L'effervescence gagne Villevieille. Des semaines plus tôt, une brouille très grave a éclaté entre la maison Tarly et la Compagnie de la Bannière de Fortune. L'épée Tarly volée, l'arrière-pays de Boisdoré et de toutes les marches nord du royaume se remplit de chevaliers, d'écuyers et de francs-coureurs, d'hommes en armes à la recherche des mercenaires et de l'hérésie supposée de leur cheffe, Ghabrielle Rowan. La ville sainte se transforme depuis en fourmilière de dévots venus assister au jugement divin attendant nobles et voleurs supposés, mais aussi d'hommes en armes des maisons réclamant la tête des mercenaires. Bagarres fréquentes, épées tirées, le guet de la ville a fort à faire depuis.
Par-dessus le marché, d'autres procès, d'autres interrogatoires, d'autres affaires requièrent l'attention du palais... Notamment l'arrivée toute fraîche et sous bonne garde de la Reine déchue Argella Durrandon, taxée d'hérésie, d'actes amoraux, de complaisance avec l'Etranger et ses agents en ce monde. La Biche de l'Orage, aux bois encore maculés du sang des champs de La Grand-Route et de Wensington, reçoit pourtant peu de visites et d'attention, car toute la ville attend d'abord le dénouement de l'histoire de la Compagnie de Fortune et de l'Epée Tarly volée.
C'est sa chance, alors.
Car la Biche rêve de liberté, et plus que tout, de vengeance. Enfant perdu, un mariage rompu par divorce, un autre par répudiation, la voilà seule, sans couronne et sans vassaux, sans troupes. Elle qui reste dépositaire d'une des plus glorieuses lignées de héros du continent, se retrouve alors dans la position d'être non seulement dépossédée de tout ; gloire, honneur, pouvoir, dignité de reine et de femme... Et qui en sus, doit le faire seule. Dans l'indifférence générale, le reste du monde tournant sans elle sur des sujets qui ne peuvent paraître que triviaux à celle qui menait encore il y a peu de terribles offensives à la tête de milliers d'hommes.
Elle saisit sa chance, alors. Et par une servante préalablement corrompue, sensible au nom et à l'envergure de la Reine brisée, elle échange ses vêtements avec ceux de la jeune femme. La servante, prostrée, joue le jeu avec l'espoir qu'on la laissera en paix, menacée qu'elle aurait été pour accomplir son rôle. Argella, elle, parvient à sortir. Le cœur battant, elle franchit plusieurs couloirs. Des gardes se laissent berner, jusqu'à ce qu'elle atteigne la proximité des écuries. Emballée par la réussite de son plan, elle se faufile à l'intérieur de l'étable, se saisit d'une selle, d'étriers ; le voyage sera long, elle est obligée de faire les choses correctement car la ville grouille de soldats, et de cavaliers émérites en pagaille.
Elle tombe pourtant au sortant sur une patrouille de lanciers, dont le sergent s'interpelle de voir une silhouette civile sur la monture. Hélée, Argella doit choisir entre forcer le passage ou tenter d'approfondir son mensonge et sa légende forgée au gré des quelques minutes de son expédition.
Elle reçoit un coup de hampe de lance, en plein visage, faisant saigner son nez et gonfler sa pommette ouverte sous le choc. Tombée de cheval, on la saisit pour la traîner, se débattant comme une furie, le groupe de soldats sonnant l'alerte et la traînant dans les couloirs jusqu'à la remiser dans sa cellule d'où la servante, hurlant et se débattant à son tour de panique, est extraite. A demi dénudée par l'échauffourée, haletante et meurtrie, la Reine attend son jugement...
Au lever du jour, on lui dépose un colis de nouveaux vêtements, soit les atours d'une septa. On lui évoque l'arrivée à venir d'un Grand Septon, chargé par Sa Sainteté de l'accueillir. Et loin dans la cour des bâtiments qui l'enferment, la brune peut voir la servante de la veille, encore attifée de ses atours royaux en guenilles, se balancer au bout d'une corde.
Vient pourtant la rumeur, la rumeur qui parcourt chemins de rondes et couloirs ; l'Empire envahit le Bief.
Et le Procès Rowan qui va commencer, le Saint-Père voulant régler le sort des hérétiques avant l'affrontement contre l'ennemie absolue qu'est la bannière du Loup et du Dragon.