Il était tôt. Comme je lui avais demandé, Kora était venue me réveiller à l’aube. En contrepartie, je m’étais couchée, la lune à peine tombé dans le ciel. Je m’étais rapidement habillée, sans réelle fioriture, ni prestance. Une simple robe, nouée sous ma poitrine, en dessous d’un manteau en fourrure, pour me garder au chaud.

Je m’étais d’abord rendue auprès de mes deux dragons qui me manquant tant. J’avais bien pris garde à ne pas en faire trop, ménageant ma santé comme on me le répétait si souvent. Je ne voulais prendre de risque pour personne, ni pour mon enfant, ni pour moi. Pour autant, j’avais besoin de prendre l’air, de prendre du temps pour moi, de consacrer des instants avec les miens, avec Meraxès et Ebryon. J’avais besoin d’eux, autant qu’ils avaient besoin de moi. C’était vital. Ils faisaient partis de moi, et moi d’eux.

Escortée par ma garde qui ne me lâchait pas d’une seule semelle, je me rendais ensuite dans les quartiers d’Argella. Je l’avais laissé en paix depuis qu’elle avait perdu son enfant. Je ne voulais pas l’étouffer, ni même la déranger. Et quelque part, je me sentais coupable, coupable d’avoir su résister à tous les empoisonnements, à tout ce qui m’avait touché, alors qu’elle avait perdu son enfant, un enfant qui, je le savais, avait toute son affection. Je ne pouvais pas comprendre sa douleur. Je ne pouvais pas l’aider. Et être impuissante me rendait folle de rage. La seule chose que j’avais pu faire avait été de lui envoyer Yesaminda afin que ma guérisseuse veille sur elle.

Je m’en voulais de troubler son deuil, mais je ne pouvais pas rester encore plus longtemps sans aller lui parler. Nous avons des choses à régler. J’avais pris certaines décisions que je me devais de lui annoncer. Mes gardes indiquèrent ma présence, et une fois certaine qu’Argella était apte et prête à me recevoir, j’entrais dans la tente. Ma garde renforça la sienne en se plaçant tout autour de la tente. Je saluais d’un signe de tête Yesaminda alors qu’elle nous laissait seule. Je m’avançais jusqu’à la Reine de l’Orage et lui dis Pardonnes moi de venir te troubler mon amie, mais je ne pouvais pas repousser ma visite plus longtemps. Je ne te ferais pas l’affront d’affirmer savoir ce que tu ressens. Saches simplement que si tu as besoin de quoi que ce soit, je suis là. Je pressais légèrement ma main dans la sienne, avant de reprendre sur un ton plus neutre.Vous avez besoin de repos et de vous remettre de tout cela. Je pense qu’il est plus sage que vous restiez à la Griffonière, du moins dans un premier temps. Je vais continuer à mener notre armée. Et lorsque les choses seront plus claires pour vous, lorsqu’elles iront mieux, vous nous rejoindrez.

Je ne faisais pas l’affront d’affirmer à Argella que je savais ce qu’elle ressentait. La perte d’un enfant était, est, et restera toujours différente de la perte d’un frère et d’une sœur. J’avais souffert oui, et j’en souffrais encore. Mais ce n’était pas la même chose et je ne voulais pas minimiser sa peine. Si elle avait besoin de mon soutien, elle l’aurait bien évidement mais je ne m’imposerai pas. Je n’avais pas encore fait le deuil des miens et n’y arriverais sans doute jamais. Si le fait qu’on me parle d’eux était désormais moins difficile, je n’aimais pas pour autant parler de cette douleur constante que je ressentais. Je ne comptais pas l’imposer à la Reine de l’Orage. Je l’évoquais immédiatement pour qu’elle sache que j’étais là pour elle, mais je ne reviendrais pas plus dessus. Elle n’avait pas besoin de cela, devant se le reprocher et y penser à chaque instant. Elle était la seule capable d’avancer, quand elle le déciderait et je ne lui jetterais pas la pierre. Je serais trop mal placée pour le faire.

Je pris place autour de la table, répondant  son invitation, et faisais fis de son sourire qui s’était perdu quand j’avais évoqué sa perte. Je la laissais prendre le temps qu’elle voulait et si elle répondit à mes propos, je n’en ferais pas de même, pas si elle m’indiquait explicitement qu’elle voulait en parler avec moi. Argella disait mettre cela sur le fait qu’on était en guerre, mais je savais qu’elle n’en pensait rien. La guerre l’avait certes mené à épouser le prince de Dorne et à attendre un enfant de lui oui, mais pour autant, ce n’était pas en chevauchant ni en guerroyant qu’elle avait perdu son enfant. Cela me brisait le cœur même si je n’en montrais rien. Argella s’était toujours portée bien et il n’y avait eu aucun signe annonciateur. Nous savions toutes deux qui étaient responsables de cela et j’imaginais sans mal qu’elle devait maudire ces Dieux pour lui avoir faire subir cette épreuve.

Alors j’entrais directement dans le vif du sujet. Je n’étais plus l’amie en face d’elle mais l’impératif. Mon ton avait légèrement changé tout comme ma posture. Et je m’adressais non plus à l’amie mais à la Reine qu’elle était. Je lui devais bien cela et c’était pour cela que j’étais d’ailleurs venue la trouver aujourd’hui. Je l’avais laissé en paix, mais la guerre ne pouvait pas attendre malheureusement et je devais prendre des décisions sans plus tarder. Je n’étais pas surprise de sa réaction mais je ne me démontais pas pour autant. N’oubliez pas votre Majesté que je ne vous demande point une chose que je n’ai pas moi-même fait. Ais-je réellement besoin de vous rappeler ce qu’est mon quotidien ? lui dis-je d’un ton un peu ferme. Elle était en colère, je le voyais bien et je l’avais parfaitement entendu. Mais elle était Reine et bien plus digne que cela. Votre situation est de toute manière différente de la même et non pas comparable. Voulez-vous que votre peuple, que votre royaume pleure une fois de plus la mort de son monarque ? Vous avez besoin de repos. Vous avez besoin de temps, et ce temps, je vous le donne. Prenez cela comme un ordre s’il le faut. Et ne m’obligez pas à vous rappeler vos serments. ajoutais-je avant qu’elle me réponde, avant de soupirer. Prenez ce temps que je vous accorde car vous en avez besoin. Votre peuple a justement besoin de vous, ne l’oubliez pas. J’ai besoin de vous Argella. J’ai besoin de la Reine guerrière et forte que vous êtes. Pour l’heure, vous ne l’êtes point et personne ne vous jette la pierre. Et pour ce qui est de votre peuple, je vous ai promis de veiller sur lui. Ma présence en ces lieux vous le prouve à bien des égards. Je ne le laisserais pas mourir et je continuerais à me battre pour lui. En attendant que leur Reine se rétablisse, ils auront une impératrice pour veilleur sur eux. Et ce n’était pas anodin, elle le savait tout aussi bien que moi. Enterrez votre enfant Argella. Pleurez le temps qu’il le faudrait. Maudissez pendant ces jours de répit que je vous accorde qui vous désirez. Et lorsque votre peine laissera place à autre chose, vous me rejoindrez. Je ne vous oblige pas à vous retirer totalement mais à le faire temporairement. Continuez à vous battre dans votre état que pourra que nuire non seulement à votre personne mais aussi à votre peuple. Ils sont pour l’heure plus importants que vos états d’âmes. Détestez moi pour cela s’il le faut, mais je ne reviendrais pas sur ma décision. Je ne voulais pas qu’elle me déteste. Je ne voulais pas perdre l’amie qu’elle était. Mais s’il le fallait pour le bien de son peuple et de son royaume, alors j’étais prête à ce sacrifice. C’était là l’un des poids que je devais continuellement porter. Si je devais me retrouver seule pour que Westeros soit en paix, alors j’étais prête à cela. J’y étais même préparée. Le pouvoir s’accompagne de solitude, je l’avais bien compris depuis longtemps d’ailleurs.