Grand Chêne griffonnait sur son manuscrit. Ses mèches grisonnantes, détachées, sales, trempaient dans l'encrier. Aux côtés d'une calligraphie soignée se mêlaient des stries bleues foncées qui enlaidissaient la feuille, en raturant ou en hachant des mots par mégarde. Des gouttes de transpiration perlaient sur le visage du vieil homme qui écrivait, et s'abattaient sur les feuilles en emportant de la crasse avec elles. La lueur de la bougie, au milieu de cette pièce moite et plongée dans la pénombre, dévoilait un individu grand au crâne dégarni qui scrutait par-dessus son épaule. Les mots au bout de la plume s'imprimaient dans le papiers pour s'inscrire et traverser les âges. Une page blanche s'offrait au vieux Dyck, il était temps pour lui de marquer le coup pour introduire sa pensée.
«Épuisée de ces jours, par le temps délaissée
L'âme vogue, chaloupe, en quête de liberté»
- Hmm, hmm. C'est pourri, déclara l'homme debout derrière l'écrivant.
- Tais toi, Léonette, tu n'as aucune sensibilité poétique, s'agaça Dyck, d'une voix grinçante de vieillard mystique et sage, en barrant tout de même ce qu'il avait écrit.
- Sûrement, oui, mais vous non plus visiblement, le coupa sèchement le dit Léonette.
- Ne te dresse pas face au Grand Chêne malotru, lorsqu'il se secoue, mortels peuvent-être les glands qui en tombent, répondit Dyck sur la même voix.
- Arrêtez avec cette voix, c'est chiant, surtout que vos fidèles ne sont même pas là, souffla Léonette.
- Ha oui, hmm, hmm, nan mais je le tiens enfin, je crois, déclara le vieil homme d'une voix beaucoup plus clair. Branche Ardente, responsable de mes armées, vous me gênez dans ma méditation, avez-vous un problème avec nos troupes ?
- Non aucun problème, c'est juste qu'avec les trois bouseux que vous m'avez refilé en guise d'armée, je m'ennuie un peu quoi, lui rétorqua le militaire. Quelles sont vos méditations ?
- Ma vie, répondit le vieillard. J'aime ma vie, je vais vous dire, si ça ne tenait qu'à moi, on foutrait en l'air tous les grands livres d'histoire et on apprendrait: ma vie.
- Oui on l'apprendrait si on avait 15 minutes à perdre, rétorqua Léonette.
- Oh vous êtes pénible vous, pesta Dyck, de toutes les manières personne ne l'écrit ma vie, alors je suis bien obligé de m'y mettre moi-même pour l'écrire, ma vie.
- Ok, alors je me cass...
- Ah nan nan, maintenant on reste ! s'écria le vieux.
«La connerie permet de dépasser des endroits où la raison reste bloquée.»Ma vie commence il y a une quarantaine d'années Léonette, commença Dyck avec à nouveau cette voix qui le caractérisait. Enfin mon corps commence il y a une quarantaine d'années ; mon esprit, mon âme étaient sans doute là avant. Peut-être qu'ils étaient là avant que le monde ne soit monde, peut-être même qu'ils sont le monde, que je suis le monde.
