La guerre commence à toucher la totalité des royaumes... Etes-vous partisan de l'unification de Westeros par l'Empire ou les Puissances Centrales, ou plutôt attaché à l'indépendance de votre Royaume? Pourquoi?
Lyman est né pour régner sur l’Ouest, et pour le faire sans personne au-dessus de lui. A ses yeux, il est donc hors de question de céder quoi que ce soit à quiconque, à moins qu’il ne s’agisse d’une absolue nécessité pour assurer la survie de la maison Lannister et du Roc. Il n’est pas obtus, évidemment. Simplement, il a du mal à comprendre comment un être peut renoncer à une partie de son héritage naturel pour se placer volontairement sous la coupe d’une étrangère et d’un homme qu’il respecte, certes, mais qu’il juge inapte à se positionner au-dessus des autres têtes couronnées du continent. Comment Argella Durrandon a-t-elle pu ainsi abdiquer certaines de ses prérogatives royales ainsi le laissent songeur. Comment Jon Stark, son beau-frère, peut-il accepter d’être plus tard, commandé par un enfant né d’un second lit, de presque vingt ans plus jeune que lui, le sidère. Cela ne signifie pas qu’il ait une plus grande sympathie pour l’alliance entre les Hoare et le Bief. Les premiers ont été cruellement puni de l’hubris du Noir, et le royaume au sud du sien contient en son sein un poison pire que tout qu’il considère avec méfiance, au vu de son mariage avec une femme que la Foi catégoriserait volontiers comme païenne, ou barbare.
La neutralité a préservé le Roc, et Lyman espère que les deux grands se dévoreront entre eux. Il n’est pas contre une intervention guerrière … Mais il faudra que l’Ouest choisisse son moment pour qu’à la fin, la maison Lannister continue de prévaloir. Parce qu’avant qu’il ne s’incline devant qui que ce soit, il faudra le convaincre qu’il n’a plus aucun choix. Les Lions sont des prédateurs, pas des proies. Il est hors de question que cela change.
Tout royaume attend le premier enfant d’un jeune couple suzerain avec une ferveur profonde, et la joie populaire atteint souvent des sommets quand, en temps de paix, les hérauts royaux annoncent un fils. La naissance de Lyman Lannister résume à merveille ce phénomène. L’atroce guerre entre le Roc et le Bief était encore dans les esprits quand la jeune Jordane Lannister, née Crakehall, tomba enceinte de son époux et accoucha d’un garçon en pleine santé après quatre années de mariage. De l’avis général, il était temps. Fils unique, Loren Lannister ne pouvait se permettre d’être enfermé dans une union stérile, surtout alors que l’Ouest avait frôlé l’annexion et que seule sa bravoure avait permis la sauvegarde du royaume. Autant dire que l’heureux événement fut annoncé en grandes pompes à travers toutes les villes du pays, plusieurs fêtes paysannes étaient organisées pour célébrer la survivance assurée de la lignée suzeraine. Le Roi tomba immédiatement sous le charme de sa progéniture, aimant passer du temps avec l’enfançon, lui offrant quelques hochets et autres jouets achetés à prix d’or parmi les marchands de Port-Lannis. Quant à la Reine, moins démonstrative de nature, plusieurs témoins assurèrent qu’il lui arrivait de rester dans la chambre du petit pour contempler celui qui avait consolidé sa position comme souveraine du Roc.
Les premières années du lionceau furent heureuses, bien que le mestre manifestât une certaine inquiétude alors que les mois avançaient et que l’enfant ne montrait aucun signe d’une volonté de marcher … ni même de se traîner à quatre pattes. Lyman, à bien des égards, était un bambin au calme olympien, qui n’aimait rien tant qu’observer le monde autour de lui de ses grands yeux bleus ou dodeliner sa tête poupine au son de la musique que les dames de compagnie de sa mère produisaient dans le château. Parlant tôt, il n’hésita pas à demander rapidement, dans les monosyllabes de son langage d’enfant, à en entendre davantage. On accéda à sa requête, et ce fut au cours d’un de ses moments qu’à quinze mois, le petit se leva maladroitement pour tenter d’arracher des mains d’une flûtiste son instrument. Soulagé sur les capacités motrices de leur progéniture, les Lannister en rirent, et les serviteurs de Castral Roc le gratifièrent du surnom de Lionceau troubadour. Entre temps, une sœur était née, et une autre vint bientôt. Quand il fut mené devant le berceau de Nymeria, son grand-père, Lord Crakehall, lui expliqua de sa voix rugueuse, en tenant sa petite main dans la sienne, si calleuse, que le devoir d’un petit-fils du Sanglier de l’Ouest et d’un fils de Lion était de toujours protéger sa portée. Le gamin n’avait que trois ans, mais il en demeura frappé, observant cette petite forme rougeaude dans cet imposant berceau, et comprenant dans son esprit d’enfant qu’il devait tout faire pour empêcher que quiconque lui fasse du mal, à elle ou à Megara, avec laquelle il partageait parfois quelques jeux, leur très faible écart d’âge aidant à cela.
Son passage aux hommes, comme le voulait la coutume, mit un terme à ses amusements fraternels. A quatre ans, le couple royal fit venir à ses côtés Gareth Kenning, de quatre ans son aîné, pour lui servir de compagnon de jeu et lui inculquer les saines valeurs de la camaraderie masculine, alors que son apprentissage intellectuel commençait déjà, l’exigeante Lionne trouvant que son précieux fils était bien assez grand pour le supporter. Le mestre apprit donc au môme la lecture, sans difficulté majeure, puisque Lyman manifesta rapidement une réelle aisance de l’esprit. Néanmoins, au milieu des mornes leçons du mestre, il puisait un intense réconfort dans la compagnie du Kenning, le suivant partout, imitant ses gestes, calquant ses expressions sur lui. Peut-être qu’un jour, il serait aussi grand que lui ! Leurs facéties devinrent légions. Tout Castral Roc ne put jamais oublier l’ire féroce de Jordane Lannister quand un malheureux garde, penaud, lui annonça que son fils lui avait faussé compagnie à Port-Lannis en compagnie du petit Kenning, et encore moins les deux heures de réprimandes qu’elle administra aux deux mouflets après qu’ils aient été retrouvés par la Garde Royale en train de s’empiffrer de fruits ramenés à prix d’or de quelque royaume lointain, dans un coin reculé du port. Le pire ? Les odieux brigands ricanèrent sous cape un bon moment, tout en affichant des sourires angéliques face à la redoutable Lionne, qui avaient du mal à ne pas se laisser attendrir. Loren ? Lui avait du mal à contenir un abominable fou rire, même si le regard noir de son épouse lui intima de rester coi.
En grandissant, Lyman démontra un goût intense pour les études, ce qui ravit considérablement sa terrible mère. Le mestre ne tarissait pas d’éloges sur son protégé, le gourmandant seulement sur son usage de la main gauche, signe selon lui de la malédiction des Sept. Comme à l’accoutumée dans ces cas-là, la sanction fut rapide et immédiate : on lui lia la senestre, et on le força à écrire de sa dextre. L’enfant pleura souvent, sa graphie étant tout simplement immonde, autant d’humiliation face aux réprimandes que de douleur. Mais il apprit, et bientôt, il sut se servir parfaitement aux yeux du monde de sa main droite pour tout, développant cette ambidextrie forcée que le mestre jugeait plus convenable pour un Prince. La seule exception fut la pratique de la lyre, qu’il pouvait pratiquer des deux mains sans que personne ne le juge. Démontrant un talent réel pour la musique et la composition, Jordane accepta d’engager à grands frais des artistes de tous les royaumes pour enseigner à son auguste rejeton leur savoir, et tous admirent que le garçon était réellement doué. Ses maîtres d’armes, eux, ne purent en dire autant, au grand dam paternel.
Lyman n’avait jamais démontré une quelconque appétence pour les armes. Alors que bon nombre de petits hommes aimaient voler des épées en bois pour s’entraîner avec leurs compères, lui n’affichait qu’une certaine perplexité face à ces engins. Bien sûr, pour être chevalier, il fallait les manier. Pour être un Roi comme son père et protéger le royaume, il fallait être un grand guerrier. Mais … ces instruments paraissaient tout de même dangereux. Et s’il se blessait ? Sa mère ne le lui pardonnerait jamais. Il était néanmoins de son devoir de se prêter au jeu, aussi, un matin, on vint le réveiller avec Gareth, le capitaine de la Garde les mena jusqu’au terrain d’entraînement, où le maître d’armes de Castral Roc lui mit une arme entre les doigts. La suite fait partie de ses pires cauchemars : incapable de suivre le rythme, maladroit, l’enfant ne réussit qu’à lâcher l’épée sur ses pieds, sous les rires de ceux assemblés autour de lui. Comble de l’horreur, son père passait par là à ce moment précis, et Lyman eut l’impression de l’avoir déçu immensément. Les larmes aux yeux, il lâcha cette chose informe et s’enfuit dans les profondeurs du château, dans une de ses cachettes favorites. Ce fut Gareth qui le trouva, et recueillit l’amertume de ses confidences d’enfant qui découvrait qu’il ne serait sans doute pas digne de l’héritage martial d’un Arwin Lannister, d’un Seymon Crakehall. Il l’encouragea pourtant, et régulièrement, à partir de cet instant, au petit jour, les deux mômes s’éclipsaient de leurs chambres pour aider Lyman à progresser. Un jour, Loren les surprit, et finit par comprendre qu’à défaut d’être doué, son fils était dur au mal et déterminé. Il décida de le former lui-même, et en fit son écuyer. La pratique n’était pas forcément courante, mais elle existait, et personne ne broncha. L’héritier du Roc souffrit en silence, récoltant bleus et plaies, mais ne baissa pas les bras, répliquant parfois à son père qui tentait de le ménager qu’être simplement moyen équivalait à la mort sur un champ de bataille. Il serait un combattant dont le Lion pourrait être fier, ou ne serait point.
Cependant, ses répits venaient de ses chères études, qui accentuèrent pourtant périodiquement son mal-être, puisqu’il était en âge d’apprendre les haut-faits de ses ancêtres notamment militaires. Le mestre mit au point une méthode ingénieuse pour l’aider à comprendre, en faisant reproduire des champs de bataille anciens en miniature, le garçon s’amusant à déplacer les figurines d’armées pour s’initier aux subtilités de la stratégie. Curieusement, pour quelqu’un d’aussi prudent, il fit rapidement preuve d’une certaine audace dans ses choix, préférant souvent ne pas suivre les ordres consignés dans les grimoires pour essayer de nouvelles combinaisons. Avec philosophie, certains se dirent que c’était là le propre de la jeunesse, et que la découverte d’une vraie guerre le changerait. A cette époque, il fit également la connaissance de Quentyn Brax, par l’intermédiaire de Gareth, et ce dernier lui enseigna les règles du Cyvosse, curieux jeu venu d’au-delà du Détroit qui le charma réellement. Il sympathisa rapidement avec l’héritier Brax, trouvant en sa compagnie un calme qu’il appréciait et contrastait avec l’enthousiasme de Gareth. Entre eux, il avait un certain équilibre personnel.
La visite aux Eyrié l’enchanta, car pour la première fois, le Prince sortait du Roc. C’était également sa première apparition à l’extérieur en tant que Prince. Il tenta de faire honneur à sa maison, ne manquant pas de remarquer les rougeurs de Nymeria quand cette dernière se trouvait face au jeune Ronnel Arryn, et s’amusant de cette entente qui pouvait présager à l’avenir d’une alliance fructueuse entre les deux royaumes. Découvrir le Val fut un réel enchantement, de même que participer aux jeux de cours. Il était fait pour cette vie. Il était fait pour briller.
A ses treize ans, Jordane jugea qu’il était temps de déniaiser son fils, alors que le joli minois des petites servantes commençait à l’attirer. C’est ainsi qu’un soir, Lyman trouva dans sa chambre une femme dans la quarantaine, très dévêtue, borgne, connue pour avoir réussi à charmer un bourgeois de Port-Lannis qui l’avait épousée en la sortant du ruisseau où elle avait effectué sa longue carrière de vendeuse de charmes. La femme avait de l’expérience, sa laideur physique empêcherait probablement le Prince d’éprouver de quelconques sentiments à son égard, et une coquette rente achèterait le silence de la dame et de son veule époux, les rumeurs murmurant qu’il n’hésitait pas à partager sa plantureuse épouse pour obtenir quelques avantages. D’après la Borgnesse, l’élève se montra très à l’écoute, et désira même prendre quelques leçons supplémentaires. Les plaisirs de la chair lui parurent un horizon d’études délicieux, et il s’y plongea. En sus, son initiatrice, à défaut d’être belle, avait un esprit piquant et cynique qui l’amusait. Elle lui conta le monde comme il l’était, et non comment ses précepteurs désiraient qu’il le voie, l’éduquant bien au-delà de sa mission principale. Bientôt, elle fut renvoyée à ses pénates, ayant empoché une coquette somme pour ses services, et Lyman décida de reprendre ses explorations, parfois accompagné de Gareth ou Quentyn, parfois seul. Il se rendit plusieurs fois dans les environs des terres Lannister, interrogeant anonymement les paysans, les bourgeois. La misère l’horrifia, de même que l’avarice des uns, et les privautés que se permettaient certains nobles envers les filles du peuple. Son père était-il ainsi ? Il ne pouvait écarter cette pensée avec certitude, tant ses écarts étaient connus de tous. Sa mère avait troqué le pouvoir contre la fidélité conjugale. Maintenant qu’il était plus âgé, Lyman voyait clairement les dysfonctionnements du couple royal, et avait du mal à comprendre leur dynamique. Est-ce que ses parents s’aimaient ? Il en avait l’impression. Mais … C’était un amour étrange, désincarné, où l’un couchait avec toutes les filles à sa portée et où l’autre baisait le trône du Roc. L’image était cruelle, le constat amer. L’ensemble lui resta. Et il se jura que malgré tous les charmes des femmes, il ne serait jamais comme son père. Pour l’instant, ses amusements étaient inconséquents. Mais lorsqu’il serait marié, lorsqu’il gouvernerait … Il serait différent. Il serait sa mère, en homme.
Sa détermination marqua néanmoins un violent coup d’arrêt quand, l’année suivante, il manqua mourir. Au cours d’un entraînement martial, il calcula mal sa trajectoire, et reçut la masse de la quintaine dans son dos, ce qui le démonta immédiatement. Tous accoururent pour porter secours au Prince mal en point, et le Roi en personne vint s’assurer auprès du mestre que son fils n’avait rien de sérieux. Ce dernier lui assura que sa vie n’était pas en danger, mais qu’il faudrait attendre quelques jours pour s’assurer que le garçon n’aurait aucune séquelle. Finalement, Lyman s’en tira avec deux côtes cassées, et mit à profit ce temps de repos forcé pour étudier davantage, s’immergeant pleinement dans les affaires du royaume, essayant de comprendre la géopolitique délicate des maisons ouestriennes.
Il fit part à son paternel de son envie de connaître mieux ses futurs sujets, et s’engagea à ses côtés dans un tour de l’Ouest. Il put enfin découvrir d’autres fiefs que ceux de ses amis ou de sa famille, et parcourut le Roc pendant plusieurs semaines, rencontrant les nobles, mais aussi les petites gens, notant les différences subtiles entre les ouestriens des montagnes à l’est du royaume et ceux vivant à la frontière avec le Bief, dans ces vallées douces qui produisaient l’essentiel de l’agriculture du pays. Il nota les caractères des uns et des autres, observa les garçons, dansa avec les filles. Il apprit, et revint à Castral Roc plus déterminé que jamais à assurer sa position de Prince héritier avec dignité. Il s’entraîna davantage, jusqu’à faire naître quelques sourires chez son père, sur le visage du sévère maître d’armes. Il étudia toujours plus, s’attirant les faveurs maternelles. Il composa sa première ballade complète, en hommage à son royaume, et cette dernière fut jouée, par faveur royale, lors d’un dîner organisé par les Lannister, leur fils en éprouvant une vive fierté. Puis l’amour vint frapper à sa porte, et il en oublia toutes ses bonnes résolutions.
Mylessa n’était pas nécessairement la plus belle des servantes de Castral Roc, mais elle avait ce sourire mutin et ces yeux rieurs qui ne laissaient pas les hommes indifférents. Lyman la remarqua parmi les chambrières de Megara, et passa soudain nettement plus de temps dans les appartements de sa sœur aînée, sous le regard franchement amusé de Gareth. Il s’arrangea rapidement pour se trouver fréquemment sur le chemin de la charmante tentatrice, qui n’était pas insensible aux avances subtiles du jeune Prince. Il avait quinze ans, de belles boucles blondes, le corps mince et souple. Il savait lui trousser de jolis compliments, lui parlait. Elle se moquait gentiment de lui, et lui ne s’offusquait pas, trouvant le défi lancé amusant. Ils se retrouvèrent une nuit dans sa chambre, ils discutèrent plaisamment, il lui vola un baiser, elle s’enfuit. Il la poursuivit des jours durant. Il s’excusa. Elle lui pardonna, mais rougissait désormais en sa présence. La lutte continua. Et un soir, dans sa petite chambrette, elle céda. Dans ses bras, Lyman découvrit ce qu’était l’amour, véritablement, celui des contes et légendes qu’il affectionnait. Il en délaissa ses études, manqua plusieurs de ses entraînements. Ses amis protégeaient son secret … Mais impossible de cacher à la Lionne ce qui se tramait. Et ses crocs se refermèrent cruellement sur sa proie. La pauvre fille fut chassée, et Lyman ne l’apprit qu’une fois le forfait accompli. Pendant des mois, il tenta de la retrouver, chargeant même Gareth d’enquêter. Il apprit ainsi que, revenue dans sa famille couverte de honte, la pauvresse s’était enfuie avec quelques bagages pour échapper à la furie paternelle. Horrifié de cette découverte, il s’en voulut pendant longtemps, et en garda une rancune tenace envers sa mère. Dans une vengeance puérile, il séduisit toutes les femmes qu’elle lui présenta, noble ou non, pour son agrément ou pas, et tenta de lui montra que sa mère ne pouvait le contrôler … avant de se rendre compte, trop tard, qu’il brisait d’autres vies, quand une de ses maîtresses fut mariée précipitamment à un vieux barbon. Déçu par lui-même, honteux, il décida de s’en tenir aux filles de joie, qui ne pouvaient tomber plus bas, finalement, et accompagna régulièrement Gareth dans ses explorations nocturnes de Port-Lannis, y trouvant quelque agrément, sans forcément réussir à jouir pleinement de ces relations éphémères et tarifées.
Légèrement inquiets de voir leur rejeton se noyer dans les plaisirs, les Lannister résolurent de mettre Lyman à l’épreuve, et c’est ainsi qu’il fut convoqué un matin dans la salle du trône de Castral Roc, et que sa mère lui annonça qu’elle lui confiait la supervision de la nouvelle flotte de caraques qu’elle désirait faire construire. Dans un premier temps, fier comme un paon, le Lionceau prit son travail très à cœur … Mais les largesses de l’Amiral Rowlson eurent raison de lui. Le roué lui présenta quelques jolies catins, sous couvert de veiller au bien-être du jeune Prince et de le remercier de sa présence. Les banquets succédèrent aux banquets, dans une atmosphère décadente qui fit jaser. Lyman s’intéressa même à la fille de l’intéressée, et parvint à la charmer. Un matin, alors qu’il sortait de la chambre de la jeune fille aussi discrètement que possible, il se trompa de direction et atterrit malencontreusement dans le bureau de l’Amiral. Alors qu’il cherchait à sortir, son regard fut attiré par un parchemin qui traînait … et sur lequel se trouvaient étalés des comptes qu’il ne reconnaissait pas, alors qu’il était certain d’avoir étudié l’intégralité de la comptabilité pour la flotte. C’est ainsi qu’il découvrit les malversations de Rowlson, qui détournait de l’argent à son profit en camouflant ses forfaits sous des montages a priori innocents. Comprenant qu’il avait été abusé, humilié par sa propre inconséquence, le jeune homme sortit en trombe de la pièce et réunit ses propres gardes, leur ordonnant séance tenante d’arrêter le maraud. Ce dernier, cependant, avait regagné ses pénates et constaté le désordre sur son bureau. Il comprit. Ses propres hommes se heurtèrent à ceux de Lyman, qui ne recula pas, domptant sa peur du combat, enfin. Il tira l’épée, et attaqua. Tout se passa en un éclair qu’il n’oublierait jamais. Sa fureur décuplait ses coups, qui s’abattaient sur le malheureux soldat face à lui. Bientôt, la lame de l’héritier du Roc plongea dans le cœur du pauvre hère, qui bascula en arrière. Ce ne fut qu’après plusieurs minutes, une fois les factieux tués et Rowlson mis aux arrêts, qu’il contempla avec horreur son arme souillée de sang, et qu’il comprit qu’il venait de tuer son premier homme. Sombre, c’est sans son sourire ordinaire qu’il parut devant ses parents pour leur annoncer l’arrestation de l’Amiral, ainsi que les raisons de ce coup de force. A sa grande surprise, ils ne parurent absolument pas surpris. Loren donna une brève accolade à son fils, alors que Jordane le jaugeait avant de lâcher que désormais, il savait tout. Et Lyman ne sut ce qui était le pire : qu’il ait à ce point manqué de jugement, ou que ses géniteurs l’aient testé de cette manière.
L’année suivante, il participa à quelques tournois, sans s’humilier mais sans briller particulièrement. Sa formation martiale arrivait à son terme, et nul doute que son père cherchait à ce qu’il soit mis dans une position favorable pour lui permettre de l’adouber sans que certains ne crient au favoritisme. Lors d’une joute organisée à Port-Lannis pour célébrer l’anniversaire de sa sœur Megara, Lyman parvint enfin à s’illustrer, même s’il tiqua sur certaines chutes de ses adversaires. Quand il parvint en finale, il était totalement persuadé que ses parents, ou au moins sa mère, avait truqué les lices. Il n’en eut jamais la preuve, mais quand son père lui demanda de mettre un genou à terre et l’adouba, il sentit son cœur serrer, car il avait l’impression terrible d’avoir usurpé ses éperons, alors que leur obtention aurait dû le remplir de joie. Comme toutes ses victoires, celle-ci avait un coup amer de défaite.
S’intéressant aux affaires du royaume un peu plus, il tenta de se faire confier quelques missions par sa mère, qu’il mena aussi bien qu’il le pouvait. Ses appartements privés résonnaient souvent, le soir venu, du bruit produit par les petites sauteries qu’il se plaisait à organiser. Rassemblant autour de lui musiciens et troubadours et ses amis les plus chers, ainsi que quelques damoiselles de bonne compagnie, la petite clique buvait jusqu’à fort tard, discutant à n’en plus finir, se lançant des défis poétiques, ou écoutait le Prince jouer de la harpe et plaisanter. Gareth et Quentyn étaient presque toujours présents, de même que quelques autres fils de la noblesse. La jeunesse aux dents longues de l’Ouest, les intimes du Prince échangeaient sur les changements à produire dans le royaume, et Lyman notait tout dans un recoin de sa tête.
Un soir, sa mère annonça tranquillement à table qu’elle comptait le fiancer à Jeyne Stark. De surprise, Lyman en recracha son vin. Comment ? La Lionne avait-elle perdu la tête ? Elle allait fiancer son fils, son héritier, à une … barbare nordienne ? Qui croyait en des dieux oubliés depuis longtemps ? Qui ne devait pas connaître le quart du début de la politique ouestrienne ? Et elle voulait ça sur le trône de l’Ouest ? Hors de question ! Evidemment, ses protestations s’évanouirent en un regard noir et le jeune homme s’en alla, rageur, se consoler dans les bras de sa catin préférée. Oh, elle pouvait la marier à la sauvage poilue ! Elle finirait cocue, à s’occuper de ses marmots. Sa colère passée, le lendemain, Lyman tenta de s’éclaircir les idées, et finit par admettre qu’il avait sans doute été un peu extrême dans ses pensées. La perspective de vivre dans un foyer aussi étrange que celui de ses parents ne l’attirait pas outre mesure. Il aurait vraiment fait un effort pour n’importe quelle jeune fille … Mais là … C’était beaucoup lui demander. Le Conclave de Goeville, dans le Val, arriva, et même s’il savait que ce serait aussi l’occasion de rencontrer sa fiancée du Nord, il éprouvait un plaisir certain à l’idée de revoir ces terres qui l’avaient enchanté, tout en contemplant la possibilité de nouer un nombre conséquent de connaissances à cette occasion unique qui rassemblerait toute la fine fleur de la noblesse. Les amitiés qu’il forgerait à ce moment seraient peut-être les fondations des alliances de l’avenir. Et de ces dernières dépendraient sans doute le futur du Roc.
Une fois la délégation Lannister arrivée, ils furent accueillis par les Arryn, puis les Grafton évidemment, Seigneurs des lieux. La nuit de leur arrivée, ayant une légère fringale, Lyman descendit dans les cuisines … et y trouva une charmante damoiselle, apparemment dévoré par le même travers nocturne que lui. Il engagea la conversation, amusé, et constata qu’elle le prenait apparemment pour un manant. Ils discutèrent un moment, avant d’être interrompus par une arrivée. Mû par l’instinct, Lyman la tira dans un recoin sombre et là … Il cessa de respirer. Son odeur féminine l’attirait. Il ne réfléchit point. Il l’embrassa, lui vola ce baiser, le seul qu’il obtiendrait, et fila une fois le danger écarté. Cette petite aventure l’amusait, autant l’admettre, et même s’il espérait voir au détour d’un couloir cette jolie servante … il savait aussi que l’heure n’était pas aux plaisirs. Pas avec sa future belle-famille à proximité, en tout cas. Il avait déjà commis une imprudence. Même si les petits dangers font le sel de la vie, n’est-ce pas ?
Inutile de préciser que sa surprise fut immense quand il découvrit, une fois en lice pour les joutes, alors qu’il étouffait sous son heaume orné du lion Lannister, sa charmante servante portant robe de brocart dans les gradins réservés aux Stark. Impossible de ne pas deviner qui elle était. Parbleu, il avait … ressenti de l’attraction pour la petite sauvage du Nord ? Mais quelle était cette sorcellerie ? S’était-elle moquée de lui ? Il n’en avait pas eu l’impression du tout, vraiment. Oh, la situation était tordante, vraiment. Les Sept avaient un curieux sens de l’humour … Et Lyman Lannister n’aimait rien tant que les événements imprévus, ainsi que jouer avec le destin. En un instant, sa décision était prise, sa curiosité et son amusement à leur comble. Il s’approcha de la jeune fille et demanda formellement à porter ses couleurs, comme il convenait pour un fiancé. Elle accepta. Et il jouta. Le Prince Roward mit un terme à ses espoirs en lui faisant vider les étriers d’un puissant coup de lance, le sien passant juste au-dessus de l’épaule adverse. L’important était ailleurs, car il était certain, alors qu’il retirait son heaume, que sa fiancée allait le reconnaître. Et à voir son regard furieux, ce fut le cas.
Pour autant, il parvint à la revoir, dans les jardins de la propriété des Grafton. Il put constater que sa fiancée avait un vocabulaire des plus étendus en ce qui concernait la manière de traiter un homme de lâche et de trousseurs sournois de jupons nocturnes. En fait, elle était tout à fait agréable à regarder, ainsi énervée. Alors, il déploya sa science de la séduction. Il la complimenta, plaida l’aveuglement d’une telle beauté, le coup de folie face à cette farce du destin. Et à nouveau, il l’embrassa. Elle lui répondit. Et ils se séparèrent, le feu aux joues, alors qu’il se faisait la réflexion qu’en définitive, cette union avait de quoi lui plaire plus qu’il ne le pensait. Les festivités se terminaient, il eut même l’occasion de danser longuement avec Sharra Arryn, la Belle, le dernier soir, et il partit avec les nordiens, où la guerre contre les sauvageons faisait rage. Encore une fois, Jordane Lannister tentait un superbe pari : engager son fils unique aux côtés du Nord d’un côté, en finançant le Noir de l’autre, et alors que chacun savait les tensions entre les deux royaumes. La traversée fut l’occasion de discuter plus avant avec sa fiancée, et d’installer une forme d’entente entre eux. Puis il découvrit Winterfell, et fut favorablement impressionné par l’antique bâtisse des Stark. D’un œil distrait, il regarda Gareth, sous couvert d’être son valet, se rapprocher de la cousine de Jeyne, qu’il trouva toute aussi charmante. Lui aurait-on menti ? Le Nord avait-il pour tactique secrète de propager de fausses rumeurs pour garder ses belles donzelles à l’abri des convoitises étrangères ? Les mondanités ne durèrent guère. Motte-la-forêt, une forteresse nordienne à l’ouest du royaume était tombée face à l’avancée sauvageonne. Les nobles du Nord réclamaient que l’armée se mette en marche … C’est ainsi que Lyman marcha à la guerre, conservant en tête l’expression horrifiée des Glover quand ils avaient appris la perte de leur demeure. Ainsi, voilà à quoi ressemblait cette guerre dont son père n’aimait pas parler. Et soudain, il comprit que sa distance sur le sujet n’était pas nécessairement un manque d’envie de parler à son rejeton. Lui qui l’avait vécue uniquement dans les livres, la découvrait dans toute son horreur et sa brutalité. Il voyait le deuil et les massacres. Ce n’était, hélas que le début.
La Mort-aux-loups fut la plus grande épreuve de sa vie. Placé dans la cavalerie, à gauche, aux côtés de ses futurs beaux-frères et de son ami, Gareth, alors qu’il contemplait l’immense horde sauvageonne, Lyman Lannister se sentit terriblement vulnérable … et empli d’une ferveur nouvelle. Il avait l’impression que son sang bouillonnait dans ses veines, alors qu’il serrait fermement sa lance entre ses mains. Toutes les leçons de son père lui revinrent en mémoire, et quand le premier choc vint, il comprit les ombres qui dansaient parfois dans les yeux de Loren. Le choc fut d’une violence inouie. Il vit Gareth vaciller sur sa selle, blessé par un sauvageon. Il vit Brandon Snow ne se retenir que par miracle, alors qu’une arme se retrouvait sauvagement fichée dans sa cuisse. Et il vit ceux autour de lui périr, dans une marée de sang, au milieu du fracas des sabots, et des cris d’horreur et de guerre mêlés. Abandonnant la logique qui lui était si chère, il se contenta de frapper sans relâche, et de survivre. Le carnage au centre acheva de lui soulever le cœur, alors que la cavalerie se retirait. Les pertes s’amoncelaient. Quand il fallut repartir à la charge, en un instant, il sut ce qu’il convenait de faire, et retrouva l’audace de ses jeunes années passées à imaginer des stratégies sur des plateaux soigneusement fabriqués par le mestre et ses aides. A présent, il se trouvait au cœur de la mêlée … et ne se départissait de sa fougue.
« Reformez-vous ! Tenez les rangs ! Montrez aux Lions quelle est la puissance du Nord ! Portez votre roi sur le chemin de la victoire ! Que vos morts et mourants se présentent fièrement devant les Anciens Dieux car leurs frères les auront vengés ! Vos crocs déchireront la jugulaire sauvageonne et la Gloire du Nord rayonnera dans leur défaite ! Aux armes ! Préparez-vous à charger de nouveau !»Ses cris galvanisèrent les nordiens sous son commandement, et tous chargèrent, lui-même menant l’impitoyable avancée épaule contre épaule avec Gareth, alors que son beau-frère s’élançait à son tour. Le prix de cet éclat fut terrible : plusieurs dizaines de cavaliers furent équarris par leurs adversaires, qui subirent un lourd tribut en contrepartie. Lyman lui-même sentit sa chair fouaillée par une lance sauvageonne. La douleur lui arracha un grondement sourd, même s’il parvint à rester en selle. Brandon Snow n’eut pas cette chance. Horrifié, il assista à la fin du vaillant demi-frère du Roi nordien, qui combattit jusqu’à la fin. Les braves mourraient aussi. Cela ne l’empêcha pas de continuer l’assaut, jusqu’à la victoire. Enfin … Quand il contempla, ivre de fatigue, tenant son bras blessé contre lui, les monceaux de cadavres qui parsemaient les environs, des larmes amères le submergèrent. Trop d’hommes étaient morts pour qu’il ne considère par cette boucherie comme une immonde défaite. Soudain, il comprenait dans sa chair et dans son sang ces rudes guerriers qui devaient faire face, seul, à cette horreur venue d’Au-delà du Mur. Lui-même ne serait plus jamais le même. Envolés, ses rêves de chevalerie, et de glorieuses conquêtes. Désormais il avait goûté à la guerre … et il la trouvait détestable. Hors de question que son peuple paye un tel prix, jamais. Etait-ce pour cela que son père avait abandonné peu à peu les affaires, après le siège de Castral Roc ? Etait-ce pour cela qu’il répugnait tant à s’investir ? Par peur d’entraîner l’Ouest dans un nouveau conflit ? Ce que Lyman avait longtemps pris pour de l’indolence prenait une autre signification désormais et il s’en voulait de sa naïveté.
Cependant, il lui fallut attendre deux mois pour l’épouser, le temps qu’il se remette … et surtout que son futur beau-père parvienne à se tenir debout suite aux blessures qu’il avait reçu. Néanmoins, le Vieux Loup était dur au mal, tout comme son Lannister de beau-fils, qui apprécia d’apprendre qu’il n’aurait pas de séquelle de sa méchante plaie au bras. La cérémonie arriva, devant toute la cour du Nord, sa propre mère ainsi que la Reine-Régente du Val, venue pour parlementer avec son allié nordien, à ce qu’il semblait. L’ensemble fut agréable, même si le passage devant le Septon lui était plus familier que l’union au sein du Bois Sacré. Au moins ne commit-il aucun faux pas, ayant pris soin d’apprendre par cœur le cérémonial, attentif à ne pas heurter les convictions religieuses de ses hôtes. Le banquet se déroula parfaitement, il dansa à foison, but légèrement, et le coucher vint. Au réveil, Lyman comprit que le devoir d’un Prince s’alliait parfois avec celui de l’homme.
Le départ pour le Roc ne lui causa guère de déplaisir, ses terres chéries lui manquant, même s’il comprenait le déchirement éprouvé par son épouse et sa cousine, qui l’accompagnait dans sa nouvelle demeure. Quand ils arrivèrent, outre les présentations familiales de rigueur, les jeunes mariés purent profiter de leur compagnie mutuelle, Lyman lui montrant les beautés de Castral Roc, et quelques-uns de ses secrets. Pour autant, au-delà des plaisirs conjugaux, en secret, il s’activait au bonheur de ses sœurs. En effet, durant son séjour à Winterfell, sa mère lui avait confié entièrement la question de leurs épousailles respectives, ainsi que les impératifs entourant celui de Megara, révélant ce qui l’affectait. Dire que Lyman en fut affecté serait un euphémisme, autant par la honte ressentie que par la compassion qu’il éprouvait à l’endroit de sa cadette. Alors, il avait réfléchi longtemps, retournant le problème dans tous les sens … pour en venir à la seule conclusion qui s’imposait. Il fallait à Megara un mari qui ne s’offusquerait pas du risque permanent de ne pas être le père de ses enfants, qui ne serait pas un poids pour la Couronne. L’équation était évidente. Néanmoins, par-delà la logique du devoir venait le remords de l’amitié. Lyman savait que Gareth s’amourachait de Lynara Karstark. Il le choisit pourtant. Et aida donc à l’organisation de leurs noces, une fois de retour au Roc, tandis qu’il finalisait les discussions avec le Val pour unir Nymeria à son Ronnel adoré. L’alliance entre les Faucons et les Lions serait un atout, surtout au vu des dissensions de plus en plus criante entre les Valois et le Nord, et du rapprochement de ce dernier avec Peyredragon, dont la Reine n’avait pas fait mystère de son souverain dédain pour l’Ouest, vu le financement par ce dernier des guerres d’Hoare. Il était urgent de créer un contrepoids … sans compter que les deux jeunes gens paraissaient sincèrement épris l’un de l’autre et que l’avenir de sa benjamine ne lui était pas indifférent. Les fiançailles furent conclues, et tandis que Nymeria partait pour le Val, Megara épousait Gareth à Castral Roc. Lyman se sentait enfin à sa place : il avait brillé dans ces arrangements confiés par sa redoutable mère, sa propre union le comblait, puisqu’il apprenait à connaître toujours plus son épouse. Tout était parfait … Trop.
L’affaire Clegane fut le signe avant-coureur de la tempête qui s’annonçait. Même si Lyman ne pouvait s’empêcher d’éprouver une forme de fierté dans la participation de son épouse à ce jugement, et dans sa sagesse, puisqu’elle avait préconisé une solution qui apaiserait le Bief, alors que ce royaume était en guerre avec le Nord depuis peu. Elle avait jugé en Princesse de l’Ouest, et non en Stark. Elle apprenait, elle-aussi. Néanmoins, le comportement de certains nobles le fit tiquer. La suite n’allait que renforcer cette impression délétère.
Dans les problèmes de mœurs, la coutume veut qu’au moment de la dénonciation du crime, chacun se drape dans sa vertu et clame que personne ne savait. Puis le temps passe … et la violence se tasse. Peut-être était-ce que la Lionne avait espéré quand on lui avait conté la triste affaire de Falwell. Sauf que les semaines passaient, et que la situation ne s’apaisait pas. Il devenait urgent d’aller parlementer avec la populace, alors que la noblesse commençait à faire pression pour le rétablissement de l’ordre. Jordane Lannister envoya, signe que le Roc prenait enfin l’affaire au sérieux, après plus de deux mois, son propre fils. Ou bien était-ce encore une de ses épreuves cachées, impossible de le savoir. Quand Lyman arriva, il comprit rapidement que les gueux ne se calmeraient pas si facilement. Outre toute la populace de Falwell, il y avait rassemblé plusieurs familles venues des alentours, hurlant leur haine de la noblesse. Le pire ? Le Prince n’arrivait pas à leur en vouloir. Les actes de Falwell le révulsaient. Pour autant, la justice était prérogative royale, plus encore sur la personne d’un noble. La situation paraissait inextricable, et le danger de plus en plus conséquent. Si la troupe qui l’avait accompagnée jusqu’au fief Falwell était conséquente, la délégation qu’il avait emmenée pour parlementer ne serait sans doute pas en mesure de prendre le dessus sur les paysans … Ou bien, ce serait un bain de sang. Et en plus, sa tactique de faire entrer par effraction quelques soldats pour prendre la main sur le château échoua, manquant déclencher les hostilités. Il était face à un dilemme. Sa propre vie était plus qu’exposée. Il n’avait aucun héritier, pas de frère. Gareth était présent, et Megara n’était pas enceinte à sa connaissance. Une seule erreur, et il risquait toute l’avenir de la maison Lannister. Et puis … Les images de la Mort-aux-loups lui revinrent en mémoire. Le sang et les cris. La peur et la mort. Massacrer son propre peuple … Mais quel Prince serait-il après cela ? N’avait-il pas promis la paix, en son cœur ? Alors il parla. Et fit ce qu’il pensait être juste. Pour les Lannister. Pour les petites gens de l’Ouest.
La foule vengeresse se calma à mesure qu’il parlait. Il arracha un accord, sans aucun blessé supplémentaire de part et d’autre. La paix était revenue à Falwell, grâce au Prince. Sauf que le Roc s’enflamma. La noblesse se rebiffa, du moins une partie. Alors qu’il était reparti au Roc, des seigneurs du sud prirent les armes et anéantirent ses promesses, et l’espoir des paysans locaux, piétinant la parole de leur Prince, de la maison Lannister. Au-delà du remord qu’il éprouvait pour les nouvelles souffrances infligées à ces pauvres hères, en son for intérieur, il prit cette démonstration pour une offense personnelle, et en ressortit profondément blessé, humilié. En apparence, il conservait son air jovial, attentif à ne pas inquiéter son épouse, jouant les mondains pour recueillir les commentaires des uns et des autres. Mais la haine brûlait en lui. Il n’oublierait pas.
Pourtant, il dût admettre en voyant les désordres causés par les Réclamants qu’un appel au calme devenait urgent, même s’il pensait en son for intérieur que les choses n’auraient pas à ce point dégénéré si les Frondeurs n’avaient pas poussé Jaldemar à entreprendre cette marche insensée, le radicalisant de fait. Il conserva cette opinion pour lui-même, tandis que lentement, son ambition de toujours prenait une tournure plus dure. Le Roc avait été trop libéral. On disait la Lannister ferme, mais c’était surtout une politicienne de l’équilibre. Au Nord, jamais les Lords ne se seraient permis de tels actes, le jeune homme en était convaincu. Il était temps que le Lion rugisse à nouveau. Que son pouvoir soit incontesté et incontestable. Aussi l’arbitrage final de sa mère trouva grâce à ses yeux. Il évoluait, et s’il n’abandonnait pas son rêve d’un Ouest meilleur, ce dernier prenait des formes différentes de ce qu’il avait imaginé au départ. L’erreur le forgerait. Il était temps, car les menaces se multipliaient à l’extérieur.
L’appel à la Croisade l’avait laissé perplexe, et l’inquiétait même en raison des origines de sa femme. Aussi, la conclusion des Etats-Généraux le surprit. Laisser passer les croisés vers le Conflans, c’était attiser à coup sûr la haine de son beau-père et de sa dragonne d’épouse, qui avaient convaincu il ne savait comment la fille Durrandon de leur prêter allégeance, afin de proclamer un Empire qui n’était que l’énième incarnation des chimères de conquêtes des Sept Couronnes qui avaient conduites Aegon Targaryn dans la tombe et Harren Hoare dans un conflit sanglant. Ils avaient couronné un de leur prisonnier comme nouveau Roi du Conflans, et le Vieux Loup avait passé une couronne fantoche à son propre fils, en le condamnant à servir un hypothétique demi-frère, de vingt ans plus jeune au mieux. Dire qu’il était abasourdi par la tournure des événements tenait de l’euphémisme. Néanmoins, la nouvelle entité constituait une menace conséquente à leurs frontières. Et fidèle à ses manœuvres duplices, sa mère annonça son intention d’envoyer Jeyne pour parlementer avec l’Empire. Alors qu’elle venait de lui annoncer sa grossesse, pour sa plus grande joie. Une fois de plus, Lyman rongea son frein, désapprouvant ce qu’il considérait comme une entreprise aussi dangereuse qu’inutile. Eh quoi, le Vieux Loup n’allait pas se laisser attendrir par sa fille ! Et en plus, Jordane mettait en danger consciemment le futur héritier potentiel du Roc ! Autant se l’avouer : Lyman, dans le secret de son cœur, se demanda si sa mère ne désirait pas secrètement qu’un malheur arrive pour se débarrasser d’un mariage qui devenait encombrant, quitte à privilégier les enfants de Megara. A force de secrets, la maison du Lion nourrissait la rancœur au sein même de la portée. Il fallut faire face. Accepter de confier son épouse à Gareth, quand il brûlait de l’accompagner. Et sa rage quand il apprit que son épouse avait été attaquée et ne devait la vie qu’à la dragonne fut à la hauteur de sa méfiance. Le si calme Lyman entra dans une fureur noire, qui fit murmurer les serviteurs qu’après tout, le Lionceau aussi savait rugir. Sa seule satisfaction fut d’apprendre que l’union entre Nymeria et Ronnel Arryn s’était plaisamment déroulée, et que sa petite sœur en était fort heureuse.
Il trouva bientôt sa vengeance contre un des Frondeurs quand Serrett, après avoir défait le vieux Lord Tully et livré ce dernier au bûcher, trouva sa propre fin face à l’armée de son beau-père. Qu’il était ironique que ce dernier soit celui qui lui offre ce petit plaisir mesquin, même si Lyman regrettait la perte de tous ces ouestriens qui avaient été envoyés à la mort, puisque leur nombre trop faible ne leur aurait jamais permis de triompher de l’Empire. Quant à la mise en croix des survivants, il la comprenait s’il se plaçait d’un point de vue extérieur, mais elle le révulsait, car ne venait qu’accréditer les rumeurs sur la sauvagerie bestiale et païenne des nordiens.
Son père ayant décidé de partir en personne chercher sa bru, ce qui fut un intense soulagement pour Lyman en même temps qu’une légère surprise, puisque l’indolence du Lion ne l’avait guère mené à de tels éclats, le jeune homme décida de se consacrer à redorer son blason, et à regagner la confiance maternelle. S’immiscer dans ses bonnes grâces demeurait une tactique de survie, autant filiale que princière. Il travailla avec elle à de nouveaux investissements en termes d’infrastructures, et étudia les réformes mises en place pour enrichir les commerçants de l’Ouest, qui commençaient à porter leurs fruits. Se plonger dans ce travail administratif, qui mettait à profit ses talents de juriste et son goût pour l’innovation lui fit un bien fou. Là au moins, il pouvait œuvrer pour le royaume sans commettre d’impairs, sûr de sa force.
Les rumeurs entourant les noces de son beau-frère avec la Tully ravivèrent ses inquiétudes, Lyman craignant que la vengeance du Noir, aigri par l’alliance avortée entre lui et l’Ouest, alors qu’il était acculé, ne cherche à se venger sur la délégation ouestrienne. Seul sous la férule de Jordane dans le Roc, il attend avec impatience le retour de son père pour discuter avec le Roi … et prendre la place de premier plan qui lui revient de droit. Et pour cela … Il fourbit ses armes, fomente ses plans. Il sera enfin le Prince que le Roc désire … ou il fera du Roc ce qu’il veut en tant que Prince. Avec Jeyne à ses côtés, avec leur enfant à naître, il n’en sera que plus fort.
Il est temps que le Lionceau montre ses crocs.
Il est temps qu’il devienne Lion à son tour.
Parce qu’un Lannister paye toujours ses dettes.