le futur navire d'Eren en tant que mousse et avais enduré mille brimades, violences, insultes et la compagnie de marins alcooliques et brutaux. Déjà vu des hommes mourir par dizaines, des masures incendiées et des innocents hurler. A douze ans, j'avais déjà pris la vie d'un homme. Rien de bien glorieux au demeurant. Une gorge tranchée sur ordre d'un marin cruel à la tignasse rousse. Beron avait tout le meilleur de Joren en lui mais il lui manquait peut ètre certaines qualités de sa mère parmi lesquelles le pragmatisme implacable et la lucidité glaciale. Ce monde en train de mourir était celui des Harren Hoare et des Argillac Durandon. Celui en train de naitre ne souhaitait pas voir le nom Hoare se pérenniser. C'était un fait établi et connu de tout Westeros. Le Noir avait voulu écraser le monde entier alors une bonne partie de ce dernier avait souhaité le voir bruler comme loup et dragonne l'avaient finalement fait à Eysines. Oui, mon neveu avait le meilleur de son père en lui et en cela la malédiction du sang noir avait été terrassée de la lignée maudite. Sa réaction de bonté pure face à ces animaux sauvages ne le prouvait que trop bien. Une nouvelle maison Hoare se dressait sur les cendres de l'ancienne et l'odieux crime familial qui l'avait précipité vers la ruine.


Beron, Helena, Myria partageaient avec moi ce rêve d'un avenir meilleur pour le royaume dans lequel la guerre ne serait plus une nécessité expansionniste mais uniquement une obligation défensive. Un rêve de progrès dans tous les domaines. Eren serait évidemment un obstacle à ce renouveau mais je n'hésiterais pas à m'opposer à elle s'il le fallait. Quand bien même mon ainée était la personne la plus chère à mon cœur. Il n'y avait rien de plus sacrée que la promesse faite à son peuple. En dépit des apparences, mon choix était déjà fait, j'appréciais néanmoins l'attitude du jeune Hoare qui à l'issue d'une indécision manifeste décida de relever le mentor et de croiser mon regard. Cela me plut car à des rangs comme les nôtres, les apparences comptaient bien plus que la réalité. Beron allait devoir l'intégrer le plus vite possible car le temps manquait déjà. Ecoutant le jeune prince avait attention, je le laissais tenter de convaincre un convaincu. L'exercice pouvait ètre intéressant pour jauger ses talents d'orateur.


_"Certes si j'avais été le digne héritier d'Harren la tète de Myria aurait été décollée de son corps sitôt son arrivée à Pierremoutiers. Et, je me serais débarrassé d'un rival de ligne directe en te réservant le même sort. Mais, je ne suis pas le Noir et ne le serais jamais par le Noyé ! Seulement, tu es de mon sang et j'ai confiance en ta mère. Je vous ai pris sous ma protection parce que vu les temps que nous traversons on ne sauvera notre maison de la ruine et la disparition que par l'union. Peu importe la réputation de Myria ou l'étiquette que l'on te colle. Vous pouvez chacun à votre manière servir votre royaume. Ces animaux peuvent ètre meilleurs que nous, je n'ai aucune obligation envers eux. Tu compares l'incomparable neveu."


Le prince recula stratégiquement pour se placer près de la louve assommée. J'admirais son instinct protecteur mais ne bouge pas d'un iota. Beron semblait bien déterminé à sauver ce qu'il restait de cette meute décimée.


_"Que pourrais-je répondre Beron ? Je n'ai rien d'un philosophe. Mais comme disait ton père les terres dures donnent des hommes durs. Je suis un fer né et toi aussi du moins en partie. Se battre est dans notre nature. La vérité c'est que l'homme est bien plus capable du pire que du meilleur. La guerre te l'apprendra bien vite."


Un léger sourire amer ne tarda pas à se frayer un chemin sur mes lippes suite à l'exposé animalier.
_"Certes, tu marques un point mais je n'ai pas connaissance d'élevages de loups et ce mème dans le Nord."


L'héritier présomptif d'un trône vacillant prit une grande inspiration avant de reprendre le regard plein d'éclair et la voix chevrotante. Mon sourire ne tarda pas à disparaitre devant les propos de mon neveu. Un soupir s'échappa de mes lèvres gercées par le froid tandis que je resserrais machinalement ma cape de fourrure autour de mes épaules.


_"Mon père a scellé son propre sort par son ambition démesurée et sa soif insatiable de conquête. Ta mère a agi ainsi parce qu'elle a estimée ne pas avoir le choix et je pense pouvoir t'assurer qu'elle ne l'avait réellement pas. La décision de Joren toute noble et idéaliste qu'elle ait été fut stupide. Ce n'était ni le moment ni la manière pour déposer un tyran. L'empereur et sa femme ont jurés d'éteindre notre lignée et d'éradiquer notre maison. Les abattre les premiers est une nécessité non pas pour le pouvoir, la gloire, la vengeance ou même pour accomplir cette vision neuve pour le royaume mais bien parce qu'ils ne montreraient aucune pitié. L'homme est un loup pour l'homme Beron. Alors, nous devons nous montrer les plus féroces et les plus dangereux. Je comprends que ce raisonnement te froisse mais nous avons bien trop d'ennemis pour ne pas nous montrer implacables."


Le brouhaha ambiant rendait l'atmosphère irréelle après la paix illusoire d'il y a quelques instants. Les hennissements effrénés de Shine n'auguraient rien de bon pour le coursier préféré de mon neveu. Bien trop strudents, terrifiés et empreints de folie. Les cris de la garde n'étaient guère plus rassurants. Essentiellement, des jurons très fleuris dans le jargon des insulaires. Je craignais fort que cette escapade ne finisse encore plus mal. Il faudrait que je pense à offrir un cheval de guerre à Beron. Un écuyer et un prince qui plus est se devait de chevaucher sur un destrier.


_"La guerre que nous avons à mener est juste mon neveu n'en doutes jamais. Juste pour notre famille, maison, peuple et royaume. L'indépendance souveraine est un droit divin. Des milliers d'hommes sont morts pour batir ce royaume et d'autres pour le défendre. Il doit survivre sinon ils seront tous morts en vain ! Tu n'auras jamais à le faire je t'en fais le serment solonnel. Je ne peux néanmoins te faire la mème promesse pour ma part mais je vais tenter de redorer autant que faire se peut le blason de notre maison."


Je remarquais que quelque clochait avec le prince en voyant son chancellement. Il s'effondra en avant sur les genoux tandis qu'une flaque de sang se formait autour de lui. Soudainement paniqué, j'ordonnais à la garde de rappliquer dare dare d'un cri rageur. Avant de me précipiter vers mon neveu autour duquel les loupiots s'agitaient joyeusement. Une fois auprès du fils de Myria, je le ratttrapais de justesse dans son étalement. Le prince venait de perdre connaissance en raison de la trop grande quantité de sang perdu.


_"Une magnifique promenade Beron. Tu ne me décois pas neveu. Tu ne me décois pas. Je suis fier de toi. Ton père serait fier de toi."
Bien sur cela il ne l'entendrait pas. Distribuant nerveusement les ordres, je me maudissais intérieurement d'avoir accepté cette chevauchée.
_"Attachez les carcasses des loups. Abattez les chevaux mourants pour la viande. Amenez moi ce sac et fourrez les loupiots dedans. Attachez solidement leur mère à  un cheval. Faites bien attention à elle. Lieutenant Noirmarrées prenez le prince sur votre monture et galopez jusqu'au mestre. Envoyez nous des renforts par la suite. Ne vous en faites pas pour mes blessures. J'ai connu pire. Qu'est ce que vous attendez ! Allez dépechez vous !"